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Full text of "Revue britannique : revue internationale reproduisant les articles de meilleurs écrits periodiques de l'étranger, compl`etés par des articles originaux, 1825"

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REVUE 

BRITANNIOUE. 


.ct>c 


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in  2009  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/1825revuebritann01saul 


CHOIX  D'ARTICLES 

TRADUITS  DES  MEILLEURS  ÉCRITS  PÉRIODIQUES 

DE  LA  GRANDE-BRETAGNE, 

SUR  LA  LITTÉRATURE,  LES  BEAUX- ARTfi,  LES  ARTS  INDUSTRIELS, 
l'agriculture,  la  GÉOGRAPHIE ,  le  COMMERCE,  L'ÉCONOMIE  POLI- 
TIQUE ,   LES   FINANCES ,    LA    LEGISLATION  ,    ETC.  ,    ETC.  ; 

Par  MM.  SaulniER  Fils  ,  ancien  préfet,  de  la  Société  Asiatique,  directeur 
de  la  Revue  Britannique  ;  DoNDEY-DuPRÉ  Fils ,  de  la  Société'  Asiatique  ; 
Charles  CoQUEREL  ;  Langrand ;  L.  Am.  Sédillot;  West,  Docteur 
en  M.cf\e.cmç.  {pour  les  articles  relatifs  aux  sciences  médicales) ,  etc.,  etc. 

^rcisthne  ۔)itian. 


\DO\AA£/    ^x 


nn0, 


Au  BUREAU  DU  JOURNAL,  Rue  de  GRENELLE-St.-HoNORÉ,  N»  29; 
Chez  DONDEY-bUPRÉ  PÈRE  ET  FILS,  Imp.-Lir.  , 

Rue  Saint-Louis  ,  N»  46  ,  au  Marais ,  ou  lue  Riclielicu  ,  N'-i"    Us. 

1S25 


ini'niMcnii  d»  rowDiT-DVi"Re> 


JUIN  1S25. 
REVUE 

INDUSTRIE. 


DU  TRANSPORT  PAR  LES  CAÎSÂUX  ,   LES  ROUTES  A  RAINURES 
DE  FER   ET  LES  VOITURES  A  VAPEUR  (l). 


il  eus  vivons ,  il  faut  l'avouer,  dans  un  tems  d'expériences 
et  de  spéculations.  Ceux  qui  cultivent  maintenant  les  arts  et 
les  sciences  ,  ne  peuvent  plus  se  plaindre  du  manque  de 
protection,  soit  de  la  part  du  gouvernement,  soit  de  celle 
des  particuliers  ;  car  il  serait  assurément  fort  injuste  d'ac- 
cuser les  hommes  auxquels  leur  rang  ou  leur  fortune  donne 
de  l'influence,  de  voir  avec  défaveur  les  innombrables  pro- 
jets qui  paraissent  chaque  jour.  Quoique  plusieurs  de  ces 
projets  soient  aussi  extravagans  que  s'ils  avaient  été  con- 
çus par  les  académiciens  que  Gulliver  rencontra  à  Laputa , 
c'est  avec  une  sorte  de  frénésie  qu'on  les  accueille,  dès 

(  i)  Note  du  Tr.  Nous  avons  pense  que  cet  article  où  les  avanlac^cs 
et  les  inconvcniens  des  difterens  modes  de  transport  sont  habilement 
discutés,  pre'senterait  un  inte'rèt  particulier  dans  un  moment  où  l'on 
examine  si  on  joindra  Paris  au  lîàvre  par  une  route  en  fer ,  ou  par  un 
canal  qui  serait  accessible  aux  bàtimens  de  mer.  Les  observations  gé- 
nérales de  l'auteur  de  l'article  sur  certaines  spéculations  qui  se  font 
actuellement  en  Angleterre  ,  et  sur  les  vues  toutes  personnelles  et  la 
mauvaise  ioi  des  auteurs  de  ces  projets ,  ne  seront  pas  en  France  sans 
utilité,  car  elles  n'y  seront  ^oint  sans  application,  S. 


12  Du  Transport  par  les  Canaux  ,  les  Routes 

(ju'ils  sont  présenlés,  sous  une  forme  palpable,  comme 
objets  de  spéculalioiis.  «  Y  a-t-ll  quelque  nouveau  projet 
aujourd'hui?  »  Telle  est  la  première  question  que  Ton  lait 
en  enti'ant  à  la  Bourse.  Les  hommes  à  argent  de  la  Cite 
demandent  des  actions  dans  les  nouvelles  entreprises  ,  avec 
une  ardeur  au  moins  égale  à  celle  que  les  Romains  met- 
taient jadis  à  demander  leur  paiiem  et  circenses.  Et  ce 
n'est  pas  seulement  dans  la  Cite  que  règne  cette  manie  :  les 
oisifs  qui  fréquentent  les  clubs ,  nos  jeunes  officiers  aux 
gardes  et  les  commis  des  administrations  publiques,  eu 
sont  également  possédés  î  Nous  craindrions  même  qu'elle 
ne  finît  par  dégénérer  en  affection  chronique,  si  au  fond 
elle  ne  portait  son  remède  avec  elle,  et  si  ce  remède  ne 
devait  pas  bientôt  opérer.  La  prospérité  sans  exemple  du 
pajs,  l'exubérance  des  capitaux,  et  partant  le  taux  peu 
élevé  de  l'intérêt ,  doivent  sans  doute  être  placés  au  nom- 
bre des  causes  de  cette  maladie.  Mais  c'est  une  autre  cause 
qui  doit  être  moins  durable ,  qui  a  plus  particulièrement 
contribué  à  la  propager  et  à  eu  augmenter  la  violence  : 
nous  voulons  parler  de  la  facilité  que  toutes  les  classes 
trouvent  à  s'intéresser  dans  les  nouvelles  entreprises,  à 
cause  de  l'extrême  modération  des  premières  mises  à  faire  j 
quant  à  la  possibilité  de  faire  les  secondes,  c'est  une  chose 
à  laquelle  on  ne  réfléchit  pas. 

Mais  quelle  que  soit  l'origine  de  celte  rage  de  spéculer , 
qui  pousse  les  différentes  classes  de  la  société  à  chercher 
de  l'emploi  pour  les  capitaux  hors  des  routes  ordinaires, 
il  faut  convenir  qu'elles  ne  montrent  guère  de  prudence  et 
de  discrétion  dans  le  choix  des  voies  nouvelles  qu'elles 
adoptent.  Peu  importe  sur  quelle  base  reposent  les  pro- 
jets; Il  n'est  même  pas  nécessaire  qu'ils  en  aient  <iucune  : 
la  seule  chose  dont  aient  besoin  ceux  qui  les  ont  conçus, 
c'est  d'avoir  un  agent  rusé,  remuant,  impudent,  qui  se 
charge  de  leur  jirocurer  un  chat'r'nian,  ou  président  d'uu 


(}  ramures  de.Jtr  et  les  Toitures  à  vapeur.  i  j 

rang  et  d'une  condilion  honorables,  si  cela  est  possi- 
ble j  une  douzaine  de  directeurs  dont  les  noms  aient  quel- 
que notoriété  et  soient  convenablement  saupoudrés  de 
M.  P.  (i)  i  un  banquier,  ce  qui  est  très-facile  ;  et  un  ingé- 
nieur qui ,'  comme  les  médecins  et  certains  avocats ,  soit 
disposé  à  se  charger  de  tous  les  cas  désespérés  ,  parce  que> 
comme  eux ,  il  est  toujours  sur  d'en  retirer  quelqu'avan- 
tage  particulier.  Lorsque  ces  drainatis  perso nœ  delà  farce 
sont  trouvés  et  réunis,  on  lève  le  rideau,  et  la  foule  se 
précipite  pour  jouer  son  rôle  dans  la  nouvelle  eul  reprise  et 
pour  y  apporter  son  argent.  Eu  général,  les  nouveaux  ve- 
nus se  contentent  des  rôles  muets,  et  tous  leurs  niouve- 
mens,  comme  les  gestes  des  marionnettes,  sont  déterminés 
par  ceux  qui  tiennent  les  fils.  Tout  cela  serait  assez  diver- 
tissant ,  si  on  ne  rélléchissait  pas  aux  tristes  conséquences 
que  doivent  avoir  tant  de  spéculations  extravagantes.  Au- 
cun de  ceux  qui  s'inléressent  dans  ces  spéculations  ,  ne 
s'enquiert  de  leurs  résultats  probables  et  n'en  calcule  les 
chances  fâcheuses.  Ils  vont  tous  en  avant .  sans  avoir  près 
d'eux  personne  qui  les  guide  dans  les  routes  sur  les- 
quelles ils  se  sont  si  imprudemment  lancés.  Ce  sei'ait  une 
erreur  de  supposer  que  les  auteurs  de  ces  projets  n'enten- 
dent pas  mieux  leurs  intérêts  :  si  les  actions  dont  i!s  sont 
toujours  les  plus  forts  détenteurs,  peuvent  se  négocier 
avec  bénéfice,  et  cela  est  presqu'infailiible  lorsqu'elles  pa- 
raissent pour  la  première  fois  à  la  Bourse ,  quelqu 'absurde 
que  soit  d'ailleurs  Tentreprise,  ils  se  hâtent  de  s'en  dé- 
faire, et  leur  objet  étant  rempli,  ils  vont  appliquer  leur 
coupable  industrie  à  d'autres  entreprises  du  même  genre. 
Lorsque  l'affaire  commence  à  languir,  et  que  l'on  fait  de 
nouveaux  appels  de  fonds  ,  les  malheureux  intéressés  ,  datjs 


(i)  Note  du  Tr.  Ces  initiales  sont  celles  que  les  incinlircs  du  Par- 
lement sont  dan»  l'usage  de  joindre  à  leurs  noms. 


l4  Dii  Transport  par  les  Canaux^  les  Routes 

l'impossibilité  de  payer,  et  clans  la  ci'aiute  que  plus  tard  on 
ne  leur  fasse  encore  d'autres  demandes,  sont  obligés  do 
vendre.  Le  prix  des  actions  fléchit ,  et  les  derniers  acqué- 
reurs ,  bientôt  effrayés  par  des  causes  semblables  ,  se  tirent 
d'embarras  comme  ils  peuvent,  en  vendant  à  leur  tour 
avec  une  perte  considérable.  De  plus  en  plus  avilies,  à 
mesure  qu'elles  changent  de  mains ,  ces  actions  ,  qui  d'a- 
bord s'étaient  négociées  au-dessus  du  pair ,  finissent  par 
tomber  à  leur  véritable  niveau ,  c'est-à-dire  à  zéro  :  alors 
la  bulle  de  savon  crève  et  se  dissipe  dans  l'air  ,  comme 
les  emprunts  du  roi  Ferdinand  ou  les  bons  du  Cacique  du 
Pojais  (i). 

Il  n'est  pas  nécessaire  ,  pour  plusieurs  de  ces  projets ,  de 
réaliser  un  capital   considérable  ;  car   rexécution  en  est 

(i)  Note  du  Tr.  L'auleur  de  l'article  fait  allusion  à  un  aventurier 
écossais  qui ,  après  avoir  pris  quelque  part  à  la  lutte  engagée  entre 
l'Espagne  et  ses  colonies  e'mancipées,  avait  fait  annoncer ,  en  Angle- 
terre ,  que  les  habitans  du  Poyais  ,  vaste  contre'c  du  Nouveau-Monde, 
l'avalent  choisi  pour  re'gner  sur  eux  avec  le  titre  américain  de  Cacique. 
Lorsque  cette  histoire  fut  suffisamment  accréditée  ,  il  ouvrit  un  em- 
prunt à  Londres,  pour  subvenir  ,  disait-il,  aux  premiers  besoins  de 
son  gouvernement ,  négocia  des  actions  de  la  Banque  royale  du 
Poyais  ,  donna  ou  vendit  des  commissions  d'officiers  dans  ses  armées  , 
et  détermina,  par  un  brillant  prospectus,  un  assez  grand  nombre  de 
personnes  à  lui  acheter  des  terres  plus  ou  moins  considérables  dans 
ce  qu'il  appelait  ses  élats.  Les  concessionnaires  de  ces  terres  frétèrent 
plusieurs  navires  ,  et  mirent  de  suite  à  la  voile  pour  se  rendre  au 
Poyais  ,  empressés  qu'ils  étaient  de  jouir  des  délices  de  ce  nouvel  Eden. 
Mais,  à  leur  arrivée,  ils  ne  trouvèrent  ni  cacique,  ni  banque,  ni 
armée  ,  ni  gouvernement  quelconque,  et  ils  furent  fort  mal  accueillis 
par  une  tribu  indienne  ,  celle  des  Mosquitcs  ,  qui  ne  vit  que  du  produit 
tic  ses  chasses,  et  qui  s'irrita  beaucoup  de  la  prétention  que  témoi- 
gnaient des  étrangers,  de  mettre  en  culture  les  forêts  dans  lesquelles 
elle  cherchait  sa  subsistance.  Après  avoir  été  pillés  par  les  Mosquitos  , 
ces  pauvres  dupes,  cruellement  détrompées,  se  virent  dans  la  néces- 
sité de  se  rembarquer.  Le  Times  assure  que  le  Cacique  du  Poyais  est , 
depuis  quelque  tems,  à  Paris,  où  S.  A.  vit  dans  le   plus  profond  in- 


à  rainures  de  fer  et  les  T'oïlures  à  vapeur.  i5 

nLindounée  ,  tîès  que  ceux  qui  les  onl  conçus  el  les  hommes 
de  Tart  ou  les  gens  d'affaires  dont  ils  ont  mis  les  noms  en 
.'ivant,  se  sont  partagés  le  montant  du  premier  versement 
fait  par  les  actionnaires.  Mais  c'est  assez  sur  ce  sujet  ;  et 
assurément  nous  n'essaierons  pas  d'énumérer  ,  et  encort; 
moins  de  faire  connaître  en  détail  les  diverses  spéculations 
qui  occupent ,  dans  ce  nioment,  Tattentioa  publique.  JNous 
observerons  seulement  que  celles  d'origine  étrangère  ob- 
tiennent plus  de  vogue,  par  la  raison  qu'elles  sont  moins 
comprises 5  ce  sont,  en  général,  les  produits  de  la  fraude 
qui  spécule  sur  l'avarice  et  la  crédulité.  On  peut  les  classer 
dans  deux  grandes  divisions  :  les  emprunts  faits  par  les 
nouveaux  états  qui  se  sont  établis  dans  l'Amérique  du  Sud  , 
et  les  prétendues  associations  pour  l'exploitation  des  mines 
des  mêmes  contrées  (i).  Tous  les  jours  nous  expédions 
d  immenses  sommes  ,   réalisées  ,   en  bons  dollars  ,  pour  k- 

coj^nito.  Suivant  le  même  journal ,  un  des  malheureux  qu'il  a  ruim's 
lui  ayant  e'crit  dernièrement,  afin  d'obtenir  une  indemnité'  pour  les 
perles  qu'il  avait  faites,  un  individu  qui  prend  le  titre  de  comte,  e( 
qui  se  qualifie  de  directeur-général  du  département  de  l'intérieur  du 
Poyais,  avait  répondu  au  pétitionnaire,  sous  la  date  du  -^o  avril  iS^S  , 
avec  les  formes  usitées  dans  les  chancelleries  européennes  ,  «  que  lors- 
qu'il aurait  produit  les  pièces  nécessaires  pour  établir  la  validité  de  la 
réclamaiion  qu'il  avait  adressée  au  Canitiue,  S.  A.  R.  se  ferait  rendre 
compte  de  son  affaire  ,  et  qu'il  lui  serait  fait  justice.  » 

(i)  Note  DT)  Tr.  Le  Ouarterly  Heview ,  auquel  nous  avons  em- 
prunté cet  article  ,  est  considéré  ,  en  Angleterre  ,  comme  un  des  prin- 
(ipaux  organes  du  parti  tory.  Il  a  cependant  beaucoup  modifié  ses 
doctrines,  depuis  que  le  ministère  a  adopté  en  grande  partie  celles  de 
l'opposition.  Mais  les  observations  ci-dessus,  si  peu  bienveillantes  pour 
les  gouvernemens  qui  se  sont  récemment  constitués  en  Amérique, 
annoncent  que  ses  rédacteurs  n'ont  pas  encore  pu  parvenir  à  dépouiller 
entièrement  le  vieil  homme.  Le  président  du  bureau  du  commerce  , 
M.  Iliiskisson  ,  manifestait,  sur  le  même  sujet,  une  opinion  bien  dif— 
iérente,  <]uand  il  se  félicitait,  à  la  chambre  des  communes,  de  voir  la 
lirandc-Brelagne  devenir  créancière  hypothécaire  dujXouvcau  IMondc. 


ïG  J^u  Transport  par  les  Canaux  ,  les  Routes 

Mexique  ,  le  Pe'rou,  le  Chili ,  la  Colombie  ,  le  Bré.jil ,  d'où 
ces  dollars  fureut  prlmlth'ement  tirés,  et  dont  probable- 
ment ils  ne  reviendront  pas  de  sitôt.  K'importe  :  le,  taux. 
é\e\é  de  rintérct  attaché  à  ces  emprunts,  est  payé  réguliè- 
rement pendant  un  certain  tems  ,  non  parles  emprunteurs, 
mais  avec  une  portion  du  capital  des  préteurs ,  réservée  à 
cet  effet  j  car  nous  avons  l'assurance  positive  que  les  états 
qui  ont  contracté  ces  emprunts,  n'ont  pas  encore  renvové 
un  seul  dollar  en  Europe.  Malheur  à  ceux  dans  les  mains 
desquels  se  trouveront  en  dernier  lieu  tous  ces  bons  amé- 
ricains ,  si  improprement  nommés  sécurités  !  Occupet  ex- 
tremum  scahies  (  i  ) . 

Mais  c'est  principalement  vers  l'exploitation  des  mines 
que  se  dirige  la  rage  des  spéculateurs.  Au  moyen  des  capi- 
taux anglais,  des  ingénieurs  anglais,  des  machines  anglai- 
ses, on  espère  arracher  de  leurs  entrailles  tout  cet  aurum 
irreperium  que  les  Espagnols  y  avaient  laissé,  parce  qu'ils 
ne  voyaient  plus  d'avantages  à  l'en  extraire.  On  est  même 
convaincu  qu'on  l'y  trouvera  en  si  grande  quantité ,  que 
déjà  certains  économistes  gémissent  de  l'avilissemeat  pro- 
bable des  métaux  précieux ,  et  que  d'autres  commencent  à 
craindre  que  le  chancelier  de  l'Echiquier  ne  puisse  rem- 
bourser le  capital  de  la  dette  publique;  ce  qui ,  sans  aucun 
doute,  amènerait  un  grand  bouleversement  dans  la  société. 
Mais  ,  comme  dit  la  Judicieuse  mistriss  Glass  (2) ,  il  faut 
d'abord  prendre  le  poisson.  Que  ne  peut-on  pas  tenter  de 
persuader  aux  homnnes,  quand  nous  voyons  qu'une  seule 

(t)  Note  du  Tr.  On  voit  qu'au  commencement  de  iSaS,  l'auteur 
de  cet  article  avait  prévu  la  crise  commerciale  qui  devait  désoler  l'An- 
gleterre en  1826,  et  la  plus  grande  partie  du  continent. 

(2)  NoTF,  DU  Tr.  Mistriss  Glass  est  l'auteur  d'un  livre  de  cuisine 
dont  les  formules  sont  les  mêmes  que  celles  de  la  Cuisinière  bouri;coise. 
Son  article  sur  les  matelotes  commence  ainsi  :  «  Si  vous  voulez.  ïaire 
une  matelote  ,  il  faut  d'abord  prendre  du  poisson.  » 


à  rainures  de  fer  et  les  Voitures  à  va]:eur.  1 7 

action  dans  une  mine  nommée  Real  del  Monte,  pour  la- 
quelle on  n'avait  encore  avancé  que  yoliv.  st. (1,750  fr.),  s'est 
négocié  avec  un  jDcnéfîce  de  i,4oo  liv.  st.  (  55, 000  fr.  )  ,  ou 
de  2,000  liv.  st.  (5o,ooo  fr.)  pour  cent.  L'histoire  en  cir- 
culation sur  cette  mine  est  quun  habitant  de  Mexico  avait 
acquis ,  en  l'exploitant ,  une  fortune  si  considérable,  -que  , 
pendant  la  dernière  guerre ,  il  avait  fait  présent  au  roi 
d'Espagne  de  deux  vaisseaux  de  ']l\.   On  serait  tenté  de 
croire  que  les  gentlemen  qui  fi'équenteut  la  Bourse  ont 
tout-à-fait  perdu  l'esprit ,  ou  qu'ils  ont  retrouvé  ce  passage, 
si  long-tems  et  si  vainement  cherché,  par  lequel  Candide 
et  son  fidèle  Cacambo  pénétrèrent  jadis  dans  la  vallée  d'El- 
dorado j  qu'ils  se  sont  convaincus  qu'en  effet,  pour  se  pro- 
curer des  cailloux  d'or  et  de  la  boue  jaune ,  il  n'y  avait 
qu'à  prendre  la  peine  d'aller  en  chercher,  et  qu'on  leur 
aura  dit  :  «  Prenez-en  tant  qu'il  vous  plaira,  et  grand  bien 
vous  fasse  .'  »  comme  disait  jadis  à  l'Optimiste  le  roi  de 
cette  heureuse  contrée.  Nous  dirons  à  notre  tour  à  ces 
messieurs  :  Puissiez-vous  long-tems  prolonger  vos  songes 
dores ,  amuser  votre  imagination  de  vos  cailloux  d'or  et 
de  votre  boue  jaune,  et  ne  pas  être  trop  tôt  délrompés  des 
illusions  dont  vous  entretiennent  ceux  qui  veulent  persua- 
der à  leurs  dupes  qu'il  existe  certaines  contrées  où 

«  The  mollcii  silvcr 
Pvuiis  out  like  cream  on  cakes  of  golJ  ; 

AnJ  rubies 
Do  grow  like  strawbeiTies  (i).  » 

Presque  toujours  les  premiers  auteurs  de  ces  associations 
se  tiennent  en  arrière ,  et  les  personnages  qu'ils  mettent  en 
avant  ne  sont  eu  état  d'en  discuter  ni  les  iuconvcniens  ,  ni 
les  avantages.  Quant  à  ceux  qui  spéculent  sur  les  actions, 

('1)  «  L'argent  liquide  arrose  ,  comme  de  In  rrème,  des  gâteaux  d'or, 
cl  les  rubis  poussent  comme  des  fraises.  » 


1 8  l)u  Transport  par  les  Canaux  ,  les  Hontes 

ils  ne  sont  pas  susceptibles  de  mettre  l'ombre  de  prudenée 
et  de  bon  sens  dans  leurs  opérations.  D'ailleurs,  des  qua- 
Htés  aussi  vulgaires  ne  seraient  pas  en  harmonie  avec  l'es- 
prit entreprenant  qui  caractérise  notre  époque.  Les  Espa-' 
gnols  qui  exploitaient   autrefois  les  mines,    se   ruinaient 
presque  tous  ;  si  bien  qu'il  était  passé  en  proverbe  dans 
les  colonies  qu'une  mine  d'argent  conduisait  à  la  pau- 
vreté, et  une  mine  d'or  à  la  misère.  Mais  qu'est-ce  que 
cela  fait  à  des  gens  qui  ne  s'inquiètent  ni  de  ce  qui  a  été 
ni  de  ce  qui  peut  être  ?  C'est  tout  au  plus  s'ils  sont  légère- 
ment ébranlés ,  lorsque  des  actions   qui ,   dans  le  cours 
d'une  seule  Bourse  ,  s'étaient  élevées  d'une  liv.  st.  à  trois 
ott  quatre  cents ,  retombent  le  lendemain  dans  une  propor- 
tion encore  plus  forte  j  et  cependant  la  plus  simple  ré-    - 
flexion  devrait  leur  faire  comprendre  que  ces  oscillations 
convulslves  ne  peuvent  être  que  le  résultat  de  faux  rap- 
ports, d'acquisitions  et  de  ventes  fictives,  en  un  mot,  de 
tout  le  frauduleux  manège  de  l'agiotage.  Demandez  aux 
actionnaires  dans  quelle  portion  de  TAmérique  sont  situées 
leurs  mines  :  ils  n'en  saA'ent  pas  un  mot  ;  queis  sont  ceux 
avec  qui  ils  ont  contracté  :  ils  l'ignorent  également  j  avec 
quel  combustible  on  alimentera  les  machines  à  vapeur,  et 
d'où  on  tirera  ce  Combustible  :  ils  ne  le  savent  pas  davan- 
tage. Nous  nous  rappelons  avoir  vu  ,  dans  de  vieux  livres 
espagnols  ,  des  gravures  qui  représentaient  de  longues  fdes 
de  mules  gravissant  les  sentiers  d'une  montagne  ,  et  toutes 
chargées ,  de  chaque  côté ,  d'un  morceau  de  bois  qu'elles 
portaient  à  des  mines.  Alcedo  assure  qu'un  morceau  de    * 
bois  propre  à  faire  un  essieu ,  coûte  i,8oo  ou  2,050  dollars,    * 
dans  la  partie  des  Cordillères  où  se  trouvent  les  mines  j 
et  c'est  là  que  l'on  espère  que  les  machines  à  vapeur,  que 
toutes  les  mules  du  Tucuman  ne  parviendraient  pas  à  y 
transporter,  feront  des  prodiges  !  Les  spéculateurs  ne  pa- 
raissent pas  avoir  réfléchi  à  tous  les  hasards  indispensables 


à  rainures  dejer  et  ùis  fm'fia-ss  à  ropeiir.  iq 

pour  qu'ils  piiisscMit  recevoir  quelfuie  cliose  en  retour  des 
capitaux,  qu'ils  avancent  clans  ces  opérations.  Il  semblerait 
qu'ils  n'ont  jamais  calculé  :  i°  que  la  nature  des  choses 
s'oppose  à  ce  qu'ils  puissent  rien  toucher  avant  plusieurs 
années;  2°  que  les  l'ésultats  de  l'exploitation  des  minés  sont 
toujours  très-douteux  ;  5"  que  les  retours  dépendront  né- 
cessairement de  la  bonne  foi  des  nouveaux  gouveruemens 
et  de  leur  durée.  La  réunion  de  tant  de  chances  incertaines 
est  si  difficile ,  qu'il  y  a  tout  à  parler  que  ces  projets  au- 
raient des  résultats  déplorables  ,  si  on  devait  réellement  en 
tenter  l'exécution.  Mais  nous  n'hésitons  pas  à  affirmer 
qu'en  général  ceux  qui  les  ont  conçus,  ne  songent  pas  sé- 
rieusement à  exploiter  les  mines  d'Amérique.  Ils  ont  une 
mine  bien  plus  sûre  et  bien  plus  productive  à  mettre  en  va- 
leur :  c'est  la  crédulité  des  habitués  de  la  Bourse.  Les  pré- 
tendues spéculations  qu'ils  proposent  ne  sont  que  de  purs 
jeux,  et  des  jeux  de  la  plus  dangereuse  espèce  j  car  ils  s'ar- 
rangeut  de  manière  à  ne  laisser  aucune  chance  favorable  à 
leurs  adversaires.  Il  vaudrait  mieux  cent  fols  jouer  à  la  plus 
courte  paille,  en  donnant,  à  l'une  des  pailles,  le  nom  de  Can- 
ierac,  et  à  l'autre,  celui  da  Bolivar.  Dans  le  petit  nombre 
de  projets  que  l'on  veut  véritablement  mettre  à  exécution 
il  en  est  un  cependant  qui  a  quelques  probabilités  de  succès  : 
nous  voulons  parler  de  celui  qui  a  pour  objet  la  pèche  des 
perles  sur  la  côte  de  Panama.  Il  sera  facile,  avec  des  clo- 
*clies,  de  protéger  les  plongeurs  contre  les  requins  qui  , 
dit-on ,  avalent  forcé  les  Espagnols  de  renoncer  à  cette  pê- 
che. Nous  ferons  également  exception  en  faveur  de  la  com- 
pagnie établie  sous  le  nom  de  MM.  John  Innés ,  Johii 
Irvlngt  llart  Davis  ,  etc. ,  pour  l'exploilallon  des  mines  du 
Brésil  :  leurs  noms  (la  plupart  des  autres  compagnies  sont 
anonymes)  excluent  toute  idée  de  fraude.  Les  mines  du 
,  Brésil  sont,  d'ailleurs  ,  facilement  accessibles,  tandis  que 
celles  des  Cordillères  ne  le  sont  pas. 


20  Du  Transport  par  les  Canaux  ,  les  Routes 

Mais  laissons  ces  spéculalions  étrangères  clans  tout  l'éclat 
de  leur  première  vogue  ,  et  occupons-nous  un  peu  des  spé- 
culations   intérieures ,  non  moins   nombreuses  et    encore 
plus  variées.  Nous  avons  ,  d'abord ,  des  associations  pour 
rexploitatlon  des  mines  d'Irlande ,  d'Ecosse  et  du  pays  de 
Galles,  auxquelles  nous  désirons  vivement  toute  espèce  de 
succès.  Nous  en  avons  aussi  qui   s'occupent  de  suspendre 
des  ponts  sur  les  rivières ,  et  d^autres  qui  veulent  creuser 
des  corridors  sous  leurs  lits.  Nous  avons  des  machines  à 
vapeur  de  toutes  les  dimensions  et  pour  toutes  sortes  d'ob- 
jets :    des  vaisseaux  à  vapeur,  des  voilures  à  vapeur,  des 
canons  à  vapeur,    des  fours  à   vapeur    pour  faire  éclore 
les  poulets ,  des  cuisines  à  vapeur  pour  les  cuire  5  des  serres 
à  vapeur  pour  avoir  des  ananas  et  des  raisins  à  la  Noël  ',  des 
buanderies  à  vapeur    pour  blanchir   et  pour   user  notre 
linge.  Nous  avons  la  Compagnie  Métropolitaine  pour  la  pê- 
che du  poisson  d'eau  douce,  et  celles  de  TVestnn'nster,  qui 
tendent  également  leurs  amorces  aux  goujons  delà  Tamise. 
Nous  en  avons  d'autres  qui  ,  avec   le  gaz  du  charbon  de 
terre ,  doivent  nous  faire  faire  quarante  milles  à  l'heure  dans 
les  nuages,  et  douze  milles  sur  les  routes  qui  auront,  à  l'a- 
venir, des  relais  à  cbaque  distance  de  dix  milles  ,  abon- 
damment fournis  de  gaz  en  bouteilles ,  au  lieu  de  chevaux. 
L'animal  qui,  en  se  nourrissant  de  gaz,  doit  nous  faire  vo- 
ler sur  nos  routes ,  n'a  pas  encore   été  décrit  :  il  sert 
dit-on  ,  de  la  famille  des  vélocipèdes,  et  il  aura  six  ou  hui 
Jambes  de  chaque  côté  alternativement  eu   mouvement, 
Quant  à   la  compagnie  qui  se  charge  d'illuminer  tout( 
l'Europe  continentale,  nous  ne  savons  pas  encore  si  sor 
gaz  sera  fabriqué  en  Angleterre,  et  expédié  ensuite  en  bou 
teilles ,   ou  si  nous  ne  fournirons  que  la  matière  brute 
Comme,  pendant  la  belle  saison,  la  société  quitte  Londre; 
pour  aller  s'établir  sur  les  bords  de  la  mer,  on  a  Judicieuse 
ment  calculé  que  ce  serait  lui  rendre  service  que  de  lui  épar 


â  ramures  dejer  et  les  Voitures  à  vapeur.  1 1 

gner  la  peine  du  voyage ,  en  faisant  venir  la  mer  à  Londres. 
Enfin  les  intérêts  des  morts  n  ont  pas  été  négligés  par  les 
hommes  à  projets  ,  et  Ton  se  propose  d'établir  une  ou  deux 
nécropolis  sur  riuclinaison  des  collines  de  Hampstead  et  de 
Highgate  ,  qui  surpasseront  de  beaucoup  en  agrémens  le 
cimetière  du  Père  Lacliaise  à  Paris. 

Nous  souhaitons  de  bon  cœur  que  ces  projets  ,  et  plu- 
sieurs autres,  également  destinés  à  être  mis  à  exécution  au 
milieu  de  nous ,  soient  favorablement  accueillis  :  ils  auront 
du  moins  l'avantage  d'empêcher  que  les  capitaux  créés 
par  notre  industrie  et  par  une  paix  prolongée,  aillent  se 
perdre  dans  les  spéculations  étrangères  dont  nous  parlions 
tout-à-l'heure.  Des  opérations  îute'rleures ,  quelles  qu'elles 
soient,  ne  peuvent  jamais  tarder  à  être  convenablement 
appréciées  j  car  elles  sont  placées  sous  la  surveillance  im- 
médiate du  public  qui,  dans  ce  moment,  est  entraîné  dans 
le  tourbillon  des  spéculations,  mais  qui  sera  bientôt  ramené 
par  le  seullineut  de  ses  intérêts ,  à  discerner  ce  qui  lui  est 
avantageux  de  ce  qui  lui  est  préjudiciable.  Nous  sommes 
convaincus  qu'il  vaudrait  beaucoup  mieux  que  nos  capi- 
taux surabondans  fussent  employés ,  dans  l'intérieur  de  la 
Grande-Bretagne ,  aux  entreprises  les  plus  désespérées , 
que  d'être  versés  dans  des  emprunts  et  dans  des  spécula- 
tions qui  ne  peuvent  profiter  qu'à  des  étrangers  nécessi- 
teux ,  ou,  parmi  nous  ,  à  quelques  fripons  qui  leur  servent 
d'agens.  Aussi,  quelqu'absurde  que  nous  parût  un  projet,  si 
l'exécution  devait  eu  avoir  Heu  en  Angleterre,  nous  nous 
garderions  bien  de  le  décourager,  quand  bien  même  oa 
proposerait  d'élever  des  kangarous  (i)  dans  les  bruyères 
de  Bagsbot-Ileath,  ou ,  comme  un  plaisant  du  dix-septième 
siècle,  de 

« Set  Dut  windinills 

(i)  KoTE  DU  Tr.  Aiiiiinl  de  rAuslralic  ,  qui  u'exlslc  dans  aucune 
autre  partie  de  l'univers. 


0,7.  Du  TranspOT't  par  les  Canaux  ^  les  Route f 

Upon  Newmarket  heath  and  Salisbury  plaiil 
To  drain  tlie  fcns  (i).  » 

Au  fond  riiomme  est  un  animal  spéculateur  :  qu'il  soit 
riche  ou  pauvre,  civilise  ou  sauvage ,  c'est  un  besoin  pour 
lai ,  ou  plutôt  c'est  une  condition  de  sa  nature  de  spéculer 
sur  des  chances.  Tout  ce  que  Ton  peut  demander,  c'est  que 
cette  disposition  soit  dirigée  de  manière  à  ce  que  les  classes 
ouvrières  aient  du  travail  ;  car  alors ,  quels  que  soient  les 
résultats  des  spéculations ,  elles  ont  toujours  conlribué  au 
bien  public.  D'ailleurs  ,  il  arrive  souvent  qu'une  entre- 
prise qui,  au  premier  coup-d'oeil,  paraissait  frivole  et  même 
ridicide,  finit  par  être  extrêmement  utile.  Tel  projet  qui 
n'apoint  réussi  dans  certaines  mains,  prospère  dans  les  mains 
d'un  autre.  Il  est  facile  de  plaisanter  sur  les  laborieuses 
bagatelles  qui  occupaient  les  anciens  alchimistes;  ce  qui 
n'empêche  pas  que  la  chimie  moderne  n'ait  des  obligations 
immenses  à  l'alchimie.  Cette  flamme  brillante  ,  extraite  du 
charbon  de  terre,  qui  éclaire  maintenant  nos  rues,  et  qui 
les  rend  aussi  sûres  la  nuit  que  le  jour,  produite  parmi 
nous,  il  y  a  encore  un  bien  petit  nombre  d'années,  par 
im  Allemand  maladroit,  y  fut  un  objet  de  plaisantf ries.  II 
serait  donc  à  désirer  que  toutes  les  inventions  nouvelles 
pussent  être  éprouvées,  au  lieu  d'être  découragées,  à 
cause  de  leur  absurdité  apparente  ou  de  rinutillté  qu'on 
leur  suppose. 

D'un  antre  côté,  il  arrive  aussi  que  les  projets  qui  pré- 
sentaient les  plus  flatteuses  espérances  ,  échouent  com- 
plètement et  occasionent  la  ruine  de  ceux  qui  avaient  con- 
couru à  los  faire  mettre  à  exécution.  Mais  ces  revers 
n'abattent  pas  le  courage  de  nos  compatriotes.  Ce  pays  est 
le  seul  sur  la  terre  où  de  riches  particuliers  emploient  une 

(i)  «  Employer  les  nioulins  à  vent  à  dcîs-chcr  le»  matais  de  Ncw- 
marlicl  et  de  Saliîbury.  » 


rt  rainures  de  fer  et  les  ï^oitures  à  vapeur.  25 

portion  notable  de  leur  fortune  dans  des  travaux,  d'utilité 
publique  qui,  trop  souvent,  n'ont  que  des  résultats  stéri- 
les pour  les  auteurs  des  projets  et  pour  les  capitalistes  qui 
ont  avancé  les  fonds.  Aussi  croyona-nous  qu'il  y  a  des  cas 
où  il  conviendrait  de  les  indemniser  aux  dépens  du  public 
Ne  serait-il  pas  juste  ,  par  exemple ,  qu'on  retirât  le  péage 
du  pont  de  Waterloo  ,  et  qu'on  indemnisât  ceux  qui  ont 
fait  élever  avec  leurs  capitaux  cette  magnifique  construc- 
tion ,  monument  prodigieux  de  l'art  et  du  travail  hmnain 
qui ,  selon  la  belle  expression  d'un  écrivain  français  (i),  in- 
diquera un  jour,  par  ses  débris,  la  place  où  fut  la  moderne 
ïyr  ?  Assurément  il  est  loin  d'ctre  démontré  que  le  canal 
du  Régent,  le  quai  projeté  du  colonel  Trench,  la  route 
souterraine  de  la  Tamise,  et  le  canal  accessible  aux  vais- 
seaux ,  qui  doit  unir  la  IMauclie  à  la  mer  d'Irlande ,  indem- 
nisent jamais  complètement  les  souscripteurs  ;  et  cepen- 
dant qui  consentirait  à  voir  abandonner  ces  travaux  !  Outre 
que  ces  grandes  entreprises  sont  glorieuses  pour  la  nation 
qui  les  exécute ,  elles  fournissent  d'abondantes  ressources 
aux  classes  ouvrières.  Un  grand  nombre  d'individus  qui  y 
appartiennent  seraient  forcés ,  sans  ces  travaux ,  de  vivre 
aux  dépens  de  leur  paroisse.  Ce  sont  ces  considérations  qui 
nous  font  désirer  que  la  législature  n'apporte  aucun  obsta- 
cle à  toutes  les  spéculations  intérieures  qui  n'ont  point  un 
but  nuisible. 

Mais  il  est  tems  que  nous  nous  occupions  de  l'objet  prin- 
cipal de  cet  article,  c'est-à-dire  de  l'examen  d'une  vieille 
découverte,  tout  récemment  renouvelée,  qui ,  dans  ces  der- 
niers tems  ,  n'a  pas  préoccupé  moins  vivement  l'imagina- 
tion des  spéculateurs  que  les  mines  et  les  emprunts.  Cet 
examen  intéresse  également  le  commerce,  l'agriculture, 
l'industrie ,  et  même  tontes  les  classes  de  la  société.  Il  serait 

(i)  M.  Charles  Dupin  ,  de  l'Acailémle  des  Sciences. 


24  Dn  Transport  par  les  Canaujo ,  les  Routes 

superflu  d'ajouter  que  nous  faisons  allusion  aux  améliora- 
tions qu'on  se  propose  crintroduire  dans  les  communica- 
tions intérieures  du  pays;  améliorations  au  moyen  des- 
quelles on  compte  que  le  transport  des  marchandises  , 
comme  celui  des  personnes ,  s'effectuera  à  Taveair  d'une 
manière  pius  certaine,  plus  économique  et  plus  prompte 
que  par  le  passé.  Il  serait  superîlu  de  perdre  notre  tems  à 
chercher  à  démontrer  ce  qui  est  évident ,  qu'un  semblable 
résultat  serait  utile  à  tout  le  monde,  au  producteur  comme 
au  consommateur,  à  celui  qui  voyage  comme  à  celui  qui 
'^ste  tranquillement  chez  lui. 

Aujourd'hui  que  nous  sommes  accoutumés  à  parcourir 
une  distance  de  huit  à  neuf  milles  à  l'heure,  sur  nos  routes 
si  fermes  et  si  unies,  nous  ne  pouvons  pas  nous  faire  une 
idée  exacte  de  tous  les  désagrémens  qu'avaient  à  sup- 
porter nos  grands- pères  quand  ils  voyageaient.  Ils  étaient 
obligés  de  trouver  leur  route  à  travers  des  sentiers  bour- 
beux ,  de  passer  des  rivières  à  gué ,  de  s'arrêter  souvent 
pendant  plusieurs  jours  ,  lorsque  les  eaux  étalent  débor- 
dées. Ils  faisaient  rarement  pius  de  deux  à  trois  milles  à 
-l'heure,  et  la  crainte  de  tomber  dans  quelque  fondrière  ou 
d'être  noyés  dans  une  inondation  imprévue ,  les  préoccu- 
pait sans  cesse. 

Telle  était  la  manière  incommode  dont  nos  ancêtres  voya- 
geaient f  jusqu'à  ce  que  les  différens  actes  du  parlement  sur 
les  barrières  améliorèrent  graduellement,  non-seulement 
l'état  des  routes,  mais  en  général  celui  du  pays,  en  facili- 
tant les  communications  et  en  donnant  les  moyens  de  trans- 
porter les  articles  d'un  poids  et  d'un  volume  considéra- 
bles ,  qu'auparavant  aucun  effort  n'aurait  pu  déplacer.  Le 
cheval  de  bât  fut  alors  attelé  au  chariot ,  et  les  diligences  et 
les  chaises  de  poste  remplacèrent  les  chevaux  de  selle. 
Quelqu'im parfaites  que  fussent  la  plupart  de  ces  routes ,  et 
malgré  la  négligence  avec  laquelle  on  les  réparait ,  c'était 


à  rainures  dejer  et  les  Voitures  à  vapeur.  -^5 

cïcià  une  prodigieuse  amélioration.  On  ne  tarda  pas  cepen- 
dant à  en  sentir  l'insufEsaiice  pour  le  transpoit  des  mar- 
chandises d'un  grand  poids  ,  et  Ton  commença  à  ouvrir  des 
canaux  qui  furent  aux  x^outes  et  aux  voilures  ce  que  celles- 
ci  avaient  été  aux  sentiers  bourbeux  et  aux  chevaux  de  bât. 
Mais  on  peut  appliquer  aux  hommes  à  projets  ce, mot 
connu  :  .«  Donnez-leur  une  bonne  chose ,  ils  ne  la  quittent 
pas  qu'ils  n'en  aient  fait  une  sottise,  n  En  effet,  la  manie 
de  la  canalisation  devint  telle ,  qu'en  peu  d'années  le  pays 
fut  sillonné  ,  dans  tous  les  sens,  par  des  canaux,  et  qu'on  eu 
ouvrit  jusque  dans  des  districts  où  il  n'y  avait  rien  ou  pres- 
que ràen  à  transporter.  Il  en  résulta  qu'un  assez  grand  nom- 
bre de  canaux  ne  produisirent  qu'un  intérêt  d'un  pour  cent , 
et  que  plusieurs  n'en  produisirent  aucun  ,  tandis  que  d'au- 
tres ,  judicieusement  dirigés  à  travers  des  contrées  indus- 
trieuses et  bien  peuplées ,  indemnisèrent  amplement  les 
parties  intéressées  ,  et  contribuèrent ,  en  même  tems ,  à  la 
richesse  et  à  la  prospérité  de  la  nation. 

Cependant  ces  dispendieux  ouvrages ,  créés  pour  faciliter 
le  transport  des  produits  agricoles ,  industriels  ou  commer- 
ciaux ,  tout  avantageux  qu'ils  sont,  ne  tarderont  pas ,  se- 
lon toute  apparence ,  à  être  remplacés  à  leur  tour  par  lu 
vieille  invention  des  routes  a  rainures  de  fer  ,  anté- 
rieure ,  de  plus  d'un  siècle,  à  l'usage  des  canaux.  On  n'en- 
tend plus  parler  que  de  routes  à  rainui-es  \  les  journaux 
quotidiens  sont  remplis  d'avis  sur  de  nouvelles  lignes  qu'on 
veut  tracer  dans  chaque  direction,  et  on  publie  tous  les 
jours  des  pamphlets  pour  démontrer  l'utilité  qu'il  y  aurait 
à  en  établir  dans  la  totalité  du  royaume.  C'est  fort  tardi- 
vement que  cette  utilité  a  été  aperçue  ;  car ,  jusque  dans 
ces  derniers  tems,  ou  ne  s'était  guère  servi  de  routes  à 
rainures  que  comme  d^un  moyen  auxiliaire  <\its,  cauaux  , 
potir  y  conduire  des  marchandises ,  ou  pour  transporter 


xG  Bu  Transport  par  les  Canaux,  les  Routes 

cle  la  chaux  ,  du  fer,  du  charLon  et  autres  protlulls  des  mi- 

nss,  au  point  le  plus  rapproché  d'embarquement. 

On  demandera  peut-être  ce  qui  a  donné  une  impulsion  si 
subite  aux  spéculations  de  ce  genre,  et  déterminé,  dans 
moins  d'un  mois,  la  création  d'associations  et  de  compa- 
gnies pour  l'établissement  d'environ  trois  mille  railles  de 
routes  en  1er  qui  doivent  coûter  vingt  millions  st.  (  cinq 
cents  millions  de  fr.  )  ?  Ce  ne  sont  pas  les  voitures  à  va- 
peur^ car  on  ne  serait  pas  plus  fondé  à  considérer  ces  voi- 
tures comme  une  nouvelle  invention  que  les  routes  à  rai- 
nures elles-mêmes.  En  effet ,  M.  Cumming  (  i  )  nous  apprend 
que  ce  fat  en  1769  qu'on  proposa  d'employer  la  vapeur 
pour  faire  mouvoir  les  voitures  ,  et  que  ce  fureut  MM.  Vi- 
vian et  Trevithick  qui  firent  la  première  application  de 
celte  découverte  à  Merthyr  Tydvil ,  où  une  voiture  à  va- 
peur en  traînait  d'autres  portant  environ  dix  tomieaux  et 
demi  de  fer  et  faisant  plus  de  cinq  milles  à  l'heure ,  pendant 
un  trajet  de  neuf  milles,  sans  qu'il  fût  nécessaire  de  re- 
mettre de  l'eau  dans  la  bouilloire.  Il  dit  aussi ,  qu'il  y  a 
déjà  plusieurs  années ,  sur  un  chemin  à  rainures  très-uni 
qui  conduit  aux  mines  de  charbon  de  Middleton ,  près  de 
Lee  Is ,  on  se  servait  d'une  voiture  à  vapeur  qui  pouvait 
traîner  trente  autres  voitures  pesant  ensemble  cent  cinq 
tonneaux ,  et  faisant  trois  railles  et 'demi  à  l'heure.  Il  n'est 
pas  à  notre  connaissance  qu'on  ait  mieux  fait  depuis. 

La  puissance  de  la  machine  à  vapeur  et  la  persuasion  où 
l'on  est  actuellement  que  nos  moyens  de  transport,  tout 
avantageux  qu'ils  sont ,  peuvent  être  beaucoup  améliorés  , 
sont  sans  doute  les  causes  principales  qui  ont  imprimé  cette 
direction  à  l'activité  des  spéculateurs  5  mais  il  faut  aussi 
mettre  au  nombre  de  ces  causes  les  encouragemens  donnés 

(1)  Illustrations  of  the  ori{>in  and  profères  s  o/rail  and  tram  roads 
and  steani  carriages ,  by  T.  G.  Cuinmln!:;,  Denbif^li ,  1824. 


à  rainures  dcjtr  et  les  Voitures  à  vapeur,  27 

par  le  premier  ministre  de  la  couronne  et  par  ses  collègues 
(  dans  la  réunion  fini  a  eu  lieu  poux  élever  un  monnment 
à  James  Watt  ) ,  à  ceux  qui  s'occupent  des  moyens  d'éten- 
dre les  applications  de  celte  machine,  et,  en  général,  au^ 
inventeurs  et  promoteurs  de  toutes  les  découvertes  utiles. 
C'est  avec  raison  qu'on  a  observé ,  dans  la  même  réunion  , 
que  rien  n'est  trop  grand  ni  trop  petit  pour  cette  merveil- 
leuse machine  qui,  comme  la  trompe  d'un  éléphant,  peut 
déraciner  un  chêne  et  ramasser  une  épingle  5  forger  avec 
une  égale  facilité  l'ancre  la  plus  pesante  et  percer  le  trou 
d'une  aiguille  ;  tordre  le  cable  ie  plus  fort  ;  filer  le  fil  le  plus 
délicat j  traîner  un  vaisseau  de  guerre  sur  l'Océan,  mal- 
gré les  vents  et  les  marées  5  et,  de  cette  manière,  rappro- 
cher les  différentes  nations  ,  en  rendant  leurs  communica- 
tions plus  rapides,  plus  sûres  et  plus  régulières. 

Le  président  du  bureau  du  commerce  (i)  se  félicita,  dans 
cette  réunion,  de  vivre  à  une  époque  où  l'on  recueillait 
déjà  les  avantages  de  la  naachiue  à  vapeur  ,  et  où  l'on  pou- 
vait prédire  avec  confiance  que  l'on  ne  tarderait  pas  à  en 
obtenir ,  par  de  nouveaux  efforts ,  des  avantages  encore 
plus  importans.  I^e  secrétaire  d'état  de  l'intérieur  (2)  avoua 
avec  une  modestie  pleine  de  franchise,  que  c'était  aux  dé- 
couveites  et  à  l'industrie  des  autres  qu'il  devait  toute  sa 
fortune,  et  il  ajouta  qu'il  se  considérerait  comme  indigne 
de  la  position  dans  laquelle  il  se  trouvait,  s'il  refusait  son 
appui  et  SCS  encourageB^ens  à  ceux  qui  avaient  tant  contri- 
bué à  la  fortune  nationale  et  à  son  bien-être  particulier.  Sir 
James  Mackintosh  ,  M.  Wiiberforce  et  M.  îîrougham  ma- 
nifestèrent,  avec  la  même  vivacité,  des  sentimens sembla- 
bles ,  ce  qui  fit  dire  à  lord  Livcrpool  que,  lorsqu'on  Angle- 
terre il  s'agissait  de  l'inlérét  des  arts,  il  n'y  avait  plus  de 
partis. 

•     (i)  31.  HuskissoTi. 
(■.()  M.  Pccl. 


28  Du  Transport  par  les  Canaux  ,  les  Routes 

Une  telle  unanimité  de  senlimens  entre  les  minisires  du 
roi  et  lenrs  adversaires  habituels ,  a  dû  sans  doute  exciter 
les  facultés  inventives  de  nos  concitoyens.  Il  faut  cependant 
que  ceux,  qui  ont  conçu  le  projet  des  routes  à  rainm^es  se 
préparent  à  soutenir  une  lutte  vigoureuse  contre  les  pro- 
priétaires de  canaux ,  qui  ne  manqueront  pas  de  chercher 
à  se  prévaloir  de  ce  qu'ils  nommeront  leurs  droits  acquis  ; 
quoiqu'il  n'y  ait  pas  une  seule  de  ces  mille  rivières  artiti- 
cielles  qui  divisent  l'Angleterre,  qui  n'ait  aussi  porté  préju- 
dice à  des  droits  acquis,  et  dont  l'exécution  n'ait  eu  lieu  aux 
dépens  du  hien-être  d'un  grand  nombre  d'individus  ,  et  par 
l'envahissement  des  propriétés  particulières.  Si  donc  on 
peut  démontrer  que ,  soit  par  la  force  des  chevaux ,  em- 
ployée sur  des  routes  à  rainures,  soit  par  celle  de  la  va- 
peur, le  transport  des  marchandises  s'effectuera,  à  l'avenir, 
à  moins  de  frais  et  d'une  manière  plus  expéditive  que  par 
le  passé,  il  ne  faut  pas  que  les  propriétaires  de  canaux  es- 
pèrent que  l'on  sacrifiera  à  leurs  droits  prétendus  et  à  leur 
intérêt  particulier  les  avantages  de  tous.  Mais  ,  de  même 
que  l'établissement  des  routes  à  barrières  fit  abandonner 
l'usage  des  chevaux  de  bat ,  et  que  les  intérêts  des  entre- 
preneurs de  roulage  souffrirent  ensuite  du  développement 
de  la  navigation  artificielle  ,  il  faut  qu'à  leur  tour .  les  pro- 
priétaires de  canaux  se  résignent  à  voir  préférer  les  routes  à 
rainures  ou  tout  autre  moyen  de  transport  qui  donnera  des 
facilités  nouvelles  aux  manufactures  et  au  commerce.  ^ 

Nous  ne  voyons  pas  en  effet  de  quel  droit  ils  pourraient 
se  plaindre.  Ils  ont  placé  leurs  capitaux  dans  ce  qu'ils 
supposaient  êti*e  de  bonnes  spéculations.  Dans  certains  cas, 
leurs  espérances  ont  été  remplies ,  et  même  au-delà  ;  dans 
d'autres,  elles  ont  été  complètement  trompées.  Si  ceux 
qui  ont  réussi  peuvent  soutenir  la  concurrence  des  routes  à 
rainures,  eu  diminuant  leurs  péages,  ce  qu'ils  perdront 
sera  un  bénéfice  très-légitinxe  pour  le  public,   et  ils   au- 


à  rainures  de,  fer  et  les  Voitures  à  vapeur.  29 

ront  encoi'e  un  inlérét  convenable  de  leur  argent.  Quant 
aux  autres,  ce  qu'ils  ont  de  mieux  à  faire,  c'est  Je  se  re- 
tirer d'une  mauvaise  opération  pour  s'intéresser  dans  une 
autre  susceptible  d'être  avantageuse.  C'est  avec  plaisir  que 
nous  apprenons  qu'ils  en  auront  la  possibilité  5  car  ou  a  déjà 
proposé  d'établir  des  routes  à  rainures  dans  le  lit  de  plu- 
sieurs canaux  improductifs. 

On  serait ,  d'ailleurs  ,  autorisé  à  repousser  les  prétentions 
des  propriétaires  de  canaux  ,  rien  qu'en  alléguant  les  cbar- 
ges  exorbitantes  qu  ils  ont  fait  peser  sur  le  commerce.  L'Im- 
mense tonnage  du  charbon,  du  fer  et  de  la  vaisselle  en 
terre,  dit  M.  Cumming,  a  permis  aux  actionnaires  d'un 
des  canaux  qui  passent  près  de  Blrmlngliam,  de  se  partager 
un  dividende  annuel  de  i4o  liv.  st.,  par  chaque  action 
de  \t\o  11 V.  st.  j  ce  qui  a  élevé  le  prix  de  ces  actions  ,  de  leur 
valeur  primitive,  à  5, 200  liv.  st.  ( 80,000  fr.)  Un  autre 
canal  du  même  district  donne  un  dividende  annuel  de 
160  liv.  st.  par  action  de  200  liv.  st.  Ces  actions  se  négo- 
cient maintenant  au  prix  de  4jGoo  liv.  st.  (iiSjOoofr.) 
chacune  î 

Et  ce  ne  sont  pas  des  faits  Isolés  (i);  M.  Saudars  nous 
apprend  que  les  trente-neuf  actionnaires  primitifs  de  l'un 
des  deux  canaux  qui  unissent  Llverpool  à  Manchester , 
avaient ,  pendant  un  demi-siècle  ,  reçu  chaque  année  un(^ 
somme  égale  à  celle  qu'ils  avaient  versée  pour  la  construc- 
tion de  ce  canal,  et  que  l'autre  canal  qui  appartenait  au  feu 
duc  de  Bridgewater ,  lui  avait  procuré  ,  pendant  ces  vlu:;t 
dernières  années,  un  revenu  net  d'environ  100,000  liv.  st. 
(  2,500,000  fr.  )  par  an  ! 

Quelles  que  soient  les  plaintes  et  les  réclamations  des 
propriétaires  de  canaux,  il  est  impossible  que  la  législature 

{\)A  letler  on  the  subjcct  of  the  piojected  rail-road  beUveen  Livcr- 
povl  and  Maiichesti'r ,  by  Joseph  SanJars,  csq,  Livcrpool,   1S25. 


3o  Du  Transport  par  îcs  Canaux ,  les  Roules 

consenle  à  leur  garantir,  à  perpéluité  et  à  l'exclusion  de 
toute  concurrence ,  des  profits  aussi  monstrueux,  pris  dans 
la  poche  du  public  ,  quaiitl  bien  même  ils  pourraient  exé- 
cuter avec  la  régularité  convenable  la  totalité  des  transports 
des  différens  districts  que  leurs  canaux  traversent  \  ce  qui 
n'est  point,  ainsi  que  nous  le  démontrerons  tout-à-Theure. 

Nous  désirons  vivement  qu'en  lisant  ces  observations, 
on  ne  nous  attribue  pas  de  prévention  contre  les  canaux. 
Nous  voulons  seulement  combattre  les  prétentions  Injustes 
de  leurs  propriétaires.  Du  reste,  nous  sommes  bien  éloignés 
de  cbercber  à  favoriser  les  projets  de  ceux  qui  voudraient 
établir  des  routes  à  rainures  dans  chacune  des  parties  du 
royaume,  et  supprimer  à  la  fois  toTis  les  canaux,  tous  les 
chariots,  toutes  les  messageries  ,  toutes  les  chaises  de  poste, 
eu  un  mot  tous  les  moyens  de  transport  autres  que  les  voi- 
lures à  vapeur.  Nous  croyons  que  Ton  s'exagère  beau- 
coup les  avantages ,  d'ailleurs  incontestaljles  ,  de  ces  voi- 
tures ;  et  que  ces  exagérations  conduiront  à  des  spéculations 
très-malheureuses.  Que  peut-on  en  effet  de  plus  ridicule 
(lue  le  paragraphe  suivant  d'un  prospectus  qu'on  vient  de 
publier? 

«  D'après  l'estimation  faite  par  des  ingénieurs  expéri- 
mentés ,  la  dépense  d'une  route  à  rainures  doit  être  de 
b.ooo  llv.  £t.  par  mille  (i).  Mais  t-upposons  qu'il  faille 
lo  ooo  llv.  st.  par  mille  (  plaisante  estimation  pour  des 
ingénieurs  expérimentés  i  )  j  une  route  de  ce  genre  entre 
Londres  et  Woolwlch  coûterait  100,000  l.st.  (2,5oo,ooo  f.) 
Le  nombre  des  petites  voitures  qui  parcourent  cette  ligne 
est  environ  de  deux  cent  cinquante  par  jour.  En  admettant 
<iue  ces  voilures,  terme  moyen  ,  soient  seulement  à  demi 
remplies  ,  les  recettes  annuelles  pour  le  transport  des  voya- 
geurs doivent  se  monter  à  26,000  llv.  st.  Comme  les  voi- 

(i)  Tiois  inilles  font  environ  une  lieue  de  poste. 


47  rainures  de  Jer  et  les  Voitures  à  vapeur.  â  i 

turcs  à  vapeur  parcourront  la  même  dislance  deux,  fois  plus 
vile,  el  avec  beaucoup  plus  de  sûreté  ,  elles  feront  bientôt 
abandonner  l'usage  des  autres  voitures  ,  et  la  compagnie 
retirera  probablement  des  voyageurs ,  indépendamment 
de  ce  que  produira  le  transport  des  bagages,  un  revenu  de 
^.0,000  liv.  st. ,  ou  de  20  p.  100  du  capital  de  100,000  liv.  st. 
supposé  nécessaire  pour  établir  la  route  à  rainures  de 
Wooîwich.  n 

Nous  ne  sommes  pas  surpris  que  M.  Peter  Moore  et  quel- 
ques autres  de  ses  co-directeurs,  qui  probablement  n'ont 
jamais  vu  ni  une  machine  à  vapeur  ni  un  chemin  à  rainures, 
aient  mis  leurs  noms  à  de  pareilles  absurdités  5  mais  nous 
ne  devions  pas  nous  alleudre  à  ce  qu'un  ingénieur,  M.  TeU 
ford,  consentirait  à  y  donner  la  sanction  du  sien.  Un  cou- 
citoyen  de  cet  ingénieur  nous  assure  aussi  qu'au  moyen  de 
la  machine  à  haute  pression ,  nous  pourrons  faire  plus  de 
quatre  cents  milles  par  jour,  ou  quinze  ou  vingt  milles  à 
l'heure,  avec  les  mêmes  aisances  que  dans  les  bateaux  à 
vapeur,  mais  sans  le  désagrément  du  mal  de  mer,  et  sans 
courir  le  risque  d'être  brûlé  ou  submergé.  Malgré  toutes 
ces  garanties,  nous  pensons  que  les  habitans  de  Woolwicli 
aimeraient  autant  être  lancés  sur  une  fusée  à  la  Congrève, 
que  de  monter  daus  des  voilures  qui  iraient  d'un  pareil 
train.  Peut-êlre  consentiraient-ils  à  y  charger  leurs  ba- 
gages et  leurs  marchandises  5  mais  tant  qu'une  des  plus 
belles  rivières  navigables  du  monde  coulera  parallèle- 
ment à  la  route  projetée,  nous  considérons  les  5o  p.  0/0 
que  les  souscripteurs  doivent  recevoir  pour  le  transport  des 
effets,  comme  aussi  problématiques  que  les  20  p.  0/0  qu'ils 
comptent  percevoir  sur  les  voyageurs. 

Mais  revenons  à  la  queslion  des  avantages  et  des  iucon- 
vcniens  des  canaux  et  des  routes  à  rainures  ;  question  sur 
la<juellc  le  public  est  encore  si  peu  fixé.  Il  n'est  pas  possible 
de  lalre  une  comparaison  exacte  de  leurs  frais ,  attcmlu  que 


5-2  Du  Transport  par  les  Canaux  ^  les  Routes 

ces  frais'  dépendent  de  circonslances  essentiellement  va- 
riables. Mais  on  peut  affirmer,  en  général,  que  les  levées 
et  les  profondes  trancliées  qu'il  faut  faire  pour  établir  les 
niveaux,  des  canaux. ,  eu,  à  défaut,  les  ponts  et  les  éclu- 
ses ;  le  haut  prix  qu'on  est  obligé  de  payer  pour  l'acqui- 
sition des  terres  cultivables,  à  travers  lesquelles  la  navi- 
gation artificielle  est  ordinairement  dirigée  ;  les  réservoirs 
nécessaires  pour  conserver  Feau  ;  l'entretien  des  écluses  et 
des  bords  constamment  exposés  à  l'action  des  eaux  ou  des 
gelées  j  l'achat  et  la  nourriture  des  chevaux.  5  la  construc- 
tion et  les  réparations  des  bateaux  ,  et  plusieurs  autres  frais 
encore ,  doivent  rendre  un  canal  plus  dispendieux  qu'une 
route  à  rainures  qui  viendrait  aboutir  aux  mêmes  points  5 
quand  bien  même ,  ce  qui  arrivera  presque  toujours  ,  le 
canal ,  à  cause  des  détours  qu'on  sera  dans  la  nécessité  de  lui 
faire  faire,  ne  décrirait  pas  une  ligne  beaucoup  plus  longue. 
ISous  avons  sous  les  yeux  le  devis  des  frais  d'établissement 
de  soixante-quinze  canaux,  qui  s'élèvent,  prix  moyen,  à 
7,946  llv.  st.  par  mille  ;  et,  comme  les  devis  sont  ordinai- 
rement dépassés  ,  nous  pouvons  estimer  la  dépense  défi- 
nitive à  9,000  liv.  st.  par  mille.  Nous  avons  aussi  une  liste 
déroutes  à  rainures  avec  une  double  paire  d'ornières,  qui 
présentent  un  développement  total  de  5oo  milles ,  et  dont 
les  frais  de  construction  ne  s'élèvent  qu'à  4>ooo  liv.  st.  par 
înllle.  Cependant ,  comme  ces  anciennes  routes  sont ,  en 
général,  très-imparfaites,  on  peut  compter  que  la  dépense 
moyenne  des  nouvelles  sera  de  5, 000  liv.  st.  par  mille.  Le 
devis  pour  la  route  à  rainures,  entre  Liverpool  et  Man- 
chester est,  dit-on,  de  12,000  liv.  st.  par  mille 5  mais  cette 
route  doit  cire  exécutée  avec  une  grande  magnificence  : 
elle  aura  soixante-six  pieds  de  largeur  \  on  prendra  les 
meilleurs  matériaux  pour  les  ornières  ,  et  l'acquisition  des 
terrains,  aux  deux  extrémités,  ne  pourra  se  faire  qu'à  des 
prix  énormes.  D'ailleurs,  dans  cette  estimation  ,  se  trouve 


à  rainures  dej'cr  e.l  les  T'oiturcs  à  rcipcjir.  55 

compris  le  coût  clfs  maciiiiirs,  ces  voitm'es  et  des  lïiaga- 
■sins.  Le  caoal  de  lUnion  a  prcciscment  coûté  la  même 
somme;  le  Forth  et  Clytle,  deux  fois  autant;  et  le  canal 
-Calédonien ,  quatre  fois  davantage.  Nous  devons  aussi  oL- 
server  que  M.  Jessop ,  après  un  examen  minutieux  du 
projet  de  ia  route  à  rainures  cie  Peak-Foresl ,  qui  a  pour 
pati'on  le  duc  de  Devonshire  ,  estime  qu'elle  coûtera 
i49,2o6  liv.  st.  Un  canal,  pour  établir  les  mêmes  com- 
munications ,  coulerait  65o;00oIîv.  st.  ,  c'est-à-dire  quatre 
fois  plus,  d'après  le  devis  fait  par  M.  Rennie,  en  1810. 

Les  désavantages  des  canaux  sont  nombreux.  Le  froid  , 
pendant  une  saison  de  l'année,  empêche  entièrement  le 
transport  des  marchandises,  et,  pendant  une  autre  ,  la  sé- 
cheresse ne  permet  que  de  transporter  des  demi-charge- 
mens.  Une" route  à  ornières  n'est  point  sujette  à  ces  deux 
graves  inconvéuieus  ,  et ,  lorsqu'il  est  tombé  de  la  neige  , 
il  est  très-facile  de  dégorger  les  rainures  avec  une  râpe  dis- 
posée en  avant  de  la  voiture. 

La  marche  d'une  voilure,  sur  une  route  à  rainures,  peut 
être  réglée  d'une  manière  constante  et  certaine  ,  tandis  que 
les  bateaux  sont  souvent  arrêtés  aux  écluses  des  canaux 
pendant  plusieurs  jours.  D'ailleurs  ,  la  rapidité  de  la  mar- 
clie  est  nécessairement  limitée  sur  les  canaux ,  et  elle  est 
illimitée  sur  les  routes  à  rainures,  tant  que  ia  force  de  la 
vapeur  surpasse  celle  du  frottement.  Ce  sera  l'expérience 
qui  délermineiM  le  point  où  la  rapidité  du  mouvement 
cesse  de  se  concilier  avec  la  sûreté.  Un  autre  avantage  des 
routes  à  rainures,  c'est  de  pouvoir  être  exécutées  dans 
toutes  les  directions  ,  et  selon  que  les  besoins  du  commerce 
l'exigent.  Une  machine  stationnaire  portera  les  voilures 
sur  les  cotes  qui  pourront  se  rencontrer  sur  la  route  ,  et  les 
en  descendra.  L'ouverture  d'un  canal,  au  contraire,  est 
su1)ordonnée  aux  mouvemens  du  terrain  et  à  la  possibilité 
lie  se  procurer  de  l'eau. 

T.  5 


54  ^«  Transport  par  les  Canaux  ,  les  Routes 

liCs  canaux  n'ont  d'avantages  sur  les  routes  à  raluures 
que  lorsqu'on  ne  fait  pas  plus  de  deux  milles  ^^-^  à  l'heure  , 
mais  ,  au  fond  ,  cet  avantage  est  plutôt  apparent  que  réel , 
car  il  est  à  peu  près  annulé  par  les  courbes  que  les  canaux 
décrivent ,  tandis  que  les  routes  à  rainures  vont  en  ligne 
droite.  Comme  deux  milles  ,'^  à  l'heure  sont  l'allure  la  plus 
prompte  d'un  cheval  ordinaire,  qu'on  l'emploie  sur  une 
route  à  rainures  ou  sur  un  canal,  et,  comme  lorsqu'on  ne  va 
pas  plus  vite,  la  résistance  de  l'eau  est  moins  considérable 
que  celle  qui  résulte  du  frottement  des  rainures  ,  on  con- 
çoit pourquoi  les  canaux  ont  été  préférés  aux  chemins  à 
ornières  ,  tant  qu'on  n'a  fait  usage  que  de  chevaux.  Il  nous 
sera  facile  cependant,  au  mo_)  en  de  quelques  développe- 
mens  ,  de  démontrer  l'immense  supériorité  de  ces  chemins 
sur  la  navigation  artificielle. 

Il  n'y  a  pas  deux  estimations  qui  soient  d'accord  ,  quant 
au  poids  qu'un  chef  al  peut  transporter  sur  une  roule  à  rai- 
nures, quoique  le  principe  ait  été  soumis  à  l'exactitude  des 
calculs  mathématiques  :  les  différences  résultent  du  plus 
ou  moins  de  soin  avec  lequel  les  routes  ont  été  exécutées  , 
de  la  forme  de  la  rainure  ,  de  la  dimension  et  de  la  cons- 
truction des  chariots,  et  de  la  force  des  chevaux.  On  a  dit 
qu'un  cheval ,  sur  une  route  à  rainures  qui  aurait  une  incli- 
naison de  soixante  pieds  par  mille,  pourrait  transporter 
vingt  tonneaux,  en  faisant  trois  milles  à  l'heure,  et  que  ce 
cheval  transporterait  le  même  poids  avec  la  même  rapidilé 
sur  un  canal.  M.  Telford  prétend  qu'un  cheval  transpor- 
tera de  douze  à  quinze  tonneaux  sur  une  route  à  ornières , 
dont  la  pente  sera  de  cinquante-cinq  pieds  par  mille,  et 
pourra  retourner  avec  quatre  tonneaux.  Sur  le  chemin  à 
rainures  de  sir  John  Hope,  qui  a  à  peu  près  deux  milles  , 
un  cheval  conduit  douze  tonneaux  en  moins  d'une  heure. 
M.  Cumming  assure  que  ,  sur  des  routes  à  ornières  du  pays 
de  Galles  ,  dont  l'inclinaison  est  à  peu  près  d'un  pouce  par 


(l  rainures  de  fer  et  le:>  T'^oitures  à  vapeur.  55 

Terge,  un  cîieval  traîne  de  trente  à  quarante  tonneaux, 
indépendamment  du  poids  des  chariots.  M.  Wilkes ,  de 
Measham,  affirme  qu'un  cheval  de  la  valeur  de  aoliv.st.  , 
sur  une  route  à  rainures  dont  Tinclinaison  est  d'un  pied 
sur  cent  quinze,  peut  conduire  trente-cinq  tonneaux,  qui 
seront  réduits  à  six  un  quart  sur  une  route  de  niveau.  Mais 
un  fait  fort  extraordinaire,  et  qui  cependant  est  garanti  par 
M.  Bankes  et  par  d'autres  témoignages ,  c'est  un  cheval  qui 
conduisait  cinquante-cinq  tonneaux  sur  la  partie  de  la  route 
à  rainures  de  Surrey  ,  qui  est  de  niveau  ou  très-légèrement 
încline'e.  En  résumé,  il  paraît  constant  que  ,  sur  une  route 
bien  construite  et  de  niveau,  un  cheval  ordinaire  peut 
traîner  facilement  un  poids  de  sept  à  huit  tonneaux  ,  en 
faisant  deux  milles  et  demi  à  l'heure ,  ou  dix  ou  douze  ton- 
neaux, en  faisant  seulement  deux  milles.  Le  même  cheval 
en  transporterait  trois  fois  autant  sur  un  canal ,  pendant  1« 
même  espace  de  tems.  Mais  c'est  là  que  s'arrête  l'avantage 
des  canaux  sur  les  roules  à  rainures ,  et  cet  avantage  est 
contrebalancé  par  la  construction  plus  dispendieuse  du 
canal  et  par  les  circuits  qu'il  fait  presque  toujours. 

«  Si  un  cheval  en  repos ,  dit  M.  Sylvester  (  i)  ,  peut  em- 
pêcher de  tomber  un  poids  de  169  livres  ,  suspendu  à  une 
poulie,  sa  force  dlsponllile  sera  de  121  livres,  s'il  fait 
deux  milles  à  l'heure  5  de  100  livres,  s'il  fait  trois  milles 
à  l'heure  5  de  81  livres,  s'il  fait  quatre  milles  j  de  64  livres, 
s'il  fait  cinq  mlUesj  de  49  livres,  s'il  fait  six  milles  j  de  36 
livres ,  s'il  fait  sept  milles  ;  de  25  livres  ,  s'il  fait  huit  milles; 
de  16  livres,  s'il  fait  neuf  milles  ;  de  9  livres ,  s'il  fait  dix 
milles;  de  4  livres,  s'il  fait  onze  milles  ;  d'une  livre,  s'il 

(1)  Report  of  rails-road s  and  locoinotu'e  cn^iiies,  addresseil  to  thr 
chairman  and  cornmittee  of  ific  Liverpool  and  Blanchester  projccicd 
rail-road.  Hy  Charles  Sylvester,  civil  enginecr,  Liverpool,  iSiS. 


SG  Bu  Transport  par  les  Canaux  ,  les  Rouies 

fait  douze  milles;  s'il  en  fait  treize,  toute  sa  force  sera 

absorbée  par  la  rapidilé  de  sa  course. 

Mais  celte  dimlnuhon  de  force  ,  en  proportion  de  la  ra- 
pidité du  mouvement,  nest  pas  le  seul  inconvénient  j  la 
résistance  d'un  corps  qui  flotte  sur  l'eau  ,  s'aécroît  comme 
le  carré  de  la  vitesse.  Ainsi,  quelle  que  soit  la  force  néces- 
saire pour  faire  mouvoir  un  corps  flottant  avec  une  vitesse 
donnée ,  il  faudra  quatre  fois  la  même  force  pour  le  faire 
mouvoir  deux  fois  plus  vite,  et  neuf  fois  la  même  force 
pour  tripler  sa  vitesse.  Ce  n'est  pas  tout.  Un  cheval,  quand 
il  fait  quatre  milles  à  l'heure,  ne  peut  exercer  qu'une  force 
de  soixante-une  livres.  Par  conséquent,  il  faudra  six  che- 
vaux pour  faire  faire  quatre  milles  à  l'heure  à  un  fardeau 
qu'un  seul  cheval ,  qui  ne  ferait  que  deux  milles  à  l'heure  , 
pourrait  traîner. 

L'application  de  la  vapeur  h  la  navigation  des  canaux, 
si  elle  était  praticable,  reutédierait,  jusqu'à  un  certain 
point ,  à  l'inconvénient  dont  nous  venons  de  parler;  c'est- 
à-dire,  qu'une  machine  qui  aurait  la  force  de  seize  chevaux 
pourrait ,  en  faisant  six  milles  à  l'heure  ,  IraUier  le  même 
poids  qu'un  cheval  qui  ne  ferait  que  deux  milles.  Mais  cela 
serait  trcs-préjudiciahle  à  la  conservation  du  canal;  car 
l'agitation  entretenue  dans  l'eau  par  la  rapidité  de  mouve- 
ment des  roues,  en  dégraderait  promptement  les  bords. 
IHusieurs  tentatives  ont  déjà  été  failes  pour  faire  mouvoir 
les  barques  sur  les  canaux  sans  troubler  l'eau  ,  et  M.  Per- 
kins  a  imaginé  pour  cela  un  appareil  ingénieux;  mais  le 
problème  est  cependant  bien  loin  encore  d'être  résolu  ,  et 
il  est  même  très  probable  qu'il  ne  le  sera  jamais  d'une  ma- 
nière parfaitement  satisfaisante. 


à  rai/iures  de  fer  ei  les  Voitures  à  lapeur.  5'j 

M.  Sylvester  a  dressé  le  tableau  suivant  des  avantages 
compares  des  routes  ordinaires  ,  des  routes  à  vapeur  et  des 
cauan^  : 


VITESSE. 

POIDS  A  IMOUVOIR. 

MILLES 

Sur 

Sur 

Sur 

par  lieures. 

les  Routes  ordinaires. 

les  Routes  à  rainures. 

les  Canaux. 

Livres. 

Livres. 

Livres. 

1 

3,024 

11, ^oo 

44,8oo 

3 



Même  poids. 

19,911 

4 



11,200 

5 



1,768 

G 



^'ItS 

- 



3,657 

8 

2,800 

9 





2,212 

lo 

i'7<)2 

Il  résulte  de  ce  tableau  que  si ,  avec  une  vitesse  donnée 
de  deux  milles  à  Theure,  la  même  force  motrice  est  em- 
ployée sur  une  route  ordinaire ,  une  route  à  rainures  et 
un  canal  ,  Tavantage  du  canal ,  sur  les  routes  ordinaires  , 
sera  dans  la  proportion  de  quinze  à  un ,  et  de  deux  à 
m\  j  sur  les  routes  à  rainures^  q"^?  si  la  vitesse  était  de 
deux,  milles  /^'^  à  l'heure ,  le  canal  et  la  route  à  rainures 
transporteraient  à  peu  près  le  même  poids  j  qu'à  trois 
milles  à  l'heure,  la  route  à  rainures  aurait  sur  le  canal  un 
avantage  qui  serait  dans  la  proportion  de  vingt-deux  mille 
quatre  cent  à  dix-neuf  mille  neuf  cent  onze  ,  et  qu'à  neuf 
milles  à  l'heure  on  ne  pourrait  plus  transporter  sur  le  canal 
que  deux  mille  deux  cent  douze  livres,  c'est-à-dire  seule- 
ment le  huitième  du  poids  que  la  même  force  transporterait 
sur  une  route  à  rainures.  Ces  estimations  sont  le  résultat 
d'expériences  faites  avec  soin. 


58  Du  Transport  j)at  les  Canaux  ,  les  Rouies 

Le  transit  des  marchandises  entre  Liverpool  et  Manclies- 
ter,  ayant  été  souvent  entravé  par  rinsuffisance  des  moyens 
de  transport  et  par   rcxagéralion  des  péages,   plusieurs 
personnes  se  réunirent  en  comité  pour  prendre  en  consi- 
dération l'uliUté  que  pourrait  avoir  une  route  à  rainures. 
Ce  comité ,  avec  la  prudence  et  la  circonspection  que  ré- 
clament les  grandes  afîaires,  commença  d'abord  par  tâcher 
de  déterminer  M.  Bradshaw  ,  agent  du  canal  du  feu  duc 
de  Bridgewater,  à  augmenter  les  moyens  de  transport  et 
à  réduire  les  droits  de  péage  j  ils  n'en  obtinrent  qu'un  re- 
ins absolu.  Lorsqu'ensuite  ils  l'entretinrent  du  projet  qu'ils 
avaient  de  faire  une  route  à  rainures  ,  et  qu'ils  lui  propo- 
sèrent de  prendre  un  fort  intérêt  dans  cette  opération  ,  sa 
réponse  très-laconique  fut  :  «  Tout  ou  rien.  »  M.  Bradshaw 
se  conduisit,  dans  cette  occasion ,  comme  les  propriétaires 
du   canal  de  Slroud.    Ils   avaient  rejeté  bien    loin  toute 
idée  de  réduction  dans  leurs  péages  j  ils  témoignaient  une 
confiance  impolitique  et  présomptueuse  dans  la  prolonga- 
tion de  leurs  gros  dividendes ,  et ,   de  cette  manière ,  ils 
ont  engendré  eux-mêmes  cette  opposition,  que  d'abord  ils 
avaient  commencé  par  tourner  en  ridicule,  mais  qu'ils  re- 
doutent aujourd'hui. 

Après  le  rejet  de  ses  propositions  par  M.  Bradshaw , 
Je  comité  fit  arpenter  le  pays  entre  Liverpool  et  Man- 
chester, et  il  se  convainquit  que  ce  pays  était  très-fa- 
vorable à  l'établissement  d'une  route  à  rainures  j  qu'au 
moyen  de  quelques  travaux,  peu  considérables,  l'inclinaison 
de  toute  la  ligne  ne  serait  que  d'un  pied  sur  huit  cents  ;  et 
que  par  conséquent  elle  pourrait  être  regardée  comme  étant 
de  niveau.  Il  acquit  également  l'assurance  qu'on  ne  pouvait 
1  as  élaljllr  un  nouveau  canal  entre  ces  deux  viles ,  l'eau 
étant  ahsorbée  par  les  canaux  déjà  existaus.  Des  commis- 
saires se  rendirent  ensuite  aux  mines  de  charbon  de  Rll- 
ling-worlh  ,  pour  examiner  les  routes  à  rainures  et  les  voi- 


à  ramures  dejcr  et  les  Voitures  à  va-peur.  09 

lures  cl  vapeur,  depuis  loiig-tems  en  usage  tlaus  ces  lulnes. 
Quoique  les  routes  ,  les  machines  et  les  chariots  fussent 
tous  susceptibles  de  grandes  améliorations,  ils  eurent  la  sa- 
tisfaction de  voir  un  de  ces  chariots  transporter  quarante- 
cinq  tonneaux  de  charbon,  en  faisant  quatre  milles  à  l'heure 
et  ringcuieur  de  rétablissement  leur  apprit  qu'une  fois  on 
était  parvenu  à  faire  traîner,  par  la  machine  à  vapeur, 
neuf  chariots  pesant  vingt-quatre  tonneaux ,  qui  avaient 
•parcouru  une  distance  d'un  milie  (  environ  le  tiers  d'une 
lieue  )  en.  cinq  minutes  et  demie.  Une  expérience  semblable 
avait  eu  le  même  succès  aux  mines  d'Helton. 
■  Quand  l'utilité  de  l'emploi  de  la  machine  à  vapeur  ,  sur 
les  routes  à  rainures  ,  fut  démontrée  au  comité  ,  il  publia 
un  prospectus  dans  lequel  il  proposait  de  faire  un  fonds  de 
400,000  liv.  st.  (  10,000,000  fr.)  divisé  en  quatre  mille  ac- 
tions de  100  iiv.  chacune.  Les  négocians  et  les  fabricans 
étaient  si  persuadés  des  avantages  de  cette  entreprise,  que 
si  la  souscription  eût  été  dix  fois  plus  forte  ,  elle  n'en  au- 
rait pas  moins  été  remplie  immédiatement.  En  effet,  l'uti- 
lité en  est  évidente.  Il  serait  assurément  superflu  d'ob- 
server que  le  teins  est  une  considération  fort  importante 
dans  toutes  les  affaires  commerciales  ;  et  que  la  sûreté  , 
Yexactttude  et  X économie  du  transport  des  lettres,  de  l'ar- 
gent et  des  marchandises  ne  sont  pas  moins  nécessaires. 
Or,  jusqu'à  présent,  tous  les  articles  lourds  et  volumineux 
ont  été  transportos  entre  Liverpool  et  Manchester,  par  le 
canal,  de  Bridgevpater,  et  par  la  Mersey  et  l'Irwell  j  et 
dans  l'un  et  l'autre  cas,  par  une  voie  longue,  difîlciie  et 
très-dangereuse  dans  les  tems  d'orages  et  par  les  grands  ■ 
vents  :  car  M.  Sandars  nous  assure  que,  pendant  les  tem- 
pêtes de  novembre  1821  et  du  5  décembre  1822,  plus  de 
cinquante  bâlimcns  furent  perdus,  ou  échouèrent  sur  les 
bords  de  la  Mersey,  et,  l'biver  précédent,  beaucoup  de 
'marchandises  et  plusieurs  individus   oui  également  péri. 


4o  Du  Transport  par  les  Canaïut ,  les  Roules 

Les  circuits  de  l'une  et  de  Faulre  de  ces  voies  ,  et  la  lenteur 
avec  laquelle  les  transports  s'y  opèrent,  donnent  aussi  beau- 
coup de  facilité  aux  voleurs.  Aucun  de  ces  graves  incon- 
véniens  n'existera  quand  les  transports  s'effectueront ,  dans 
cinq  heures  au  plus,  sur  une  route  à  rainures. 

Le  manque  d'exactitude  n'a  pas  moins  d'inconvéniens 
que  celui  de  sûreté  et  de  célérité  ;  et  les  négocians  des  deux 
villes  en  question  sont  toujours  très- incertains  sur  l'époque 
précise  à  laquelle  leurs  marchandises  doivent  arriver  ;  car  ' 
les  ballots  qui,  dans  le  cours  ordinaire  des  choses,  peuvent 
être  rendus  dans  moins  de  deux  jours ,  sont  souvent  re- 
tardés d'une  semaine  et  même  d'un  mois ,  et  quelquefois 
Ijeauconp  plus  loug-lems,  pendant  les  gelées  et  la  sé- 
cheresse. Il  n'est  même  pas  très- rare  de  voir  des  mar- 
chandises embarquées  à  NcAV-York,  arriver  à  Liverpool 
avant  d'autres,  chargées  à  Manchester.  Mais,  en  mettant 
de  côté  ces  cas  extraordinaires,  il  résulte  de  la  difficulté 
L\\.i  passage  des  écluses,  de  l'état  des  vents,  etc.,  que  la 
durée  moyenne  du  trajet  est  de  trente-six  heures.  On  a  vir 
plusieurs  fois  des  fabricans  de  Manchester,  expédier  leurs 
marchandises  par  le  roulage ,  au  prix  énorme  de  •!  et  5 
livres  st.  par  tonneau,  afin  qu'elles  pussent  être  embar- 
quées, à  jour  fixe,  à  T^iverpooK  Elles  auraient  été  trans- 
]>ortées,  sur  une  route  à  rainures,  dans  quatre  ou  cinq 
heures  à  un  prix  fort  au-dessous  du  fret  des  canaux  ,  et 
sans  qu'on  eût  à  craindre  aucun  retard. 

Les  propriétaires  des  deux  canaux  existans  étaient  d'au- 
tant moins  disposés  à  diminuer  leurs  péages,  qu'ils  aavaieat 
bien  qu'on  ne  pouvait  pas  ouvrir  un  autre  canal,  à  cause 
du  manque  d'eau  ,  et  que  par  conséquent ,  ils  n'avaient  au- 
«luie  concurrence  à  craindre  de  ce  côté;  et  afin  de  lutter 
avec  toute  espèce  d'avantages  contre  celle  du  roulage,  ils 
se  sont  assurés  de  tous  les  quais  et  de  tous  les  magasins,  de 
manière  que  lorsque  les  voitures  consentent  à  transporter 


à  rciiniires  de  fer  et  les  Voitures  à  vapeur.  4  ' 

tles  marchandises  de  Liverpool  à  Rimcorn  ,  sur  le  pied  de 
3  sh.  par  tonneau  ,  tandis  que  les  curateurs  du  canal  du  duc 
et  les  actionnaires  de  l'autre  canal  exigent  5  sli.  ,  le  pro- 
priétaire de  marchandises,  indépendamment  des  2  sh.  ,  doit 
aussi  payer  les  5,  sans  quoi  on  ne  lui  permettrait  pas  de  les 
décharger  sur  les  quais.  Les  administrateurs  des  deux  ca- 
naux se  sont  concertés,  en  i8io,  pour  régler  d'un  com- 
mun accord  ,  les  tarifs  de  leurs  péages. 

On  estime  à  mille  tonneaux  la  quantité  de  marchandises 
transportées  ,  journellement ,  entre  Liverpool  et  Manches- 
ter ;  ce  transport  coûte  par  an  environ  aoo,ooo  liv.  st.  Sur 
cette  somme,  les  héritiers  du  duc  prélèvent  de  8o  à  ioo,ooo 
liv.st.  ;  et  les  actionnaires  de  l'autre  canal  se  sont  partagés 
chaque  année  ,  pendant  un  demi-siècle,  le  montant  de  leur 
versement  primitif. 

Le  commerce  de  Livei'pool  et  tle  Manchester  n'a  eu  jus- 
qu'à présent  aucune  protection  contre  l'avidité  des  proprié- 
taires des  deux  cunaux  ,  et  tels  sont  les  eôets  d'un  mono- 
pole heureux  et  paisible ,  que  tandis  que  des  plaintes 
s'élevaient  de  tous  côtés  contre  i'exorhilance  des  charges 
qu'ils  faisaient  peser  sur  !e  public,  ils  n'ont  pas  compris 
que  le  meilleur  moyen  qu'ils  eussent  de  perpétuer  leurs 
héuéfires,  c'était  de  diminuer  un  peu  ces  ciiarges.  II  paraît 
qu'aujourd'hui  ils  commencent  à  sentir  la  folie  d'une  sem- 
hlal>le  conduite ,  et  il  est  question  de  la  réduction  de  leurs 
péages.  Ces  concessions  ,  faites  en  tems  utile  et  de  bonne 
grâce ,  auraient  désarmé  leurs  adversaires  :  elles  ne  feront 
acluel'ement  que  les  encourager ,  parce  qu'on  les  considé- 
rera comme  un  signe  de  crainte  et  de  faiblesse. 

II  nous  reste  à  faire  valoir  ,  eu  faveur  de  rétablissement 
d'une  route  à  minures  entre  les  deux  villes  les  plus  com- 
merçantes de  l'empire,  une  dernière  considération  plus 
puissante  encore  que  toutes  les  raisons  que  nous  venons 
dex'poser  :  c'est  la  nécessiié absolue  de  la  mesure,  attendu 


42  Du  Transport  par  les  Canaux  ,  les  Routes 

qu'indépendamment  de  tous  leurs  autres  incouvéniens,  les 
moyens  actuels  de  transport  sont  devenus  tout-à-fail  insuf- 
fîsans.  M.  Sandars  assure  que  Ton  a  souvent  éprouvé  les  , 
plus  grandes  difficultés  pour  expédier  du  blé  et  du  bois  de 
charpente  à  Manchester ,  et  que  quelquefois  même  l'on  a 
été  obligé  de  laisser  séjourner  des  marchandises  pendant 
un  mois ,  sur  les  quais  de  Liverpool  ,  faute  de  moyens  de 
transport.  Plusieurs  des  uégocians  les  plus  respectables  de 
cette  dernière  ville ,  réunis  eu  comité  ,  ont  déclaré  que  ces 
retards  étalent  extrêmement  préjudiciables  aux  intérêts  du 
commerce  du  pays ,  et  que  les  accroissemens  si  rapides  et 
si  prodigieux  de  ce  commerce  rendaient  indispensable  l'é- 
tablisseiuenl  d'une  nouvelle  voie  de  communication.  Afin 
que  nos  lecteurs  puisseut  se  former  une  idée  de  la  prospé- 
rité progressive  de  Liverpool  et  de  Manchester,  nous  al- 
lons leur  présenter  im  extrait  de  documens  authentiques 
que  nous  avons  ,  dans  ce  moment,  sous  les  yeux. 

Les  villes  de  Manchester  et  de  Salford  ,  n'étant  séparées 
que  par  une  petite  rivière,  ont  toujours  été  considérées 
comme  n'en  faisant  qu'une  seule. 

En  1757  ,  le  nombre  des  maisons  était  de  5,5i6,  et  la 
population  de  19,837. 

En  1775  ,  maisons  :  4)268  j  habitans  :  27,446- 

En  i8'ji,  maisons  :  2 1,1 50;  habitans:  105,788. 

En  1824,  maisons  :  25,910;  habitans  ••  i65,888. 

Ainsi ,  dans  le  cours  de  trois  années ,  il  y  avait  eu  un 
accroissement  de  plus  de  quatre  mille  maisons  et  de  plus 
de  trente  mille  habitans  î 

En  181 5,  la  quantité  des  cotons  façonnés  à  Manchester 
s'éleva  à  cent  dix  millions  de  livres ,  et  représentait  une 
valeur  de  7,487,562  liv.  st.  Elle  s'éleva  en  i823,  à  cent 
quarante-cinq  millions  de  livres  ,  faisant  une  valeur  de  près 
de  11,000,000  liv.  st.  (environ  275,000,000  de  fr.  ). 

Ce  fut  eu  1790  qu'on  employa  la  machine  à  vapeur, 


à  rainures  de  fer  et  les  Voitures  à  rapeur.  4^ 

pour  la  première  fois,  à  Manchester.  Eu  1824 ,  il  y  en  avait 
plus  (le  deux,  cents  en  activité.  AujourtVliui  il  n'y  a  pas 
moins  de  trente  mille  métiers  mus  par  cette  machine,  et 
en  i8i4j  il  n'y  en  avait  pas  un  seul. 

Les  accroissemens  de  Liverpool  sont  peut  -  être  encore 
plus  extraordinaires.  En  i547  ,  lorsque  la  totalité  des  for- 
cî^s  navales  de  TAngleterre  étaient  réunies  devant  Calais  ^ 
Londres  avait  fourni  25  bâtimensj  Bristol,  24  ;  Hull ,  16; 
Greal-Yarmouth ,  481  j  et  la  rivière  de  Mersey ,  un  seul  î 

Liverpool  avait  : 


NAVIRES. 

TONNEAUX. 

En  1618 

24 

4G2 

1822 

8,9'6 

1,010,819 

1825 

9>5o7 

1,120, 114 

1824 

10,001 

1,180,914 

Ainsi ,  dans  le  cours  de  la  dernière  année ,  le  nombre  des 
navires  s'est  augmenté  de  quatre  cent  quatre-vingt-qua- 
torze, et  le  tonnage  de  soixante  mille  deux  cents  ! 

Depuis  i8i4  j  l'augmentation  du  tonnage  de  Liverpool  a 
été  dans  la  proportion  de  vingt  à  douze. 

Eu  iG36,  lorsque  Charles  1'='  mit  un  impôt  sur  les  na- 
vires ,  Bristol  fut  taxé  à  1 ,000  liv.  st. ,  et  Liverpool  seule- 
ment à  25  liv. 

En  1770  ,  le  receveur  John  Colquitt  s'écriait  :  «  Que  je 
serai  heureux ,  quand  les  douanes  de  Liverpool  produiront 
100,000  liv.  !  »  Elles  ne  produisaient  alors  qu'un  peu  plus 
de  80,000  liv.  par  an. 

Eu  1822  ,  elles  produisirent  :  1,591,123  liv.  st. 
En  1823  ,  1 ,808,402  (  près  de  46  millions  de  fr.  ) 
Il  y  a  donc  eu  ,  dans  le  cours  d'une  seule  année,  une  aug- 
mcnlalion  de  217,279  liv.  (  plus  do  5  millions  de  fr.  ) 
'  En  1784?  un  vaisseau  américain  apporta,  à  Liverpool  - 


44  ^'^  Transport  -par  les  Canaux  ,  les  Routes 

huit  balles  de  colon  qui  furent  saisies  ,  parce'  qu'on  supposa 
qu'elles  ne  venaient  pas  d'Amérique.  En  i825,  on  débar- 
qua dans  ce  port  668,400  balles  ,  dont  409,670  venant  des 
États-Unis.  De  1822  a  1825,  l'importation  s'est  augmente'e 
de  i55,25o  balles. 

Voici  quels  ont  été  les  mouveraens  delà  population. 


MAISONS. 

HABITANS. 

En  1720 

2,567 

11,833 

1760 

5,1 56 

25,787 

1801 

11,784 

77,708 

1811 

16,162 

94,376 

1821 

20,559 

118,972 

1824 

22,756 

1 55,000 

lia  l)anlieue ,  dans  une  étendue  de  trois  milles ,  contient 
vingt  -  neuf  mille  l)abitans  ;  ce  qui  fait  un  total  de  cent 
soixante-quatre  mille  âmes. 

Tl  est  inutile  d'observer  que  les  9/10  du  coton  brut ,  men- 
tionné ci-dessus,  sont  transportés  à  Manchester  et  dans  les 
districts  voisins,  d'où  une  partie  considérable  ,  après  avoir 
été  tissée,  est  renvoyée  à  Liverpool ,  pour  être  embarquée 
et  exportée. 

On  conçoit  qu'une  teile  augmentation  dans  la  population 
et  dans  la  richesse  de  Liverpool  et  de  Manchester,  et  les 
besoins  toujours  croissans  de  leur  commerce  ,  aient  rendu 
indispensable  l'établissement  cVune  nouvelle  communica- 
tion entre  ces  deux  villes.  Quant  à  la  nature  de  cette  com- 
munication ,  il  n'y  a  pas  de  choix  à  faire  ,  puisque ,  comme 
nous  l'avons  vu  plus  haut ,  l'établissement  d'un  troisième 
canal  est  impossible.  Mais ,  quand  bien  même  on  pourrait 
choisir  ,  ce  serait  encore  une  route  à  rainures  qu'il  faudrait 
établir;  car  les  avantages  en  sont  évidens. 

En  eflet,   la  dislance  entre  I^lverpool  et  Manchester, 


à  rainures  do  fer  et  lex  J'oilmvs  à  rnpcur.  4'' 

par  rauclen  canal,  est  de  pins  de  cinquante  milles.  Il  faut 
près  de  deux  Jours  pour  la  franchir,  et  quelquei'ois  même 
il  en  faut  bien  davantage.  Par  une  route  à  rainures,  celle 
distance  sera  réduite  à  trente-trois  milles  ,  que  l'on  fera  fa- 
cilement dans  lin  jour,  soit  avec  des  chevaux.,  soit  avec 
la  machine  à  vapeur.  Si  Ton  emploie  ce  dernier  moyen  ,  la 
même  machine  pourra  sans  difficulté  aller  et  revenir  le 
même  jour.  I^es  communications  ne  seront  jamais  inter- 
rompues sur  la  nouvelle  voie  ,  comme  elles  le  sont  sur  les 
canaux,  par  la  gelée  et  la  sécheresse,  et  Ton  ne  sera  pas 
exposé  aux  vents  et  aux  orages  qui  rendent  une  partie  de 
la  navigation  de  la  Mersey  si  dangereuse.  Au  lieu  de  quinze 
sh.  par  tonneau  ,  les  transports  se  feront  à  dix  sh. ,  et  pro- 
bablement à  moins.  Les  habitans  de  Liverpool  et  ceux  des 
dlslricts  voisins  de  la  ligne  que  la  route  à  rainures  suivra, 
pourront  acheter  le  charbon  de  terre  ,  plusieurs  sh.  au- 
dessous  du  prix  qu'ils  paient  actuellement.  Lorsque  des 
communications  seront ,  de  cette  manière  ,  établies  entre 
la  mer  et  les  mines  de  charbon  ,  Ijiverpool  deviendra 
un  des  points  les  plus  importans  du  royaume  pour  l'em- 
barquement de  ce  combustible.  En  même  tems  que  !e 
chemin  à  ornières  facilitera  la  circulation  de  cet  article  in- 
dispensable, il  facilitera  également  celle  des  produits  agrico- 
les, du  fer  ,  de  la  chaux  ,  etc. ,  dans  toutes  les  parties  du 
comté  si  in  J.ustrieux  de  Laucastre ,  qui  renferme  une  po- 
pulation agglomérée  de  plus  de  cinq  cent  mille  amcs  ,  dont 
Manchester  peut  être  considéré  comme  le  point  centra!. 
Mais  Tutililé  de  la  route  à  rainures  ne  sera  pas  seulement 
locale.  Au  moyen  de  cette  route,  et  des  bâtimens  à  vapeur  , 
le  trajet  de  cette  dernière  ville  à  Dublin  pourra  se  faire 
dans  dix-huit T)u  vingt  heures.  Les  transports  entre  Dublin 
et  IMauchester  sont  très-considérables ,  et  s'augmentent  tous 
les  jours.  La  nouvelle  route  fera  nécessairement  tomber  , 
dans  une  forte  proportion,  les  prix  auxquels  se  vendent. 


4G  Du  Tj-ansport  par  les  Canaux  ,  les  Routes 

dans  le  comté  de  Lancaslre  ,  et  clans  le  Yorkshire ,  les 
grains,  le  chanvre,  la  toile  et  le  beurre  d'Irlande.  Au  milieu 
de  tous  les  plans  conçus  pour  améliorer  le  sort  de  ce  mal- 
heureux pays  ,  le  projet  du  chemin  à  rainures  n'est  certai- 
nement pas  un  des  moins  importans ,  et  ses  habitans  eux- 
mêmes  en  sont  convaincus  :  i!s  sentent  qu'à  l'égard  des 
transports,  ce  qui  sert  à  abréger  le  tems,  abrège  parle 
fait  la  distance,  et  que  tout  ce  qu'on  diminuera  sur  le 
prix  de  ces  transports  sera  un  pur  gain  pour  l'Irlande. 

D'après  ces  considérations  et  d'autres  encore,  les  prin- 
cipaux négocians  de  Liverpool  et  quelques  -  uns  des  plus 
riches  fabricans  de  Manchester  ont  résolu  de  demander  au 
Parlement  un  acte  qui  les  autorisât  à  mettre  à  exécution  le 
projet  de  celte  route.  On  peut  s'attendre  qu'ils  rencontre- 
ront une  forte  opposition  de  la  part  de  ceux  qui  sont  inté- 
ressés à  conserver  le  monopote;  11  est  vraisemblable  qu'ils 
n'auront  pas  seulement  à  combattre  cette  résistance  par- 
tielle ,  et  que  les  propriétaires  de  tous  les  canaux  uniront 
leurs  forces  contre  ce  projet,  dans  l'espoir  que,  comme  c'est 
le  premier  soumis  à  la  chambre  des  communes,  s'il  échoue, 
ils  n'auront  plus  rien  à  craindre  des  projets  semblables  qui 
pourront  être  présentés  à  Tavenir.  Ceux  qui  sont  opposés  à 
la  mesure  ne  manqueront  pas  de  parler  de  droits  acquis, 
de  crier  à  l'envahissement  des  propriétés  particulières.  Je 
mettre  en  avant  l'inconvénient  de  croiser ,  par  la  nouvelle 
route ,  les  routes  ordinaires ,  les  rivières  et  les  canaux  qui 
seront  dans  leur  direction.  Ils  pailleront  aussi  du  désagré- 
ment qu'éprouveront  la  noblesse  et  les  gentilshommes  de 
campagne,  lorsque  ces  routes  seront  dirigées  à  travers  leurs 
parcs ,  leurs  avenues  ,  leurs  jardins ,  souvent  à  quelques 
toises  de  leurs  demeures ,  et  que  la  machine  locomotrice 
les  remplira  de  nuagrs  de  fumée.  Peut-être  même  diront-ils 
que  ces  machines  effraieront  les  bestiaux  attelés  à  la  char- 
rue, et  ceux  qui  seront  dispersés  dans  les   pâturages.  Si 


à  raimires  de  for  et  les  T-^oitiires  à  o'apeiir.  47 

cffecllvement  leurs  adversaires  n'ont  pas  de  meilleures 
raisons  à  faire  valoir  ,  les  liabitans  de  Liverpooi  et  de 
IManchesler  n'ont  rien  de  mieux,  à  faire  qu'à  rester  sur  la 
défensive,  à  se  fier  à  la  justice  du  tribunal  qui  doit  pronon- 
cer sur  leur  cause,  et  se  reposer  entièrement  sur  la  nécessité 
de  la  mesure  dont  ils  demandent  l'exécution.  Nous  ne  croi- 
rons jamais  que  celle  même  chambre  des  communes  ,  qui 
s'est  signalée  eu  affrancliissant  le  commerce  du  royaume 
des  entraves  qui  gênaient  la  liberté  de  ses  mouvemens, 
puisse  jamais  consentir  à  le  contrarier  dans  l'un  de  ses  pre- 
miers intérêts  ,  en  repoussant  im  projet  dont  le  but  est  de 
rendre  les  transports  plus  sûrs ,  plus  prompts  et  plus  écono- 
miques. 

On  a  dit  que  les  propriétaires  fonciers  s'opposeraient 
fortement  à  l'étab  isseiucnt  des  roules  à  rainures  ;  mais  cette 
assertion  est  tellement  absurde  qu'elle  tombe  d'elle-même. 
Si  quelques-uns  de  ces  propriétaires  ne  voient  pas  d'abord 
leur  véritable  intérêt,  leurs  fermiers  le  verront  pour  eux  : 
ceux-ci  sentiront  promptement  tout  le  parti  qu'ils  peuvent 
tirer  de  ces  routes ,  pour  envoyer  leurs  productions  au 
marche,  et  pour  en  rapporter  en  retour  les  articles  quj 
leur  sont  nécessaires. 

Les  grands  propriétaires  fonciers  qui  se  trouveraient  sur 
la  ligne  que  suivrait  la  route  à  rainures  de  Liverpooi,  sont 
les  lords  Derby  et  Sefton.  D'après  le  plan  que  nous  avons 
sous  les  yeux,  il  paraît  que  ce  chemin  ne  s'approcherait 
pas  de  plus  d'un  mille  et  demi  de  la  demeure  du  comte  de 
Sefton,  et  qu'elle  traverserait  la  propriété  du  comte  do 
Derby ,  sur  les  bruyères  stériles  de  Knowsley ,  à  environ 
deux  milles  du  château.  Les  voitures  qui  apportent  le 
charbon  des  raines  ,  et  d'autres  voilures  de  roulage,  passent 
maintenant  à  quelques  centaines  de  toises  de  rhabitatiou 
de  lord  Sefton,  et  par  conséquent  il  gagnerait  à  l'établisse- 
m'ent  d'im  cliemin  à  ornières»  Les  paisibles  jouissances  du 


48  Du  Transport  par  les  Canaux,  les  Rouf  es 

propriétaire  Je  RaoAVsley  seraient  encore  moins  troublées 
par  ce  chemin  ,  fort  éloigné  du  château,  et  qni  serait  même 
séparé  du  parc  par  la  route  ordinaire.  Ainsi ,  la  nou- 
velle roule  augmenterait  considérahlement  la  valeur  des 
propriétés  des  deux  nobles  iords .  sans  les  iucoaimoder  en 
aucune  manière. 

C'est  à  dessein  que  nous  nous  sommes  abstenus  ,  dans  le 
cours  de  cet  article,  de  parler  du  transport  des  voyageurs. 
Il  n'y  a  aucun  doute  qu'un  poids  réduit  puisse  être  trans- 
porté avec  un  mouvement  accéléré  et  une  sûreté  égale, 
au  moyen  de  la  machine  à  vapeur  j  mais  nous  croyons 
qu'il  convient  d'ajourner  l'examen  de  cette  partie  de  la 
question  jusqu'à  ce  que  les  routes  à  rainures  et  les  machi- 
nes locomotrices  aient  acquis  ce  degré  de  perfection  auquel 
elles  doivent  arriver  un  jour.  Cependant,  sans  attendre  ce 
moment  fort  désirable  ,  nous  terminerons  cet  article  par 
l'extrait  d'une  brochure  d'un  partisan  très-spirituel ,  quoi- 
qu'un peu  bizarre  ,  des  routes  à  rainures. 

«  Il  est  raisonnable  de  penser  que  les  hommes  dont  la 
susceptibilité  nerveuse  est  la  plus  facilement  excitable, 
pourront  avant  peu  se  placer  dans  une  voiture  traînée  ou 
poussée  par  la  machine  locomotrice ,  avec  plus  de  garan- 
ties, de  sûreté  et  moins  d'inquiétudes  ,  que  lorsqu'ils  mon- 
tent aujourd'hui  dans  une  voiture  conduite  par  quatre  che- 
vaux dont  la  force  et  l'allure  sont  inégales,  qui  sont  d'ailleurs 
exposés  à  cetle  mul.iluded'accidens  qui  menacent  sans  cesse 
tout  ce  qui  vit ,  et  animés  par  des  passions  qu'une  force 
supérieure  peut  seule  contenir.  Sans  contredit,  une  force 
inanimée  ,  qui  n'a  besoin  pour  être  mise  en  action  ,  dirigée 
et  arrêtée,  que  du  doigt  ou  du  pied  d'un  homme,  doit  ins- 
pirer plus  de  confiance  aux  voyageurs  que  des  animaux 
dont  les  caprices  peuvent  compromettre  son  existence  ,  si 
un  conducteur  attentif  et  vigoureux,  ne  les  réprime.  Qu'on 
se  transporte  en  idée  dans  vingt  ou  trente  ans ,  lorsque  cet'.e 


à  rainures  dejer  et  les  T^oititres  à  vapeur.  4Q 

snachine  sombre  ,  grossière  ,  informe ,  qui  choque  main- 
tenant nos  regards  ,  sera  rei.^p^acée  par  mie  autre  (Vuue 
construction  élégante,  parée  de  toutes  les  pompes  du  luxe, 
et  décorée  d'écussons  héraldiques ,  comme  un  caresse  sorti 
des  ateliers  de  Long-Acre.  Cette  nouvelle  machine  ne  bles- 
sera pas  l'odorat  par  les  exhalaisons  du  charbon  ou  de 
riiulle  de  baleine;  mais  elle  embaun^.era  l'air  et  flattera  les 
sens  du  voyageur  par  le  parfum  que  la  même  force  qui  la 
fera  mouvoir,  extraira ,  à  peu  de  frais ,  de  quelque  produc- 
tion de  la  terre.  Au  lieu  du  bruit  monotone  et  étourdissant 
de  nos  voitures  actuelles,  le  jeu  de  ses  ressorts  produira 
des  sons  harmonieux.  Enfui,  au  moyen  de  cette  même  ma- 
chine, on  pourra  préparer  uu  dîner  plus  somptueux  et 
plus  coiijortahle  que  ceux  que  Ton  sert,  en  i825,  aux 
voyageurs  d'une  diligence.  Mais  laissons-ià  ces  hypothèses , 
dont  au  surplus  la  cause  que  nous  défendons  n'a  pas  be- 
soin, et  bornons-nous  à  garantir  que  ni  le  sens  de  l'odorat, 
ni  ceux  delà  vue  et  de  l'ouie,  ne  perdront  au  change,  lors- 
que les  voitures  à  vapeur  remplaceront  celles  qui  sont  en 
usage  aujourd'hui.  »  {  Quarterly  Review.^ 


FINANCES. 


PRODUITS    COMPARÉS    DES    TAXES    ELEVEES    ET    DES 
PETITES    TAXES  (l). 


Nous  ne  nous   occuperons  aujourd'hui  que  de  vérités 
pratiques.  Notre  intention  n'est  pas  de  nous  livrer  à  des 

(i)  Note  du  Tr.  Cet  article  a  paru  au  commencement  de   1822, 
dans  la   licvue  d'Kdinboui {y.   K  retle  C|io(jue ,   c'était  M.  Yansitlart 
([ui    remplissait   les   lonctions    de    cliancelier   du    l'Echiquier,    et  un 
I,  4      • 


5o  Produits  comparés  des  taxes  élevées 

recherches  spéculatives  \  nous  désirons  seulement  cons- 
tater un  fait  :  c'est  que  Faugmentation  tlu  rcA'enu  public 
ne  suit  pas  toujoui's  celle  des  taxes,  et  qu'il  arrive  très- 
souveut  que  les  impôts  sont  réduits  ,  sans  que  ce  revenu 
diminue.  Les  opinions  erronées  qui  ont  prévalu  jusqu'ici 
sur  ce  point  important  d'économie  politique  ,  ont  été  fé- 
condes en  résultats  désastreux.  Il  est  inutile  de  démontrer 
que  l'excessive  élévation  des  droits  ravit  au  peuple  sou  bien- 
être  ,  et  corrompt  sa  moralité  en  encourageant  les  fausses 
déclarations,  la  fraude  et  la  contrebande.  Ces  vérités  sont 
généralement  reconnues  ;  mais  on  répond  que  le  mal  est 
sans  remède,  que  les  besoins  du  gouvernement  ne  permet- 
tront plus  à  l'avenir  de  réduire  les  taxes  !  Les  réclamations 
unanimes  du  peuple  ont  amené  la  diminution  d'un  sli.  sur 
les  7  sh.  6  sous  qui  pèsent  sur  chaque  boisseau  de  drè- 
che  (  1  )  ;  mais  les  ministres  ont  déclaré  qu'il  était  impossible 

homme  fatal  ,  qui  exerçait  une  influence  prëpondéranle  dans  le  conseil, 
pre'sidait  encore  aux  destinées  de  la  Grande-Bretagne.  Depuis,  tout  a 
change'  :  M.  Vansittart  a  été  remplacé  par  M.  Robinson,  et  M.  Hus- 
kisson  est  entre  dans  le  ministère  avec  le  titre  de  président  du  bureau 
du  commerce.  Cette  succession  de  sages  mesures,  qu'ils  ont  fait 
adopter  par  le  Parlement,  n'est  au  fond  que  l'application  des  prin- 
cipes posés  dans  l'article  suivant.  C'est  la  grande  influence  que  sa 
publication  a  exercée  sur  les  déterminations  du  ministère  anglais,  qui 
nous  a  décidés  à  en  donner  la  traduction,  quoique  la  date  en  soit  déjà 
assez  ancienne.  On  peut,  sans  trop  préjuger  des  hommes  qui  dirigent 
aujourd'hui  les  affaires  du  continent ,  espérer  que  !a  reproduction  de 
cet  article  dans  notre  recueil,  ne  sera  pas  sans  quelqu'action  sur  eux. 
Lorsqu'ils  verront,  par  une  série  de  faits  authentiques  et  Incontesta- 
bles, qu'il  est  en  leur  pouvoir  de  soulager  les  peuples,  en  diminuant 
les  Impôts,  sans  que  pour  cela  les  recettes  diminuent,  aucun  d'eux  ne 
se  refusera  sans  doute  aux  jouissances  d'une  popularité  qui  peut  être 
si  facilement  acquise.  S. 

(i)  Le  droit  sur  la  drèche  est  de  f)o  sh.  6  d.  par  rjuar/er,  savoir  : 
aSsh.  de  droit  fixe,  et  lo  sh.  par  baril  sur  chacun  des  trois  barils  i/4 
de  bière  que  produit  le  quarter  de  drèrlie. 


et  des  petites  taxes.  5 1 

(le  céder  une  obole  de  plus.  Et  quel  est  ieur  motif  pour 
justifier  les  droits  exorbitans  qui  sont  imposés  sur  le  sel  , 
le  cuir,  le  thé,  le  sucre  eï  autres  articles  nou  moins  indis- 
pensables ?  la.uécessilé  préiendue  de  maintenir  le  revenu 
au  taux  ou  il  est  actuellement.  Ils  ne  nient  pas  que  ces 
droits  ne  soient  onéreux  et  appressifs  ;  mais  ils  disent  que 
le  maintien  du  crédit  public  doit  l'emporter  sur  toute  autre 
considération,  et  que,  malgré  les  ressources  qui  proviennent 
de  l'élévation  des  taxes ,  les  recettes  suffisant  à  peine  au 
service  courant  et  à  Tobligation  de  conserver  au  moins 
l'apparence  d'un  fonds  d'amortissement ,  ils  sont  contraints 
de  repousser  tous  les  efforts  qu'on  ferait  pour  les  réduire. 

Ce  raisonnement  des  ministres  et  de  leurs  adhérens  re- 
pose tout  entier  sur  cette  assertion ,  que  la  réduction  du 
revenu  est  toujours  la  conséquence  nécessaire  de  celle  des 
taxes.  «  Si  vous  réduisez  les  droits  sur  le  sel  de  i5  sb.  à 
»  losli.  par  boisseau,  disait  le  chancelier  de  FEchiquier, 
f>  le  seine  nous  donnera  plus  qu'âne  recette  de  1,000,000 
»  llv.  st. ,  au  lieu  de  i,5oo,ooo  liv.  Mais,  dans  les  circons- 
»  tances  où  se  trouve  l'état ,  et  lorsque  le  gouvernement 
»  s'est  engagé  lui-même  à  maintenir  un  fonds  d'amortisse- 
»  ment  de  5, 000, 000  ,  il  m'est  impossible  de  consentir 
))  à  une  telle  diminution.  Certes,  ajoutait-il,  les  ministres 
»  de  S.  M.  éprouveraient  une  vive  satisfaction  s'ils  pou- 
»  vaient ,  d'accord  avec  les  intérêts  réels  de  l'état,  con- 
»  sentir  à  de  plus  grandes  réductions  ;  mais  après  ce  que  le 
»  Parlement  a  déjà  fait  sur  ce  point  (  en  réduisant  le  droit 
»  Sur  la  drcche  )  ,  il  est  impossible  de  ne  pas  s'opposer  à 
y>  tout  nouveau  dégrèvement  (i).  » 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  faire  ressortir  l'absurdité 
qu'il  }-  a  à  supposer  que  la  re'duction  du  fonds  d'amortisse- 

(i)  Voyez  les  (l(fljats  qui  ont  suivi  la  motion  de  M.  Calcraft,  ten- 
dante à  f.lirc  révoquer  graduellement  le*  droits  sur  le  sel  ;  séance  du 
•i8  février  i82.i. 


iîîi  Produits  comparés  des  fa.res  élevées 

meut  tic  5,000,000  à  47^00, 000  liv.  entraînerait  de  funestes 
conséquences.  Il  suffit  d'observer  qvie  la  nécessité  de  mam- 
tenir  intact  ce  fonds  de  5, 000, 000  liv. ,  était  la  seule  rai- 
son alléguée  par  les  ministres,   en   181 9,  pour  proposer 
5,000,000  liv.  de  nouvelles  taxes  ,  et  que  malgré  ces  taxes, 
le  principal  et  Tintérèt  de  Ja   dette  consolidée  et  de  la 
dette   flottante  se   sont  régulièrement  accrus  depuis  cette 
époque  î  Mais,  en  admettant  Tutililé  de  créer  un  fonds  d'a- 
mortissement de  5,000,000  liv.,  et  sans  se  faire  une  bien 
haute  idée  de  la  sagacité  de  M.  Vansittart  et  de  ses  collè- 
gues, on  pouvait  supposer  qu'ils  calculeraient  que  la  de- 
inande  d'un  article  taxédevalt  nalurelleiueiit  s'accroître  par 
la  réduction   de  l'impôt  el  la  diminution  du  prix.    11  est 
certain  toutefois  qu'ils  ont  dédaigné  cette  considération, 
ou  bien  qu'ils  ont  pensé  que  l'élévation  ou  la  modération  des 
prix  était  sans  Importance  pour  la  grande  masse  de  la  nation. 
Cependant  II  est  évident  que  ,  si  ia  consommation  des  mar- 
chandises imposées  augmente  en  raison  de  la  réduction  du 
droit,  le  revenu  ne  diminuera  pas  en  proportion  de  cette 
même  réduction  ;  Il  est   même  probable  qu'il  éprouvera 
un  accroissement   positif  et   considérable.  Si,    après  une 
réductlou  de  1 5  sh.  à  i  osh.  dans  les  droits  sur  lesel,  ^ro/^  bois- 
seaux étaient  consommés  au  lieu  de  deux,  Il  n'y  aurait  pas  de 
diminution  dans  le  revenu  ;  si  deux  boisseaux  étaient  con- 
sommés au   lieu  d'?/«,  il  en  résulterait  une  aii«gnientatIou 
notable  ,  et  le  gouvernement  gagnerait  5oo,ooo  liv. ,  au 
moyen  du  dégrèvement  qu'il  aurait  accordé  aux  contri- 
buables.  Nous  ne   craignons   pas  d'affirmer   que  tel  sera 
toujours  le  résultat  d'une  diminution  dans  les  droits  exces- 
sifs Imposés  sur  les  denrées  d'un  usage  général  ;  nous  som- 
mes prêts  à  démontrer  que ,   loin  d'entraîner  la  moindre 
diminution  dans  les  recettes,  elle  t'ugmenlera  Immédiate- 
ment la  consommation ,  et  sera  ,  par  cela  même  ,  un  des 
moyens  les  plus  efficaces  d'accroître  le  revenu.  La  demande 


et  des  petites  taxes.  53 

des  articles  que  rélévaliou  des  frais  de  producliou  niaiiuient 
à  un  très-haut  prix ,  sera  toujours  assez  bornée ,  et  ne  s'é- 
lèvera pas  considérablement  par  suite  d'une  réduction  dans 
les  droits  que  ces  marchandises  supportent  ;  mais  les  den- 
rées dont  l'usage  est  général  et  qui  n'ont  qu'une  faible 
valeur  intrinsèque ,  figureront  en  bien  plus  grande  quantité 
dans  la  masse  des  consommations ,  du  moment  où  on  ré- 
duira les  impôts  qu  elles  supportent.  En  effet ,  cette  ré- 
duction, eu  même  tems  qu'elle  donnera  aux  consomma- 
teurs ordinaires  les  moyens  d'eu  consommer  davantage, 
mettra  ces  denrées  à  la  portée  de  classes  nouvelles,  et  bien 
plus  nomI)reuses  de  consommateurs.  Que  l'on  consulte  les 
tableaux  publiés  par  le  docteur  Colqulioun ,  et  l'on  versa 
que  la  diminution  de  l'impôt  ou  du  prix  des  marchandises, 
qui  n'étaient  auparavant  consoinmées  que  par  les  hautes 
classes,  eu  augmentera  la  demande  dans  une  proportion 
géométrique,  dès  que  les  classes  inférieures  pourront  à 
leur  tour  en  faire  usage. 

Ce  qui  s'est  passé  à  l'égard  des  tissus  de  coton  prouve  , 
d'une  manière  frappante,  la  vérité  de  cette  observation. 
A  l'avènement  du  feu  roi  ,  eu  1760,  l'élévation  des  frais 
de  production  de  ces  tissus  les  maintenait  à  un  prix  ex- 
cessif, et  il  ne  s'en  vendait  pas  annuellement  pour  piusde 
i),oo,ooo  liv.  (  5,000,000  fr.  )  (1).  Maià,  grâce  au  génie  des 
Margrave  ,  des  Arkwnght  et  des  Watt ,  le  prix  des  tissus 
de  coton  a  tellement  baissé  ,  qu'ils  sont  maintenant  à  la  por- 
tée des  classes  les  plus  jauvres  ,  et  tel  a  été  l'immense 
accroissement  des  demandes  que ,  malgré  cette  réduction 
de  prix,  la  valeur  des  cotons  manufacturés  chaque  année 
dans  la  (irande- Bretagne ,  cl  consommés  dans  l'inlérieur 
ou  exportés,  s'élève,  au  plus  bas,  à  la  somme  énorme  de 

(t)  Annal  s  of  Commerce  ,  par  Macpherson  ,  vol.  IV,  pag.  161. 


54  Produits  comparés  des  taxes  élevées 

4o, 000,000  liv.  (  un  milliard  de  francs)  (i).  Il  est  évident 
que  j  si  cette  même  baisse ,  dans  le  prix  des  tissus  de  coton, 
due  au  perfectionnement  des  machines ,  avait  été  produite 
par  une  réduction  équivalente  dans  l'impôt ,  on  aurait  ob- 
tenu précisément  les  mêmes  résultats ,  le  nombre  des  de- 
mandes se  serait  également  augmenté  et  aurait  plus  que 
compensé  la  diminution  des  droits. 

Mais  il  n'est  pas  nécessaire ,  pour  démontrer  l'influence 
de  la  modération  des  taxes  sur  le  revenu  public ,  de  re- 
courir à  des  argumeas  tirés  des  principes  généraux  de  l'é- 
conomie politique  ;  elle  est  constatée  par  l'histoire  '  de 
l'impôt,  en  Angleterre  et  dans  d'autres  pays.  Ainsi ,  par 
exemple  ,  avant  1743?  l'accise  qui  était  de  4  sh.  par  livre 
de  thé,  rapportait,  année  commune  ,  environ  i5o,ooo  liv. , 
ce  qui ,  s'il  n'y  eût  pas  eu  de  fraude  et  de  contrebande , 
n'aurait  supposé  qu'une  consommation  de  750,000  livres  ; 
mais  il  est  notoire  que  la  contrebande  était  à  cette  époque 
extrêmement  active  ;  et  que  la  consommation  réelle  du  thé 
dépassait  de  beaucoup  la  consommation  apparente.  Pour  ré- 
primer cette  importation  clandestine,  on  présenta,  en  174^^ 
d'après  le  vœu  de  la  chambre  des  communes ,  un  bill  par 
lequel  le  droit  d'accise  sur  le  thé  fut  réduit  de  4  sh.  à  i  sh.  et 
2  5  p.  °lot^d  valorem;  cette  mesure  réussit  au-delà  de  toute 
espérance.  En  i74<3,  la  vente  du  thé  ,  pour  la  consomma- 
tion intérieure ,  s'éleva  à  plus  de  deiia;  millions  de  livres 
pesant,  et  le  produit  de  la  taxe  à  243,5o9  liv.  !  Pour  mieux 
préciser  les  effets  d'une  disposition  aussi  sage  et  aussi  sa- 
lutaire, nous  allons  offrir  un  relevé  du  produit  net  des  droits 
sur  le  thé  ,  de  174^  à  1745  inclusivement. 

(i)NOTE  duTr.  Depuis  1822,  la  vente  des  élolfes  de  coton  s'est 
encore  prodigieusement  accrue.  En  1834»  le  commerce  anglais  en  a 
exporté  pour  près  de  800,000,000  fr.  ,  et  la  consommation  intérieure 
s'est  élevée  à  une  somme  beaucoup  plus  considérable.  Au  commence- 


et  das petites  taxes.  55 

Eu   1 745  c^  produit  s'éleva  à 1 5 1 ,959  liv. 

1^44 •  •  •  •    17^,065 

1745 145, 63o 

1746  (  après  la  réduction  du  droit  ).  .   245, Sog 

1747 • 2^7,947 

1748 3o3,5i5  (1). 

Mais  celte  démonstration  sans  réplique  de  la  supériorité 
des  produits  des  droits  modérés,  était  insuffisante  pour  ré- 
primer l'esprit  de  fiscalité.  Eu  1748,  les  droits  furent  éle- 
vés de  nouveau,  et,  depuis  cette  époque  jusqu'en  1785;, 
ils  flottèrent  de  64  à  1 1  p.  Vq. 

Les  conséquences  de  cette  augmentation  désordonnée 
-  de  l'impôt  ne  sont  pas  moins  instructives  que  les  résultats 
de  leur  réduction.  Le  revenu  n'augmenta  pas  dans  une 
proportion  correspondante,  et  comme  l'usage  du  thé  était 
alors  devenu  général ,  la  contrebande  fut  portée  à  un  degré 
où  on  ne  l'avait  pas  encore  vue.  De  1771  à  1780,  environ 
cent  dix-huit  millions  de  livres  pesant  de  thé  ,  furent  expor- 
tés de  Chine  en  Europe,  sur  des  navires  du  continent,  et 
cinquante  millions  seulement  sur  des  bâtimens  anglais.  Mais 
la  consommation  réelle  fut  en  raison  inverse  des  quantités 
importées  ;  celle  de  la  Grande  -  Bretagne  s'éleva  à  treize 
millions  de  livres  ,  tandis  que  celle  du  continent  n'excédait 
pas  cinq  millions  et  demi.  Il  y  eut  donc  par  an  un  excédant 
de  six  millions  et  demi,  importé  frauduleusement  en  An- 
gleterre, malgré  l'excessive  vigilance  des  douaniers.  Mais 
ce  n'était  pas  là  le  plus  fâcheux  résultat  de  l'exagération 
des  taxes.  Plusieurs  détailleurs  ,  qui  étaient  dans  l'usage 
d'acheter  directement  à  la  Compagnie  des  Indes,  se  voyant 

muni  de  iSaS,  les  demaiides  étaienl  si  nombreuses  ,  que  les  fabiicans 
anglais  avaient  envoyé  des  agens  dans  tous  les  niaixlies  de  l'univers 
pour  y  accanarcr  la  lotalitc  des  cotons  bruts  qui  s'y  trouvaient.      S. 

(i)  Httinillona  t*iindplcs  of  Taxation  ,  appeiidix  ,  11^  uj,"  uitci 
Postlewaile's  Hhlory  of  tin:  Itci-cfiue  ,  j).  293. 


56  Produits  comparés  des  taxes  élevées 

dans  rimpossibilité  de  soutenir  la  concun-ence  dans  les  mar- 
chés, furent  réduits,  pour  lutter  avec  les  fraudeurs  ,  à  mé- 
langer leurs  thés  avec  de  la  prunelle  sauvage  et  des  feuilles 
de  frêne  (i). 

Enfin,  en  1784,  Ips  ministres,  après  avoir  vainement 
tenté  d'opposer  à  la  contrebande  d'autres  mesures  préven- 
tives, revinrent  au  précédent  de  l'y/v^?  et  réduisirent  le 
droit  sur  le  thé  de  119  à  12  1/2  p.  X '  Cette  mesure  ne  fut 
pas  moins  heureuse  que  la  première  j  la  contrebande  et  la 
falsification  cessèrent  aussitôt.  L'état  officiel  ci-joint  prouve 
que  la  quantité  de  thé ,  vendue  par  !a  Compagnie  des  In- 
des ,  fut  à  peu  près  triplée  dans  le  cours  des  deux  années  qui 
suivirent  la  réduction. 

En  1781 ,  ie  thé  vendu  par  la  Compagnie  des  Indes  s'éle- 
vait à 5,025,419  livres 

En   1782 6,283,664 

En  1785 5,857,888 

En   i784(après  la  réduction  des  droits)  10,148,257 

En   1785 16,507,453 

En   1786 15,095,952 

En   1787 16,692,246 

Tandis  que  la  quantité  de  thé  ,  vendu  par  la  Compagnie, 
al'ait  toujours  en  augmentant,  par  suite  de  la  réduction 
du  droit,  celle  importée  de  la  Chine  sur  le  continent  dé- 
croissait plus  rapidement  encore.  Cette  quantité  qui,  eu 
1784,  montait  à  19,027,500  livres,  descendit,  en  1791  , 
à  2,291,500  livres  (2)  î 

Les  droits  sur  le  thé ,  dans  les  cinq  ou  six  années  qui 
précédèrent  1780,  produisirent  environ  700,000  liv.  par 
an  5   et,    dans  le  même  tems  où  le  Parlement   réduisait 

(i)  Macpherson's  Commerce  with  Iiidia  j).  208.  Milburn's  Orieiilat 
Commerce ,  vol.  II ,  pag.  54o. 

(2)  Hlacpherson's  Commerce  with  India ,  pag.  i^G. 


et  des  petites  taxes.  5 7 

ces  droits  à  12  1/2  p.  ^f"  ,  il  mettait  un  impôt  additionnel 
sur  les  fenêtres  ,  que  Ton  estimait  devoir  produire  Goo. 000  1., 
comme  taxe  de  commutation  ,  pour  combler  le  déficit  que 
l'on  supposait  devoir  avoir  lieu ,  pour  ime  somme  égale , 
par  suite  de  la  réduction  du  droit  sur  le  thé.  Mais ,  au  lieu 
de  tomber  dans  ia  proportion  de  119  à  12  1/2,  ou  de 
700,000  liv.  à  70,000  liv.  ,  le  produit  de  Timpôt  sur  le 
thé ,  grâce  à  l'accroissement  de  la  consommation  ,  ne 
tomba  que  dans  la  proportion  d'environ  deux  à  un ,  ou  de 
700,000  liv.  à  540,000  liv.  î  lu  acte  de  commutation  a  tou- 
jours été  regarde  ,  avec  justice  ,  comme  une  des  plus  heu- 
reuses mesures  financières  qui  aient  été  adoptées  sous  l'ad- 
ministration de  M.  Pitt.  On  pensa  généralement  que  ce 
plan  avait  été  suggéré  par  M.  Richardson ,  chef  de  la 
comptabilité  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales.  Mais 
la  popularité  de  la  mesure  fut  si  grande  ,  qu'elle  détei'mina 
plusieurs  personnes  à  en  revendiquer  l'honneur ,  et  que 
même  elle  occasioua  des  discussions  très -vives  dans  la 
Chambre  des  Communes.  Et  cependant ,  le  mérite  de  la 
première  idée  de  ce  plan  n'appartenait  réellement  ni  à 
M.  Richardson ,  ni  à  aucun  de  ceux  qui  se  l'attribuèrent  ; 
et  celui  de  nos  lecteurs  qui  voudra  prendre  la  peine  de 
lire  une  brochure  de  Sir  Matthew  Decker  {Considérations 
séi  ieuses  sur  les  droits  élevés  d' aujourd'hui^ ,  publiée  en  1 7  4^  > 
reconnaîtra  que  ia  mesure  adoptée  en  1784  avait  été  for- 
tement réclamée,  quarante  ans  auparavant. 

Mais  on  perdit  bientôt  de  vue  le  principe  de  ïacte  de 
commutation.,  et  l'avantage  évident  qu'on  avait  recueilli 
de  la  réduction  du  droit.  En  1795,  ce  droit  fut  élevé  à 
25  p.  o/°>  tt,  après  plusieurs  augmculatious  successives  en 
1797,  '798,  1800  et  i8o5,  il  fut  porté,  eu  i8ot),  à 
96  p.  0/°  >  ce  qui  dura  jusqu'en  iSiy,  où  on  l'éleva  à 
100  p.  X- 

Rien  que  le  droit  sur  le  thé  donne  de  nos  jours  un  pro- 


58  Pwduits  comparés  des  taxes  élevées 

diiit  fort  supérieur  à  celui  de  1795,  on  est  fondé  à  cron-e 
que  cette  branche  de  revenu  aurait  été  bien  plus  considé- 
rable, si  !e  droit  eût  été  moins  élevé.  En  1790  et  i"96, 
la  Compagnie  vendit  20,000,000  de  livres  de  thé  par  an  ; 
en  1799,  environ  25,ooo,ooo.  Depuis  lors,  il  n'en  a  pas 
été  vendu  annuellement  une  plus  grande  quantité.  Eu  ef- 
fet, nous  lisons,  dans  le  rapport  fait  à  la  Chambre  des 
lords  sur  Is  commerce  des  Indes  Orientales  (  p.  554  )  •> 
que  la  quantité  moyenne  de  thé  vendue  par  la  Compagnie, 
on  1818,  1819  et  i8'io,  a  été  au-dessous  de  a5  millions 
de  livres  par  an.  Cependant  la  population  de  la  Grande- 
Bretagne  qui,  d'après. le  dernier  recensement  ,  s'élève  à 
14,579,000,  n'était  que  de  10,817,000  en  1800;  si, 
dans  l'intervalle ,  la  consommation  individuelle  du  thé  de 
la  Compagnie  n'eût  pas  diminué ,  les  quantités  annuelle- 
ment vendues  par  elle  auraient  suivi  la  progression  de 
10,817,000  à  15,379,000  et  se  seraient  élevées  de  25 
à  33  millions  de  livres.  Ce  n'est  pas  tout  :  les  ventes  faites 
par  la  Compagnie  alimentent  !e  marché  de  l'Irlande;  et , 
si  nous  tenons  compte  de  l'excessif  accroissement  de  la  po  - 
pulation  dans  cette  partie  de  l'empire ,  la  diminution  de 
la  consommation  paraîtra  plus  frappante  encore. 

Mais ,  quoique  les  ventes  faites  par  ia  Compagnie  soient 
restées  stationnaires  depuis  1795,  l'opinion  générale  est 
que  la  consommation  individuelle  du  thé,  ou  plutôt  du 
mélange  vendu  sous  ce  nom ,  n'a  pas  diminué  considé- 
rablement dans  les  villes,  tandis  qu'elle  s'est  beaucoup 
accrue  dans  la  campagne.  Il  est  clair  que  ce  surcroît  de 
consommation  n'a  pu  être  alimenté  que  par  ia  contre- 
bande ou  par  la  falsification.  Mais,  pendant  les  dernières 
années  de  la  guerre  ,  la  contrebande  était  presqu'impos- 
sible  ;  depuis  la  paix,  elle  a  été  trcs-diflicilc ,  grâce  à  la 
force  organisée  sur  toutes  nos  côtes,  pour  empêcher  Tim- 
portalion  frauduleuse  des  iliés  étrangers.  liC  vide  causé  par 


et  des  petites  taxes.  5r) 

l'exagération  des  droits  a  doue  été  comblé  en  grande  partie 
par  des  mixtions  iraudulenses.   En  effet ,   ou  est  fondé  à 
croire  que  la  falsification  obérée,  en  mêlant  avec  ie  thé 
des  feuilles  de  frêne,  de  prunelle  et  de  thé  séché,  après 
une  première  infusion  ,  est  devenue  aujourd'hui  bien  autre- 
ment communs  qu'en  1 784  j  et  ce  qui  !e  prouve  ,  c'est  qu'à 
Londres,  eni8i8  ,  plus  de  vingt  épiciers  furent  convaincus 
d'avoir  des  thés  falsifiés  dans  leurs  magasins.  Dans  l'affaire 
A'Owen,  le  conseil  du  prévenu  (M.  Lawes)  déclara  que 
cet  usage  était  si  général ,  que  son  client  ignorait  qu'il  fût 
défendu  par  aucune  loi.  D'autres  délits  du  même  genre  ont 
été  depuis  juridiquement  constatés  ;   mais  le  remède  du 
mal  n'est  pas  au  pouvoir  des  tribunaux.  Les  ministres  veu- 
ient-ils  sincèrement  prévenir  la  falsification  ?  qu'ils  suivent 
l'exemple  dePitt,  et  réduisent  les  droits  actuels  de  5o  ou 
60  p.  7^.  L'expérience  des  réductions  de  1745  et  1 784  ga- 
rantit que  celle  qu'on  opérerait  n'entraînerait  point  une  di- 
minution équivalente  dans  les  revenus  de  l'état  ;  loin  de  là , 
en  portant  un  coup  mortel  à  la  contrebande  et  à  la  falsifi- 
cation ,  elle  contribuerait   puissamment  à  l'extension  du 
commerce  de  notre  pavs  avec  la  Chine,  en  même  tems 
qu'elle  serait  un  grand  soulagement  pour  ies  classes  infé- 
rieures ,   pour  lesquelles  le  thé   est  devenu  un  article  de 
première  nécessité. 

Nous  sommes  entrés  dans  quelques  déveldppemens  à  l'é- 
gard des  droits  imposés  sur  le  thé,  parce  que  les  ventes  de 
ia  Compagnie  des  Indes  constatent ,  d'une  manière  positive, 
l'influence  qu'ils  ont  eue  sur  la  diminution  et  l'accroisse- 
ment de  la  consommation.  Ces  résultats  sont  à  la  fois  cu- 
rieux et  Instructifs,  et  ils  suffiraient  seuls  pour  établir  la 
vérité  de  l'observation  de  Swift,  que,  dans  les  comptes  de 
douanes,  deux  et  deux  ne  font  pas  toujours  quatre  et  que 
souvent  même  ils  ne  font  pas  un. 

Les  vues  courtes  et  étroites  qui  ont  presque  constannnent 


6o  Produits  comparés  des  taxes  éleçdes 

déterminé  les  mesures  des  minisires ,  ne  nous  permettent 
pas  malheureusement  de  citer  beaucoup  de  faits  aussi  con- 
cluans  que  ceux  que  nous  venons  de  rapporter,  pour  prou- 
ver la  supériorité  des  produits  des  taxes  réduites.  Il  en  est 
cependant  un  ou  deux  encore  que  nous  ne  devons  pas  né- 
gliger. En  1742,  les  gros  droits  imposés  sur  les  liqueurs 
spiritueuses  et  sur  le  commerce  de  détail  de  ces  liqueurs  , 
furent  abolis  et  remplacés  par  d'autres  très-modérés,  dans 
l'espoir  que  ia  recette  s'augmenterait  par  Vaccroissement  de 
la  consommation  légale.  Les  évêques  s'opposèrent  avec 
force ,  dans  la  chambre  haute,  à  l'adoption  de  cette  mesure  ; 
mais  ce  fut  vainement,  et  bientôt  l'augmentation  du  pro- 
duit de  la  taxe  et  la  diminution  de  la  contrebande  démon- 
trèrent qu'elle  avait  des  effets  également  avantageux  pour 
le  revenu  public  et  pour  la  moralité  du  peuple.  En  1787  , 
M.  Pitt  diminua  le  droit  sur  les  vins  et  sur  les  esprits  ,  de 
5o  p.  o/"»  <?t  cependant  le  produit  augmenta  considérable- 
ment. Les  résultats  de  l'élévation  du  droit  sur  le  calé  sont 
encore  plus  remarquables.  En  i8o5,  on  l'augmenta  d'un 
tiers,  et  le  produit,  au  lieu  de  s'élever  dans  la  même  pro- 
portion ,  diminua  d'un  huitième.  A  la  fin  on  sentit  que  le  café 
avait  été  surtaxé  ,  et  on  réduisit  le  droit,  de  deux  shellins 
à  sept  deniers.  Les  effets  de  cette  mesure  furent  immédiats  ; 
le  produit  moyen  des  trois  années  pendant  lesquelles  on 
avait  maintenu  l'élévation  du  droit,  fut  de  iG6,ooo  liv. 
sterlings  ,  et  le  produit  moyen  des  trois  années  qui  suivirent 
la  réduction,  fut  de  \cp,ooo  liv.  3  ce  qui  prouve  que  la 
consommation  avait  quadruplé. 

L'histoire  des  finances  des  autres  pays  n'est  jias  moins 
instructive.  En  1775,  M.  Turgot  réduisit  à  moitié  les 
droits  sur  le  poisson  qui  se  vendait  dans  les  marchés  de 
Paris,  et,  malgré  celte  réduction,  le  produit  de  ces  droits 
ne  fut  pas  diminué.  Qu'en  conclure,  si  ce  n'est  que  la 
demande  pour  cet  aliment  agréable  et  nutritif  avait  doublé  , 


et  des  petites  taxes.  6 1 

luissilot  que  les  consomiîjateurs  avalenl  pu  se  le  procurer 
à  meilleur  marché  ? 

Ustariz  domie  des  détails  fort  intéressaiis  sur  les  effets 
désasti^eux  qu'ont  eu  certaines  faxes ,  pour  l'industrie  de 
l'Espagne,  et  sur  les  bons  résultats  de  raboiition  ou  de  la 
réduction  de  quelques  autres.  Nous  citerons  un  seul  fait  : 
«  Quoique  le  royaume  de  Valence,  dit-il,  soit  fort  peu 
abondant  en  grains  et  en  bestiaux  ,  et  quoique  son  étendue 
n'égale  pas  les  deux,  tiers  du  royaume  d'Aragon,  il  verse 
cependant  des  sommes  beaucoup  plus  considérables  au 
trésor  royal.  Cela  vient  de  la  situation  florissante  du  com- 
merce et  des  manufactui-es  de  cette  province  j  situation  qui 
est  îe  résultat  de  la  réduction  des  taxes  sur  la  viande  et 
autres  denrées  alimentaires,  et  de  l'entière  abolition  de  celle 
qui  pesait  sur  le  pain,  et  de  tous  les  impôts  désignés  sous 
îe  nom  de  droits  anciens.  Ces  droits  furent  eu  partie  rem- 
placés par  d'autres  plus  modérés  et  plus  convenablement 
établis,  et  ces  différentes  mesures  améliorèrent  à  la  fois  la 
condition  du  peuple  et  le  revenu  public  (i).  n 

La  supériorité  du  produit  des  petites  taxes  ,  lorsqu'elles 
sont  imposées  sur  des  marchandises  d'un  usage  général  , 
peut  aussi  être  démontrée  par  les  résultats  des  tentatives 
faites  pour  augmenter  ces  taxes  au-delà  de  leurs  véritables 
limites.  L'histoire  des  droits  sur  le  sucre  est ,  sous  ce  rap- 
port, fort  curieuse.  Dans  les  trois  années  qui  suivirent 
i8o5,  les  droits  sur  cet  article  furent  augmentés  d'environ 
5o  p.  °/g.  Le  produit  moyen  des  trois  années  qui  précédè- 
rent l'augmentation,  avait  été  de  2,7^8,000  liv.  Le  produit 
de  1824,  après  qu'ils  avalent  été  augmentés  de  20  p.  °/o , 
ne  fut  pas  de  5, 555, 000  liv. ,  comme  cela  aurait  dû  être  si 
la  consommation  était  restée  la  même ,  mais  seulement  de 
3,587,000,  c'est-à-dire  de  241,000  liv.  de  moins  qu'avant 

(  I  )  Théorie  rt  pratique  du  ('nninierre. 


62  Produits  comparés^  des  taxes  élevées 

rélévatîon  du  droltj  et  lorsqu'en  1806  et  1807  ce  droit  fut 
de  5o  p.  °/o  au-dessus  de  ce  qu'il  était  en  i8o5  ,  le  produit 
fut  seulement  de  5,i55,ooo  iiv.,  au  lieu  de  4-,  167,000  liv.  , 
comme  il  eût  été  ,  s'il  u'j  avait  pas  eu  de  diminution  dans  la 
consommation.  Ainsi,  en  i8o4  ,  la  consommation  et  le 
revenu  ont  diminué;  et,  dans  les  deux  années  suivantes,  le 
revenu  s'est  fort  augmenté ,  et  la  consommation  a  été  con- 
sidérablement réduite.  Les  droits  sur  le  verre  ont  été  dou- 
bles en  i8i5,  et  le  produit  est  à  peu  de  chose  près  resté 
le  même.  Les  taxes  sur  le  cuir,  après  avoir  été  station - 
naires  penlant  un  siècle,  furent  doublées  en  i8i5.  En  1812, 
les  anciens  droits  avaient  produit  3g4,ooo  fr.  Les  nouveaux 
auraient  dû  produire  788,000  Iiv.  f  mais,  depuis  cette  épo- 
que ,  Ils  ont  rarement  dépassé  un  demi-million,  et  plusieurs 
fois  ils  ont  été  au-dessous. 

Les  taxes  sur  les  A'ins  étrangers  ont  été  triplées  depuis 
1792.  La  dernière  augmentation  a  eu  lieu  en  i8i5,  lors- 
qu'on augmenta  de  5o  Iiv.  l'ancien  droit  sur  les  vins  de 
France ,  et  de  20  Iiv.  celui  auquel  était  imposé  le  vin  de 
Portugal.  Le  lecteur  pourra  se  faire  ime  idée  de  l'eifet  de 
cette  augmentation ,  en  prenant  connaissance  du  tableau 
suivant  du  nombre  de  tonneaux  importés  dans  la  Grande- 
Bretagne,  de  1809a  1820  inclusivement,  de  ceux  qui  ont 
été  exportés ,  et  de  ce  qui  est  resté  pour  la  consommation 
intérieure. 


Ton.  importés.        Jd.  Riexportcs.         Id.  Restés  pour  Consommation 

la  consom.  iiilér.  moyenne   pendant  le 

cinq     ans      antérieur 

va   iSi5. 

180Q — 49)7^2 14, Soi 35,261 

1810 — 47)058 '^>7^9 34)^^9 

1811—20,787 5,928 i4,S44 

1812 — 35,082 6,716 28,366    \   28,489  tonn. 

i8i3— Les  comptes  île  cette  année   ont  été'  dé- 
truits par  le  feu. 
1814— 3i,465 1 1,838 29,627 


et  des  petites  taxes.  63 


Ton.  importés.  1,1.  Réexporli'-s.  1,1.  Restés  pour  CnnsommatioQ 

la  consommation  moyenne  pendant  le 


■mq    ans     postérieurs 

1  iSi.ï. 


'.0,874 5,855 25,019 


1816 — 18,218; 5,160. .  . , i3,o55 

18 17 — 27,073.. .    4>4^7 22,616 

t8i8 — 35,763 4>o2i 3i,742    ^  21,027  lonn. 

1819—23,408 3,840 19)56- 

1820 — 22,782 4)6^5 18,157 

Diminution  moyenne  de  la  consommation  an- 
nuelle, pendant  les  cinq  années  postérieures 
ài8i5 I 7,4^'-' 

Il  résulte  de  ces  tableaux  que  Taugmentation  des  droits 
.sur  le  vin  ,  eu  i8i5,  a  occasioné  uue  diminution  moyenne 
dans  la  consomnaatlou  annuelle  ,  de 'j, 4^2,  ou  à'iui  quart 
de  la  quantité,  consommée  annuellement  pendant  les  cinq 
ans  qui  ont  précédé  l'augmentation.  Voyons  maintenant 
si  cette  diminution  des  jouissances  du  peuple  a  été  com- 
pensée par  Taccroissemeat  du  revenu  public. 

Le  produit  des  droits  d'accise  imposés  sur  les  vins  con- 
sommés en"  Angleterre,  de  1810  à  1820  inclusivement,  a 
été  comme  il  suit  : 

Pinduit  moyen  du  droit  ,  pendant  les  riiKj 
•TUS  antérieurs  à  i8i5. 

1810.  Liv.  st 1,406,41 7 

181  £ i,2i5,5o7 

'812 i,o65,i5o    ^     Liv.  st.  1,162,382. 

i8i3 1,061,604 

i8i4 i,o65,223 

l8l5 1,277,481  ^''-  Pendant  les  cinq  années  poster,  à  iSi5. 

i8i6 943,987 

1817 928,473 

'818 1,195,427  y     Liv.  st.  i,o2o,5.'{o. 

1819 i,o85,5oo 

•^*o 949v'Î28 


64  Produits  comparés  des  taxes  élevées 

Le  produit  moyeu  du  droit  d'accise  ,  pendant  ies  cinq 
années  antérieures  à  i8i5,  a  été  de  1,162,382  liv,  st.  j  le 
produit  mojen  du  même  droit,  pendant  ies  cinq  années 
postérieures,  a  été  de  i,0'30,54.o  liv.  st.  Ainsi  le  revenu, 
loin  de  s'accroître,  a  diminué  de  i4  1,842,  par  suite  de 
l'augmentation  de  l'impôt. 

Les  effets  de  l'augmentation  des  droits  de  douanes  ,  sur 
le  même  article,  ne  sont  pas  moins  frappans.  En  i8i4  , 
avant  l'augmentation,  le  produit  des  perceptions  faltespar  les 
douanes  sur  les  vins  étrangers  s'était  élevé  à  i,oÔi,4i6  liv.5 
en  1816,  après  l'augmentation,  il  ne  fut  plus  que  de 
78o,258liv.;  et,  excepté  eu  i8i8oùilmontaà  1,066,894  liv., 
jamais  depuis  il  n'a  atteint  un  million. 

Il  est  inutile  de  faire  des  commentaires  sur  des  faits 
aussi  décisifs.  Ces  faits  prouvent  de  la  manière  la  plus  évi- 
dente que  le  revenu  public,  les  jouissances  du  peuple  et  le 
commei'ce  du  pays  ,  ont  également  été  diminués  par  l'ex- 
tension des  taxes  ,  et  nous  devons  supposer  qu'ils  s'augmen- 
teraient si  ces  taxes  étaient  réduites. 

.Mais  toutes  les  parties  de  notre  système  financier  four- 
nissent également  des  preuves  des  incouvéniens  de  l'exagé- 
ration des  impôts.  Nous  dirons  quelques  mots  des  fâcheux 
effets  qu'ont  eus  les  droits  qu'on  a  imposés  sur  le  sel  :  ces 
droits  furent  établis  dans  le  principe  ,  comme  taxe  tem- 
poraire ,  sous  le  règne  de  Guillaume  III  5  mais  le  fisc  les 
trouva  bientôt  trop  avantageux  pour  vouloir  y  renoncer, 
et  on  les  convertit  en  taxe  perpétuelle ,  dans  la  première 
partie  du  règne  de  George  II.  A  l'avènement  du  feu  roi , 
ils  montaient  à  ^  sh.  par  boisseau,  et  on  les  maintint  à  ce 
taux  jusqu'en  1798,  époque  à  laquelle  ils  furent  portés  à 
10  sh.  Un  comité  de  la  chambre  des  communes  fut  chargé 
d'informer  sur  les  effets  qu'avaient  eus  ces  taxes.  M.  Van- 
sittart ,  actuellement  chancelier  de  l'Echiquier,  fut  nommé 
chairman  (  président  )  du  comité,  et  il  fit  un  rapport  dans 


et  des  petites  taxes.  G5 

lequel  il  réclamait  fortement  l'abolition  absolu?  de  Ces 
droits. Mais,  au  lieu  de  prendre  en  considération  les  obser- 
vations du  comité,  M,  Pitt  mit ,  en  i8i5,  un  droit  addiliou- 
iiel  de  5  sb.  sur  cet  article,  ce  qui  porta  le  droit  à  i5  sh. 

Nous  ne  croyons  pas  que ,  parmi  les  innombrables  taxes 
qui  pèsent  sur  les  peuples  de  la  Grande-Bretagne,  il  y  en 
ait  aucune  qui  soit  plus  funeste.  Le  sel  est  une  des  choses 
les  plus  nécessaires  à  la  vie,  et ,  comme  il  est  indispensable 
à  l'assaisonnement  des  viandes  froides ,  du  beurre ,  du 
fromage  ,  etc. ,  les  classes  pauvres  en  font  un  plus  grand 
usage  que  les  riches,  et  cependant  on  n'a  pas  craint  de 
surcharger  cet  article  de  droits  qui  montent  au  moins  à 
trente  ou  trente-cinq  fois  sa  valeur.  Sans  la  taxe  de  i5  sh, , 
le  sel  pourrait  être  acheté  à  4  sous,  ou,  du  moins,  à  G  sous  le 
boisseau»  La  Pologne  exceptée ,  l'Angleterre  a  les  plus  ri- 
ches mines  de  sel  de  l'Europe ,  et,  malgré  cela,  il  s'y  vend 
plus  cher  que  dans  aucune  autre  partie  du  monde.  Grâce  à 
l'avidité  du  fisc,  les  bienfaits  de  la  Providence  n'ont  en 
d'autres  résultats  que  la  misère  et  le  crime.  Malgré  la  vi- 
gilance des  employés  de  l'accise  et  la  sévérité  des  punitions 
qu'infligent  les  lois  fiscales  ,  il  est  certain  qu'il  n'y  a  pas 
plus  du  tiers  du  sel  consommé  dans  la  Grande-Bretagne, 
qui  acquitte  le  droit.  La  valeur  de  la  totalité  est  artificiel^ 
lement  augmentée;  mais  les  contributions  du  public  sont 
divisées  entre  le  trésor  et  les  contrebandiers,  et  tandis 
qu'une  armée  d'employés  fait  ses  perceptions  sur  environ 
5o,ooo  ton. ,  la  contrebande  impose  des  droits  moins  éle- 
vés,  quoique  cependant  fort  considérables,  sur  à  peu  près 
100,000  ton.  Il  résulte  de  cet  état  de  choses,  qu'indépen- 
damment des  i,5oo,oooliv.  (3G, 000, 000  fr.  )  que  les  droits 
sur  le  sel  font  entrer  au  trésor,  une  autre  somme,  aa 
moins  égale ,  est  prélevée  sur  les  classes  industrieuses  de 
la  nation  par  un  amas  do  voleurs  et  de  bandits  qui  se  la 
partagent. 

I.  5 


G(j  Produits  comparés  des  taxes  élevées 

r^e.s  droits  sur  le  sel  n'ont  pas  seulement  Tinconvcnien! 
lie  dégratler  le  caractère  moral  du  prolétaire  ,  en  le  pous- 
sant à  entrer  dans  la  funeste  carrière  des  contrebandiers , 
carrière  qui  conduit  presque  toujours  à  la  potence  ;  ils  sont 
aussi  extrêmement  préjudiciables  à  quelques-unes  des  prin- 
cipales branches  de  l'industrie  du  pays.  Malgré  les  immen- 
ses sommes  employées  en  primes,  drawbacks,  etc. ,  etc. , 
pour  encourager  les  pêcheries  ,  il  est  vraisemblable  qu'elles 
n'atteindront  jamais  an  certain  degré  de  prospérité,  tant  que 
les  droits  actuels,  sur  le  sel,  ne  seront  pas  abolis.  M.  Carter, 
un  des  principaux  saleurs  de  poisson  de  Londres,  termine  le 
tableau  fort  exact  des  fâcheux  effets  qu'ont  eus  ces  droits  sur 
les  pêcheries ,  en  disant  que  ,  si  elles  ont  pu  se  maintenir, 
malgré  tant  de  difficultés  et  de  circonstances  découra- 
geantes,  elles  recevi'aient,  sans  aucun  doute,  un  prodi- 
gieux accroissement ,  si  elles  étaient  émancipées  par  l'abo- 
lition de  ers  taxes.  L'auteur  bien  informé  de  X Aperça  des 
Hébrides  ,  M.  Macdonald,  assure  que,  faute  de  sel,  plusieurs 
milliers  de  barils  des  plus  beaux  harengs  du  monde  sont 
perdus  toutes  les  semaines  ,  dans  la  saison  de  la  pêche. 
«  J'ai  vu,  dit-il,  des  cargaisons  tout  entières  jetées  dans  la 
mer,  dans  un  état  de  pulridité ,  et  d'autres  employées 
comme  engrais  dans  des  champs  de  pommes  de  terre  ,  par 
suite  de  l'impossibilité  où  étaient  les  pêcheurs  de  trouver 
caution  pour  le  sel  qui  leur  était  nécessaire.  »  Tels  sont  les 
déplorables  résultats  des  taxes  oppressives  que  les  ministres 
sont  parvenus  à  maintenir  au  moyen  d'une  majorité  de 
quatre  voix. 

l'Lu  France  ,  avant  la  révolution  ,  la  consommation 
moyenne  du  sel ,  dans  les  provinces  soumises  à  la  grande 
o-ahelle ,  s'élevait  par  an,  suivant  l'estimation  de  M.  Necker, 
qui  avait  été  plus  qu'un  autre  à  même  d'être  bien  informé, 
à  7  liv.  i/6,  età  i8  liv.  dans  les  -çToymces i-édiméfis ,  c'est- 
à-dire  dans  celles  qui  avaient  acheté  l'exemption  de  la  plus 


et  des  petites  taxes.  G7 

ibrle  partie  de  ces  odieuses  taxes.  D'après  ces  documens 
authentiques ,  il  est  évident  qu'on  eût  pu  réduire  cousidé- 
rablemeut  le  droit  sur  le  sel  dans  les  provinces  surtaxées, 
sans  qu'il  en  résultât  aucune  diminution  dans  le  revenu  : 
et,  en  même  tems  que  la  condition  du  peuple  se  serait 
améliorée ,  le  gouvernement  eût  été  déchargé  de  Tobliga- 
tion  d'entourer  des  provinces  particulières  de  cordons  de 
troupes  ;  car  cette  opération  aurait  arrêté  tout-à-coup  !a 
contrebande ,  qui  faisait  chaque  année  condamner  trois  à 
quatre  cents  individus  à  la  prison  et  aux  galères.  Mais 
notre  législation  actuelle  sur  le  sel ,  quoique  moins  par- 
tiale ,  est  encore  plus  oppressive  que  ne  l'était  celle  de  la 
France;  car,  par  le  fait,  toute  l'Angleterre  se  trouçe  soumise 
à  la  grande  gabelle.  W  y  a  environ  5o,ooo  ton .  qui  acquittent 
le  droit.  Répartis  entre  les  douze  millions  d'habltans  qui 
composent  la  population  de  l'Angleterre  et  du  pajs  de 
Galles,  ils  donnent  9  liv.  i/5  par  individu,  ce  qui  est,  à  bien 
peu  de  chose  près ,  la  même  quantité  que  celle  qui  était 
consommée  autrefois  dans  les  provinces  françaises  soumises 
aux  gros  droits.  Mais  le  prix  naturel  du  sel  est,  eu  Angle- 
terre ,  bien  moins  élevé  qu'en  France,  et  nous  faisons  une 
bien  plus  grande  consommation  de  provisions  salées  que 
les  Français.  Aussi  nous  ne  croyons  pas  exa-'^érer  en  affir- 
mant que  si  les  droits  étaient  réduits  à  5  ou  4  sh.  par  bois- 
seau, la  consommation  moyenne  serait  par  individu  de  20  à 
24  !iv.  D'où  il  résulte  que ,  malgré  la  diminution  de  la  taxe 
le  produit  serait  toujours  à  peu  près  le  même.  La  contre- 
bande serait  tout-àfait  découragée  par  l'adopllon  de  cette 
mesure,  et  le  public  ne  paierait  plus  une  sommedeux  ou  trois 
fols  plus  forte  que  celle  qni  entre  dans  les  caisses  du  trésor. 
Mais  c'est  surtout  en  consultant  les  annales  financières 
de  l'Irlande  que  nous  pourrons  nous  former  une  idée  exacte 
de  la  manière  dont  l'exagération  des  taxes  réduit  le  re- 
venu. Depuis  1807.  on  a  imposé  sur  ce  royaume  dos  con- 


68  Produits  comparés  des  taxes^'^èlevées 

tribulious  dont  le  produit  ,  suivant  les  estimations  des 
ministres,  devait  s'élever  à  3,5oo,ooo  liv.  ster.  Les  e'tats 
suivans  feront  voir  comment  ces  espérances  ont  été  réa- 
lisées. 


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et  des  petites  taxes.  69 

Les  taxes  imposées  en  Irlande  devaient  procurer,  sni- 

vant  les  estimations  ministérielles,  les  recettes  suivantes  : 

Droits  imposés  en   1808 — Liv.  st 363, 000 

Jd.  En  1809 — 600,000 

Id.En  1811 — 338,000 

là. 'En  i8ia— 229,000 

Id.  En   i8i3 — 595,000 

Id.En  1814 — 521,000 

/</.  En  i8i5 — 73o,ooo 

3,376,000 

De  cette  somme,  nous  avons  déduit  400,000  liv.  de  taxes 
qui  ont  été  abolies  à  la  fin  de  la  guerre.  Si  les  données  sur 
lesquelles  les  ministres  fondaient  leurs  estimations,  eussent 
été  exactes ,  ou,  ce  qui  est  lu  même  chose  ,  si  le  pays  eût 
pu  supporter  ce  nouveau  fardeau  ,  le  revenu  de  Tlrlande 
aurait  été,  en  1817,  1818,  1819,  1820  et  1821,  de  3  mil- 
lions plus  élevé  qu'en  1807.  Mais  les  états  officiels  que  nous 
venons  de  mettre  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs ,  montrent 
que  les  taxes  additionnelles,  au  lieu  de  produire  5  mil- 
lions, n'ont  pas  produit  un  seul  shelling!  au  contraire  ,  le 
revenu  de  Tlrlaude  était,  en  1807,  avant  les  nouveaux 
impôts,  de  ^,3'j8/2^i  liv.,  et  eu  1821  il  n'était  que  de 
3,8445889  liv.  Ainsi  au  lieu  d'une  augmentation  de  3  mil- 
lions ,  il  y  avait  eu  une  diminution  de  555,552  liv. .' 

Yoilà  certes  vii  exemple  assez  frappant  de  la  folie  qu'il 
y  a  à  vouloir  imposer  de  nouvelles  charges  à  un  pays  qui 
succombe  déjà  sous  le  poids  des  anciennes.  Si  les  ministres 
avaient  fait  un  effort  vigoureux  pour  réveiller  l'énergie  as- 
soupie de  la  population ,  pour  lui  inspirer  du  goût  pour 
les  jouissances  et  les  commodités  de  la  vie  civilisée  ,  et  pour 
faire  disparaître  quelques-unes  des  causes  d'irritation  qui 
orit  porté  le  trouble  dans  ce  malheureux  pays ,  les  résul- 
tats eussent  été  bien  différens  ,  et  toutes  les  classes  de  la  sq- 


70  Produits  comparés  des  taxes  élevées 

ciéte  ue  se  seraient  pas  de  plus  eu  plus  enfoncées  dans  l'a- 
bîme de  la  pauvreté  et  de  la  naisère. 

Le  tableau  suivant  contient  le  détail  des  diminutions  qui 
ont  eu  lieu  dans  la  consommation  des  articles  dont  les  droits 
ont  été  augmentés,  et,  par  suite,  dans  le  produit  de  ces 
droiîs.  Ces  documens  sont  extraits  des  livres  de  la  douane 
et  de  l'accise  d'Irlande  ;  il  en  est  bien  peu  qui  offrent  vm 
aussi  haut  degré  d'intérêt  et  d'instruction. 


I.VDICATIO-V 

DTS^RTICLES 


Rhum 

Eau-de-vie. . .  .  • 

Qenièvre 

Vins  de  Portugal 

— —  de  France 

de  Madère 

d'Espagne 

Sucre 

Tabac 

Espriu  faits  dansTintérieur 

DrècUe 

Thé 

Total 


Consoiuma- 
ioa  moyenne 
avant     Taug- 
mentation 
des  droits. 


,000,000 

208,000 

83,000 

5,700 

6/(0 

95 

i,i6o 

338,000 

6,484,000 


Consomma- 
tion depuis 
l'augmeuta- 
tiou. 


266. 
2,4.4 


3,000  gai 
B,ooo  id. 
^,000  id. 

I,20OtOU 

63 
720 
000 
,000 


Produit 

moyen    des 

droits  avant 

l'augmenla- 

tion. 


liv.st. 

297,700 

77,000 

3 1 ,000 
268,000 

38,000 
g,3oo 
100,000 
379,000 
744,600 
1,236,000 
362,000 
527,000 


4,069,600 


Produit 

depuis 

Taugmenta- 

tiou. 


liv.st 
i6,5oo 

5,600 

2,800 

1 18,000 

20,000 

6,000 

70,000 

404,000 

677,000 

[,170,000 

3io,noo 

451,000 


Ainsi  Taugmentation  des  taxes  sur  les  articles  ci-dessus 
a  fait  perdre  chaque  année,  au  trésor ,  terme  moyen ,  une 
somme  de  818,700  liv.  st.  !  Il  n'y  a  que  le  produit  du  sucre 
qui  ait  reçu  quelqu'augmentatioii. 

Il  est  impossible  qu'on  laisse  les  ministres  persévérer  dans 
ce  système  insensé.  N'esl-il  pas  monstrueux  de  priver  tout 
un  peuple,  par  des  contributions  énormes,  de  la  plupart 
des  agrémens  de  la  vie  et  de  quelques-unes  des  choses  qui 
y  sont  le  plus  nécessaires  ,  sous  le  prétexte  stupide  de  con- 
server intact  le  revenu  public  ,  lorsqu'il  est  aussi  clair  que 


et  des  petites  taxes.  71 

le  jour  qu'au  lieu  de  diminuer  il  augmenterait  beaucoup , 
si  ces  conlributioDs  étalent  réduites  7  M.  Spring  Rice  a 
observé,  avec  liaison  ,  que  le  chancelier  de  l'Echiquier  était 
l'allié  le  plus  actif  du  capitaine  Rock  (i)  i  car  il  est  hors  de 
doute  que  les  privations  extraordinaires  auxquelles  l'Ir- 
lande a  été  obligée  de  se  soumettre  ,  par  suite  de  l'accrois- 
sement des  taxes  ,  ont  été  les  causes  principales  delà  guerre 
civile  qui  la  dévore.  Et  à  quelle  fin  M.  Vansittart  s'est- il 
fait  l'allié  du  capitaine  Rock?  Pourquoi  a-t-il  forcé  les  Ir- 
landais de  renoncer  aux  jouissances  des  peuples  civilisés  ? 
Encore  si  le  revenu  public  se  fût  accru ,  c'eût  été  une  com- 
pensation ,  bien  misérable  sans  doute  ,  pour  tant  de  priva- 
tions j  mais  les  nouvelles  taxes  n'ont  pas  eu  ce  résultat  : 
elles  ont  pu  réduire  au  désespoir  les  habitans  de  cet  infor- 
tuné pays ,  et  leur  faire  faire  des  actes  d'une  atrocité  inouie  j 
mais  elles  n'ont  pas  pu  tirer  un  seul  shelling  de  leurs  poches 
vides. 

Ce  n'est  pas  sans  raison  que  M.  Chichester  a  dit,  dans  son 
excellent  écrit  sur  les  lois  relatives  aux  distilleries  d'Ir- 
lande ,  que  les  calamités  de  la  guerre ,  telle  qu'elle  se  fait 
maintenant  chez  les  peuples  civilisés ,  sont  moins  grandes 
que  celles  que  produit  la  contrebande  dans  ce  royaume. 
En  effet ,  il  ne  s''est  guère  écoulé  de  semaines ,  dans  ces 
douze  derniers  mois,  qu'il  n'y  ait  eu  quelqu'engagement 
entre  les  soldats  et  les  matelots  destinés  à  l'empêcher  ,  et 
les  contrebandiers.  Quelques-uns  de  ces  engagemeus  ont 
été  fort  sérieux.  En  novembre  dernier,  4oo  habitans  de  la 
campagne ,  occupés  à  décharger  un  lougre  smogleur ,  furent 
attaqués  par  un  détachement  de  soldats  qui,  après  un  en- 
gagement très-vif,  dans  lequel  plusieurs  hommes  périrent 
de  part  et  d'autre,  fut  obligé  de  se  replier.  D'autres  ren- 


'(i^  C'est  le  nom  qu'on  donne  au  chef  imaginaire  des  insurrections 
irlandaises. 


72  Pwduits  comparés  des  taxes  èleçées  ^  etc. 

contres  ont  eu  lieu  dans  toute  retendue  de  la  côte ,  et  les 
distillations  illégales,  la  falsification  du  thé  et  la  contre- 
bande du  sel  sont  beaucoup  plus  communes  qu  elles  neTont 
jamais  été.  Et  que  les  ministres  n  espèrent  pas  réprimer  ces 
désordres  par  la  sévérité  des  punitions.  Les  gros  droits  ont 
rendu  la  contrebande  populaire  dans  d'autres  pays  ,  et  il  en 
sera  de  même  parmi  nous  ,  si  on  ne  diminue  pas  les  tarifs. 
Assurément  nous  ne  voulons  pas  excuser  les  torts  de  ceux 
qui  fraudent  le  revenu  public,  et  qui,  de  cette  manière, 
portent  un  immense  préjudice  aux  négocians  honnêtes. 
Mais  c'est  vainement  que  l'on  espérerait  que  la  multitude 
verra  avec  aversion  ceux  qui  lui  procurent  du  thé  ,  du  ge- 
nièvre, de  l'eau-de-vle ,  h  bon  marché.  Dans  le  fait ,  ceux 
qui  ont  creusé  l'abîme  sont  beaucoup  plus  coupables  que 
ceux  qui  y  tombent.  «  Il  y  a  des  pays ,  dit  Montesquieu, 
où  le  droit  excède,  de  dix  -  sept  fois,  la  valeur  de  la  mar- 
chandise. (  En  Angleterre  ,  ce  n'est  pas  de  dix  -  sept  fois  , 
mais  de  trente  fois  que  le  droit  excède  la  valeur  du  sel.  )  Il 
faut  donc  avoir  recours  à  des  peines  extravagantes ,  et  pa- 
reilles à  celles  que  l'on  inflige  pour  les  plus  grands  crimes. 
Toute  la  proportion  des  peines  est  ôtée  ;  des  gens  qu'on 
ne  saurait  regarder  comme  des  hommes  méchans ,  sont 
punis  comme  des  scélérats.  »  C'est  certainement  une  chose 
subversive  de  toute  justice  que  d'exciter  fortement  la  ten- 
tation de  la  fraude  par  des  impôts  énormes,  et  ensuite  de 
punir  les  hommes  qui  ont  cédé  à  cette  tentation.  Celte 
manière  d'agir  révolte  les  sentimens  naturels  du  peuple.  Il 
en  résulte  qu'il  s'intéresse  à  des  êtres  méprisables ,  tels  que 
sont  en  général  les  contrebandiers  5  qu'il  épouse  Ifurs  que- 
relles et  qu'il  est  disposé  à  tirer  vengeance  du  mal  qu''on 
leur  fait.  La  punition  qui  n'est  pas  proportionnée  à  l'offense, 
et  qui  n'a  pas  reçu  la  sanction  de  la  société,  ne  saurait  ja- 
mais avoir  des  résultais  utiles.  Le  seul  moyen  d'arrêter  la 
contrebande ,  c'est  d'empêcher  qu'elle  ne  soit  profitable ,  et 


Esquisses  de  l'Inde,  7  3 

c'est  à  quoi  011  peut  facilement  parvenir  ;  non  eu  entou- 
rant la  côte  cVun  cordon  de  troupes  ;  en  multipliant  les  ser- 
înensj  en  transformant  le  pays  en  un  vaste  champ  de  ha- 
taille  ;  en  excitant  la  chicane  et  le  parjure  dans  les  cours  de 
justice  5  mais  uniquement  en  réduisant  les  gros  droits.  Lors- 
que les  profits  du  négociant  honnête  seront  à  peu  près  les 
inêmes  que  ceux,  du  contrebandier,  il  faudra  bien  que  ce- 
lui-ci renonce  à  sa  périlleuse  et  méprisable  profession.  Mais 
tant  que  des  taxes  disproportionnées  seront  maintenues  et 
qu'il  existera  une  prime  pour  les  aventuriers  et  les  néces- 
siteux qui  feront  la  fraude  ;  ce  sera  sans  succès  qu'une  ar- 
mée d'employés  de  l'accise,  secondée  par  la  sévérité  des 
lois  fiscales ,  tentera  de  la  réprimer. 

(  Reçue  d'Edinbourg.  ) 


VOYAGES.— STATISTIQUE. 


ESQUISSES   DE   L*INDE 

PAR    UN     OFFICIER   ANGLAIS     (l). 


Les  Esquisses  de  Vinde  sont  un  livre  très- agréable,  un 
charmant  modèle  de  celte  manière  d'écrire  dont  nous 
voudrions  que  l'usage  fût  plus  général  parmi  ceux  qui 
ont  parcouru  le  monde,  c'est-à-dire  une  relation  simple 
et  rapide  de  ce  qu'une  personne  d'une  inslructiou  ordinaire 
peut  voir  et  sentir,  dans  les  contrées  qu'elle  traverse  et 
qu'elle  examine  sans  avoir  en  vue  un  objet  particulier.  Il 
y  a  sans  doute  une  classe  de  voyageurs  qui  se  propose  un 

(1)  Shetchcs  ofindia,  wriUen  by  an  officcr,  for  fire-sidc  Cravel- 
}tti  al  home.  Second  édition  ,  wilh  aUeralions  ,  in-S»,  London  ,  1824. 


74  Esquisses 

but  plus  élevé,  et  dont  les  relations  sont  plus  instructives. 
Ils  ne  se  bornent  pas  à  nous  parler  de  leurs  impressions  ; 
mais,  selon  la  diversité  de  leurs  habitudes  antérieures  et  la 
nature  de  leurs  connaissances ,  ils  nous  entretiennent  des 
antic^ités ,  de  Thistoire  naturelle  ou  de  la  statistique  des 
pays  qu'ils  ont  visités.  Nous  sommes  bien  loin  de  vouloir  dé- 
précier les  travaux  de  ces  laborieux  et  savans  personnages  ; 
nous  observerons  seulement  que  leurs  écrits  exigent  une 
attention  trop  forte  et  trop  de  connaissances  acquises,  pour 
la  généralité  des  lecteurs.  Dans  le  fait,  ce  ne  sont  pas  des 
relations  qu'ils  composent ,  mais  des  ouvrages  de  science  et 
de  philosophie ,  et  comme  le  plus  grand  plaisir  que  nous 
trouvons  en  voyageant ,  résulte  des  Impressions  que  nous 
recevons  ,  pour  ainsi  dire,  passivement,  de  la  présence  des 
objets  nouveaux,  et  des  réflexions  s[)Outances  qu'ils  font 
naître ,  les  relations  les  plus  agréables  sont  celles  qui  nous 
rendent  ces  impressions  dans  leur  fraîcheur  et  leur  simpli- 
cité première  ,  et  qui  nous  associent  aux  sentimens  de  celui 
qui  les  a  éprouvées ,  par  la  manière  naturelle  dont  il  en 
rend  compte.  Ce  charme  disparaît,  là  où  se  fait  voir  la  pré- 
tention de  la  science  et  de  l'érudition.  Presque  toujours 
nous  laissons  ces  longues  dissertations ,  inutilement  présen- 
tées sous  la  forme  d'un  journal ,  sans  rien  savoir  de  ce  que 
nous  aurions  éprouvé,  si  nous  avions  fait  les  mêmes  voyages 
que  leurs  auteurs  ;  mais  bien  convaincus  que  nous  aurions 
été  occupés  d'une  tout  autre  manière  et  assez  disposés  à 
croire  qu'eux-mêmes  Tétaient  différemment  dans  leurs 
heures  les  plus  agréables ,  et  qu'ils  ont  précisément  omis 
de  rapporter  ce  qu'ils  se  rapellent  avec  le  plus  de  charme , 
dans  leurs  momens  de  loisir. 

Le  recueil  dont  nous  allons  rendre  compte  est  une 
composition  d'une  nature  très-diflérente  ;  il  s'en  faut  bien 
cependant  que  l'agrément  qu'il  présente  soit  entièrement 
dépourvu  d'instruction.  Notre  observateur ,  sans  être  i  n 


de  V  Inde.  7  5 

grand  philosophe ,  est  un  homme  intelligent  et  bien  élevé. 
Il  examine  avec  curiosité  tout  ce  qu'il  raconte ,  et  il  fait 
volontiers  les  recherches  qui  n'exigent  pas  trop  d'efforts 
et  qui  ne  retardent  pas  trop  long-tems  la  rapidité  de  sa 
marche.  La  manière  d'écrire  qu'il  a  adoptée,  lui  permet 
de  traiter  légèrement  un  grand  nombre  de  sujets  fort  in- 
téressans ,  que  des  discussions  plus  approfondies  auraient 
exclus.  Aussi,  en  lisant  son  livre,  l'esprit  du  lecteur  est- 
il  plus  agréablement  excité  et  plus  vivement  sollicité  à  la 
réflexion,  par  la  variété  des  objets  qui  passent  rapidement 
sous  ses  yeux ,  qu'il  ne  le  serait  par  des  détails  techni- 
ques ,  sur  des  plantes ,  des  pierres  ,  des  animaux  ou  des 
ruines. 

Ces  légères  et  charmantes  esquisses  nous  font ,  pour  ainsi 
dire ,  voyager  avec  celui  qui  les  a  tracées  ;  elle  nous  ren- 
dent témoins  des  scènes  qu'il  a  vues ,  et  nous  ressentons 
les  impressions  que  ces  scènes  ont  excitées  chez  lui.  A  ce 
dernier  égard,  nous  sommes  tout-à-fait  à  sa  merci,  et 
peut-être  en  a-t-il  quelquefois  un  peu  abusé.  Si  c'est  un  des 
attraits  de  ce  genre  de  relations,  que  la  manière  dentelles 
nous  font  sympathiser  avec  les  sensations  de  leurs  auteurs, 
c'est  aussi  un  de  leurs  dangers.  Pour  le  privilège  de  voir 
avec  des  yeux  étrangers  ,  nous  devons  en  général  renoncer 
à  celui  défaire  usage  de  notre  propre  jugement,  et  si  nous 
jouissons  des  grands  spectacles  auxquels  d'autres  ont  as- 
sisté ,  nous  nous  trouvons  en  même  tems  dans  l'obligation 
de  partager  les  sentimens  qu'il  leur  convient  d'y  associer, 

A  tout  prendre,  cependant,  le  lecteur  de  ce  petit  volume 
n'aura  pas  lieu  de  se  plaindre.  L'auteur  sert  comme  officier 
dans  les  armées  du  roi ,  et  il  n'est  pas  sans  quelques  pré- 
jugés de  corps  \  mais  il  se  montre  partout  profondément 
imbu  de  sentimens  tendres ,  philanthropiques  et  religieux. 
Il,  a  un  tour  d'esprit  et  une  diction  poétiques  et  pittores- 
ques; et  si,  quelquefois,  il  a  un  peu  d'affeclalion  dans  son 


76  Esquisses 

style,  ce  défaut  est  compensé  par  la  concision  ,  la  grâce 
et  la  variété  qni  se  font  généralement  remarquer  dans 
l'ouvrage.  Quelques  citations  justifieront  nos  éloges;  la 
suivante  est  extraite  du  commencement  des  Esquisses. 

«  Ce  fut  dans  l'après-midi  du  10  juillet  1818,  que  nous 
jetâmes  l'ancre  dans  la  rade  de  Madras,  trois  mois  et 
demi  après  notre  départ  de  la  terre  natale.  Combien  la 
scène  était  changée ,  et  quel  contraste  entre  Ryce ,  ses 
petites  maisons  si  propres  et  si  commodes ,  ses  toits  de 
chaume  ou  d'ardoises ,  ses  jolis  jardins ,  ses  rivages  dont 
rinclinaison  est  couverte  de  verdure ,  et  Madras  avec  les 
grandes  murailles  nues  de  son  fort ,  ses  pompeux  édifices, 
ses  verandahs,  ses  hautes  colonnes  et  ses  toits  en  terrasse  ! 
La  foule  se  presse  dans  les  rues  de  cette  ville  spacieuse, 
hâtie  dans  un  terrain  plat,  sur  une  côte  que  blanchissent 
des  flots  d'écume.  Ici ,  la  rade  est  animée  par  une  mul- 
titude d'yachts  élégans ,  de  barques  de  pécheurs  parfaite- 
ment construites ,  de  légères  nacelles  ;  là ,  c'est  le  bateau 
noir,  informe,  du  Massoulah,  que  vous  apercevez.  Des  ma- 
telots entièrement  nus  le  conduisent  en  chantant  ces  airs 
sauvages,  mais  qui  sont  loin  d'être  dépourvus  de  charme,  et 
que,  depuis  des  siècles,  les  vagues  d'une  mer  agitée  accom- 
pagnent en  mugissant.  Il  était  tard  et  11  faisait  déjà  nuit  lors- 
que nous  atteignîmes  notre  gîte.  Nous  ne  trouvâmes  aucun  de 
nos  compatriotes  pour  nous  y  recevoir  ;  mais  la  salle  à  man- 
ger était  éclairée  et  la  table  mise.  INous  nous  empressâmes 
de  nous  y  placer  ;  je  crois ,  dans  ce  moment,  qu'il  eût  été 
bien  diflicile  de  trouver,  dans  l'Inde  entière,  une  réunion 
plus  gaie  et  plus  satisfaite  que  la  nôtre.  Quatre  ou  cinq 
hommes  proprement  velus  de  blanc ,  avec  des  turbans 
également  blancs  ou  d'étoffe  rouge,  c!es  pendans  d'oreilles 
en  or  ou  en  émeraudes,  et  de  larges  anneaux  en  argent 
à  leurs  doigts,  étaient  groupés  autour  de  chacune  de  nos 
chaises ,  et  surveillaient  tous  nos  mouvemens  pour  prér 


de  l'Inde.  'j'j 

venir  nos  désirs.  Après  avoir  goûté  beaucoup  de  fruits  et 
de  léguqies  ,  tout-à-fait  nouveaux  pour  nous,  et  nous  être 
prononces  sur  leur  mérite,  nous  allâmes  nous  coucher  fort 
contens  de  la  fin  de  notre  soirée. 

»  La  scène  du  malin  fut  vraiuîent  plaisante.  Dès  la  pointe 
du  Jour ,  notre  chambre  avait  été  envahie  :  ici,  un  barbier, 
qu'on  n'avait  pas  demandé,  rasait  un  officier  encore  tout 
assoupi  j  un  autre  faisait  craquer  les  jointures  d'un  second 
officier  à  demi  habillé  ;  deux,  domestiques  s'étaient  emparés 
des  mains  d'un  troisième  pour  les  lui  laver ,  et  malgré  tous 
mes  efforts  pour  les  en  empêcher ,  deux  hommes  fort  bien 
vêtus  s'étaient  saisis  de  mes  pieds  dans  le  même  but.  Tout 
près  de  moi,  un  Jeune  garçon  habillait  avec  beaucoup  de 
dextérité ,  et  comme  si  c'eût  été  un  enfant  confié  à  ses  soins , 
un  autre  de  mes  camarades  à  peine  éveillé.  Toute  cette 
scène,  qui  m'avait  d'abord  fort  diverti,  finit  cependant  par 
m'affliger;  car  il  y  avait ,  dans  ces  empressemens  serviles, 
quelque  chose  qui  était  fait  pour  blesser  le  cœur  du  citoyen 
d'un  état  libre.  » 

Avec  toutes  les  aisances  dont  il  est  environné  ,  les  mar- 
ches d'un  officier  anglais  ,  dans  l'Inde ,  ne  peuvent  pas  être 
considérées  comme  une  chose  pénible. 

«  Il  est  certainement  fort  agréable ,  dit  l'auteur  des 
Esquisses.,  de  voyager  dans  ce  pays,  quoique  cependant 
on  soit  obligé  de  se  lever  trop  tôt.  Une  heure  avant  la 
pointe  du  jour  ,  vous  montez  à  cheval  ;  vous  allez  d'un  pas 
modéré  et  vous  arrivez  à  l'endroit  où  vous  devez  passer  la 
journée,  avant  que  le  soleil  ait  atteint  toute  sa  force.  Vous 
y  trouvez  une  petite  tonte  dressée  et  votre  déjeûner  servi. 
Votre  grande  tente,  avec  votre  couchette  et  vos  bagages  , 
arrivent  plus  tard.  A  neuf  heures  du  matin,  vous  pouvez 
être  lavé ,  habillé  et  occupé  avec  votre  plume,  votre  crayon 
ou,  vos  livres.  Des  nattes  ,  tressées  avec  des  piantes  odori- 
férantes ,  sont  suspendues  à  l'entrée  de  la  tente ,  du  coté 


7  H  Esquisses 

opposé  au  vent,  et,  coustamment  humectées,  elles  pio- 
curent,  pendant  les  momens  les  plus  chauds  du  jour,  un  air 
agréable  et  rafi'aîchissant. 

»  Tandis  que  nos  pères  étaient  vêtus  de  peaux  de  loup, 
qu'ils  habitaient  des  cavernes ,  qu'ils  subsistaient  du  pro- 
duit de  leurs  chasses ,  l'Hindou  vivait  comme  il  vit  au- 
jourd'hui. Comme  aujourd'hui ,  ses  princes  étaient  couverts 
de  riches  vêtemens  ,  portaient  des  turbans  resplendissans 
de  pierreries ,  et  logeaient  dans  des  palais.  Comme  aujour- 
d'hui, des  prêtres  orgueilleux  et  à  demi  nus  recevaient  ses 
oflrandes  dans  des  temples  taillés  dans  le  granit  et  sur- 
chargés de  sculptures ,  et  l'appelaient  à  des  cérémonies  aussi 
absurdes  que  celles  de  maintenant ,  non  moins  voluptueu- 
ses et  encore  plus  magnifiques.  Sa  maison,  ses  vêtemens, 
les  outils  des  artisans  et  des  laboureurs  ,  étaient  les  mêmes 
qu'actuellement.  A  cette  époque,  il  arrosait  déjà  la  terre 
en  pressant  son  pied  sur  une  planche ,  disposée  en  travers 
d'une  longue  perche  ,  ou  bien  il  faisait  tirer  par  ses  bœufs , 
d'un  puits  profondément  creusé ,  des  sacs  de  cuir  remplis 
d'eau  qu'il  répandait  dans  tous  ces  petits  canaux  qui  divi- 
sent ses  champs  et  ses  jardins.  Le  maître  d'école  de  village 
apprenait  à  ses  enfans  à  tracer  des  lettres  sur  le  sable , 
à  chiffrer  et  à  écrire  sur  la  feuille  sèche  du  palmier.  Sa 
femme  portait  ses  grains  au  même  moulin ,  ou  les  broyait 
dans  le  même  mortier.  Il  pouvait  faire  ses  emplettes  dans 
un  bazar ,  y  changer  son  argent  ou  emprunter  à  usure , 
pour  payer  la  dépense  d'un  mariage  ou  d'une  fête.  Toutes 
les  inventions  utiles  et  tous  les  rafïinemens  de  luxe  qui  frap- 
pent aujourd'hui  l'attention  du  vovageur ,  étaient  déjà  d'une 
liante  antiquité ,  au  tems  d'Alexandre.  Les  costumes  ,  les 
constructions,  les  usages,  les  mœurs,  rien  n'a  changé;  et 
l'ofTicier  anglais  voit  précisément  le  même  spectalc  que 
celui  qui  s'offrit  aux  regards  des  soldats  macédoniens,  il  y 
a  plus  de  vingt  siècles.  » 


de  l'Inde.  79 

Un  voyage  en  palanquia  n'est  ni  moins  agi'éable,  ni 
moins  commode. 

«  En  général  vous  vous  mettez  en  route  ,  après  le  cou- 
cher du  soleil;  vous  êtes  habillé  avec  de  larges  pantalons 
et  une  espèce  de  robe  de  chambre.  Vous  vous  étendez  de 
tout  votre  long  et  vous  dormez  paisiblement  pendant  la  nuit , 
si  cela  vous  convient.  Si  vous  êtes  éveillé,  vous  tirez  un 
petit  panneau ,  derrière  lequel  est  fixée  une  lampe ,  et 
vous  lisez.  Vos  vêtemens  sont  empaquetés  dans  des  cor- 
beilles et  portés  par  des  enfans.  Le  palanquin  est  rempli 
de  poches  et  de  tiroirs.  Vous  pouvez,  sans  embarras, 
avoir  avec  vous  un  pupitre  pour  écrire ,  trois  ou  quatre 
volumes,  et  des  provisions  de  bouche  pour  plusieurs  cen3 
laines  de  milles.  Pendant  le  jour  ,  vous  lisez,  vous  méditez 
ou  vous  regardez  autour  de  vous.  Le  matin  et  le  soir ,  vous 
vous  arrêtez  pendant  une  demi-heure  sous  Tombrage  d'un 
arbre,  pour  vous  laver  et  vous  rafraîchir.  Les  relais  des 
porteurs  de  palanquin  sont  établis,  tous  les  dix  ou  douze 
milles;  communément  vous  faites  quatre  milles  à  l'heure.  » 

La  lîlace  nous  manque  pour  citer  les  jolies  descriptions 
que  fait  notre  voyageur,  des  villages,  des  fontaines,  des 
forêts  qu'il  rencontre,  et  celles  des  costumes  et  de  l'aspect 
des  différentes  classes  de  Li  population.  Voici  de  quelle 
manière  il  décrit  l'éléphant  : 

«  Pendant  qu'on  préparait  le  déjeuner  ,  je  m'amusais  à 
regarder  un  éléphant  et  quelques  chameaux  que  chargeaient 
des  domestiques  qui  revenaient  du  Décan  avec  les  tentes 
d'un  général.  L'intelligence  de  l'éléphant  et  son  caractère 
docile  sont  bien  connus.  Mais  voir  ce  puissant  et  mons- 
trueux animctl  s'agenouiller  au  seul  son  de  la  voix  humaine, 
et  lorsqu'il  est  relevé,  avancer  sa  trompe,  pour  en  faire 
lin  marche-pied  à  son  jnahoud  ou  conducteur,  afin  de 
l'aller  à  monter;  ou  bien,  dans  le  même  but,  plier  les 
jointures  de  ses  jambes  de  derrière  dont  on  .se  sert  comme 


8o  Esquisses 

d'un  degré;  puis,  avec  robéissance  d'un  chien,  employer 
de  nouveau  sa  trompe  pour  ramasser  et  remeltre  à  leur 
place  les  cordes  ou  les  paquets  qui  peuvent  être  tombés  ; 
c'est  un  spectacle  qui  étonne  et  qui  ne  cesse  pas  d'iulé- 
resser,  alors  même  qu'il  a  perdu  l'attrait  de  la  nouveauté. 
Lorsque  l'éléphant  que  j'avais  sous  les  yeux  fut  chargé  ,  il 
détacha  une  large  branche  d'un  arbre  fort  élevé  qui  était 
près  de  lui,  et  il  s'en  servit  comme  d'un  éventail  ou  d'un 
chasse-mouclie,  avec  toute  la  nonclialauce  d'une  femme  à 
la  mode,  jusqu'à  ce  que  les  chameaux  fussent  prêts.  Ces 
derniers  animaux  s'agenouillent  aussi  quand  on  les  charge. 
Lorsqu'ils  sont  en  mouvement,  leur  allure  a  quelque  chose 
de  gauche  et  ils  vont  beaucoup  plus  vite  qu'ils  n'en  ont 
Tair.  Leurs  grands  cols  allongés,  leurs  larges  pieds,  leurs 
membres  dont  tous  les  nerfs  sont  fortement  prononcés, 
leurs  garnitures  de  tête,  leurs  sonnettes,  les  anneaux  sus- 
pendus à  leurs  narines  ,  le  bagage  élevé  sur  leur  dos,  et  le 
conducteur  ordinairement  placé  sur  la  croupe  de  celui  qui 
est  en  tête,  présentent  un  aspect  tout-à-fait  singulier.  » 
Nous  citerons  aussi  !a  description  d'une  pagode  : 
«  Un  mur  élevé  et  solide  environne  une  grande  cour  qui 
a  la  forme  d'un  carré  long.  A  l'une  des  extrémités  est  la 
porte  d'entrée  au-dessus  de  laquelle  est  construite  une  tour 
de  forme  pyramidale  ;  sa  largeur  à  la  base  et  son  éléva- 
tion sont  proportionnées  à  la  grandeur  de  la  pagode.  La 
tour  est  divisée  en  étages  ;  on  y  monte  par  un  escalier  inté- 
rieur. Elle  est  percée  par  des  jours  pratiqués  d'espace  en 
espace  ,  qui  sont  plus  petits,  à  mesure  que  l'on  s'élève.  Ces 
ouvertures  produisent  un  fort  bel  effet  quand  on  aperçoit 
autravers  unbeaucielou  quelque  massif  de  verdure.  Toutes 
les  parties  de  ia  porte  sont  couvertes  de  sculptures  ,  ti'a- 
vaillées  avec  soin  ,  mais  sans  goût.  En  dehors  et  à  peu  de 
distance  de  cette  porte,  se  trouve  souvent  un  pilier  octo- 
gone très-élcvé  >  ou  bien  un  bâtiment  percé  à  jour  et  sup- 


de  l'Inde,  8i 

porté  par  tle  hautes  colonnes  ,   et  tians  lequel  est  seulplé 
un  taureau  accroupi,  aussi  grand  ou  plus  grand  que  nature. 

»  Lorsque  vous  avez  traversé  la  porte  d'entrée  de  la 
pagode ,  vous  vous  trouvez  dans  une  grande  cour  pavée. 
Au  centre,  s'élève  le  temple  intérieur,  exhaussé  d'euviron 
trois  pieds  au-dessus  du  sol,  ouvert  de  tous  côtés,  et  sou- 
tenu par  de  nomhreux  piliers  en  pierre.  A  son  extrémité, 
est  un  sanctuaire,  clos  de  murs ,  qui  renferme  l'idole.  Tout 
autour  de  la  cour  est  un  large  verandah  également  soutenu 
par  des  colonnes  de  pierre ,  sur  lesquelles  sont  ordinaire- 
ment sculptés  des  reptiles  sacrés,  conduits  par  leurs  divi- 
nités respectives.  Toutes  les  autres  parties  de  la  pagode; 
le  mur  ,  les  entahlemens  ,  les  corniches ,  sont  aussi  couverts 
d'images  et  d'ornemens  de  toutes  les  dimensions,  en  haut 
et  bas  relief.  Ici ,  vous  voyez  exactement  représentées  en 
granit  noir  les  différentes  incarnations  de  Vichnou  le  con- 
servateur j  là  vous  apercevez  Sivahle  destructeur,  à  ciieval 
sur  un  taureau  ,  avec  un  serpent  autour  du  coi  et  un  crois- 
sant sur  la  tète];  Rrishen,  l'Apollon  des  Hindous,  et  Kama- 
deva ,  leur  Cupidon ,  monté  sur  un  perroquet ,  et  armé 
d'un  arc  de  canne  à  sucre  ,  dont  la  corde  est  remplacée  par 
une  guirlande  de  fleurs. 

»  Près  de  chaque  pagode,  on  conserve  un  énorme  cliar  , 
ou  plutôt  un  temple  posé  sur  des  roues  ,  ciselé  avec  beau- 
coup de  soins  ;  mais  les  scènes  qui  y  sont  représentées 
sont  presque  toujours  si  monstrueuses  et  si  indécentes ,  qu'il 
est  impossible  de  les  décrire.  A  certaines  époques  de  l'an- 
née, une  idole  peinte  et  magnifiquement  ornée,  est  placée 
sur  ce  char  et  traînée  dans  les  rues  par  des  centaines  d'a- 
dorateurs. 

»  C'est  dans  ces  pagodes  que  je  viens  rapidement  de  dé- 
crire ,    que    les    Hindous    apportent   chaque    jour    leurs 
îiumbles  offrandes  de  riz  et  de  plantain;  c'est  encore  là 
que,  dans  les  grandes  fêles ,  chargés  de  fleurs,   de  fruits, 
I-  G 


8.i  Esquisses 

(l'encens ,  tVor  et  dargeot,  ils  se  pressent  pour  voir  les 
groupes  que  forment  de  jeunes  bayadères,  brillamment  pa- 
rées ,  d'une  figure  et  d'une  taille  élégantes  ,  et  dont  les  re- 
gards et  tous  les  mouvcmens  respirent  la  volupté  j  ou  pour 
écouter  les  contes  licencieux  que  font  les  religieux  men- 
dians ,  au  son  d'une  musique  barbare  et  discordante.  » 

Nous  donnerons  maiuleuaut  des  extraits  de  la  description 
de  Calcutta ,  la  métropole  de  notre  empire  dans  l'Inde. 
Cette  description  se  termine  par  quelques  conjectures  me- 
naçantes que  nous  n'avons  pas  cru  devoir  omettre. 

«  Sur  la  rive  orientale  du  Houghlj,  à  environ  cent 
milles  de  son  embouchure  ,  s'éiève  la  ville  de  Calcutta  :  elle 
a  à  peu  près  six  milles  de  longueur  ,  mais  la  largeur  en  est 
partout  Irès-peu  considérable.  Lorsque  vous  approchez  de 
Chandpal  -  Ghaut,  et  que  vous  apercevez  une  grande  et 
belle  forteresse  ;  une  vaste  esplanade ,  bordée  d'un  côté 
d'hôtels  superbes ,  et ,  au-delà ,  une  suite  de  pompeux  édi- 
fices 5  plus  loin,  à  l'ancrage,  une  multitude  de  navires  ,  et 
enfin  une  ville  immense  qui  contient  plus  de  80,000  mai- 
sons 5  quelle  qu'ait  été  votre  attente,  elle  ne  peut  pas  man- 
(luer  d'être  surpassée.  Ce  qui  frappe  surtout  l'attenllon 
du  voyageur,  c'est  ce  grand  nombre  de  voitures  de  toute 
espèce  qu'il  rencoulre  le  soir  sur  le  cours  à  la  mode. 
Des  carricles,  des  landaus,  des  tyiburys  ,  lui  rappel- 
lent vivement  le  souvenir  de  l'Angleterre ,  et  comme  ces 
voitures  s'associent  chez  lui  à  des  idées  d'opulence,  il  s'é- 
tonne d'abord  de  tant  de  luxe  et  de  richesse.  Mais  ces  im- 
rresslons  s'affaiblissent  un  peu  quand  il  aperçoit  ces  co- 
chers noirs,  coiffés  d'un  turban  et  couverts  de  mousselinej 
ces  chevaux  du  pavs  d'une  race  inférieure  et  m  al  attelés  j 
et,  malgré  plusieurs  voitures  élégantes  construites  en  An- 
gleterre, il  reconnaît  qu'il  faudra  encore  bien  du  tems 
pour  que  le  cours  de  Calcutta  puisse  être  comparé  à  celui 
de  Hyde-Park. 


de  Vlnde.  85 

»  Beaucoup  cVArmcniens  et  île  négocians  du  pays  ont 
adopté  nos  voitures  et  quelques-uns  de  nos  usages,  tout 
en  conservant  leurs  costumes  particuliers  ;  de  manière  que 
vous  voyez  souvent  les  bonnets  pointus  des  uns,  et  les  tur- 
Lans  applatis  des  autres,  dans  des  calcclies  ou  des  landaus  , 
construits  sur  !e  modèle  de  ceux,  de  Long-Acre,  et  quel- 
quefois aussi  vous  rencontrez  un  des  fils  de  Tippou,  enve- 
loppé de  schalls  et  rapidement  entraîné  dans  un  phaé- 
ton  (i). 

3)  La  portion  de  Calcutta,  où  logent  les  naturels,  celle 
quon  nomme  la  Ville-Noire ,  fourmille  d'habitans.  Vous 
y  rencontrez  aussi  des  étrangers  venus  de  tous  les  points  de 
l'Asie  ;  des  Chinois ,  des  Arabes ,  des  Persans  ,  des  insulaires 
de  l'Archipel  oriental,  beaucoup  de  juifs  et  de  marchands 
des  ports  de  la  Mer-Rouge.  C'est  une  chose  fort  amusante 
de  parcourir  les  rues  qu'ils  fréquentent  le  plus,  et,  non- 
chalamment étendu  sur  votre  palanquin  ,  de  considérer  les 
groupes  variés  et  nombreux  qu'ils  forment. 

»  Lorsque  le  jour  tombe,  les  voitures  réunies  sur  le  cours 
se  dispersent,  et,  une  demi-heure  après ,  vous  revoyez  ces 
mêmes  voitures  et  une  multitude  de  palanquins  se  diriger, 
en  grande  hâte,  à  la  lumière  des  torches,  vers  les  brillante  s 
réunions  qui  se  succèdent  constamment  dans  cette  villa 
opulente.  A  minuit ,  vous  pouvez  les  voir  qui  en  revien- 
nent ,  et  si ,  comme  cela  arrive  souvent ,  une  chaleur  ac- 
cablante vous  force  d'aller  chercher  de  l'air  sur  le  balcon 
ou  sur  le  toit  de  Votre  maison  ,  lorsque  tout  est  rentré  dans 
le  silence  ,  vous  ne  tardez  pas  à  entendre  ,  par  intervalles , 
les  cris  Sauvages  et  perçans  du  chacal,  tantôt  à  distance 
et  tantôt  plus  rapprochés.  Vous  vous  rappelez  alors  que 

(i)  Note  du  Tr.  Après  la  dcstrpclion  de  l'empire  du  Mysorc  ,  les 
fils  de  Tippou-Saëb  furent  conduits  dans  le  Bengal  où  ils  vivent  sous 
la  surveillance  des  agens  de  la  Compagnie  des  Indes. 


84  Esquisses 

celte  ville  est  le  rapide  produit  d'un  siècle  ;  qu'à  Chon- 
ringhie ,  où  vous  vous  trouvez  actuellement  dans  un  spa- 
cieux, verandah ,  soutenu  par  dVlégantes  colonnes  grecques, 
les  villageois  pouvaient  à  peine  se  barricader  contre  les 
attaques  du  tigre  ,  il  y  a  moins  de  soixante  ans  ;  et  vous 
calculez  que  si  la  population  de  Calcutta  périssait  tout-à- 
coup  ,  il  n'en  faudrait  pas  davantage  pour  que  ces  fragiles 
édifices  de  briques,  de  bois,  etc.,  qui  le  décorent  anjour- 
d'bui,  fussent  entièrement  détruits,  et  qu'une  abondante 
végétation  vînt  en  cacher  la  trace. 

»  Telle  ne  sera  pas  certainement  la  destinée  de  cette  mé- 
tropole. Lorsque  notre  empire  dans  l'Inde  aura  cessé 
d'exister,  elle  n'en  sera  pas  moins  une  ville  riche,  popu- 
leuse et  puissante.  Nous  ne  laissons  pas  coloniser  l'Kln- 
dostan  (1)5  mais  une  classe  d'individus  qui  y  sont  nés  et  qui 

(i)  Note  du  ÏR.  Vraisemblablement,  dans  la  crainte  que  ses  pos- 
sessions ,  en-delà  et  en-dcrà  du  Gange  ,  ne  lui  e'cliappassent ,  comme 
l'Ame'rique  seplenirionale  ,  le  gouvernement  de  la  Grande-Bretagne 
n'a  pas  voulu  laisser  s'y  établir  de  colons.  Les  seuls  Anglais  qu'on  y 
rencontre  sont  des  soldats  ,  des  fonctionnaires  civils  et  militaires  et  des 
negocians.  A  l'époque,  maintenant  très-rapprocliéc  ,  de  l'expiration  de 
la  charte  de  la  compagnie  des  marchands  qui  tient  à  bail  cet  immense 
empire,  il  est  probable  que  celte  interdiction  sera  levée.  Les  Anglais  , 
dont  le  commerce  avec  l'Amérique  du  Nord  s'est  prodigieusement  accru 
depuis  qu'elle  est  constituée  en  états  libres,  ne  s'alarment  ^lus  autant 
de  l'idée  de  voir  leurs  possessions  de  l'Asie  ou  l'Amérique  devenir 
indépendantes.  Us  ont ,  d'ailleurs  ,  un  grand  intérêt  à  augmenter ,  dans 
l'Inde  ,  le  nombre  des  consommateurs  des  produits  de  leurs  fabriques. 
Les  peuples  de  cette  vaste  péninsule  ,  très-opiniâtres  dans  leurs  usages  , 
s'étaient  long-tems  refusés  à  consommer  autre  chose  que  les  fruits  de 
leur  sol  ou  de  leur  propre  industrie.  Ce  n'est  que  très-récemment  qu'ils 
ont  commencé  à  acheter  des  marchandises  d'Europe.  La  Compagnie 
a  envoyé  au  Bengal,  pour  3o, 000, 000  fr.  de  tissus  de  colon  ,  en  1823  ; 
fait  d'autant  plus  remarquable  que  c'était  au  Bengal  qu'était  confec- 
tionnée une  grande  partie  des  étoffes  de  coton  que  les  Anglais  por- 
taient dans  le  XVII l<=  siècle.  Les  expéditions  de  1824  oni  clé  encore 


de  l'inda.  85 

nous  sont  attaches  par  les  liens  tlu  sang,  tlu  langage,  des 
moeurs  ,  du  culte ,  de  l'éducation  ,  augmente  rapidement  son 
nombre,  ses  possessions,  son  importance  5  et  ses  lumières, 
-^son  ambitio^,  ses  vues  s'étendent  tous  les  jours.  Ce  sont 
ces  individus  qui  sont  les  boutiquiers,  les  petits  marchands, 
en  un  mot ,  les  bourgeois  de  nos  présidences.  La  Compa- 
gnie ne  les  admet  pas  dans  ses  emplois,  mais  elle  ne  doit 
pas  oublier  qu'ils  sont  ses  sujets.  liCsang  anglais  et  le  sang 
hindou  qui  se  confondent  dans  leurs  veines ,  ne  leur  sont 
pas  moins  odieux  l'un  que  l'autre  5  car  les  Anglais  et  les 
Hindous  les  dédaignent  et  les  désavouent  également  j  mais 
ils  ont  déjà  assez  de  lumières  pour  sentir  que  ce  n'est  pas 
la  condition  qui  constitue  la  honte  ouïe  véritable  honneur. 
Encore  quelques  années  et  le  nombre  s'en  sera  augmente 
dans  une  progression  effrayante  j  si  leur  développement 
intellectuel  est  aussi  rapide  ,  il  ne  faut  pas  espérer  que  ces 
hommes,  qui  comptent  déjà  parmi  eux  des  individus  re- 
marquables par  leurs  lumières ,  leurs  talens  et  leurs  vertus, 
consentiront  à  se  regarder  comme  des  êtres  décastés  , 
déchus  des  privilèges  ordinaires  des  hommes  libres  ,  in- 
dignes d'arriver  à  la  fortune  ou  aux  honneurs  ,  et  de  con- 
courir à  l'action  de  leur  propre  gouvernement  (i).  » 
Les  réflexions  suivantes  ne  sont  pas  moins  justes  : 
(c  Rien  n'amortit  davantage  l'ardeur  de  l'Européen  qui 
voyage  dans  ce  pays,  que  de  voir  qu'il  peut  en  visiter  Jes 
diverses  parties  ,  les  villes  ,  les  villages,  les  uns  après  les 
autres ,  et  cependant  ne  connaître  que  l'extérieur  de  la 

plus  consiJc'raLles  :  elles  le  seraient  bien  davantage  si  une  population 
anglaise  s'clablissait  dans  l'Inde.  S. 

(1)  Note  du  Tu.  En  i8i5  ou  16,  les  métis  du  Bengal  avaient 
établi  un  journal  .\  (]alcutla ,  dans  lequel  ils  réclamaient  avec  chaleur 
contre  l'espèce  d'ilotisme  dans  lequel  ils  sont  retenus.  La  vivacité  de 
ces'plainles  alarma  les  autorités  supérieures  de  Calcutta,  et,  comme 
la  presse  n'est  pas  libre  dans  l'Inde  ,  leur  journal  ne  put  plus  paraître. 


86  Esguîsses 

société  indienne.  Il  fauL  qu'il  renonce  à  pénétrer  dans  Tin- 
térieur  delamaison,  à  se  joindre  au  groupe,  à  voirie  cercle 
domestique,  à  écouter  les  conversations  libres  et  franches 
que  les  naturels  ont  eutr'eux.  Il  échangera  quelques  mois 
avec  son  mouushie  ou  son  pundit ,  fera  quelques  milles 
avec  un  sirdar  musulman ,  sera  reçu  eu  cérémonie  dans  la 
cour  d'un  nal>ah  ou  de  quelque  rajah  ;  mais  les  barrières 
que  le  culte  des  Hindous  ou  des  Mahométaus  lui  oppose, 
sont  telles  qu'il  lui  sera  impossible  de  vivre  avec  eux  dans 
des  rapports  d'amitié  et  d^intimité.  Il  est  vraisemblable 
que  lorsque  nos  établissemens  étaient  dans  l'enfance  et  peu 
considérables  ,  les  officiers  de  la  Compagnie  en  petit  nom- 
bre, et,  par  cette  raison-là  même,  actifs,  au  fait  des  langues 
du  pays ,  et  obligés  de  se  conformer  davantage  aux  habi- 
tudes locales  ;  les  naturels  étaient  mieux  connus  qu'ils  ne 
le  sont  actuellement ,  et  qu'ils  ne  peuvent  l'être.  » 

L'auteur  visita  d'abord  le  pays  jusqu'à  Agra,   en  exa- 
minant,  avec  soin,   les  lieux  remarquables  qui  se  trou- 
vaient sur  son  chemin.  Il  revint  ensuite  dans  le  Mysore, 
en  .traversant  le  centre  même  de  l'Inde  ,  le  Decan  et  le 
pays  soumis  à  Scindiah.  Quoiqu'il  n'eût    aucun  caractère 
public,    et  qu'il  voyageât  seulement  en  qualité  d'ofiicier 
d'un  régiment  anglais ,  c'est  une  chose  qui  mérite  d'être 
observée ,  que  le  respect  et  les  attentions  uniformes  avec 
lesquels  il  était  traité ,  même  par  les  bandes  Indisciplinées 
de  soldats  qu'il  rencontrait  fréquemment.  Les  indolens  et 
mercenaires  Bramines  sont  peut-être  les  seuls  individus 
dont  il  ait  eu  quelquefois  à  se  plaindre.  Pendant  le  cours 
de  ce  voyage ,  un  heureux  hasard  lui  fit  rencontrer  Scin- 
diah lui-même  ,  ce  terrible  chef  de  Marattes,  qui  balança 
quelque  tems,  dans  l'Inde,  la  fortune  de  la  Grande-Bre- 
tagne. La  brillante  peinture  qu'il  fait  de  la  pompe  vrai- 
ment orientale  du  cortège  qui  l'environnait ,  mérite  d'être 
citée. 


de  l'Inde  87. 

«  Comme  nous  passions  près  du  fort,  nous  fûmes  assez 
heureux  pour  voir  Scindiah  ,  qui  revenait  de  la  chasse  , 
environné  de  tous  ses  chefs,  et  précédé  ou  suivi  par  plus 
de  sept  cents  chevaux.  Des  décharges  de  canon  annonçaient 
son  arrivée.  Quelques  piquets  de  lanciers  précédaient  le 
cortège.  Ts^ous  arrêtâmes  nos  éléphaus  sur  un  des  côtés 
de  la  route  où  Scindiah  et  l'escorte,  qui  l'approchait  immé- 
diatement ,  allaient  passer. 

»  Des  cavaliers  ,  légèrement  armés  ,  couraient  en  ayani  ; 
les  uns  suivaient  la  roule  et  les  autres  sautaient,  en  galo- 
pant, les  fossés  qui  la  hordent.  A  leur  suite  se  trouvaient 
d'autres  cavaliers,  armés  de  pied  en  cap ,  et  dont  quelques- 
uns  étaient  revêtus  de  cottes  de  mailles  ;  puis  ,  un  certain 
nomhre  d'éléphans,  parmi  lesquels  on  nous  fil  remarquer 
celui  que  monte  Scindiah,  quand  11  est  à  la  chasse.  Un  Jeune 
éléphant  qui  se  guidait  lui-même  ,  portait  un  hel  enfant ,  le 
protégé  chéri  de  ce  prince.  Derrière ,  une  troupe  de  chefs 
magnifiquement  vêtus  caracolaient  sur  de  superhes  che- 
vaux. Dès  qu'ils  nous  virent,  ils  poussèrent  en  avant;  et, 
après  s'être  groupés  autour  de  nous  et  avoir  planté  en 
terre  leurs  longues  lances  ,  Ils  nous  considérèrent  avec 
fierté.  Après  eux  venait  Scindiah  lui-même,  porté  dans 
un  palanquin  couvert  d'un  dais  cramoisi.  11  était  vêtu  très- 
simplement  \  un  turhan  rouge  couvrait  sa  lêle  ,  et  un 
scliall  était  roulé  autour  de  son  corps.  Quand  il  s'approcha 
de  nous  ,  il  était  incliné  sur  les  coussins  de  son  palanquin , 
et  il  fumait  dans  un  petit  tuhe  d'or.  Nous  nous  élions  dres- 
sés dans  nos  howdah  (^1)  pour  le  sa,uer  :  il  se  leva  à  moitié 
et  nous  reiulil  notre  salut  avec  beaucoup  de  grâce.  Aussitôt 
ceux  qui  étaient  près  de  lui  poussèrent  de  longs  cris;  et 
après  avoir  fait ,   on  chantant ,  rénuméralion  de  tous  ses 


(1)  Note  du  ÏR.  Le  Iiowdah  cit  le  sic'jrc  dans  lequel  on  C5t  assis,. 
lorsqu'on  vo\a}:;c  sur  un  rlcjiluuit, 


8H  Esquisses 

litres,  ils  célébrèrent  riionneur  que  nous  venions  tle  rece- 
voir :  chacun  d'eux  nous  salua  ensuite  profondément. 

»  J'examinai  les  chefs  qui  nous  environnaient,  et  dont 
le  maintien  fier  augmentait  encore  l'impression  produite 
par  la  magnificence  de  leur  costume.  Ils  étalent  armés 
d'une  lance,  d'un  bouclier,  d'un  cimeterre  ,  de  pistolets  et 
d'un  poignard.  Ils  étaient  enveloppés  de  schalls  de  Cache- 
mire ou  de  mousseline.  La  plupart  avaient  aussi  un  morceau 
de  mousseline  plissé  sous  le  menton ,  qui  se  rattachait  par 
ses  deux  extrémités  à  leur  turban  i  et,  quoique  cela  puisse 
paraître  bizarre  à  ceux  qui  ne  l'ont  pas  vu,  cette  parure 
avait  quelque  chose  de  très-militaire.  Elle  est  d'ailleurs  fort 
utile  pour  défendre  les  deux  côtés  du  cou. 

»  Comment  se  fait-il  que  nous  trouvions  du  plaisir  à  voir 
des  hommes  armés ,  braves  sans  doute ,  mais  trop  souvent 
cruels,  et  dont  la  bravoure  a  presque  toujoui'S  pour  prin- 
cipe des  vues  ambitieuses  ou  cupides  ?  C'est  ce  que  je  ne 
puis  expliquer  j  mais  ce  n'était  pas  la  première  fois  que 
j'éprouvais  une  impression  semblable.  Je  me  rappelle,  en- 
tr'autres ,  que ,  me  trouvant  en  France  comme  prisonnier 
de  guerre ,  je  vis  passer  plusieurs  escadrons  de  gendarmerie 
d'élite  qui  revenaient  du  champ  fatal  de  Leipsick.  C'étaient 
de  superbes  hommes ,  d'un  aspect  tout-à-fait  militaire  :  ils 
portaient  des  casques  de  cuivre  et  d'acier ,  décorés  de  cri- 
nières noires.  Ils  avaient  de  grands  sabres  suspendus  à  de 
larges  ceintures.  L'étoile  de  la  Légion -d'Honneur  brillait 
sur  la  poitrine  de  la  plupart  d'entr'eux.  Leurs  trompettes 
sonnèrent,  et  je  sentis  qu'une  admiration  ^involontaire 
soulevait  ma  poitrine,  et  que  des  larmes  humectaient  mes 
veux.  Quelle  énigme  inexplicable  que  le  cœur  de  l'homme  I  » 
Nous  citerons  aussi,  en  l'abrégeant  un  peu,  la  descrip- 
tion si  pittoresque  qu'a  (liite  notre  vojageur,  d'une  soleuuité 
religieuse  chez  les  Hindous  : 

«  Une  des  plus  grandes  fêtes  de  Caruate  se  célèbre  tous 


de  l'Inde.  89 

les  ans  à  Conjeveram;  elle  s'appelle  la  Gariidastaçum ,  et 
elle  est  destinée  à  célébrer  la  descente  de  Vichnou  sur  la 
terre.  Pendant  dix  jours  consécutifs ,  une  ancienne  et  petite 
image  du  dieu  est  portée  en  triomphe  au  milieu  de  ses 
adorateurs ,  ou  exposée  à  leurs  regards  dans  la  cour  de  son 
temple.  Pendant  dix  jours  les  rues  sont  encombrées  de 
tous  les  paysans  accourus  du  voisinage,  et  de  Bramines  ,  de 
fakirs ,  de  pèlerins ,  qui  viennent  souvent  de  points  très- 
éloignés.  Tout  retentit  des  bruyantes  acclamations  du  fana- 
tisme et  des  cliants  joyeux  du  peuple  de  la  ville  et  des  cam- 
pagnes ,  dont  les  travaux  ordinaires  sont  suspendus  par 
cette  solennité. 

3)  J'étais  par  hasard  stationné  à  quelques  milles  de  Con- 
jeveram ,  à  l'époque  de  cette  fête,  en  juin  1827 ,  et  on  pense 
bien  que  je  ne  laissai  pas  échapper  l'occasion  d'en  être 
témoin.  Il  était  deux  heures  du  matin  lorsque  je  montai 
à  cheval  pour  me  rendre  à  la  ville.  Il  avait  plu  pendant  la 
nuitj  la  lune  était  encore  sur  l'horizon,  et  tout,  sur  ma 
route  et  autour  de  moi,  les  arbres,  les  buissons,  l'herbe, 
les  eaux,  le  sable,  réfléchissait  un  éclat  argenté.  Une  vive 
satisfaction  faisait  battre  rapidement  mon  cœur  *,  j'étais 
seul ,  mais  je  n'éprouvai  pas  le  sentiment  de  la  solitude 
même  lorsque  la  lune,  en  se  couchant,  me  laissa  dans  les 
ténèbres.  L'antiquité  était  présente  à  mon  imagination  ; 
j ^allais  assister  à  une  scène  familière  à  ces  peuples  d'autrefois 
dont  rhistoire  sacrée  et  profane  a  conservé  le  souvenir , 
scène  qu'on  ne  peut  plus  voir  aujourd'hui  que  chez  les  Ido- 
lâtres de  l'Hindostan. 

»  En  approchant  de  la  ville,  je  me  trouvai  sur  la  grande 
roule,  et  je  vis  une  mullilude  d'habitans  de  la  campagne, 
groupés  par  familles  5  les  uns  avec  des  fardeaux  sur  la  lêle, 
les  autres  avec  des  enfans  dans  leurs  bras ,  sur  leurs  han- 
ches, ou  qu'ils  conduisaient  par  la  main;  plusieurs  inclin('s 
])ar  l'àgc,   s'appuvant  sur  leur  bâlon,   cl  tous  marchant 


go  Esquisses 

fVuii  pas  plus  ou  moins  rapide  ,  avec  celte  salisfaclion  em- 
pressée et  silencieuse  avec  laquelle  ,  dans  tous  les  pays,  on 
se  rend  aux  cérémonies  publiques.  Mon  guide  me  conduisit 
au  Clioultry  (i) ,  où  la  procession  devait  venir,  au  lieu  de 
me  conduire  à  l'entrée  de  la  pagode  ,  par  où  elle  devait 
sortir  j  de  manière  que  Je  ne  fus  pas  témoin  de  l'ouverture 
des  portes  du  temple  ;  moment  solennel ,  où  ,  au  lever  du 
jour,  la  multitude,  sans  haleine,  contemple  son  dieu  et 
sincline  devant  lui,  allume  l'encens  de  ses  petits  encen- 
soirs ,  répand  le  lait  de  ses  noix  de  coco  et  pousse  ces 
bruyantes  clameurs  dont  elle  salue  l'image  sainte ,  glorifiée, 
comme  elle  le  suppose ,  par  la  présence  de  la  Divinité  elle- 
même  . 

»  Dirigé  par  le  bruit  et  par  le  mouvement  de  la  foule , 
j'aperçus  bientôt  la  procession;  elle  était  conduite  par  un 
de  leurs  religieux  mendians.  C'était  un  vieillard  robuste , 
dont  une  longue  barbe  blanche  couvrait  la  poitrine.  Sa 
robe  était  d'un  jaune  foncé ,  et  son  turban  de  même  cou- 
leur, avait  la  forme  pointue  d^me  mitre.  Il  brandissait, 
dans  sa  main  droite,  un  bâton  terminé  à  son  extrémité  su- 
périeure par  une  tcte  d'airain,  et  semb'able  au  sceptre  de 
Vichnou.  Il  chantait  à  haute  voix  et  dansait  en  tournant 
rapidement  sur  lui-même.  Une  vingtaine  d'hommes,  montés 
sur  de  jeunes  bœufs ,  le  suivaient  en  battant  du  tam-tam. 
Après  eux,  se  trouvaient  quatre  éléphans  5  leurs  flancs 
étaient  couverts  de  bannières ,  et  ils  portaient  un  énorme 
tambour,  nommé  Nagara.  De  longues  fdes  de  jeunes  dan- 
seuses ,  dont  les  cheveux  étaient  couverts  de  fleurs,  venaient 
ensuite.  Elles  se  tenaient  par  la  main  et  s'avançaient  en 
formant  des  pas  mesurés,  au  son  de  la  musique  du  temple. 
On  voyait,  derrière  les  bayadères ,  la  petite  statue  de  Vi- 

(ONoTE  DU  Tu.  C'est  ainsi  qu'on  nomme  une  espèce  de  caravan- 
serai. 


de  l'Inde.  91 

chnou,  étiiicelanle  de  pierreries  et  couves  le  d'une  robe  de 
brocart  5  elle  était  posée  sur  le  col  incliné  de  Ganlda  , 
figure  monstrueuse  de  cuivre  doré,  plus  grande  que  nature, 
qui  a  la  tête,  d'un  aigle  et  le  corps  c?un  bomme.  Quelques 
Bramines  étaient  placés  près  de  l'image  du  dieu  ,  et  devant 
elle  se  trouvaient  rombrelle  et  les  autres  emblèmes,  de  la 
royauté.  Tout  cet  appareil  était  porté  sur  une  vaste  plate- 
forme exhaussée  au-dessus  de  la  foule.  Un  grand  nombre 
de  Bramines ,  tous  tonsurés ,  terminaient  la  procession  : 
lorsque  j'entendis  leur  cliant ,  tantôt  grave  et  tantôt  aigu  et 
nasal ,  je  me  rappelai  involontairement  les  céréinonies  des 
couvens  et  des  églises  de  l'Occident. 

»  Je  jetai  mes  regards  sur  la  foule,  et  ce  fut  plutôt  avec 
un  sentiment  de  pitié  que  de  dédain,  que  je  vis  vm  grand 
nombre  de  fakirs,  les  uns  avec  des  fers  tout  sanglans  en- 
foncés dans  leurs  membres,  les  autres  suspendus  par  les 
pieds  aux  arbres  qui  bordent  les  rues,  avec  des  feux  allu- 
més sous  leur  tète,  plusieurs  dont  le  front  était  caché  dans 
des  monceaux  de  sable  et  qui  étendaient  leurs  corps  tout  nus 
sous  les  pas  de  la  multitude.  A  Muntipum ,  petit  temple  qui 
sert  de  reposoir,  où  j'avais  suivi  la  procession,  s'offrit  une 
scène  bien  différente  ;  car  les  bayadères  y  dansèrent  devant 
la  statue  du  dieu.  Aucune  de  ces  jeunes  filles  n'était  d'une 
beauté  remarquable j  mais,  à  moins  d'être  privé  de  toute 
espèce  de  sentiment  de  poésie ,  11  était  impossible  de  voir, 
sans  être  ému,  leur  parure  ,  leurs  pas  cadencés  et  les  mou- 
vemens  gracieux  de  leurs  bi'as. 

Nous  dînâmes  chez  M.  C. ,  le  receveur  des  finances  de 
la  Compagnie,  et,  à  neuf  heures  du  soir,  on  vint  nous  cher- 
cher à  table,  pour  voir  la  procession  nocturne.  L'ordre  en 
était  le  même  que  celui  de  la  procession  du  matin  j  seule- 
ment Yichnou  était  placé  sur  l'image  dorée  et  brillaule  de 
Hanuman,  le  dieu-singe.  La  plate-forme  était  illuminée  j 
plusieurs  centaines  d'individus  portaient  des  torches  ,   et 


gi  Esquisses 

cinquante  enrirou  étaient  armés  d^espcces  de  tritlcns,  dont 
les  extrémités  étaient  en  feu.  De  tons  côtés ,  on  faisait  voler 
dans  Tair  de  superbes  fusées.  La  processica  s'arrêta  peu 
d'instans  après  que  nous  réunies  rejointe.  Il  y  eut  un  fort 
beau  feu  d'artifice  sur  une  grande  place  que  Ton  avait  tenue 
libre,  et  dans  laquelle  on  fît  ensuite  danser  deux  énormes 
poupées  de  carton ,  ce  qui  provoqua  les  bruyans  éclats  de 
rire  de  la  multitude.  Il  y  avait  au  milieu  de  cette  foule  noire 
ou  olivâtre ,  une  douzaine  de  pàlas  Européens ,  un  ra jab  et 
deux  de  ses  fils  et  un  riche  négociant  indien ,  assis  sur  des 
fauteuils  anglais.  J'avais  craint  d'abord  que  la  lune  ne  fit 
manquer  l'effet  des  artifices  et  des  illuminations  ,  mais  il 
n'en  fut  pas  ainsi.  Les  torches  et  les  tons  bleuâtres  des  feux 
du  Bengal  donnaient  à  la  verdure  des  cocotiers  ,  alignés 
dans  les  rues ,  un  éclat  niétaUique.  Le  feuillage  de  ces  ar- 
bres était  rempli  d'enfans  qui  s'y  pressaient  comme  des 
essaims  d'abeilles.  Les  vieux  murs  et  le  faîte  de  toutes  les 
maisons  étaient  également  couverts  de  groupes  innombra- 
bles, et  une  population  immense  qui  formait  une  masse 
compacte  et  animée,  se  mouvait  dans  les  rues. 

»  Le  Jour  suivant,  je  fus  témoin  d'un  spectacle  encore  plus 
singulier.  Les  sectateurs  de  Yiclniou  le  conservateur,  firent 
sortir  son  idole  sur  un  énorme  éléphant  de  bois  doré,  dans 
l'intention  d'insulter  le  iemple  et  les  sectateurs  deSivah  le 
destructeur.  Cet  ancien  usage,  transmis  par  une  longue 
succession  de  siècles,  occasionait  jadis  des  scènes  tumul- 
tueuses et  sanglantes.  Aujourdhui  il  y  a  un  certain  pilier 
que  les  sectateurs  de  Yichnou  ne  peuvent  pas  dépasser.  Uu 
oflicier  de  la  Compagnie  assiste  à  celle  bizarre  cérémonie 
pour  empêcher  le  désordre  ,  et  elle  se  termine,  si  ce  n'est 
paisiblement,  au  moins  sans  accidens  fâcheux.  Lorsque  je 
vis  cette  folie,  j'observai  que  les  gestes  de  mépris  des  Hin- 
dous sont  les  mêmes  que  ceux  adoptés  ,  d'un  commun 
accord,  dans  les  pantomimes  anglaises  .  françaises  et  ita- 


de  rinde.  gS 

liennes.  Le  dieu  el  l'élépliant  tonrnalent  le  Jos  au  portique 
du  temple  rival,  et,  par  trois  fois,  les  sectateurs  de  Vich- 
nou  poussèrent  son  idole  jusqu'au  pilier,  avec  des  gestes  et 
des  cris  injurieux  pour  l'autre  divinité.  Ils  paraissaient  avoir 
entièrement  perdu  la  raison  j  ils  sautaient  sur  les  épaules 
les  uns  des  autres ,  secouaient  de  grandes  torches  allumées 
et  défiaient  en  chantant  les  sectateurs  de  Sivah. 

3)  Je  vis  le  lendemain,  à  la  pointe  du  jour,  leRutt,  ou  char 
de  la  pagode  ,  en  mouvement ,  et  assurément  ce  spectacle 
n'était  pas  indigne  de  l'attention  du  voyageur.  La  plate- 
forme de  ce  char,  ou  temple  amhulant,  est  élevée  de  trente 
ou  trente-cinq  pieds  au-dessus  du  sol ,  et  le  dais  avec  les 
riches  draperies  qui  le  décorent  est  encore  trente  cinq  pieds 
plus  haut.  Vingt-chiq  ou  trente  Bramines  peuvent  s'y  pla- 
cer. Il  est  très-solide  et  très-lourd,  et  sculpté  avec  heaucoup 
de  soin j  ses  roues  ,  qui  ont  dix.  pieds  de  diamètre,  sont 
d'une  énorme  épaisseur.  Quatre  câbles  de  cent  verges  de 
long  y  sont  attachés,  et  deux  mille  personnes,  au  moins, 
avaient  le  dos  courbé  sous  ces  câbles  ou  les  tiraient  avec  la 
main.  A  mesure  que  le  char  s'avançait ,  les  adorateurs  de 
Vichnou ,  la  tête  élevée  vers  l'idole ,  y  jetaient  des  pièces 
d'or  ou  d'argent ,  et  des  noix  de  coco.  Les  Bramines  rom- 
paient les  noix,  et,  après  les  avoir  présentées  au  Dieu  ,  les 
rejetaient,  ainsi  consacrées,  à  ces  malheureux  idolâtres 
qui  les  recevaient  avec  ravissement ,  et  s'empressaient  en- 
suite de  les  partager  avec  leurs  familles  qui  les  avaient  ac- 
compagnés à  la  fête. 

3)  Le  Rutt  est  traîné  de  cette  manière  dans  les  rues  prin- 
cipales de  la  ville ,  et ,  au  retour ,  lorsqu'il  est  à  environ 
cent  verges  de  la  pagode,  ses  conducteurs  poussent  un 
grand  cri,  l'entraînent  d'un  mouvement  plus  rapide,  et  celte 
masse  énorme  frémit  et  chancelle  d'une  manière  effrayante, 
même  après  que  ses  roues  ont  été  arrêtées  dans  l'endroit 
où  elles  doivent  rester  jusqu'aux  solennités  prochaines. 


94  Esquisses 

3)  Pendant  la  procession,  on  voyait  Je  jeunesBramînes  qui 
bondissaient  an  milieu  de  la  foule,  en  frappant,  avec  des 
lanières  de  daim ,  tantôt  ceux  qui  conduisaient  le  Rutt , 
tantôt  ceux  qui  se  pressaient  à  côté.  Des  hommes  riches  et 
bien  vêtus  avançaient  la  main  pour  toucher  les  cordes  du 
char,  afin  de  pouvoir  réclamer  l'honneur  d'avoir  concouru 
à  le  trauier.  Les  femmes  tenaient  leurs  petits  enfans  élevés 
au-dessus  de  leurs  têtes  ;  et  tout  ce  qui  fi'appait  vos  yeux 
ou  vos  oreilles  ,  avait  le  caractère  d'une  joie  tumultueuse. 
Cependant  la  cérémonie  est  terminée ,  et  la  foule,  accourue 
pour  la  voir,  commence  à  se  disperser.  Quelles  sont  ces 
pauvres  familles  qui  saluent  d'un  air  craintif  cet  orgueil- 
leux Bramiue ,  et  qui  mangent  quelques  chétives  portions  de 
riz  froid?  Elles  sont  venues  de  leurs  villages  pour  adorer 
l'idole  de  Vichnou,  et  lui  offrir  le  peu  quelles  possèdent, 
et  elles  vont  y  retourner  pour  amasser,  par  l'économie  et 
les  travaux  les  plus  pénibles,  l'offrande  qu'elles  doivent  faire 
l'année  suivante.  Mais  entrez  dans  la  cour  du  temple.  Quel 
contraste ,  et  comme  tout  y  a  un  caractère  de  fête  et  de 
gaîté  !  Ces  gros  hommes ,  à  la  peau  lisse  et  luisante ,  sont 
des  prêtres  attachés  à  la  pagode  :  ils  se  partagent ,  dans  ce 
moment,  un  repas  somptueux  qui  leur  est  offert  par  un 
riche  marchand  de  la  caste  des  Byses,  venu  tout  exprès 
de  Madras  pour  assister  à  la  fête  ,  et  que  vous  reconnaîtrez 
à  la  ruse  de  son  regard ,  et  aux  diamans  qui  brillent  à 
ses  oreilles.  » 

Nous  tei  minerons  ces  longs  extraits  ,  comme  Tauteur 
termine  son  livre ,  par  l'admirable  peinture  qu'il  a  faite  de 
la  situation  présente  de  Goa,  cet  ancien  établissement  por- 
tugais ,  jadis  si  florissant  et  aujourd'hui  si  misérable. 

ce  Comme  je  longeais  la  côlc  de  Malabar,  de  Manga'ore 
à  Bombay  ,  en  décembre  1822,  je  dis  au  capitaine  de  mon 
patamare,  petit  bâtiment  côtier,  d'entrer  dans  le  port  de 
Goa.  Si  vous  fermez  les  yeux ,  en  écoutant  les  chants  de 


de  l'Inde.  g 5 

l'équipage  moresque  qui  conduit  votre  navire ,  vous  êtes 
tenté  de  croire  que  ce  sont  les  villageois  du  midi  de  l'Es- 
pagne que  vous  entendez  ,  et  ce  fut  avec  cette  impression, 
fortement  excitée  par  mes  souvenirs  de  la  Péninsule,  que 
j'entrai  dans  le  port  extérieur ,  grand,  et  superbe  bassin 
que  dominent  une  colline,  une  tour  et  un  fort  abandonné. 
J'y  trouvai  un  vaisseau  de  guerre  portugais,  d'un  aspect 
misérable ,  sans  aucune  apparence  de  vie  et  d'activité  j  et, 
en  voyant  quelques  hommes  nonchalamment  appuyés  sur 
ses  bords,  j'avais  peine  à  croire  qu'ils  étaient  les  descen- 
dans  de  ces  marins  intrépides  qui  bravèrent  les  premiers  le 
génie  redoutable  du  cap  des  Tempêtes. 

»  Je  me  plaçai  sous  le  tentelet  d'une  barque  qui  était 
venue  nous  joindi'e ,  et  les  rameurs  me  conduisirent  rapi- 
dement dans  le  second  port.  Sur  un  des  côtés  du  rivage  se 
trouve  la  moderne  Goa,  petite  ville  sans  importance,  située 
à  quelques  milles  de  l'ancienne  cité ,  que  des  causes  nom- 
breuses ont  fait  abandonner,  et  dont  il  ne  reste  plus  que  les 
prisons,  les  palais ,  les  couvens,  les  églises,  que  la  solidité 
de  leur  construction  a  défendu  des  outrages  du  tems.  Je  dé- 
barquai,  et,  de  l'échoppe  d'un  Parsis  (i),  seul  abri  que  je 
trouvai  contre  i'ardeur  du  jour  dans  cette  sale  petite  ville. 
J'écrivis  au  gouverneur,  pour  lui  demander  l'autorisation 
de  visiter  l'ancienne  Goa.  Les  seuls  hommes  de  que!qu'ap~ 
parence  que  je  vis  dans  les  rues ,  étaient  les  soldats 
d'un  régiment  récemment  arrivé  de  Lisbonne.  Les  habitans 
avaient  l'air  indolent  et  pauvre  :  ils  étaient  tous  plus  ou 
moins  malproprement  velus,  quoique  cependant  il  v  eût 
dans  leur  costume  une  certaine  affectation ,  qui  annonçait 
qu'ils  n'étaient  pas  sans  vanité. 


(i)  Note  du  Tr.  On  appelle  Parsis  les  .Tiloiateurs  du  feu  ;  ils  dcs- 
ccqctcnt  de  ces  anciens  Persans  (juc  les  persécutions  des  Muoulnians 
ont  forcc's  Je  fuir  de  leur  pnlri«. 


9^  Esquisses 

n  Lorsque  mon  domestique  fut  de  retour,  je  rentrai  dans 
la  barque ,  et  nous  continuâmes  notre  chemin.  Rien  n'est 
plus  agréable  que  ces  élégantes  plantations  de  cocotiers 
qui  couvrent  les  deux  rives  du  fleuve ,  près  de  rancienne 
Goa ,  dont  les  couvens  et  les  églises  que  Ton  aperçoit  à 
travers  ces  charmans  ombrages ,  ont  un  caractère  si  re- 
marquable de  paix  monastique  et  de  majesté.  Nous  amar- 
râmes près  des  marcbes  du  couvent  de  Saint  -  Thomas. 
C'était  Taprès  -  midi ,  et  pendant  l'heure  brûlante  de  la 
siesta.  Je  ne  rencontrai  personne  qui  pût  répondre  à  mes 
questions.  Je  traversai  les  cloîtres  du  dessous  et  les  galeries 
du  haut,  sans  entendre  d'autre  bruit  que  celui  que  faisaient 
mes  pas.  A  la  fin  j'aperçus  une  figure  malade  à  travers  une 
porte  enlr'ouverte,  et ,  en  entrant ,  je  vis  que  c'était  l'in- 
firmerie. Je  chargeai  un  infirmier,  à  figure  olivâtre  et 
maigre  ,  d'aller  dire  aux  frères  que  je  leur  demandais  l'hos- 
pitalité pour  la  nuit.  Je  descendis  ensuite,  et,  pendant  que 
mon  domestique  étendait  mon  tapis  sur  le  bord  de  la  rivière, 
comme  je  l'avais  ordonné  ,  je  gravis  la  colline,  en  me  diri- 
geant vers  le  cloître  des  Augustins.  Je  n'oublierai  jamais 
les  sons  tristes  et  prolongés  de  la  cloche  de  ce  couvent 
quand  elle  commença  à  sonner  vêpres.  Ces  sons  pénétrèrent 
jusqu'à  mon  cœur  j  jamais  je  n'ai  entendu  de  cloche 
d'un  effet  aussi  mélancolique  que  celle  qui,  de  la  tour 
des  Augustins,  appelle  aux  offices  religieux  de  cette  ville 
délaissée  et  dont  le  gazon  couvre  les  rues.  J'entrai  dans 
la  grande  et  belle  église  du  couvent  :  les  voix  qui  lisaient, 
celles  qui  chantaient,  les  petites  sonnettes  qui  avertissaient, 
par  leurs  tlntemeus,  des  momens  où  on  devait  se  signer  et 
s'agenouiller  ;  tout  paraissait  extrêmement  faible  :  on  eût  dit 
qu'elles  voulaient  inutilement  lutter  contre  le  profond  si- 
lence qui  les  environnait  de  toutes  paris ,  et  qui  semblait  les 
étouffer. 

»  Je  parcourus  lentement  les  cloîtres  remplis  de  pein- 


de  l'Inde.  g^ 

tures  à  fresque ,  qui  reprcsenteat  presque  toutes  le  martyr 
de  quelques  l'eligieux  de  Tordre  des  Augustins.  L'exécution 
en  est  généralement  médiocre  ;  cependant  il  y  en  a  quel- 
ques-unes dans  lesquelles  les  traits  noirs  et  sauvages  du 
Maure  soul  liabilement  contrastés  avec  la  figure  pâle  et  ré- 
signée des  martyrs.  Je  désirais  visiter  la  tombe  de^  saint 
François  Xavier  5  elle  est  dans  une  petite  église  ,  située 
près  du  collège  en  ruines  des  jésuites.  Un  jeune  sacristain 
m'ouvrit  la  sombre  chapelle  qui  renferme  cette  tombe.  Elle 
est  richement  décorée.  Au-dessus  ,  il  y  a  un  coffre  d'argent 
qui  contient,  dit-on  ,  les  cendres  du  sainl  ,  et  des  lampes  , 
également  en  argent ,  sont  suspendues  tout  autour.  Au-des- 
sous ,  il  y  a  quatre  bas-reliefs  parfaitement  exécutés  en 
bronze.  Dans  le  premier ,  saint  François  est  représenté 
prêcbant  les  idolâtres  ;  dans  le  second  ,  il  baptise  des  con- 
vertis 5  le  troisième  représente  sa  persécution;  et  le  qua- 
trième, sa  mort.  C'est  avec  une  véritable  joie  que  je  vis,  à 
peu  de  distance  de  cette  église ,  l'inquisition  ouverte  à  la 
curiosité  des  passans  et  dans  le  plus  complet  abandon.  Mais 
ce  ne  fut  pas  un  sentiment  semblable  que  j'éprouvai  en  par- 
courant le  palais  désert  des  anciens  gouverneurs  ;  car  certes 
les  Gama ,  les  Castro  et  le  grand  Albuquerque  n'étaient 
pas  des  hommes  ordinaires.  Je  marchai  sur  des  sentiers  cou- 
verts d'herbes  ,  à  l'ombre  d'arhrcs  trcs-élevcs ,  et  je  visitai 
encore  deux  autres  couveus  avant  le  coucher  du  soleil. 
Aucun  d'eux  n'a  le  nombre  de  religieux  qu'il  doit  avoir  • 
mais  celui  des  jésuites  est  !e  seul  qui  soit  entièrement  A^ide. 
En  général,  vous  n'y  trouvez  qu«  le  supérieur  et  un  ou  deux 
frères  qui  soient  européens.  Les  autres  descendent  de  parens 
européens  ,  et  portent  des  noms  portugais  ;  mais  en  voyant 
leur  teint  noir  et  leur  ignorance ,  on  est  tenté  de  les  prendre 
pour  des  Hindous. 

»  Je  retournai  à  l'cudmll  où  était  mon  tapis ,  et  j'y  trouvai 
utt  frère  qui  m'attendait  pour  me  conduire  au  doyen.  Je 
I-  7 


t)B  Esijuisscs  de  l'Inde. 

le  suivis  après  avoir  mangé  le  earry  préparé  par  inof» 
domestique.  Le  Joyen  m'accueiiiil  avec  une  polilessc  cov- 
tliale  et  empressée,  li  élait  né  à  Goa  ,  et  son  lemt  était  d'un 
jaune  foncé.  ïi  m'oliril  un  verre  crexcellent  vin  de  Lis- 
bonne ,  et  me  fil  préparer  une  chirn])re  et  un  lit.  j\vec  ce 
grand  nombre  de  clés  suspendues  à  sa  ceinture  ,  ses  allées 
et  venues  continuelles,  et  tous  ces  buffets  qu'il  ouvrait  cl 
refermait  sans  cesse ,  il  avait  l'air  d'une  ancrenne  femme  de 
charge. 

»  Mou  bon  hôte  était  trop  occupé  pour  répondre  à  uîts 
questions  ,  et  je  le  débarrassai  de  moi  en  me  retirant  dans 
ma  cellule.  Dans  un  excellent  lit  couvert  de  draps  très-fins  , 
je  savourai  les  douceurs  d'un  repos  délicieux  après  Us  fati- 
gues du  jour.  Le  lendemain  je  me  levai  avec  le  soleil ,  cl 
lorsque  j'entendis  la  cloche  des  Augustins  qui  sonnait  l'oftice, 
j'obéis  à  cet  appel,   en  me   rendant  à  la  cathédrale.  J'y 
trouvai  dix  chanoines  dans  leurs  stalles..  C'était  le  doyen 
<pii  officiait,  et  les  sacristains,  les  chanti'es,  les  bedeaux 
étalent  tous  à  leurs  places  icspeclives  ;   mais  il  n'y  avail 
dans  la  nef  d'autre  fidèle  qu'un  gentilhomme  portugais, 
qui  paraissait  fort  âgé.  Dans  les  ailes  de  côté  ,  j'aperçus 
quatre   vigoureux    esclaves    africains    crai   parlaient ,    qui 
riaient  et  qui  jouaient  ensemble  :  c'étaient  les  porteurs  de 
la  vianchila^  ou  litière  du  doyen.  Lorsque  la  c'ochetle  an- 
nonça l'élévation  de  riiostie,  ils  s'avancèrent  dans  la  nef, 
firent  le  signe  de  la  croix  et  s'agenouillèrent.  C'étaient  de 
beaux  jeunes  gens  ,  i's  avaient  des  formes  athlétiques  ;  leur 
peau  était  noire  et  polie  ,  leurs  dents  comme  de  l'ivoire,  et 
une  laine  épaisse  et  frisée  couvrait  leur  tête.  Ils  avaient 
ce  regard  rusé ,  ces   gestes  prompts   et  vifs  ,   et  ce  rire 
bruyant  des  sauvages  à  demi  apprivoisés. 

*  Le  clergé  de  la  cathédrale,  et  les  moines  des  couvensdu 
voisinage  sont  entretenus  au  moyen  des  concessions  de  ter- 
rains qui  ont  été  faites,  dans  le  principe,  à  ces  fondations 


Voyage  an  Pérou  ,  etc.  pg 

religieuses.  Il  ea  résulte  fjue  Goa  pre'sente  un  spectacle  qui 
n'existe  peut  -être  dans  aucun  autre  lieu  du  monde.  Dans 
un  espace  de  deux,  milles ,  vous  pouvez  entrer  dans  sept 
grandes  églises  :  vous  y  verrez  des  robes  noires  ,  blanches, 
brunes,  des  surplis  brodes  ,  des  ceintures  ,  des  chasubles  de 
soie.  Les  pasteurs  abondent  ;  mais  où  sont  les  troupeaux? 
Dans  Tune  de  ces  églises ,  je  trouvai  une  cinquantaine  de 
créoles  portugais 5  dans  l'autre,  quelques  pauvres  Hindous 
convertis. 

»  Goa  la  Dorée ,  comme  on  l'appelait  jadis ,  n'existe  plus  ! 
Goa  on  le  vieux  Gania  termina  sa  glorieuse  carrière  ;  où 
souffrit  et  chanta  Camoens.'  Ce  n'est  plus  aujourd'hui  qu'une 
grande  sépulture  que  l'herbe  recouvre  entièrement  ;  et  cette 
faible  et  lugubre  population  de  prêtres  et  de  religieux  que 
vous  j  rencontrez  ,  ne  semble  avoir  été  épargnée  que  pour 
célébrer  l'office  des  morls  ,  sur  les  restes  de  ses  générations 
éteintes.  »  (  Revue  d' Edmbourg.  ) 


VOYAGE  AU  PEROU, 

PAK  L\  CORDILLÈRE  DES  ANDES,  EN  l823  ET  1824; 

PAR   ROBERT   PROCTOR   (t). 


Cet  ouvrage,  n'eût-il  d'autre  mérite  que  d'être  écrit  sans 
prétention  ,  trouverait  grâce  aux  yeux  du  public  ;  il  n'est 
pas  en  effet  de  matière  d'un  intérêt  plus  général  que  le 
tableau  des  sites  pittoresques  et  «le  la  prospérité  politique 
et  financière  des  plus  belles  contrées  de  l'Amérique  méri- 

(i)  Narrative  vf  a  jotirney  ocross  t/ie  Cordilicra  of/he  Andes,  and 
of  a  résidence  in  Lima  ,  etc. ,  in  iSai.  lîy  Bobert  Proctoi  csq. 


loo  T'oyage  au  Pérou 

ilionale.  L'auteur  a  entrepris  son  voyage  pour  négocier , 
au  nom  d'une  compagnie  anglaise  ,  Temprunt  qui  a  élé 
contraclé  entr'elle  el  le  Pérou  j  et  celte  mission  l'a  rais  en 
rapport  avec  les  personnages  les  plus  marquaus  des  nou- 
veaux états  transatlantiques. 

Débarqué  d'abord  à  Buenos  -  A jres ,  M.  Proctor  quitta 
cette  ville  pour  se  rendre  par  terre  à  Lima  5  son  voyage  à 
travers  les  Pampas  ,  vastes  déserts  qui  occupent  plusieurs 
centaines  de  lieues  dans  tous  les  sens  entre  Bucnos-Ayres  et 
la  ville  de  Mendoze ,  est  décrit  avec  autant  d'inte'rct  que  de 
simplicité.  Pour  justifier  cet  éloge  nous  citerons  d'abord  le 
tableau  de  la  Cordillère  des  Andes. 

«  Le  7  ,  nous  aperçûmes  pour  !a  première  fois  la  Cor- 
dillère des  Andes.  On  ne  saurait  imaginer  reffet  que  produit 
sur  le  voyageur  la  vue  da  cette  immense  liarrière  de  mon- 
tagnes. Je  la  découvris,  comme  par  hasard,  pendant  que 
nos   guides  étaient  allés  nous  chercher  des  mules.  Nous 
étions  dispersés  çà  et  là  ;  tout-à-coup  ,  mes  yeux  s'arrêtent 
sur  des  objets  qui  s'y  retracent  comme  une  longue  colon- 
nade de  nuages  blanchâtres  et  immobiles.  Habitué  pendant 
ma  traversée  à  chercher  le  rivage  au  bout  de  l'horizon ,  je 
m'aperçus  bientôt  de  raoïî illusion,  et  les  brouillards  s'étant 
dissipés  peu  à  peu  ,  un  tableau  que  je  n'oublierai  de  mes 
jours  se  déploya  devant  moi  :  c'était  la  Cordillère.  Ces 
montagnes  énormes  étaient  entièrement  couvertes  de  neiges, 
et  elles  s'élevaient  à  une  telle  hauteur  que  je  fus  obligé  de 
tendre  le  cou  pour  les  regarder  5  elles  rac  semblèrent  appar- 
tenir à  un  autre  monde  ;  eu  effet ,  leurs  cimes  seules  étaient 
visibles  el  dominaient  majestueusement  les  sombres  nuages 
qui  couvraient  l'horizon.  Nous  étions  alors  à  cent  soixante- 
dix  milles   du  Cumhre  ,   point  culminant  de   ces    monta- 
gnes ,  etc. ,  etc.  » 

La  circonstance  d'être  obligé  de  tendre  péniblement  le 
cou  pour  saisir  l'ensemble  de  la  Cordillère  ,  donne  une  idée 


pur  la  Coniillèiô  des  Andes.  loi 

plus  jusle  de  leur  prodigieuse  hauteur  qu'une  description 
plus  fleurie. 

Arrivé  à  Mendoze,  Tiiutcur  Tut  présenté  au  général 
Saint-Martin ,  ù  qui  il  était  recommandé ,  et  il  eut  Foc- 
casiou  de  le  voir  souvent.  Voici  le  portrait  qu'il  fait  de  ce 
célèbre  capitaine  : 

«  Je  n'ai  vu  personne  qui  eût  plus  de  vivacité  dans  la 
physionomie;  ses  traits  s'animaient,  surtout  quand  il  nous 
parlait  des  événemens  auxquels  11  avait  présidé  j  et  quoiqu'il 
se  dît  heureux  dans  sa  retraite  de  Mendoze,  je  crus  lire 
dans  le  feu  de  ses  regards  qvi'il  lui  tardait  d'être  rappelé  à 
des  occupations  plus  actives.  Il  vivait  tranquillement  à 
Mendoze,  ou  plutôt  dans  une  terre  qui  en  est  éloignée  de 
huit  lieues  ,  et  dont  ses  soins  ont  fait  un  séjour  enchanteur  ; 
il  me  parut  affectionner  beaucoup  celte  ville,  parce  qu'il  y 
est  généralement  aimé  ,  et  surtout  parce  que  c'est  là  qu'il  a 
commencé  sa  brillante  carrière.  Quelquefois,  le  soir ,  il  ve- 
nait causer  avec  nous  sans  façon  ,  et  il  nous  amusait  par 
une  foule  d'anecdotes  qu'il  contait  très-bien  ,  et  auxquelles 
le  jeu  de  sa  physionomie  donnait  un  charme  particulier.  » 

La  wiontée  de  la  première  Sierra,  qui  commence  à  la 
sortie  d'un  village  qui  sert  de  poste  militaire,  et  qu'on  a* 
relevé  du  nom  pompeux  de  Villa  Vicencio ,  fournit  à  l'au- 
teur des  observations  qui  ont  aussi  leur  intérêt. 

«  J'ai  été  forcé  d'admirer  l'intelligence  avec  laquelle  les 
mules  savent  distinguer  quels  sont  les  endroits  oii  le  sol  est 
le  plus  ferme,  pour  y  poser  les  pieds.  Après  avoir  monté 
pendant  plusieurs  heures  ,  en  tournant  autour  delà  Sierra, 
le  chemin  nous  parut  barré  par  un  rocher  à  pic  '•,  cepen- 
dant, en  obliquant  à  droite  ,  nous  parvînmes  au  sommet 
par  un  sentier  en  zig-zagj  qui  a' est  tracé  que  par  les  pieds 
des  mules.  Le  coup-d'œll  que  présentent  ces  animaux  sus- 
pendus à   la  file  sur  ces  échelons    angulaires,    est   assez 


loa  Voyage  au  Pérou 

curieux  ;  lant  qu'on  côtoie  les  flancs  de  la  Sierra  ,  !a 
montée  est  si  douce  ,  et  le  pied  des  mules  si  sûr ,  qu'on 
n'éprouTC  aucune  frayeur ,  pourvu  qu'on  ne  regarde  pas 
derrière  soi.  I>es  cris  des  muletiers  ,  pour  hâter  ou  ralentir 
le  pas  de  ces  animaux ,  répétés  et  prolongés  par  les  échos  , 
dans  ces  gorges  effroyables  ,  achèvent  de  donner  à  ce  ta- 
bleau une  teinte  pittoresque  et  sauvage. 

■a  Au  premier  défilé ,  le  sentier  n'a ,  dans  un  espace  do 
quelques  toises  ,  qu'une  largeur  de  quinze  à  dix-huit  pouces  ; 
il  plonge  sur  un  torrent,  à  une  hauteiu'  d'environ  cinquante 
toises  ;  il  est  couvert  de  cailloux ,  ainsi  que  le  soi  qui  ie 
domine.  Dans  ce  défilé,  la  position  du  voyageur  est  au 
moins  inquiétante.  Sous  ses  pieds  est  un  vaste  abîme;  sur 
sa  tèle  sont  suspendus  des  rochers  de  nature  siliceuse  , 
dont  les  élémens  mobiles  forcent  le  voyageur  de  regar- 
der à  tout  moment  au-dessus  de  sa  tête,  dans  la  crainie 
d'être  écrasé  par  leur  chute.  Des  croix  placées  çà  et  là 
dans  les  flancs  de  la  montagne  hii  révèlent  le  nombre  de 
ceux  qui  ont  subi  le  sort  dont  il  est  menacé.  Dans  un  sen- 
tier si  étroit,  la  mule  sentant  que,  si  sa  charge  vient  à 
heurter  contres  les  masses  caillouteuses  qui  sont  en  saillie  , 
elle  roulera  infailliblement  dans  les  fondrières  de  la  mon- 
tagne ,  suit  l'extrême  bord ,  de  sorte  que  le  corps  de 
l'animal  et  la  jambe  du  voyageur  débordent  le  chemin 
au-dessus  de  l'abîme.  Souvent  aussi  le  terrain  fléchit  sous 
le  pied  de  la  mule.  Redoublant  alors  de  précaution  ,  avant 
de  s'appuyer  ,  elle  sontiv^  le  chemin ,  et  pose  ses  pieds  en 
ligne  droite  l'un  devant  l'autre.  Il  est  très-dangereux  dans 
ces  momens  critiques  tie  chercher  h  guider  sa  moulure  :  le 
plus  sûr  est  de  l'abandonner  à  elle-même. 

»  Quant  au  second  défilé,  il  est  plus  effrayant  peut-être; 
des  femmes  auraient  pu  difficilement  le  franchir  ,  à  moins 
d'être  assises  de  côté  sur  la  mule  et  de  faire  face  à  la  mon- 


par  4a  Cordllurrc  Uc^  .-lndc.>.  io5 

'iui^no,  ïidWi,  îii  l'.osilion  opposée  ,  tours  corps  ,  débordant 
sur  l'abîme ,  le  plus  léger  niouvemenl ,  le  moindre  verlige  , 
suflirait  pour  les  y  précipiter.  » 

Noire  voyageur  gagne  enfin  le  sommet  de  la  partie  de 
la  Cordillère  qu'il  avait  à  traverser  ;  il  descend,  non  sans 
être  exposé  à  de  grands  dangers,  dans  les  contrées  %lu 
Chili ,  situées  au  revers  de  cette  chaîne  de  montagnes  ,  et 
il  se  rend  à  Valparaiso  ; 

«  J'avais ,  dit-il,  des  lettres  pour  le  général  O'Higgins,  na- 
guère  directeur  suprême  du  Chili,  aujourd'hui ,  eu  quelque 
sorte  ,  prisonnier  d'Etat  à  Valparaiso.  Je  ui  empressai  de  lui 
rendre  ma  visile.  11  habitait  le  palais  du  gouverneur  et 
avait  la  ville  pour  prison.  Son  entrelien  me  charma.  Ce 
général  est  plein  de  vivacité  et  d  un  commerce  agréable  ; 
né  tians  l'Amérique  méridionale ,  il  a  été  élevé  en  Irlande 
dont  sa  famille  est  originaire.  Il  parle  fort  bien  notre 
langue,  et  touî:  ce  qui  est  anglais  l'intéresse.  Sa  taille 
est  petite,  mais  forte;  sa  figure  m'a  rappelé  le  portrait 
d'Olivier  Cromwell.  O'Higgins  est  intrépide  soldat,  assez 
habiie  général,  mais  il  est  d'un  caractère  trop  ouvert  cl 
trop  confiant  pour  un  lems  de  révolution.  Il  a  joué  un 
grand  rôle  dans  les  événemens  qui  ont  opéré  l'indépen- 
dance (lu  Chili.  A  la  tête  d'un  parti  puissant ,  défenseur 
de  cette  noble  cause,  il  prit  part,  à  côté  de  Saint- 
Martin  ,  à  la  bataille  de  Chacabuco.  A  l'époque  où  l'armée 
royaliste,  sous  Osorio,  surprit  de  nuit  et  dispersa  celle 
des  patriotes,  il  concourut,  avec  son  illustre  compagnon 
d'armes,  à  raUier  celle-ci,  après  avoir  i-établi  l'ordre  dans 
la  capitale,  par  son  influence  et  son  ad i vite.  C'est  à  lui 
principalement  qu'on  doit  l'organisation  de  ces  bataillons 
qui,  peu  de  tems  après,  battirent  à  Maypo  l'armée  victo- 
rieuse ,  qui  s'avançait,  pleine  de  confiance,  sur  Sant-Yago. 
Rien  n'eût  manqué  à  la  gloire  d'O'lliggins ,  comme  gou- 
verneur du  Chili ,  s'il  n'«ût  cédé  à  l'influence  d'un  ministre 


io4  F'oyage  au  Pérou  • 

ambitieux  et  intrigant.  Même  en  ce  moment,  indépen- 
damment de  ses  services,  son  nom  seul  est  d'un  grand 
poids  parmi  les  indcpendansj  son  pore,  vice-roi  du  PérOti 
et  du  Chili ,  a  laissé  dans  ces  contrées  les  souvenirs  les  plus 
honorables. 

»  Valparaiso  est,  sous  ie  rapport  des  mœurs ,  la  sentine  de 
tous  les  vices  de  TAmérique  mcrliîionale.  Il  est  difficile  de 
voir  des  hommes  plus  corrompus  que  quelques  aventuriers 
anglais ,  qui  y  vivent.  Mais  les  Chiliens  espagnols  ,  nés  dans 
le  pays ,  sont  plus  odieux  encore  ,  s'il  est  possible ,  car  à 
tous  les  auli'es  vices ,  ils  joignent  la  lâcheté. 

»  Les  naturels  du  pays  ont  la  réputation  d'être  les  hommes 
les  plus  sanguinaires  et  les  plus  barbares  de  l'Amérique  mé- 
ridionale. Sous  un  vernis  de  politesse,  ils  sont  vindicatifs  à 
Texcès,  et  ont  recours  au  couteau  pour  la  plus  légère  of- 
fense. On  en  voit  des  exemples  même  à  Sant-Yago.  Je  me 
promenais  un  soir  sur  le  Pacomar  ;  tout-à-coup  je  vois  un 
homme  à  cheval  descendre  au  grand  ga'op  l'avenue  où  j'é- 
tais, renverser  un  piéton  ,  lui  passer  sur  le  corps,  et  pour- 
suivre son  chemin ,  sans  même  regarder  en  arrière.  Les 
Anglais,  témoins  du  fait,  accoururent  vers  ce  malheureux 
qui  venait  d'expirer  ;  mais  les  gens  du  pays  ne  firent  au- 
cune attention  à  cet  événement,  et  virent  emporter  le  ca- 
davre, sans  témoigner  la  moindre  pitié.  Quelques  jours 
après,  im  officier  anglais,  au  service  du  Chili,  se  |îromc- 
nant  à  cheval,  à  quelques  pas  de  la  ville ,  aperçoit  un  homme 
en  querelle  avec  sa  femme  et  qui  allait  la  frapper  d'un  coup 
de  couteau  ;  il  descend  à  l'instant  de  cheval  et  court  inter- 
céder pour  sa  victime.  Le  mari  se  retournant  froidement, 
plonge  son  couteau  dans  le  ventre  de  l'officier  et  le  tue.  Les 
meurtres,  si  communs  dans  ce  pays,  s'y  commettent 
avec  la  plus  indigne  lâcheté;  l'assassin  frappe  sa  victime 
par  derrière ,  et  a  disparu  avant  qu'elle  ait  pu  le  recon- 
naître. » 


parla  Cordillère  des  Andes.  io5 

Le  chapitre  XIX<=esl  important ,  en  ce  qu'il  peint  l'état 
des  partis  de  Lima,  avant  et  depuis  ia  disgrâce  d'O'Hig- 
giûs  et  la  défaite  d'Alvarado.  Les  notices  sur  ces  per- 
sonnages, ainsi  que  sur  Leuiar,  Riva  Aguero ,  le  comte 
Vistaflorida ,  le  général  Sucre,  Canterac,  Loriga,  Miller 
et  autres  ,  sont  pleines  d'intérêt  ;  nous  nous  bornerons  à  en 
extraire  quelques  détails,  relatifs  ;i  l'homme  le  plus  remar- 
quable de  tous  ceux  qui  ont  figuré  sur  le  thcâti'e  immense 
et  brillant  qui  fixe  aujourd'hui  l'attention  de  l'univers ,  le 
libérateur  Bolivar. 

a  Peu  de  jours  après  sou  arrivée  à  Lima  ,  Bolivar  eut  le 
désir  de  paraître  au  spectacle  ;  chacun  à  l'instant  courut 
arrêter  des  loges,  chose  assez  difficile,  car  elles  sont  pour 
la  plupart,  louées  au  mois  ou  à  l'année.  La  salle  qui  est 
grande  à  peu  pi'ès  comme  notre  théâtre  de  Hay-Market  a 
Londres,  était  parée  sur  tous  les  points  des  couleurs  na- 
tionales j  et  au-dessus  de  la  loge  <iu  président  de  la  répu- 
blique, située  au  cenli'e  du  premier  rang,  on  voyait,  con- 
fondues en  un  faisceau ,  les  bannières  du  Pérou  et  de  la 
Colombie.  La  salle  se  remplit  de  très-bonne  heure;  l'ar- 
rivée de  Bolivar  fut  annoncée  par  des  boîtes.  Il  entra  dans 
la  salle,  accompagné  du  président,  et  il  est  inutile  de  dire 
de  quelles  acclamations  il  fut  accueilli  j  il  rendit  ce  salul 
en  s'inclinant  brusquement ,  et  s'assit. 

»  Bolivar  est  petit  et  luaigre  ;  son  extérieur  annonce  une 
grande  activité  5  sa  figure,  d'ailleurs  fort  belle ,  est  sillon- 
née par  les  travaux  et  par  les  soucis  ;  il  a  l'œil  noir  et  vif, 
de  grandes  moustaches  ,  les  cheveux  crépus  j  sa  physiono- 
mie révèle  son  caractère  5  l'audace  ,  l'activité  ,  un  génie 
aventureux  ,  une  vivacité  impatiente  ,  une  volonté  ferme , 
se  peignent  dans  tous  ses  traits  et  se  décèlent  à  chaque  mou- 
vement de  son  corps. 

,Lc  costume  militaire  qu'il  avait  au  spectacle,  était  d'une 
extrême  simplicité  )  il  portait  un  habit  et  un  pantalon  bleus 


loo        ApciciL  de  lu  siluation  coininercicd'j  eL  agricole 

cl  des  JioUes  à  récuyère.  il  parut  Irès-atlenlif  àla  représeu- 
talion  de  la  grande  pièce,  toute  mauvaise  qu'elle  était,  et  il 
s'amusa  beaucoup  Ag  {a  Snyiietie,  geurc  do  comédie  que  les 
Espagnols  de  Lima  jouent  avec  un  talent  tout  particulier.  » 

(  Lit.  Gaz.  ) 

APERÇU 

DE    LA    SITUATION     COMMERCIALE    ET    AGRICOLE 
DE    I.  A    RÉPUBLIQUE    d'hAÏTI. 


Les  laits  positiCs  que  nous  fournit  la  slalisluiue  d'Haïti, 
montrent  à  quel  point  l'aflranchissement  d'une  population 
de  noirs  influe  sur  sou  accroissement,  son  bien-être,  son 
industrie  et  ses  mœurs,  a]v)rs  même  qu'elle  aurait  conquis, 
comme  à  Saint-Domingue ,  la  liberté  par  la  violence,  et 
l'aurait  long-tems  disputée  aux  arntes  de  l'étranger  et  aux. 
discordes  intestines.  D'ailleurs  la  situation  actuelle  de  cette 
île  est,  au  plus  haut  degré  ,  digne  de  fixer  l'attention  pu- 
blique. Elle  offre  d'abord  un  grand  intérêt  de  curiosité. 
Une  vaste  contrée  occupée  par  des  hommes  qui ,  passant 
tout- à-coup  de  la  condition  d'esclaves  à  celle  de  citoyens, 
fondent  leur  existence  politique  et  leur  liberté  j  qui,  sor- 
tant de  l'état  de  nature,  atteignent  en. peu  de  tems  un  assez 
haut  degré  de  civilisation,  et  se  créent  une  constitution  et 
un  gouvernement;  une  telle  contrée  présente  un  spectacle. 
à  la  fois  nouveau  dans  l'histoire  de  l'espèce  humaine ,  et 
piquant  par  les  disparates  qu'il  paraît  réunir  et  concilier. 
L'intérêt  s'accroît  quand  on  songe  que  le  pays  ,  théâtre  de 
ces  phénomènes  ,  touche  à  nos  colonies ,  et  que  celles-ci 
sont  placées  dans  des  circonstances  analogues  à  celles  oii 
une  révoluliousi  extraordinaire  s'est  opérée. 


de  Ici  répiihliqm,  d' Haïti .  \on 

Comme  nous  n'avons  ou  jusqu'ici  que  peu  de  t^elations 
directes  avec  la  nouvelle  république,  nous  sommes  peu 
éclairés  sur  sa  situation  intérieure  ;  et  nous  connaissons 
comparativement  mieux  tel  autre  pays  bien  plus  éloigné  de 
l'Angleterre,  ou  même  inaccessible  à  ses  voyageurs.  Les 
événemcns  de  l'époque  actuelle  doivent  ajouter  ausgi  à 
l'importance  du  sujet  que  nous  traitons  ;  car  lorsque  le 
vœu  général  de  la  nation  prescrit  à  noire  gouvernement 
de  reconnaître  comme  états  iudépeudans  toutes  les  colonies 
qui  sont  parvenues  à  secouer  le  joug  de  leur  métropole  , 
on  ne  peut  que  tourner  les  regards  vers  celle  de  ces  colo- 
nies qui  jouit  depuis  le  plus  long-tems  de  soii  indépendance , 
qui  a  le  mieux  afFernii  sa  liberté  .  et  qui  offre  le  plus  de 
titres  ri  un  acte  de  reconnaissance  ,  soit  qu'on  le  suppose 
commandé  par  la  justice,  ou  dicté  par  la  politique. 

Ajoutons  ,  ce  qui  e.st  bien  important  ,  que  le  sort 
d'Haïli  jette  un  grand  jour  sur  la  question  délicate  de  savoir 
si  Ton  abolira  l'esclavage  comme  l'on  a  aboli  la  traite  des 
uoiis,  question  qui  s'agite  aujourd'hui  tant  dans  le  Nouveau- 
INiOnde  que  dans  l'Ancien.  Les  suites  de  raffranchissement 
des  noirs  à  Saint-Domingue  nous  sont  constamment  cilées 
comme  un  exemple  funeste,  par  les  ennemis  de  la  liberté  et 
de  l'humanité.  Cependant  la  calomnie  contre  les  noirs  s'est 
à  peu  près  épuisée  j  on  ne  saurait  plus  se  dissimuler  leur 
position  actuelle  5  l'influence  des  préventions  dont  ils  sont 
l'objet  s'affaiblit  de  jour  eu  jour,  et  il  est  lems  d'aborder 
franchement  les  faits  qui  les  concernent.  La  moindre  jus- 
tice qu'on  puisse  leur  rendre ,  est  de  convenir  que  ,  trom- 
pant l'attente  générale  ,  et  dissipant  les  craintes  que  nous 
avions  conçues,  ils  se  sont  montrés  les  voisins  les  plus 
paisibles  ,  tandis  qu'il  ne  tenait  qu'à  eux  d'être  les  voisins 
les  plus  inquiétaus  et  les  plus  dangereux. 

IVous  nous  proposons  de  résumer  dans  cet  article  tout  ce 
que  nous  avons  pu  recueillir  d'authentique  sur  la  silualion 


\ 


ïo8     Aperçu  de  la  situation  commerciale  et  agricole 
actuelle  crHaïii ,  et  sur  ses  progrès  en  tout  genre  ,  depuis 
qu'elle  s'est  séparée  de  sa  métropole.  Nous  nous  bornerons 
à  poser  les  faits  j  les    conséquences  qui   en  découlent  se 
présenteront  assez  d  elles-mêmes. 

POPULATION   DE    SAINT-DOMINGUE. 

Les  partisans  de  la  traite  se  sont  attachés  à  faire  croire 
que  la  race  des  noirs  ne  pouvait  s'entretenir  aux  Antilles 
sans  recevoirdes  renforts  de  la  côte  d'Afrique,  etque,  surtout 
dans  l'état  libre ,  elle  n'j  suffisait  pas  à  sa  reproduction.  Les 
recensemens  les  plus  exacts  donnent  un  démenti  formel  à 
ces  suppositions  déraisonnables. 

La  population  indigène  d'Haïti  ,  lors  de  la  première 
invasion  de  l'île ,  a  été  portée  à  3, 000,000  d'ames  par 
l'évêque  Las  Casas.  Ce  nombre  est  probablement  exagéré  j 
mais  fût-il  beaucoup  moindre ,  ou  ne  peut  douter  qu'il 
n'ait  promptemeut  diminué  à  la  suite  de  la  conquête.  Au 
dix-septième  siècle,  l'île  était  partagée  entre  les  Espagnols 
et  les  Français j  dans  le  siècle  suivant,  et  en  1 789,  le  nombre 
des  premiers  était  de  1 10,000  babiians  libres,  et  de  i5o,ooo 
esclaves.  Eu  17^6,  la  population  française  s'élevait  à 
îoOjOoo  nègres  et  5o,ooo  blancs.  On  comptait,  en  1775, 
d'après  M.  Malouet,  3oo,ooo  nègres  et  25, 000  blancs.  Il 
y  avait  en  1779,  selon  M.  Necker  ,  2495*^98  esclaves, 
7,o55  nègres  libres,  et  32,65o  blancs  5  en  tout  288,8©5 
babitans.  En  1789,  M.  Moreau  de  Saint-Méry  porta  le 
nombre  des  esclaves  à  45^>ooo;  ^'  Bryan  Edward  à 
480,000  5  et  M.  Prieur,  dans  son  rapport  fait  à  l'Assemblée 
nationale ,  l'estime  à  5oo,ooo  noirs  et  4o?ooo  blancs.  Que 
si  Ton  ajoute  maintenant  ce  nombre  ,  peut-être  exagéré ,  à 
ceUii  des  babitans  de  la  portion  espagnole,  on  verra  qu'au 
commencement  de  la  révolution  ,  la  population  n'allait 
pas  au-delà  de  665,ooo  âmes.  Depuis  cette  époque  ,  jus- 
qu'en 1807,  que  l'armée  française  fut  définitivement  ex- 


de  lu  république  d'Haïti.  109 

puisée  de  l'île,  le  pays  a  clé  Jévasté  par  une  suite  non- 
interrompue  (le  guerres  sanglantes,  ce  qui  n'a  pas  arrêté 
raccroissenient  prodigieux  de  la  population.  D'après  le 
recensement  fait  en  1824  ,  elle  s'élevait  à  955,555  individus. 
La  force  militaire  de  ce  pays  est  proportionnée  à  la  masse 
de  ses  habitaus.  45,52o  soldats  composent  l'armée  active , 
et  la  garde  nationale  est  forte  de  ii  5,528,  ce  qni  forme 
un  total  de  1 58,848  hommes  exercés  au  maniement  des 
armes.  Ces  estimations  sont  officielles  5  elles  ont  été  faites 
en  vertu  d'un  ordre  du  président  Boyer  du  6  janvier  1824. 
Une  résolution  prise,  par  cette  même  autorité  ,  au  mois 
de  mai  1824?  aura  pour  efl'et  d'accroître  encore  davan- 
tage la  population  j  elle  porte  qu'il  sera  reçu  des  Etats-Unis 
d'Amérique  6,000  noirs  libres  et  hommes  de  couleur  ; 
qu'ils  seront  partiellement  indemnisés,  par  l'Etat,  de  leurs 
frais  de  voyage,  et  qu'il  leur  sera  concédé  des  terres  et 
fourni  des  inslrumens  aratoires  ,  pour  commencer  leurs 
travaux  de  défrichement  j  ainsi ,  dans  le  cours  de  trente- 
cinq  ans ,  et  malgré  l'état  de  guerre  qui  sVst  prolongé  dans 
l'île  d'Haïti ,  la  population  aura  augmenté  de  G65,ooo 
à  955,000  âmes. 

Que  l'on  compare  maintenant  cet  accroissement  extraor- 
dinaii'e  à  la  marche  de  la  population  dans  nos  colonies 
Aes  Antilles,  et  l'on  verra  que  l'état  de  liberté  offie  à  cet 
égard  des  résultats  bien  dififérens  de  ceux  que  fournit  l'état 
d'esclavage.  En  1 788 ,  il  y  avait ,  d'après  un  rapport 
fait  au  conseil  privé  du  roi ,  9,000  esclaves  à  Tortola. 
IjCS  registres  des  esclaves  importés  de  la  côte  d'Afrique  nous 
manquent  depuis  1790  jusqu'en  1796.  De  1788  à  1790, 
et  de  1796  jusqu'en  1806,  il  eu  fut  importé  1,089.  Cepen- 
dant, en  1822,  le  nombre  total  des  habitans  ne  s'élevait 
qu'à  6,478,  et  celui  des  esclaves  à  5;55i,  y  compris  5o4 
affranchis . 

En  janvier  1721,  il  y  avait  77,376  esclaves  à  Démérary^ 


1  1  o     Aperçu  de  la  siLuatiun  coinnicrciale,  et  agricole 

dix-sept   mois    plus    tai'tl ,   ils  étaient    réduits    à   74>48i  ; 
difl'érence  en  moins  ,  2,g58. 

Observons  qne ,  dans  cet  interval'e ,  1,293  esclaves  ont 
été  transportés  par  ordre  de  noire  gouvernement ,  des 
Antilles  aux  marais  pestilentiels  de  celte  colonie ,  où  ils 
ont  trouvé  la  mort  5  ce  qui  fait  im  décroissement  total  de 
4,25 1  individus,  en  moins  de  deux  ans, 

A  la  Jamaïque ,  on  comptait,  en  1790,  25o,ooo  noirs. 
Si  cette  population  s'était  accrue  proporlionnellcment  à 
celle  de  l'Amérique  du  Nord ,  elle  se  serait  élevée  à  575,000 
en  1810.  A  cette  époque,  toutefois,  elle  n'était  que  de 
540,000;  dlflérence  en  moins  sur  les  progrès  de  la  popu- 
lation des  États-Unis,  a55,ooo  ;  et  cependant,  durant  ces 
trente  ans  ,  ou  pîulôt  dans  les  dix-huit  premlèi'es  années  de 
cette  période,  il  fut  importé  de  la  côte  d'Afrique  à  la  Ja- 
maïque 109,000  noirs,  qui  n'en  sortirent  pas.  Abstraction 
faite  de  tout  accroissement  pi'oveuant  des  iiTiportations  ,  la 
Jamaïque  aurait  dii  posséder, en  1820,  764,000  noirs,  c'est- 
à-dire  424>o<^o  ^^  p'I'^'s  qu  il  n'y  en  avait  effectivement  cette 
année.  Mais  ,  en  ne  comptant  sur  aucun  accroissement 
résultant ,  soit  de  la  propagation  de  la  population  noire  exis- 
tante en  1770,  soit  des  importations  postérieures  à  cette 
époque ,  le  nombre  des  noirs  dans  l'île  devait  être  ,  eu  1820, 
de  459JOO0  ;  et  il  n'était  que  de  65o,ooo. 

En  résumé,  dans  toules  nos  colonies  des  Antilles  ,  à  l'ex- 
ception de  la  Barbade  et  des  îles  Baliamaues ,  la  population  a 
subi  un  décroissement  continu,  qui,  dans  le  cours  de  trois 
années  antérieures  à   1820,   a  été  de  6,000  âmes  par  an. 

En  ce  qui  touche  les  progrès  de  la  population  aux  Etats- 
Unis  ,  nous  citerons  un  écrit  imprimé  à  Schawene-Town , 
dans  le  territoire  Illinois,  et  que  nous  avons  sous  les  yeux. 
L'auteur,  M.  Morris-Birbeck,  y  traite  la  question  desavoir 
s'il  serait  bon  d'introduire  les  noirs  comme  esclaves  dans 
les  étals  de  l'ouest  de  l'Union.  Il  présente,  à  la  suite  de  son 


de  lu  rcpuhlique  d'Haïti.  1 1 1 

ouvrage,  un  taljk'au  nssez  curieux  ties  progrès  Je  la  popu- 
laliou  dans  ces  conlré'S,  On  y  voiujue,  de  i8ooà  1810,  la 
populatiou  s'est  élevée  de  200,959  à4oC>,5ii  âmes,  dans 
le  Kentuckev  ;  et  daus  TOliio  ,  de  55,556  à  '.i^o,  yOg  in- 
<lividus  ;  en  moins  de  vingt  années  ,  elle  est  devenue  onze 
i'oîs  plus  nombreuse  qu'elle  ne  Télait  dans  le  principe.  En 
di\  ans  ,  la  population  C'.c  Tlndiana  s'est  élevée  de 
247520a  147,178  habitans  libres;  celle  du  Missouri  de 
•>.o,845  à  6(3,580.  On  ne  saurait  trop  réflécîiir  sur  cette 
disproportion  avec  laquelle  se  r.".ultipllenl  les  races  libres 
et  les  races  esclaves  dans  les  états  de  l'Union.  Si  Haïti  eût 
constamment  joui  de  la  paix ,  sa  population  se  serait  pro- 
bablement accrue  dans  les  mêmes  i-apporls  que  celle  de  ces 
contrées 5  ce  n'est  en  effet  que  lorsque  la  tranquillité  s'y  est 
rétablie,  qu'une  progression  étonnante  s'y  est  fait  remar- 
quer ;  et  il  faut  défalquer  des  registres  antéricui's  cette 
masse  imniense  d'individus  de  tout  sexe  ,  moissonnée  par 
les  guerres  meurtrières  qui  se  succédèrent  depuis  1794  jus- 
qu'en 1802. 

DES    PRODUITS    d'hAÏTI. 

T)\\  rapide  accroissement  qu'a  éprouvé  la  population 
d'Haïti ,  on  est  fondé  h.  conclure  que  sps  produits  suffisent 
aux  besoins  de  ses  habitans.  Quant  aux  productions  parli- 
cidières  qui  faisaient  la  ricbesse  de  rancienne  colonie  ,  telles 
que  le  sucre ,  le  coton ,  le  café  ,  il  résulte  des  rapports 
officiels  sur  Tétat  du  commerce  général  de  l'île  ,  qu'il  a 
été  exporté,  dans  l'année  1822,  052,54 1  livres  de  sucre, 
891,950  livres  de  coton  ,  55, 117,854  livres  de  café, 
et  \nie  quantité  considérable  de  cacao  ,  de  bois  de  tein- 
ture ,  etc.  ,  etc.  En  comprenant  ,  dans  la  somme  des  pro- 
duits, le  sucre ,  le  café  et  le  coton  ,  qui  ont  été  consommés 
dans  l'intérieur,  la  valeur  des  matières  exportées  en  1822  , 


112      Aperçu  de  lu  situation  commerciale  et  agricole 

Est  de  9,000,000  de  dollars  ,  ou  plus  de  2,000,000  de 
livres  sterling  (  60,000,000  de  francs  )  ;  celle  des  ma- 
tières imporlécs  approche  de  5,ooo,ooo  de  notre  monnaie 
(  75,000,000  de  francs  )  5  et  le  commerce  d'importation  et 
d'exportation  a  occupé  un  tonnage  de  200,000  ,  réparti 
sur  1,855  bâtimens. 

A  ces  faits  concluaus ,  nous  ajouterons  ,  pour  l'édification 
de  ceux  qui  méprisent  tout  commerce  qui  ne  rapporte 
rien  au  fisc ,  que  les  droits  d'entrée  et  de  sortie  des  pro- 
duits d'Haïti  ont  excédé,  eu  1822,  678,000  liv.  sterling 
(  i6,o5o,ooo  francs)  ,  revenu  que  ne  dédaignerait  pas  la 
dynastie  la  plus  ancienne  et  la  plus  légitime  de  l'Europe. 

SITUATION    MORALE. 

A  la  suite  de  l'aperçu  rapide  que  nous  venons  d'offrir  sur 
la  population,  la  foi'ce  militaire,  le  commerce  et  les  finances 
d'Haïti ,  en  un  niot  sur  la  statistique  de  cet  empii-e ,  pas- 
sons à  des  observations  plus  étendues  sur  sa  situation 
morale.  L'extrait  suivant  d'une  letti'e  du  général  Inginac, 
secrétaire  d'état  du  président  Boyer ,  présente  sur  cette 
matière  des  éclaircissemens  précieux  ;  il  démontre  avec  quel 
soin  on  s'occupe  à  Haïti  de  l'objet  le  plus  important  qui 
puisse  fixer  l'attention  des  gouvernemens ,  de  celui  auquel 
se  i-attacheut  essentiellement  toutes  les  améliorations  so- 
ciales ;  nous  voulons  parler  de  Tinstruction  pul)lique.  Il 
fait  connaître,  en  même  Icms,  les  pi'ogrès  rapides  que  font  à 
Saint-Domingue  l'agriculture  et  le  commerce,  et  l'excellent 
esprit  qui  protège  cette  île  contre  toute  invasion  étrangère. 

«  Je  puis  vous  assurer ,  monsieur,  que,  bien  convaincu 
»  que  l'instruction  et  l'agriculture  sont  les  premières  sour- 
»  ces  de  la  prospérité  des  états  ,  le  gouvernement  de  la 
y>  république  ne  perd  de  vue  rien  de  ce  qui  est  propre  à 
»  favoriser  leur  développement  ;    et   j'éprouve    une   vive 


de  la  république  d'Haïti.  1 1 5 

»  satisfaction  à  vous  apprendre  qu  elles  répondent  jusqu'ici 
»  par  leurs  progrès,  aux  soins  qui  y  sont  consacre's.  La  masse 
»  d'élèves  des  deux  sexes  que  possèdent  les  écoles  du  pre- 
))  niier  et  du  second  degré ,  est  vraiment  prodigieuse.  Dans 
»  toutes  nos  grandes  villes ,  le  nombre  des  écoles  ,  tant 
»  publiques  que  particulières,  a  considérablement  augmen- 
»  té,  et  l'on  en  trouve  également  dans  les  gros  villages  de 
»  Tintérieur.  Je  ue  reviens  pas  moi-même  des  améliora- 
M  tions  que  je  remarque  ici  dans  l'éducation  et  dans  les 
»  mœurs  ;  cette  heureuse  et  paisible  révolution  est  due  à 
»  un  gouvernement  paternel.  Je  vous  adresserai ,  au  priu- 
»  tems  prochain ,  un  tableau  fidèle  de  nos  écoles  ,  et  de  la 
»  quantité  d'élèves  qui  y  sont  admis. 

M  Relativement  à  l'agriculture  ,  il  me  suffira  de  vous  dire 
»  que  le  défrichement  de  terres  incj.dtes ,  les  concessions 
»  faites  par  le  gouvernement  .  et  le  partage  de  biens-fonds 
»  que  possédaient  les  anciens  colons,  ont  créé,  de  i8i4  jus- 
»  qu'à  ce  jour,  trente  mille  nouveaux  propriétaires  ,  dont 
»  la  vigilance  égale  ractivité.  Si  jadis ,  à  Rome ,  la  terre 
»  s'enorgueillissait  d'être  cultivée  par  des  mains  triom- 
»  pliantes  ;  aujourd'hui ,  dans  notre  ile  ,  elle  ne  s'enor- 
y>  gueillit  pas  moins  d'être  cultivée  par  des  mains  libres. 

»  Je  crois  que  la  récolte  du  café  de  1823,  surpasse  de 

»  plus  d'un  tiers  celle  de    i^xi;  et  je  ne  doute  pas  que  , 

»  cette  année,  elle  ne  soit  plus  considérable  encore,  parce 

»  que  le  perfectionnement  de  nos  lois  rurales  ,  en  donnant 

«plus  de  garanties  à  nos  cultivateurs,   en  a  augmenté  la 

»  masse j  mais  si  l'agricidlure  occupe  plus  de  bras,  on  s'y 

»  livre  aussi  avec  plus  de  zèle  ,  de  régularité  et  de  plaisir. 

«  La  région  orientale  f  l'ancienne  partie  espagnole  )  pa- 

»  raît  satisfaite  d'être  soumise  aux  lois  de  la  république. 

«  Ceux   de  ses  habitans  dont  l'oplnlou   était  contraire   à 

>)  nos  institutions,  ont  pris  le  sage  parti  d'émigrcrj  ce  qui 

»  fait  que  nous  ne  comptons  parmi  nous  que  des  citoyens 

I-  8^ 


1 1 4  Aperçu  de  ta  situalion  commerciale  et  agricole 
3>  dévonés.  Si  nous  avions  quelques  agressions  à  craindre 
»  du  dehors,  nous  sommes  en  mesure  de  les  repousser  sur 
»  tous  les  points.  Nos  fortifications  sont  en  bon  état  j  nos 
j)  places  sont  approvisionnées  ;  et  leurs  garnisons  ren- 
»  forcées.  Nos  troupes  de  ligne  et  nos  gardes  nationales 
»  sont  équipées  et  sous  les  armes  ;  enfiu  Tesprit  public  est 
»  ou  ne  peut  meilleur.  Nous  désirons  la  pais,  sans  doute  , 
«  et  tous  nos  efforts  tendent  à  la  conserver;  mais  une  fois 
3)  attaque's,  nous  montrerons  à  l'univers  ce  qu'on  peut 
))  attendre  d'hommes  qui  veulent  l'indépendance  de  leur 
»  patriÊ.  » 

D'autres  documens  authentiques  nous  apprennent  qu'au 
Port-au-Prince  11  n'y  a  p's  moins  de  quatorze  écoles  libi-es, 
où  des  élèves  de  Tun  et  de  l'autre  sexe,  au  nombre  de  8i5, 
apprennent  à  lire  ,  à  écrire ,  à  calculer,  et  puisent  mcioe 
des  connaissances  d'un  ordre  supérieur;  et  qu'au  Cap  ,  il  y 
a  six  écoles  particulières,  sans  compter  les  écoles  publi- 
ques, où  l'on  reçoit,  outre  l'instruction  élémentaire,  des 
leçons  d'algèbre,  de  géométrie,  d'histoire etde  géographie. 

En  ce  qui  concerne  les  mœurs,  nous  ne  saurions  donner 
une  meilleure  idée  de  l'importance  qu'on  y  attache  ,  qu'en 
rapportant  quelques  passages  d'une  lettre  de  Christophe , 
qui  a  paru  dans  un  numéro  du  Propagateur,  qui  s'imprime 
à  Haïti  :  «  Je  m'occupe ,  dit  cet  homme  extraordinaire , 
»  de  répandre ,  autant  que  possible  ,  parmi  mes  couci- 
»  toyens  ,  des  principes  de  religion  et  de  vertu.  Mais 
)•  considérez  ,  mon  ami  ,  combien  il  faut  de  tems  et  de 
»  travaux  pour  faire  germer  des  idées  de  morale  dans 
«  toutes  les  classes  d'un  peuple  qui  ne  fait  que  sortir  des 
»  ténèbres  de  rignorance  .  qui  vient  à  peine  de  briser  ses 
»  fers,  et  qui  a  été,  pendant  vingt-cinq  ans,  en  proie 
»  aux  vicissitudes  du  sort,  aux  désastres,  et  aux  révo- 
j)  lutions.  » 

Ces  renseignemens ,  émanés  de  membres  {\i\  gouverne- 


de  la  république  d'Haiti.  i  i5 

ment ,  paraîtraient-ils  suspects  ?  Voici  des  exlrails  J'im 
rapport  fait  à  la  Convention  américaine  par  un  comité 
pris  clans  son  sein,  qui  a  eu  pour  mission  spéciale  d'exa- 
miner la  condition  morale  et  politique  des  peuples  d'Haïti. 
La  Convention  américaine  est  une  société  particulière,  qui 
s'est  formée  aux  Etats-Unis  pour  concourir  à  l'abolition 
de  l'esclavage,  et  à  l'amélioration  de  la  race  africaine. 

«  D'après  les  renseignemens  fournis  par  diverses  per- 
sonnes qui  ont  habité  Haïti,  et  d'après  les  pièces  oflicielles 
qui  s'y  impriment,  ces  peuples  paraissent  avoir  fait,  sous 
le  rapport  de  la  civilisation  et  des  lumières  ,  des  progrès 
presque  sans  exemple  dans  l'histoire  des  nations. 

>5  Les  écoles  publiques  établies  dans  l'île  sont,  relati- 
vement aux  besoins  de  la  population  ,  plus  nombreuses 
que  les  institutions  de  ce  genre,  connues  dans  les  différens 
pays  de  l'Europe ,  et  leurs  élèves  se  distinguent  par  leurs 
progrès. 

»  Le  gouvernement  est  fort,  et  paraît  solidement  établi. 
Sa  forme  est  républicaine  ;  en  effet  la  puissance  législative 
appartient  à  un  corps  élu  par  !e  peuple.  On  prétend  néan- 
moins que  c'est  la  volonté  seule  du  président  qui  gouverne, 
parce  que  la  force  militaire  est  à  sa  disposition.  Il  ne  paraît 
pas  qvi'il  ait  jusqu'ici  abusé  de  cet  avantage  ;  et  Ton  doit 
croire  que,  si  le  système  actuel  d'éducation  publique  et 
les  formes  républicaines  se  maintiennent ,  ie  pouvoir  pas- 
sera bientôt  entre  les  mains  du  peuple  et  de  ses  représen- 
tans.  Mais  il  est  clair  que  ,  jusqu'à  ce  que  les  connaissances 
politiques  soient  plus  répandues  dans  le  pays,  l'influence 
principale  sera  exercée  par  vui  petit  nombre  d'hommes  en- 
treprenans,  qui  ont  devancé  leurs  concitoyens  dans  la  car- 
rière de  l'instruction. 

»  La  masse  commune  des  hommes  se  compose  en  tout 
pays  de  prolétaires  qui  n'ont  pour  vivre  que  leur  travail. 
C'est  par  les  moyen',  de  subsistance  qu'il  leur  procure. 


1 1 6     Aperçic  de  la  situation  commerciale  et  agricole 

qu'il  faul  juger  de  leur  bien-être  ou  de  leur  malaise.  Or,  si 
l'on  estime  sur  cette  base  le  sort  du  peuple  haïtien ,  ou 
reconnaîtra  qu'il  est  plus  doux  que  celui  d'aucune  nation 
d'Europe  3  et  même  que  sa  position  est  presque  aussi  avan- 
tageuse que  celle  des  citoyens  des  Etats-Unis.  Le  salaire 
d'un  ouvrier ,  dans  les  ports  d'Haïti ,  est  d'un  dollar  par 
jour  (  environ  5  fr.  5o  c.  ).  Le  prix  courant  des  subsis- 
tances y  est  à  peu  près  le  même  que  dans  ies  nôtres  j  mais 
les  besoins  de  l'habitant  d'Haïti,  en  ce  qui  concerne  son 
habillement ,  son  logement  et  son  mobilier,  sont  lieaucoup 
moindres  que  ceux,  de  nos  compatriotes.  On  peut  dire ,  en 
général,  que  l'existence  du  cultivateur  haïtien  est  aussi 
heureuse,  en  ce  qui  tient  aux  besoins  de  la  vie ,  que  celle 
de  l'ouvrier  dans  quelque  pays  que  ce  soit.  L'abondance  qui 
règne  dans  l'île  semble  indiquer  que  le  pouvoir  y  est  exercé 
avec  douceur,  et  que  le  peuple  n'y  est  soumis  ni  à  des  im- 
pôts vexaloires  ,  ni  aux  abus  du  monopole. 

»  Les  pièces  officielles  et  les  feuilles  publiques  qui  ont 
paru  à  Haïti ,  se  distinguent  généralement  par  un  style  si 
pur,  par  un  jugement  si  profond  ,  et  par  des  sentimeus  si 
élevés,  qu'on  a  pensé  communément  que  ces  écrits  étaient 
l'ouvrage  d'étrangers,  et  non  de  ceux  qui  les  avaient  signés. 
On  se  refusait  à  croire  que  des  hommes  de  race  noire  pus- 
sent atteindre  au  degré  de  perfectionnement  intellectuel 
que  ces  documens  supposent.  Quelques  doutes  ayant  été 
exprimés  sur  ce  point  dans  un  article  de  la  Gazette  Na- 
tionale de  celte  ville  (  Philadelphie)  ,  le  rédacteur  d'un 
des  meilleurs  journaux  de  Boston  a  attesté  ,  d'après  le  té- 
moignage d'une  personne  digne  de  foi  qui  a  fait  un  long 
séjour  à  Haïti ,  que  les  écrits  en  question  sont  réellement 
des  auteurs  dont  ils  portent  les  noms.  Quelques  citoyens  de 
Boston  ont  dernièrement  témoigné  un  vif  intérêt  au  sort 
d'Haïti,  et  ont  écrit  avec  énei'gie  en  faveur  de  la  recon- 
naissance de  son  indépendance  par  les  étals  de  l'Union. 


de  la  république  d'Haïti.  1 17 

L'un  d'eux,    qui,   tians  plusieurs  écrits,  a  tracé  un  ta- 
bleau brillant  de  la  situation  de  ce  pays ,   de  ses  institu- 
tions et  de  son  avenir,  se  défend  du  reproche  qui  lui  a  été 
fait  d^avoir  à  cet  égard  des  vues  suspectes,  en  disant  qu'il 
n'entre  pour  son  compte  rien  d'intéressé  dans  ses  démar- 
ches ;  qu'il  n'est  mû  que  par  la  considération  de  ce  qui  est 
juste  et  raisonnable,    et  par  celle  du  bien  général  de  sa 
patrie.   L'humanité  doit  vivement  se  féliciter  de  ce  que 
l'amélioration  progressive  du  peuple  haïtien  diminue  tous 
les  jours  !e  nombre  de  ses  adversaires  et  de  ses  contemp- 
teurs, et  augmente  sans  cesse  celui  des  hommes  qui  croient 
à  la  capacité  morale  et  intellectuelle  de  la  race  africaine. 
Espérons  qu'un  peuple  si  intéressant  aux  yeux  du  philo- 
sophe, de  l'homme  d'état,  et  surtout  de  i'ami  des  noirs, 
réfutera,  par  l'exemple  qu'il  donne  au  monde,  les   pré- 
jugés qui  existent  contre  lui ,  et  que  la  terre  qu'il  occupe 
continuera  de  servir  d'asile  à  ceux  des  gens  de  couleur  qui 
ne  peuvent  endurer  rhumiiiation  qu'ils  sont  destinés  à  subir 
en  d'autres  pays. 

»  La  réunion  récente  de  la  partie  espagnole  de  Saint- 
Domingue  à  la  république  haïtienne,  et  par  conséquent  la 
soumission  de  Viie  entière  a  un  même  gouvernement , 
doit  prévenir  les  craintes  de  troubles  intérieurs  ,  qu'un 
état  de  partage  pouvait  inspirer,  et  faire  considérer  ce  pays 
comme  aussi  favorable  qu'auparavant  aux  émigrations  qui 
pourront  s'y  porter.  Jja  politique  du  gouvernement  est  gé- 
néreuse envers  les  étrangers  (jui  y  cherchent  un  établisse- 
menlj  celte  générosité  allait  même  naguci'e  jusqu'à  indem- 
niser des  frais  de  voyage  ceux  qui  s'y  rendaient  des  porls 
de  l'Europe  ou  de  l'Amérique  ;  mais  cette  mesure  ayant 
attiré  dans  l'île  des  sujets  dangereux  ,  on  a  dû  y  mettre  des 
restrictions.  « 

Après  avoir  considéré  ce  peuple  dans  son  existence  col- 
lective ,  et  avoir  examiné   son  gonvernement  et   les  cficts 


ii8     Aperçu  de  la  sitnaiion  de  la  république  d'Hàiti. 

tle  ses  iuslilutions  ,  on  éprouve  le  désir  de  le  voir  indivi- 
duellement, et  de  contracter  avec  lui  une  connaissance  plus 
intime  ;  les  détails  suivans  peuvent  offrir,  sous  ce  rapport , 
quelqu'intérêt  : 

«  Le  costume  des  classes  inférieures  est  simple,  mais  pro- 
pre et  décent ,  il  consiste,  pour  les  hommes  ,  en  une  veste 
de  laine  bleue,  un  gilet  et  un  pantalon  de  toile  blanche; 
pour  les  femmes,  en  une  camisole  de  colon,  uue  jupe,  et 
im  mouchoir,  noué  en  turban  sur  la  lète. 

5)  Les  paysans  qui  fréquentent  les  marchés  des  villes  se 
font  remarquer  par  un  air  de  santé  et  de  propreté.  Tous  , 
Jusqu'aux  plus  pauvres,  sont  vêtus  ;  et  Taspect  général  qu'ils 
présentent  est  celui  de  l'aisance  et  du  contentement.  Le  sexe 
aime  la  toilette  ;  c'est  son  faible,  et  rien  ne  lui  coûte  pour 
le  satisfaire.  Les  jeunes  femmes  d'Haïti  sont  agréables  ,  et 
même  belles  ;  mais ,  dans  les  dernières  classes ,  elles  s'a- 
bandonnent facilement  au  désordre  ,  ce  qui  paraît  tenir, 
dans  ce  pays ,  à  l'indulgence  de  l'opinion  pour  des  fautes 
qui  d'ailleurs  y  furent  toujours  tolérées.  » 

Voici  le  portrait  d'un  élégant  haïtien,  d'après  une  feuille 
récemment  publiée  à  la  Jamaïque  :  «  Le  costume  ,  comme 
on  vient  de  le  décrire,  cheveux  retroussés  vers  le  sommet 
de  la  tête,  boucles  d'oreilies  ,  moustaches,  et  un  chapeau 
penché  un  peu  de  côté  ;  le  buste  est  droit ,  et  l'allure  an- 
nonce le  sentiment  de  l'indépendance.  »  Ce  portrait  n'est 
pas  flatté  ;  il  a  été  tracé  par  une  main  ennemie. 

(  JRepue  d'Edinhourg.  ) 


ÉCONOMIE  POLITIQUE. 


ESSAI    SUR    L  ADMINISTRATION    INTERIEURE    DE    LA 
PRUSSE. 

Geschichte  des  Preussischen  Staates  vont  Fricden  zu  Hubertsberg 
bis  zur  zweyteti  Panser  Abkunft.  (  Histoire  des  états  prussiens  , 
depuis  la  paix  «le  Hubertsberg  jusqu'au  second  traite'  de  Paris.  Trois 
vol.  in-8o  ,  Francfort-sur-le-Mein  ,  i8ig  et  1820.) 


KuL  homme  versé  dans  l'histoire  ,  du  moins  aucun  An- 
glais doué  de  quelque  sens,  n'adoptera  ,  sans  restriction, 
cette  opinion  d'un  grand  poète  que  le  goût  de  l'épigrarame 
a  conduit  trop  souvent  au  paradoxe  :  «  Il  est  insensé  de 
discuter  sur  la  forme  des  gouvernemens ,  parce  que  la 
meilleure  ■constitution  est  celle  du  pays  qui  est  le  mieux 
iulministré.  » 

D'un  autre  côté,  il  n'appartient  qu'à  un  esprit  rétréci 
d'attacher  à  la  forme  luie  importance  exclusive,  et  de 
supposer  que  toute  discussion  sur  le  bonheur  dont  jouit  une 
nation,  Sur  raraélioration  de  ses  mœurs,  sur  les  progrès 
de  sa  civiUsation ,  doit  s'arrêler  devant  la  simple  alléga- 
tion que  sou  gouvernement  est  une  monarchie  absolue. 

jNotre  dessein  n'est  point  d'ébranler  la  juste  couA^lctlon,  à 
laquelle  nos  consciences  sont  si  attachées  ,  de  l'immense 
.supériorité  d'un  gouvernement  tempéré  comme  le  nôti'e 
sur  les  monarchies  absolues  établies  en  Europe  j  mais  nous 
désirons,  nous  espérons  surtout  inspirer  une  opinion  p!us 
libérale  sur  les  sources  de  perfectibilité  que  possèdent  même 
ces  gouvernemens,  et ,  ce  qui  est  plus  important  peut-être, 
domier  au\  théoriciens  politiques  des  idées  plus  satisfai- 
santes sur  les  destinées  du  genre  bnmaln. 


1 20  Essai  sur  l'adiniiiistralioji  intérieure 

La  Prusse  n'entra  dans  la  balance  de  l'Europe  qu'au 
commencement  du  siècle  dernier  ,  lorsque  rambitleux 
Frcde'ric  ,  électeur  de  Brandebourg",  sollicita  de  l'empereur 
le  titre  de  roi,  et,  dans  ie  court  espace  de  quarante  ans  , 
celte  monarcliie  nouvelle  devint  un  des  grands  états  du 
continent. 

Frédéric  II  joignait  de  vastes  lumières  à  une  ambition 
sans  bornes  :  telle  était  sa  position ,  à  son  avènement  au 
trône,  qu'il  ne  pouvait  la  maintenir  qu'en  Taméliorant. 
Unissant  de  grands  talens  militaires  et  civils  à  une  politique 
sans  scrupule ,  il  parvint  enfin,  non-seulement  à  détruire 
la  coalition  qui  s'était  formée  contre  lui ,  mais  à  élever  son 
royaume  au  rang  des  états  du  premier  ordre,  en  agran- 
dissant d'abord  son  territoire  aux  dépens  de  ses  ennemis , 
et  en  coopérant  ensuite  ,  avec  eux ,  au  démembrement  de 
la  Pologne. 

Peu  de  monarques  ont  Joui  constamment  d'une  réputa- 
tion personnelle  aussi  brillante.  Le  courage  avec  lequel  il 
affrontait  les  difficultés  qui ,  parfois  ,  semblaient  devoir  le 
renverser^  l'adresse  et  la  rapidité  avec  laquelle  il  savait  s'en 
tirer,  devaient  nécessairement  éb!ouir  les  esprits.  D'ailleurs 
les  circonstances  l'avaient  forcé  de  conserver,  comme  in- 
dividu, des  opinions  qui  étaient  en  opposition  directe  avec 
sa  conduite  comme  souverain  ,  mali  qui ,  en  général ,  re- 
haussaient la  grandeur  de  son  caractère.  Protecteur  déclaré 
de  la  liberté  de  l'Allemagne,  correspondant  de  Voltaire, 
ami  de  Catherine ,  idole  du  jeune  empereur  Joseph  II , 
son  ennemi  naturel,  il  dut  être  ie  patron  avoué  des  opi- 
nions libérales.  Mais  de  même  qu'il  avait  su  concilier  la 
défense  publique  des  intérêts  protestans  avec  de  secrètes 
infidélités  à  ces  mêmes  intérêts,  de  même  il  ne  souffrit  pas 
que  ses  opinions  libérales  intervinssent  dans  le  despotisme 
consommé  avec  lequel  il  gouvernait  son  rojaume,  et  il  fit 
servir  les  droits  el  les  inléréts  de  ses  sujets  au  maintien  de 


de  la  Prusse.  121 

ce  pouvoir  qui  était  le  grand  objet  de  sa  sollicitude.  Com- 
plètemeut  iuditléreut  eu  matière  de  religion  ,  il  eût  volon- 
tiers renonce  â  tonte  intervention  dans  Je  culte  de  ses  su- 
jets ;  peu  lui  importait  qu'ils  fussent  attachés  au  rituel  de 
Rome  ou  à  la  confession  d'Augsbourg,  pourvu  qu'il  disposât 
de  leur  sang  dans  les  batailles ,  et  de  leurs  bourses  pour 
les  besoins  de  son  trésor. 

Dans  ce  double  but ,  il  établit  les  impôts  les  plus 
oppressifs  ;  il  créa  une  organisation  militaire  qui  fît  de  la 
population  entière  une  seule  armée;  et,  pour  rompre  la 
noblesse  au  métier  des  armes,  il  exclut  les  roturiers  de  tout 
droit  à  ravancement ,  mesure  dont  il  est  permis  de  contes- 
ter la  sagesse. 

Malgré  sa  passion  déclarée  pour  la  littérature,  et  ses  pré- 
tentions au  titre  d'homme  de  lettres ,  il  dégrada ,  autant 
qu'il  fut  en  son  p'  avoir,  le  clergé  et  l'instruction  publique. 
Tel  était  l'esprit  ..e  son  gouvernement.  Quand  l'énergie  et 
l'habileté  qui  avaient  donné  la  vie  à  son  système,  et  qui  lui 
avaient  assuré  une  puissance  si  étonnante,  cessèrent  de  se 
montrer  dans  le  cabinet  de  ses  successeurs ,  cet  esprit  sur- 
vécut ;  mais   aussi,    il  corrompit  toutes  les  branches  de 
l'administration  civile  et  militaire ,  et  ses  inévitables  effets 
entraînèrent  la  monarcliieàune  crise  qui  faillit  la  détruire. 
Lorsque  la  révolution  française  éclata ,  le  gouvernement, 
en  Prusse ,   comme  dans   les   autres  pays ,   s'en  déclara 
l'ennemi,  tandis  qu'elle  était  favorisée  en  secret  par  une 
grande  partie  de  la  population.  Ses  principes  eurent  pour 
adeptes  l'immense  majorité  des  littérateurs  ,  du  clergé    des 
hommes  de  loi ,  et  une  masse  considérable  d'employés  dans 
l'administration  municipale  et  financière,  qui  avaient  tous 
reçu   loi(r   éducation  dans  les   universités    d'AUema"ne  • 
mais  ces  progrès  refroidirent  généralement  la  sympathie 
qu'elle   avait  d'abord  excitée,  et  les  malheurs   éprouvés 
par  les  Prussiens  et  par  les  autres  peuples  d'Allemaene  , 
I.  (^ 


ï22  Essaî  sur  raiminisiratlon  intérieure 

tlans  le  cours  des  invasions  successives  opérées  par  les  ar- 
mées de  la  république  et  de  Vempire ,  produisirent  enfiu 
contre  la  France  une  îiaine  secrète  ,  mais  universelle , 
qu'exaspéra  Talliance  forcée  de  leurs  cours  avec  Vennemi 
ti"iompliant.  Ce  sentiment,  dans  le  cœur  des  Prussiens  ,  se 
nourrissait  des  pleurs  de  la  patrie  ;  s'accroissait  en  raison  de 
son  opprobre.  Le  gouvernement  prussien  se  traîna  dans  les 
voies  d'une  politique  faible  et  vacillante  ,  à  travers  toutes 
sortes  de  périls,  de  désastres  et  d'affronts;  forcé  de  livrer 
ses  plus  riches  provinces  à  des  puissances  rivales  qui 
avalent  montré  plus  de  soumission  à  la  France,  d'admettre 
les  garnisons  de  l'ennemi  dans  ses  p'aces  les  plus  fortes , 
de  lui  abandonner  sa  capitale,  ses  revenus,  et  de  se  voir 
lui-même,  avec  toutes  ses  ressources  ,  placé  eafin  dans  la 
plus  déplorable  des  situations,  celle  de  contribuer,  par 
son  alliance,  à  réduire  les  états  dont  il  avait  été  d'abord 
l'allié,  il  une  dégradation  aussi  complète  que  cel.e  sous 
laquelle  il  gémissait. 

Dans  cette  position  critique,  la  seule  planche  de  salut 
consistait  dans  la  conservation  de  la  loyauté  du  peuple , 
et  dans  la  création  d'un  esprit  public.  Ce  double  résultat 
ne  pouvait  s'obtenir  qu'en  pénétrant  toutes  les  âmes  de 
la  conviction  intime  que  les  sujets  et  le  gouvernement 
étaient  unis  par  un  commun  intérêt.  Le  ministère  prus- 
sien eut  la  sagesse  de  discerner  cet  intérêt ,  et  de  lui  sacri- 
fier ce  qu'une  politique  égoïste  aurait  considéré  comme  des 
avantages  importans.  Un  système  complet  de  réforme 
fut  résolu  sous  Taduimistration  d'un  homme  trop  peu 
connu  dans  ce  pays  ,  le  baron  de  Stein  ;  et  lorsque  ce  grand 
politique  ftit  arraché  du  limon  des  affaires  ,  et  proscrit  par 
ordre  de  Napoléon ,  son  successeur  ,  le  comte ,  depuis 
prince  de  Hardenberg  ,  persista  à  suivre  la  route  qu'il 
avait  tracée.  C'est  à  ce  système  qu'on  doit  ce  sentiment 
profond  des  outrages  fails  à  !a  nation ,   ces  lueuî's  de  pu- 


de  lu  Prusàc.  i  '20 

îriolisine ,  eatln  cet  élan  généreux,  qui  se  manireslèreut 
eu  1 822 ,  lorsque  le  corps  d'armée  du  général  Yorck  se 
sépara  des  troupes  iVauçaises  ,  et  qui  cousommèrent  sou 
glorieux  ouvrage  eu  délivrant  l'Allemagiie,  et  par  suite  le 
continent  européen  du  jong  de  la  France. 

Il  serait  d'un  faib'e  intérêt  j)Our  nos  lecteurs  de  con- 
naître toutes  les  particularités  de  cette  réforme  nationale, 
dont  le  principe  appartient  incoutesiablenient  au  baron  de 
Stein.  Un  compte  officiel  a  été  publié  dans  une  circulaire 
adressée  par  ce  ministre ,  lors  de  sa  retraite ,  aux  grands- 
officiers  de  rélat ,  et  datée  de  Kœnigsberg,  le  1^  novem- 
bre 1808.  Il  a  eu,  dans  toute  rA'leujagne,  la  plus  grande 
publicité,  sous  le  litre  de  Testament yiolitiqiie  du  haron  de 
Stein  y  il  explique  succinctement  le  sysîème  projeté  ,  dont 
quelques  détails  étaient  alors  mis  à  exécution. 

Un  des  points  les  plus  importaus  de  ce  système,  était 
sans  eoutredit  rétablissement  de  près  de  six  cents  corpora- 
tions municipales,  qui  devaient  former  autant  de  centres 
d'adininistration  locale.  Le  lecteur  se  convaincra  bientôt 
que  cette  mesure  n'était  qu'une  imitation  ,  sur  une  grande 
échelle  et  d'après  des  règles  uniformes  ,  de  l'état  de 
choses  qui  a  subsisté  durant  plusieurs  siècles  ,  'en  Angie- 
lerre  ,  en  France  et  dans  d'autres  états  du  continent.  En 
effet ,  les  lois  prussiennes  ont  eu  l'objet  commun  à  tous  les 
étab.issemens  de  cette  nature  ,  d'attribuer  à  l'administration 
locale  toutes  les  matières  municipales  qui  exigent  ixits 
connaissances  et  des  intérêts  qu'on  ne  possède  que  sur  les 
lieux.  En  France  ,  les  constitutions  de  iNapoléon  et  celle  de 
Louis  XVIII  se  sont  attachées  à  donner  au  gouvernement 
central  tout  le  pouvoir  et  l'inlluence  possibles,  même  sur  les 
arrondissemens  les  plus  éloignés ,  et  sur  les  moindres  détails  ; 
le  maire  de  la  plus  petite  ville  ,  et  son  commissaire  de  police 
ne  peuvent  être  nommés  qu'à  Paris  j  on  ne  peut  construire 
un  pont ,  tracer  une  ruulc ,  ni  arrêter  un  règlement  muni- 


124  Essai  sur  l'adminislration  intérieure 

cipal,  sans  un  ordre  de  Paris.  En  opposition  directe  à  cet 
esprit,  qui  sacrifie  tous  les  membres  du  corps  politique  à 
nn  seul ,  les  lois  prussiennes  ont  transporté ,  aux  capitales 
des  provinces  ,  et  aux  plus  petites  villes  de  leur  terri- 
toire, une  portion  considérable  du  pouvoir  administra- 
tif. Les  Ecoles,  les  églises,  les  constructions  publiques, 
les  poids  et  mesures ,  les  revenus  des  communes ,  les 
billets  de  logement ,  sont  autant  d'objets  placés  sous  la 
direction  des  autorités  locales.  Aux  termes  de  cette  grande 
Charte,  si  l'on  peut  lui  donner  ce  nom,  les  citoyens  des 
villes,  sans  distinction  de  naissance  ni  de  religion,  concou- 
rent à  l'élection  des  magistrats  ;  l'abolition  générale  des  an- 
ciennes corporations  et  compagnies  leur  permet  le  libre 
exercice  de  toute  espèce  de  commerce  et  de  fabrication;  en 
même  tems ,  les  habitans  des  petites  villes  et  des  villages 
ont  acquis  le  droit  dont  ils  étaient  privés  jusqu'alors ,  de 
créer  de  nouvelles  branches  d'industrie  commerçante  et 
manufacturière. 

En  octobre  i8io,  s'effectua  une  révolution  complète 
dans  le  système  de  finances.  L'énorme  contribution  de 
120,000,000  francs ,  exigée  par  Napoléon  ,  avait  clé  réduite 
de  moitié  ;  mais  le  reste  pesait  cruellement  sur  un  peuple 
qui,  d'ailleurs,  avait  extrêmement  souffert  par  les  frais 
d'une  résistance  sans  fruit,  et  par  les  charges  de  guerre 
que  lui  avait  imposées  un  ennemi  victorieux.  Les  circons- 
tances forcèrent  le  gouvernement  de  réformer  un  abus  très- 
ancien  ,  que  ,  sans  elles .  il  eût  été  dans  l'impuissance  de 
combattre.  Une  grande  partie  du  revenu  de  l'état  provenait 
du  o-rundsteuer ,  ou  impôt  foncier,  dont  la  noblesse  était 
affranchie.  Cette  exemption  fut  supprimée  à  la  fois  dans 
toute  l'étendue  du  royaume.  L'on  sait  que  le  refus  fait  par  la 
noblesse  de  consentir  une  semblable  mesure ,  a  été  une  des 
principales  causes  de  la  révolution  française.  Il  est  aisé, 
en  présence  de  Thistoirc  contemporaine  ,  de  condamner  la 


de  la  Prusse.  vrj 

folle  obstination  avec  laquelle  un  privile'ge  aussi  injuste 
fut  défendu  par  les  anciens  nobles ,  et  leur  aveuglement 
volontaire  devant  les  symptômes  décisifs  que  présentait 
cette  époque  ,  mais  nous  les  jugerions  avec  quelqu'indul- 
gence ,  si  nous  nous  placions  sur  le  même  théâtre  et  dans 
les  mêmes  circonstances.  Acteurs  dans  le  même  drarme  , 
leurs  passions  nous  auraient  agités,  et  nous  aurions  repoussé 
comme  eux  celte  lumicre ,  que  les  évéuemcns  et  leurs  con- 
séquences font  jaillir  aujourd'hui.  VeyOzi»  §z  ts  y/intoç  ïyvw: 
les  rapports  que  nous  découvririons  entre  eus.  et  nous 
sur  ce  point ,  nous  apprendraient  à  mieux  juger  de 
leur  résistance ,  et  à  mieux  apprécier  la  sage  soumission 
de  la  noblesse  prussienne.  L'exemple  à  éviter  frappait,  il 
est  vrai ,  ses  regards  '-,  mais  il  faut  de  la  sagesse  pour  pro- 
fiter d'une  leçon  ,  eu  sacrifiant  ses  intérêts  personnels  j  et  il 
eût  été  facile  de  persuader  à  l'égoïsme  que  la  résistance 
était  sans  danger  en  1810  ,  alors  que  l'esprit  révolutionnaire 
n'était  pas  à  redouter. 

A  cette  époque ,  la  noblesse  fit  un  autre  sacrifice  non 
moins  pénilile.  Les  chapitres  ou  canonicals  des  églises  pro- 
lestantes ,  les  monastères  et  les  couvens  de  provinces  catho- 
liques furent  dissous ,  et  leurs  propriétés  consacrées  au 
service  public.  Les  chapitres  protestans  ,  qui  ressemblaient 
à  ceux  de  nos  églises  épiscopalcs ,  offraient  luie  singulière 
anomalie,  dans  un  pays  où  la  réforme  de  Luther  avait  aboli 
l'épiscopat.  Ils  étaient  devenus  des  sinécures  pour  les  fa- 
milles des  seigneurs  :  nul  n'y  était  reçu  ,  s'il  n'avait  seize 
quartiers  ;  el  c'était  faire  le  plus  grand  éloge  de  la  noblesse 
d'un  Prussien  que  de  le  qualifier  stiftfœh/g ,  c'est-à-dire, 
digne  d'entrer  dans  un  chapitre. 

Ces  changemens  furent  suivis  d'irae  réforme  plus  im- 
portante encore  :  elle  consista  dans  l'abolition  de  la  glèbe, 
et  dans  la  conversion  des  serfs  ou  vassaux  en  francs  tenan- 
ciers, qui,   d'après  !es  plans  con(;us  à  celle  époque,  «le- 


1  iG  Essi/i  sur  V administration  intérieure 

valent  jouir  de  la  capacité  c'iectorale.  Le  servage,  dans  la 
Prusse  proprement  dite,  comme  chez  les  autres  nations, 
provenait  du  droit  de  conquête.  Les  provinces  <aù  bordent 
ia  mer  Baltique,  peuplées  originairement  par  vuie  tribu  de 
la  race  esclavonne  ,  furent  conquises  par  les  Germains ,  qui 
habitaient  entre  le  Rhin  et  l'Elbe.  Les  valnqueuis  suivirent 
le  même  système  que  les  Normands  en  Angleterre,  quoique 
ses  effets  aient  varié  ,  suivant  les  circonstances  différentes 
dans  lesqueîjes  les  deux  nations  ont  été  placées.  Heureuse- 
ment pour  TAngleterre,  les  Normands,  (juolqueplus  avancés 
en  civHlsalion,  sous  cerîains  rapports,  n'étalent  pas  assez 
nombreux  pour  imposer  au  peuple  conquis  leurs  institu- 
tions, moins  favorab'es  que  les  siennes  à  la  li])erté.  Mais 
lorsque  les  Germains  firent  la  conquête  de  la  Prusse, 
leur  prépondérance  était  si  grande ,  qu'en  conservant  le 
caractère  <le  dominateurs  ,  Us  anéantirent  jusqu'à  la  langue 
nallouaîe  des  vaincus.  Les  paysans  furent  laissés  en  posses- 
sion des  terres  ,  mais  seulement  comme  serfs,  soumis  à  tous 
les  caprices  des  vainqueurs  ,  les  seuls  noliles  du  pays.  De  là 
un  code  oppressif,  qui  maintint  constamment ,  et  sous  tous 
les  rapports ,  le  corps  de  la  nation  dans  un  état  complet  de 
vasselage  à  l'égard  des  seigneurs ,  Issus  des  anciens  con- 
quéraus.  lies  premières  cbroniques  de  presque  toutes  les 
contrées  de  l'Europe  offrent  le  même  tableau ,  et  l'his- 
toire moderne  est  consacrée  au  récit  des  Incidens  qui  ont 
accéléré  ou  retardé  l'émancipation  des  peuples.  Et  en  effet, 
la  transition  graduelle  des  institutions  qui  émanaient  de  la 
féodalité,  en  un  système  de  lois  dirigé  par  l'esprit  com- 
mercial et  par  le  grand  principe  de  l'égalité  des  droits  ,  a 
duré  plusieurs  siècles. 

Dès  le  mois  d'octobre  1807,  '^  ^^^  *^^  Prusse  avait 
rendu  lui  décret  qui  abolissait  toutes  les  juridictions  hé- 
réditaires (  nous  empruntons  à  dessein  une  expression  bien 
connue  dans  le   système  judiciaire  du  nord  de  l'Angle- 


de  lu  P} lissa.  \in 

terre  ).  En  iBici,  il  mit  up.  term«  aux.  raj^^,poî'!s  (1(;  siize- 
rainelé  qui  exislaiciU  entre  le  pajsaii  cl  le  vayasseiu'  ([)  j 
et ,  en  i8i  i  ,  il  fixa ,  par  des  mesures  législatives  ,  les  droits 
et  les  devoirs  de  cette  nouvelle  classe  de  propriétaires  en- 
vers l'état ,  et  détermina  l'indemnité  due  aux  anciens  pro- 
priétaires ,  à  raison  de  pertes  pécuniaires ,  occasio^ées 
par  leur  émancipattou. 

On  peut  jngpr  que  s  chaugemens  de  législation  dut  pro- 
diiii'e  une  altération  aussi  grave  dans  les  conditions  res- 
pectives du  peuiile  et  de  la  noblesse  :  elle  renversait  com- 
plètement le  système  de  Frédéric  îl.  (]e  monai'que  avait 
<livisé  la  nation  en  trois  classes,  les  nobles,  les  bourgeois 
et  les  paysans.  Les  bourgeois  pouvaient  ctabiir  toute  es- 
pèce de  manufaclures  dans  les  villes  aux  portes  desquelles 
l'impôt  était  perçu.  Mais,  dans  les  villages,  elles  n'élaienl 
point  tolérées;  les  seuls  métiers  qu'on  y  permît  étaient  ceui 
de  charpentier,  de  forgeron  ou  de  tailleur,  encore  le  nombre 
de  ces  derniers  était -il  limité;  Fétat  de  cordonnier  y  était 
interdit.  Les  armées  étaient  composées  de  paysans  5  mais  ils 
ne  pouvaient  y  posséder  aicun  grade.  Le  droit  d'y  com 
mander  était  la  prérogative  exclusive  de  la  noblesse.  Les 
distinctions  de  naissance  s'étendaient  jusqu'aux  propriétés  : 
elles  étaient  divisées  en  deux  classes;  savoir,  les  terres 
nobles  (  adelige  ).  qui  ne  pouvaient  être  tenues  en  roture, 
les  terres  de  roture  (  bauern-giiter^.,  qui  ne  pouvaient  être 
possédées  par  des  nobles.  Cependant  les  lois  et  coutumes 
variaient  suivant  les  provinces.  Quoique,  dans  quelques- 
unes,  les  roturiers  eussent  le  droit  d'acquérir  des  terres 
nobles  ,  ils  étaient  privés  des  privilèges  qui  étaient  attachés 
à  leur  possession  dans  les  mains  des  nobles ,  et  dans  le  cas 
où  la  fdle  du  roturier  se  mariait  noblement ,  la  terre  deve- 


(i)    LiUcialcincul  rncsne-loirl ,    qui   tient   un   fief  il'un    seigneur 
suzerain. 


128  Essai  sur  l'administration  intérieure 

nuit  sa  propriété.  C'est  avec  raison  qu'eu  1806,  le  baron 
de  Steln  attribuait  la  plupart  des  maux  qui  accablaient  son 
pays  aux  dissendoas  enfantées  par  des  Institutions  aussi 
barbares  et  aussi  injustes.  En  1807,  une  loi  renversa  ces 
obstacles  opposés  aux  mutations  de  fonds ,  en  accordant  à 
tous  Ics^  sujets ,  sans  distinction  de  caste ,  la  capacité  d'ac- 
(|uérir  cl  de  jouir  librement  de  toute  sorte  de  propriété  mo- 
bilière et  immobilière. 

Cette  dernière  réforme  s'étendit  bientôt  aux  droits  per- 
sonnels. Un  décret  du  mois  d'août  1800  rendit  tout  soldat 
né  dans  la  classe  des  paysans,  apte  à  porter  Tépée,  à  titre 
de  simple  officier  ^  et  un  décret  de  1809  lui  permit  d'aspirer 
au  rang  d'oflicier  supérieur.  Il  semblerait,  d'après  la  date 
de  ces  lois ,  qu'elles  ne  furent  point  rendues  sans  opposi- 
tion. Elles  sapaient  dans  sa  base  le  système  de  Frédéric  II  ; 
mais  quelque  puissans  qu'eussent  été  les  motifs  qui  justi- 
fiaient ce  système ,  à  l'époque  où  il  fut  établi ,  il  cessait 
évidemment  de  convenir  dans  une  contrée  dont  \es  paysans 
avaient  été  affranchis,  et  dont  les  nouvelles  institutions  por- 
taient plus  ou  moins  l'empreinte  de  l'égalité. 

Un  des  objets  avérés  des  décrets  de  1808  et  de  1809, 
était  de  ranimer  en  Prusse  le  sentiment  de  l'Iionneur  per- 
sonnel. C'est  dans  le  même  esprit  que  le  gouvernement 
crut  devoir  supprimer  ,  dans  l'armée ,  les  punitions  corpo- 
lelles.  lia  France  est  la  première  nation  des  tems  modernes 
qui  les  ait  abolies.  Lorsque  les  Français  et  les  Allemands 
servaient  sous  les  mômes  drapeaux ,  l'inégalité  de  leurs 
conditions ,  sous  ce  rapport ,  était  manifeste ,  et  devenait 
conséquemment  une  source  de  faiblesse  pour  les  gonverne- 
mens  opposés  à  Napoléon.  Le  5  août  180S,  le  roi  fit  bénir 
l'anniversaive  de  sa  naissance,  en  publiant  un  décret  qui 
supprimait  la  punition  du  fouet ,  et  conservait  celle  de  la 
canne.  Cechâtiment  était  peut-cire  plus  réprébcnsible  en- 
core ;    mais  il  no  pouvait  être  infligé  qu'aux   soldats  qui 


de  lu  Prusse.  1 29 

avaient  été  préalablement  dégradés,  et  placés  aux  derniers 
rangs  dans  l'armée  (i). 

Telles  sont  les  réformes  qui  précédèrent  la  fameuse  in- 
surrection nationale  qui  changea  la  face  de  FEurope. 

Examinons  comment  le  gouvernement  prussien,  dans  sa 
prospérité,  a  persévéré  dans  les  voies  d'amélioration  où  il 
était  entré  au  tems  de  ses  malheurs.  L'occasion  de  mani- 
fester la  sincérité  de  ses  projets  ne  tarda  point  à  s'oflVir. 
Par  suite  des  campagnes  de  i8i3  et  i8i4,  la  France  avait 
été  forcée  d'abandonner  les  [)rovinces  qu'elle  avait  réunies 
à  son  territoire ,  sur  la  rive  gauche  du  Rhin  ,  et  celles  de  la 
rive  droite ,  qui  avaient  été  garanties  aux  membres  de  la  fa- 
mille de  Napoléon.  Quelques-unes  de  ces  provinces  étaient 
d'anciennes  dépendances  de  la  Prusse  ;  d'autres  formaient 
des  acquisitiosis  nouvelles.  Toutes  avaient  joui  d'institutions 
dont  la  perte  îeur  eût  été  aussi  pénible  que  le  retour  à  d'an- 
ciennes lois.  Le  ministère  prussien  reconnut  cette  vérité, 
et  lorsque  le  gouvernement  prit  possession  de  ses  états  ,  il 
leur  garantit  leurs  institutions  adnùnistratives  et  Judiciaires; 
entre  autres,  le  jugement  par  jury  en  matière  criminelle. 
«  Ma  volonté ,  dit  le  roi  dans  son  rescrit ,  est  que  tout  ce 
»  qui  est  bon  soit  maintenu,  quelle  que  soit  son  origine.  » 
En  effet,  rien  ne  fut  changé  dans  ces  établissemens  ,  et  ils 
ont  été  expressément  conservés  dans  la  constitution  poli- 
tique des  provinces  du  Rhin,  publiée  en  iSaS. 

(1)  Nous  passons  sous  silence  une  foule  tle  réformes  moins  impor- 
tantes. Une  d'elles  est  assez  curieuse  pour  cire  remarquée.  Le  roi  de 
Prusse  ,  à  son  retour  dans  sa  capitale  en  1809,  permit  aux  femmes  ro- 
turières de  ceux  à  qui  des  charges  donnaient  le  droit  de  paraître  à  la 
cour,  de  jouir  da  même  privilège  que  leurs  maris.  Jusqu'alors  le  sys- 
tème d'exclusion  était  -exécuté  si  sévèrement  dans  toute  l'Allemagne  , 
qu'une  dame  qui ,  par  sa  naissance  ,  pouvait  prétendre  au  tabouret , 
s'étant  mariée  à  un  plébéien,  ct«ayant  ainsi  perdu  sa  qualité  de  noble, 
fut  ^clue  du  palais,  quoique  son  mari,  par  soq  office  ,  et  d'ailleurs 
comme  homme  de  lettres  ,  y  eût  ses  entrées. 

1.  10 


i5o  Essai  sur  /'ii(///iïnis(ral/on  i/itërieuns 

Nous  avons  parle  ailiours  de  l'abolition  de  loiUcs  les  ini- 
niunitcsdonl  la  noblesse  jouissait  en  matière  d'impôt.  Cette 
suppression  ,  si  honorable  pour  le  gouvernement,  au  tems 
où  elle  s'opéra ,  fut  suivie,  après  la  restauration  de  la  mo- 
narchie prussienne  dans  ses  anciennes  limites,  d'une  réforme 
générale  des  lois  sur  les  taxes  ;  réforme  dont  le  principal 
objet  était  de  doimcr  aux  sujets  du  roi ,  dans  les  villes  et 
dans  les  campagnes,  le^droit  de  transporter  leur  industrie 
oii  ils  voudraient.  Avant  cette  époque ,  les  douanes  étaient  la 
cause  ou  le  prétexte  de  mille  vexations.  Au  sein  même  du 
royaume,  toute  ville  fermée  était  devenue,  dans  l'intérêt 
du  fisc,  une  place  de  guerre,  une  sorte  de  prison  ;  mais  , 
de  1818  à  1820,  des  mesures  furent  prises,  dans  l'intérêt 
commun  du  trésor  et  du  pays,  pour  abolir  les  droits  payés 
aux  portes  des  villes. 

Ces  réformes  opérées  dans  les  branches  du  service  pu- 
blic essentielles  à  l'existence  de  l'état,  le  gouvernement  put 
s'occuper  à  loisir  des  institutions  qui  protègent  les  plus 
hauts  intérêts  de  la  société,  et  qui  supposent  en  général 
dans  la  nation  des  conditions  de  prospérité  et  de  repos. 
Les  universités  de  Breslau  et  de  Berlin  avaient  été  établies 
après  la  catastrophe  de  1807  ;  celle  de  Bonn  le  fut  après 
la  campagne  de  181 5  à  181 4- 

Sans  prétendre  faire  une  revue  méthodique  des  cliange- 
mens  efiectués  dans  la  politique  intérieure  de  la  Prusse, 
nous  avons  démontré  par  des  documens  positifs  qu'il  se- 
rait injuste  de  reprocher  à  son  gouvernement  de  ne  pas 
s'être  conformé  à  l'esprit  du  siècle,  et  de  ne  pas  avoir  or- 
ganisé cette  administration  libérale  qu'on  a  le  droit  d'at- 
tendre de  tout  souverain ,  quelque  absolus  que  soient  ses 
pouvoirs.  Dans  tout  pays  qui  jouit  de  la  paix  et  d'un  gou- 
vcîrnement  paternel  ,  les  peuples  sentent  le  besoin  de  la 
soumission  et  du  repos,  lisse  contentent  d'une  administra- 
tion protectrice,   ne  le   fûl-elle  qu'au  jour  le  jour,  et  ne 


de  la  Prusse.  i5i 

recherchent  pas  les  moyens  de  perpétuer  la  durée  du 
bien-elre  national.  Mais  pUis  les  peuples  se  civillseroiil  en 
s'éclairanl  ,  plus  les  hautes  classes  elle-mèmes  élèveront 
leurs  prétentions.  Il  ne  suffira  pas  aux  esprits  actifs  de 
recevoir,  et  aux  ambitieux  eux-mêmes  de  répandre  les 
bienfaits  du  souverain  ;  mais  tout  liommc  capable  de  sou- 
venirs et  de  prévoyance,  voudra  .s'.issurer  la  continuation 
des  avantages  actuels  dont  il  jouit;  les  mieux  instruits  ci 
les  plus  distingués  dans  la  classe  des  patriotes  et  des  réfor- 
mateurs ne  manqueront  pas  d'établir  une  difïerence  entre 
les  pouvoirs  d'admùiistn/tion  ,  qui ,  essentiellement  actifs 
et  positifs,  doivent  nécessairement  être  placés  dans  les  mains 
du  souverain  et  de  ses  ministres  ;  et  ces  pouvoirs  de  con- 
trôle ,  qui ,  étant  purement  négatifs  ,  peuvent  seuls  être 
confiés  à  des  corps  populaires.  Le  plus  beau  titre  de  gloire 
de  notre  patrie  est  d'avoir  établi  trois  organes  de  ce  pou- 
voir de  contrôle  d'une  étendue  et  d'une  efficacité  sans  exem- 
ples :  une  presse  libre  ,  le  jugement  par  jury,  et  une  cham- 
bre des  communes  élective. 

Ou  ne  peut  pas  supposer  qu'aucun  de  ces  grands  modèles 
d'institutions  politiques  ait  échappé  à  l'attention  d'un  peu- 
ple aussi  éclairé  que  les  Allemands ,  et  d'un  ministère  aussi 
patriote  que  celui  du  baron  de  Stein  et  du  prince  de 
Hardenberg. 

Mais ,  à  cette  époqae,  toute  l'attention  du  cabinet  prussien 
se  portait  sur  les  demandes  d'im  standesmassi'ge  T^erfassi/ng 
(  constitution  d'états).  Tous  les  Allemands  ,  excepté  les 
Autrichiens,  réclamaient  en  faveur  du  peuple  le  concours 
d'une  chambre  de  représcntans  dans  la  puissance  législative. 
Les  autres  garanties  des  libertés  civiles,  auxquelles  nous 
attachons  presqu'autant  de  prix  ,  le  jugement  par  jury,  la 
liberté  de  la  presse  ,  étaient  l'objet  de  vœux  moins  ardeus. 
En  effet ,  on  sentait  moins,  en  Prusse  qu'en  d'autres  pays, 
l'absence  d'une  presse  libre,  à  cause  de  l'extrcme  tolérance 


1 52  Essai  sur  l'administration  intérieure 

qui  présidait  à  la  censure.  Eu  outre  les  littérateurs  d'Al- 
lemagne résident  pour  la  plupart  dans  les  universités,  dont 
ils  sont  membres  ,  et  dont  les  privilèges  les  protègent 
contre  la  fàclicuse  intervention  delà  police.  Quantau  jury, 
il  ne  jouit  pas,  auprès  des  théoriciens  allemands,  d'une  aussi 
grande  faveur  que  les  autres  institutions  de  T  Angleterre. 

D'un  autre  côté  ,  notre  parlement  offrait  à  leurs  profes- 
seurs et  à  leurs  écrivains  le  texte  habitue!  de  leurs  éloges. 
Les  classes  éclairées  savaient  d'ailleurs  que,  quoique  le 
parlement  anglais  eût  seul  conservé  et  même  accru  ses  pou- 
voirs priraitife,  des  institutions  analogues  avaient  existé  jadis 
dans  presque  toute  l'Europe  :  témoins  les  cortès  d'Espagne, 
les  états-généraux  de  France,  les  stands  d'Allemagne.  Le 
rétablissement  de  cette  institution  était  partout  hautement 
réclamée,  et  ce  n'étaitui  par  quelques  spéculateurs  insensés, 
ni  par  de  factieux  démagogues  5  le  cabinet  prussien  en  avait 
fait  depuis  long-tems  l'objet  de  ses  plus  sérieuses  médita- 
tions. Dès  1808,  et  avant  sa  destitution,  le  baron  de  Sleiii, 
dans  son  Testament  politique  ,  en  publia  le  projet  tel  qu'il 
avait  été  discuté  dans  le  cabinet.  «  La  représentation  du 
»  peuple  ,  dit  cet  homme  d'état,  a  été  jusqu'ici  très-incom- 
»  plète  :  mon  plan  était  de  donner  à  chaque  citoyen  le 
»  droit  d'être  représenté ,  soit  qu'il  possédât  cent  acres  de 
»  terre,  ou  un  seul ,  soit  qu'il  se  livrât  à  l'agriculture  ou 
»  au  commerce,  ou  qu'il  exerçât  toute  autre  industrie  ,  ou 
»  même  que  son  intérêt  fût  lié  à  celui  de  l'état  par  les  seuls 
j)  travaux  de  l'esprit.  » 

Kous  avons  montré,  e.  il  est  généralement  reconnu  que 
de  1808  à  1814?  Iti  cabinet  prussien  travailla  sans  relâche 
au  grand  œuvre  de  la  réforme,  au  milieu  des  dangers  et  des 
difi&cultés  sans  exemple  qui  résultaient  de  sa  position. 
Lorsque  l'Allemagne  eut  brisé  le  joug  de  la  France,  et 
qu'il  fut  question  au  congrès  de  Vienne  do  constituer  la 
confédération  germanique,  il  fut  résolu,  par  l'art.  i5  de 


de  lu  Prusse.  i55 

Tacte  féderalif ,  que ,  dans  chacun  des  états  confédérés,  des 
assemblées  représentatives  f.y/««^e)  seraient  établies.  Celle 
expression  ,  on  doit  Tavouer,  n'a  rien  de  bien  précis  ;  mais , 
par  décret  du  22  mai  i8i3,  le  roi  de  Prusse  annonça 
qu'nne  commission  allait  être  formée  pocr  organiser  d'a- 
bord des  étals  provinciaux  ,  et ,  en  outre  ,  pour  établir 
bientôt  après  une  assemblée  centrale  des  représentans  de 
tout  le  royaume.  Un  des  articles  de  ce  décret  portait  que 
les  fonctions  de  représentant  du  pays  (  stander  represen- 
tanteii)  consisteraient  «  en  délibérations  ou  consultations  sur 
tous  les  sujets  de  législation,  toucbant  les  droits  et  les  pro- 
priétés des  citoyens ,  y  compris  les  lois  de  finances.  »  Les 
termes  de  ces  dispositions  paraissent  avoir  été  pesés  avec 
soin  \  et  ils  laissent  douter  si  le  gouvernement  entendait 
conférer  à  ce  nouveau  corps  un  simple  droit  de  contrôle,  ou 
bien  un  concours  positif  à  la  législatiou,  dans  des  limites 
déterminées.  Nous  avons  une  trop  haute  opinion  des  mem- 
bres qui,  à  celte  époque,  composaient  le  cabinet  prussien, 
pour  supposer  qu'ils  aient  sérieusement  entendu  ne  donner 
à  cette  assemblée  que  le  pouvoir  d'enregistrer  les  lois ,  tel 
qu'en  jouissait  l'ancien  parlement  de  Paris.  Mais  ,  quels  que 
fussent  leurs  plans  immédiats,  la  guerre  qui  suivit  le  retour 
de  Napoléon  de  l'île  d'Elbe,  eu  suspendit  les  effets.  I^a 
commission  chargée  del'exécution  du  décret  du  22  mai  18  ï6, 
ne  fut  nommée  qu'au  mois  de  mars  1817^  elle  se  composait 
en  général  d'hommes  qui  jouissaient  en  Allemagne  de  la 
plus  haute  estime,  et  dont  plusieurs  avaient  acquis  une 
réputation  européenne.  11  est  peu  de  nos  lecteurs  aux- 
(jueis  ne  soient  familiers  les  noms  du  chancelier  de  Harden- 
l)erg  ,  du  général  Gneisenau  ,  du  ministre  d'état  Humboldt, 
de  BuloAv  ,  du  prince  Wilgenstein ,  et  des  professeurs 
Savigny  et  Eichorn.  Un  préliminaire  essentiel  de  leur  Ira 
vail  devait  cire  un  tableau  complet  de  chaque  portion  du 
royaume  ,  sous  le  double  rapport  des  propriétés  et  des  pcr- 


1 54  Essai  sur  V aaininistration  intérieure 

Ibnnes  ;  en  un  mot  une  véritable  statistique  de  la  Prusse. 
Dans  aucun  pays  et  en  aucun  tems  ce  n'a  été  Touvrage  d'un 
jour;  le  grand  terrier  Ae  G ulllaume-le- Conquérant,  qui  ne 
s'étendait  point  aux  quatre  comtés  du  nord,  exigea  un  tra- 
vail de  près  de  six  ans;  en  évaluant  les  progrès  de  celui  de 
la  commission  prussieiuie,  nous  devons  quelqu'indulgence  à 
celte  lenteur  nationale ,  commune  chez  les  Allemands  ,  aux 
penseurs  et  aux  savans,  aussi  Lien  qu'aux  artisans  et  aux 
hommes  du  monde,  et  qui  a  été  de  tout  tems  l'occasion  de 
remarques  satiriques  de  la  jiart  des  nations  plus  vives 
du  midi. 

A  cette  époque ,  il  y  avait  en  Prusse  une  extrême  anxiété 
sur  rétablissement  des  états  ;  elle  s'étendait  même  dans  toute 
TAUemagne,  dont  plusieurs  gouvernemens  manifestaient,  à 
regard  des  constitutions  projetées  ,  des  scutimens  beaucoup 
moins  favorables  que  le  cabinet  prussien. 

En  1818,  le  ministre  de  cette  puissance  déclara  solen- 
nellement à  ia  diète  de  Francfort,  que  sa  cour  était  résolue 
à  tenir  la  promesse  qu'elle  avait  faite ,  nonobstant  les  difli- 
cultés  qui  s'étaient  élevées  sur  son  exécution  ;  en  même 
tems ,  il  protesta  d'avance  contre  le  droit  d'intervention 
que  la  diète  pourrait  s'arroger  dans  le  travail  organique  de 
chaque  constitution  ,  et  il  ])roposa  aux  divers  gouverne- 
mens de  l'Allemagne  de  faire,  à  la  tin  de  l'année  ,  un  rap- 
port sur  ses  progrès.  Le  ministre  autricliieu  communi- 
qua, peu  de  tems  après,  à  la  diète,  une  note  calquée  sur 
celle  de  la  Prusse ,  et  qui  fixait ,  comme  celle-ci ,  le  délai 
d'un  an  aux  divers  rapports. 

Celte  année,  le  changement  du  ministère  bavarois  assura 
un  important  appui  à  ia  cause  de  la  liberté  conslitulionnelle. 
M.  de  Monlgelas ,  dont  Napoléon  avait  dit  que  lui  et 
M.  de  Tallcyrand  étaient  les  seuls  hommes  d'état,  dans 
toute  l'Europe  ,  dignes  d'être  premiers  ministres ,  fut 
éloigné  du  limon  des  affaires  ;  et ,  au  mois  de  mai  ,  la  lia- 


du  1(1  Prusse.  i5j 

vière  reçut  uue  consliluiiou  qui  ottrlt  à  l'AUemague  le  spec- 
tacle cPua  corps  populaire  ,  délibérant  en  public  ,  et  d'une 
<-bambre  des  communes  avec  son  opposition  régulière. 
Toutefois  les  premiers  procédés  de  la  chambre  basse  étaient 
de  nature  à  alarmer  les  gouvernemens  qui  n'avaient  point 
organisé  de  semblables  institutions.  C'est  avec  une  précipita- 
lion  impolitique,  et  un  système  de  conduite  qui  ne  pouvait 
avoir  que  de  fâcheux  résultats,  que  les  députés  manifestèrent 
sans  délai  ni  modération  leur  résolution  de  redresser  les  abus 
et  d'étendre  les  réformes  que  le  gouverneuient  avait  volon- 
tairement entreprises.  Cette  chambre  ne  tarda  point  à  être 
dissoute  ,  et  celle  qui  lui  succéda  modéra  ses  prétentions. 

En  i8ig,  la  constitution  de  Wurtemberg  fut  mise  en 
activité;  le  corps  représentatif  y  était  également  composé 
de  deux  chambres.  Les  déjmtés  de  ce  pays  n'étaient  pas 
cependant  complètement  novices  dans  les  fonctions  légis- 
latives. En  effet,  ce  peuple,  le  plus  libre  de  rAilcmagne, 
avait,  sous  la  protection  de  VAutriche  ,  résisté  à  la  tyrannie 
du  dernier  électeur,  jusqu'à  ce  que  Napoléon  ,  pour  assu- 
rer au  roi  (ju'il  avait  créé  ses  droits  de  souveraineté  (  c'est 
ainsi  qu'il  nommait  les  prérogatives  de  la  monarchie  abso- 
lue ) ,  anéantit  d'un  trait  de  plume  les  états  et  les  libertés  du 
peuple.  Lorsque  l'Allemagne  recouvra  son  indépendance, 
les  états  de  Wurtemberg  furent  rétablis  dans  leurs  anciens 
privilèges.  Mais  ils  s'engagèrent  dans  de  longs  débats  avec 
le  vieux  roi;  ils  entrèrent  ensuite  en  contestation  avec  son 
fds  relativement  à  1  extension  des  droits  constitutionnels  , 
dont  le  jeune  monarque  désirait  investir  ses  nouveaux  su- 
jets, et  que  les  anciens  états  voulaient  se  réserver  comme 
Aqs  privilèges  exclusifs  ,  aux  termes  de  leur  constitution 
primitive.  Les  principes  libéraux  et  justes,  professés  par  le 
roi,  prévalurent  enfin  :  la  réconciliation  s'opéra,  les  nou- 
veaux états  ouvrirent  leurs  délibérations,  la  confiance  fut 
rétablie  entre  le  prince  et  la  nation,  et.  par  ses  libertés, 


1 56  Essai  sur  l' administration  intérieure 

le  Wurtemberg  se  maintint  à  la  tête  du  corps  ger- 
manique. 

A  Bade,  l'assemblée  lies  nouveaux,  états  fut  d'abord  le 
tl'éâtre  de  graves  dissentions;  mais,  dès  la  seconde  session, 
l'harmonie  régna  dans  les  deux  chambres. 

La  constitution  donnée  par  le  grand -duc  de  Hesse- 
Darmstadt  était  moins  libérale  que  celle  des  autres  souve- 
rainetés de  TAllemagne  méridionale.  La  nation  l'avait  d'a- 
bord rejetce;  mais,  après  avoir  été  amendée  ,  elle  fut  jugée 
suffisante  pour  atteindre  le  but  essentiel  du  gouvernement. 

Lorsque  ces  états,  et  quelques  autres  moins  importans, 
eurent  mis  à  exécution  l'article  i5  de  l'acte  fédératif,  le 
ministère  prussien  différa  de  se  conformer  au  décret  de  la 
diète.  Cette  circonstance  mérite  explication  ;  mais  elle  ne 
suffit  point  pour  faire  soupçonner  les  intentions  du  gouver- 
nement,  quand  Ton  considère  l'étendue,  le  nombre  et  la 
diversité  des  cai'actères  des  provinces  qui  composent  le 
royaume. 

Le  roi  de  Prusse,  avant  garanti  à  ses  sujets  une  repré- 
sentation nationale  et  des  états  provinciaux ,  ne  pourrait 
trahir  sa  promesse  sans  ternir  sa  gloire  ,  sans  perdre  tout 
titre  à  la  confiance  publique  ,  et  sans  affaiblir  en  même 
tems  les  bases  de  sa  puissance,  et  sacrifier  ses  intérêts  les 
plus  précieux.  Jusqu'ici  nous  croyons  qu'on  n'a  créé  que  deux 
ou  trois  étals  provinciaux,  et  nous  ne  possédons  pas  ,  sur 
leur  organisation ,  des  données  assez  positives  pour  les  in- 
sérer dans  cet  article.  Mais  que  le  gouvernement  se  soit 
engagé  sérieusement  et  avec  sincérité  dans  les  préliminaires 
du  grand  œuvre  constitutionnel  qu'il  s'est  imposé  ,  c'est  ce 
qui  ne  sera  révoqué  en  doute  par  aucun  de  ceux  qui  con- 
naissent la  politique  actuelle  du  cabinet  prussien.  Nous  nous 
attendons  avec  confiance  (lu'il  accordera  enfin  une  repré- 
sentation nationale  ou  centrale  ,  parce  que  nous  croyons 
qu'elle  n'est  incompatible  avec  aucun  des  intérêts  réels  ou 


de  la  Prusse.  7.5 1 

imaginaires  du  roi  ou  du  ministère  j  parce  que  ie  cabinet 
prussien  sait  qu'il  a  besoin  de  l'appui  de  Vopiniou  publique  , 
et  que,  dans  toute  l'Allemagne,  elle  demande  l'étaiilisse- 
raent  des  états  qui  lui  ont  été  promis  ;  enfin  parce  que  tout 
ce  qui  a  été  fait  jusqu'ici  donne  à  penser  que  le  gouverne- 
ment a  trop  de  loyauté  et  de  patriotisme  pour  ne  pas,  com- 
pléter son  ouvrage.  Les  détails  dans  lesquels  nous  sommes 
entrés,  prouvent  qu'il  n'a  point  été  avare  d'institutions  li- 
bérales :  l'organisation  du  corps  législatif  serci^  la  clé  de  la 
voûte ,  mais  nous  nous  garderons  bien  d'ajouter  qu'un  ou- 
vrage doit  être  regardé  comme  non  avenu ,  lorsqu'il  n'est 
pas  complètement  terminé. 

Les  institutions  dont  nous  avons  rendu  compte,  sont 
loin  de  former  un  corps  entier  de  constitution  ;  mais  nous 
attendrons  avec  patience  le  complément  du  système  si  heu- 
reusement entrepris.  Nous  nous  réjouissons  sincèrement 
de  voir  d'autres  nations  engagées  dans  une  carrière  d'amé- 
lioralione  que  l'Angleterre  parcourt  avec  tant  de  bonheur 
et  de  gloire  ;  et ,  de  quelques  obstacles  que  la  route  soit  hé- 
rissée, nous  comptons  sur  un  résultat  favorable  aux  inté- 
rêts les  plus  précieux  de  l'humanité.  En  effet,  nous  remar- 
querons que  les  réformes  actuelles  ont  suivi ,  au  lieu  de 
précéder ,  un  changement  correspondant  dans  l'opinion 
publique  j  notre  espoir  est  d'autant  plus  fondé  ,  qu'il  ne 
repose  sur  aucune  induction  tirée  de  la  haute  vertu  ni  de 
l'extrême  générosité  des  agens  de  ces  grandes  mesures. 
Nous  n'attribuons  ni  au  roi  de  Prusse,  ni  à  ses  ministres , 
un  désintéressement  héroïque.  Nous  ne  pensons  pas  que 
l'installatiou  du  parlement  prussien  soit  une  abdication  des 
grandes  prérogatives  de  la  couronne;  mais,  si  le  carac- 
tère et  les  pouvoirs  de  cette  assemblée  trompent  d'abord 
l'attente  et  les  vœux  des  patriotes  mémo  les  plus  éclairés  de 
l'Allemagne,  nous  aurons  plus  de  confiance  dans  l'avenir 
que  si  nous  assistions  pour  la  deuxième  fois  au  spectacle  à 
I.  II 


i58  Essai  sur  l'administration  intérieure 

la  fois  digue  de  mépris  et  de  pitié ,  que  lo  midi  de  l'Eu- 
rope a  présenté  au  monde  (i).  Là  nous  avons  vu  un  corps 
de  réformateurs ,  dont  plusieurs  étaient  sans  doute  bien 
intentionnés ,  non-seulement  devancer  la  masse  de  la  na- 
tion, ce  qui  arrive  souvent,  mais  encore  s'élancer  devant 
elle  à  perte  de  vue,  et  publier  des  constitutions  inintelligi- 
bles à  rimmense  majorité  des  citoyeus  qui  devaient  vivre 
sous  leur  empire.  Aussi,  du  moment  où,  en  Piémont,  à 
Naples,  en  Espagne  et  en  Portugal,  une  armée  étrangère 
s'est  avancée  pour  les  détruire  ,  le  peuple  a  prouvé  par  son 
indifféi'euce  qu'elles  n'étaient  point  faites  pour  lui. 

Le  grand  changement  qui  s'opère  dans  les  lois  prus- 
siennes, n'est  pas  l'ouvrage  d'un  petit  nombre  d'enthou- 
siastes ,  ni  d'une  faction  :  les  fondemens  en  avaient  été 
jetés  par  la  partie  pensante  du  peuple;  l'édifice  s'est  élevé 
par  les  soins  de  tous  ceux  qui  exercent  des  professions  ho- 
norables ,  des  hommes  d'Etat,  des  ministres,  dans  chaque 
branche  de  service  public  ,  civil  ,  militaire  ,  ecclésiastique  ; 
des  nobles,  des  grands  propriétaires,  ayant  à  leur  tête  le 
roi  lui-même.  On  ne  devrait  point  s'étonner  qu'une  ré- 
forme ,  due  à  de  tels  agens ,  fut  un  sujet  de  calomnies  et 
de  reproches  pour  les  panégyristes  des  constitutions  im- 
portées d'Espagne  en  Portugal ,  à  Naples  et  dans  le  Pié- 
mont. Pour  démontrer  la  perfidie  de  cette  réforme  ,  tout 
leur  raisonnement  consiste  dans  ce  dicton  :  Noue  but  good 
men  eau  gii>e  good  gijts.  (  Il  faut  de  bonnes  gens  pour  faire 
de  bons  présens.  ) 

Ce  principe  a  pour  lui  les  plus  liantes  autorités;  et  il  est 
aisé,  en  le  prenant  pour  guide,  de  déterminer  aussi  bien 
le  caractère  du  donateur  par  la  nature  de  la  donation  ,  que 
la  nature  de   la  donation  par  le  caractère  du  donateur. 

(i)  Note  du  Tr.  Nous  avons  déjà  observé  que  le  Quarlerly  Revlew 
éttiit  un  lies  organes  du  parti  tory. 


de  la  Prusse.  i  Sq 

Mais  qu'importe  ?  lorsque  ce  dernier  est  membre  de  la 
Sainte- Alliance ,  on  sent  que  ses  détracteurs  doivent  s'ar- 
rêter à  cette  seule  considération. 

Ils  mettent  encore  en  avant  un  autre  argument  de  la 
même  force  :  c'est  que  le  gouvernement  prussien  n'a  pas 
réformé  ses  institutions  judiciaires.  Il  est  vrai  que  plusieurs 
personnages  distingués,  enlr'autres  le  professeur  Jahn, 
ont  subi  un  long  emprisonnement  sans  avoir  été  jugés  ,  ou 
du  moins  sans  que  leur  jugement  ait  été  rendu  public.  Ni 
la  Prusse,  ni  peut-être  aucun  des  états  du  continent 
n'ont  encore  une  loi  parfaitement  conforme  à  notre  habeas 
corpus  ;  peu  de  souverains  ont  même  été  assez  éclairés  pour 
discerner  l'avantage  qui  résulterait,  pour  la  justice  et  pour 
eux-mêmes,  de  la  publicité  des  débats  criminels,  et  d'un 
examen  contradictoire  pour  toutes  les  parties.  Mais  ,  de  ce 
que  ces  bienfaisantes  institutions  sont  à  créer,  s'ensuit-il 
que  celles  qu'on  a  déjà  obtenues  ne  soient  rien  ?  Croire  que 
rien  n'est  fait  tant  qu'il  reste  quelque  chose  à  faire  ,  est  un 
sentiment  généreux  qui  peut  servir  d'aiguillon  à  nos  actions  ; 
mais  c'est  la  règle  la  plus  fausse  et  la  plus  dangereuse  pour 
apprécier  les  actions  des  autres. 

En  contemplant  la  marche  actuelle  du  genre  humain , 
dans  les  différens  degrés  de  réchelle  de  civilisation  qu'il  par- 
court en  divers  pays,  on  doit  également  la  comparer  avec 
les  abus  du  tems  passé  ,  et  les  améliorations  promises  par 
l'avenir.  C'est  seulement  ainsi  que  nous  serons  iilipkrtiaux 
dans  nos  éloges  ;  et  c'est  en  suivant  cette  règle  d'équité  que 
nous  nous  sommes  attachés ,  dans  cet  article ,  à  rendre 
justice  au  roi  de  Prusse  et  à  sou  ministère. 

(  Çuarterly  Reriew.  ) 


COMMERCE. 


OBSERVATIONS    SUR    LE    COMMERCE    AVEC    LA    CHINE    ET 
SUR    LE    MONOPOLE    DU    THE 


La  compagnie  hollandaise  des  Indes  orlentalôs*,  qui  pos- 
sédait le  monopole  des  épiceries  ,  était  dans  l'usage  de  brû- 
ler une  portion  considérable  de  ces  denrées ,  pour  n'en  pas 
surcharger  le  marché;  par  ce  moyen,  elle  en  soutenait  ie 
prix,  à  un  taux  excessif.  On  n'oserait  se  permettre  chez 
nous  un  tel  procédé,  du  moins  on  ne  s'en  vanterait  pas  ; 
mais  l'esprit  qui  dirige  les  associations  exclusives  est  le 
même  partout.  Nous  allons  démontrer  que  notre  Compa- 
gnie des  Indes  ne  saurait  être  trop  sévèrement  surveillée 
par  le  gouvernement  et  par  l'opinion  publique ,  que  nos- 
seigneurs les  gros  épiciers  de  Leadenluill- Street  (i),  ont 
scandaleusement  abusé  du  monopole  qu'ils  possèdent,  et 
qu'ils  ne  le  cèdent  point  en  avidité  à  ces  négocians  hol- 
landais qu'ils  ont  pris  pour  modèles. 

Nul  doute  que  ,  si  !e  conimerce  avec  la  Chine  se  faisait  sur 
le  même  pied ,  en  Angleterre  ,  que  dans  le  continent  et  aux 
États-Unis,  le  prix  du  thé  ne  fût  aussi  modéré  à  L  .ndres 
et  à  Liverpool,  qu'à  Hambourg  et  à  New-York  j  on  doit 
croire  ïp|à|*ie  qu'il  descendrait  beaucoup  plus  bas.  Les  Chi- 
nois ont  adopté  un  grand  nombre  de  nos  articles  manufac- 
turés ,  et  Ils  les  prennent  en  échange  du  thé  que  nous  leur 
achetons.  NI  les  Français ,  ni  les  citoyens  des  Etats-Unis,  ne 
sauraient  expédier  pour  la  Chine  une  aussi  grande  quantité 
des  produits  de  leurs  fabriques  :  ils  sont  donc  forcés  de  payer 
la  majeure  partie  de  leurs  thés  en  lingots,  tirés  du  Mexique 
ou  de  l'Amérique  du  Sud. 

(i)  Rue  où  est  situe'  l'hôtel  de  la  Compagnie  des  Indes. 


Obse.ivutions  sur  le  conmierce  avec  la  Chine  .  etc.      \l^\ 

Les   ncgocians  les  mieux  informés  s'.TCCorclent  à  penser 
que  si  le  monopole  exerce  par  la  compagnie  des  Indes 
orientales,  était  aboli,  les  thés  d\ine  qualité  égale  seraient 
ici  de  i5  à  2Q  p.  "/o  à  meilleur  marché  qu'en  Amérique  ou 
sur  le  continent.  Nous  citerons  ,  à  l'appui  de  cette  opinion  , 
l'auteur  judicieux  d'un  ouvrage  très-remarquable  sur  l'Ar- 
chipel indien,  M.  Crawfurl,  qui,  par  les  fonctions   offi- 
cielles qu'il  a  remplies  dans  l'Inde  .  était  le  plus  à  portée 
d'acquérir  des  notions  posilives  sur  cette  matière.  Y) .  Ci^aw- 
furt ,  dans  sa  déposition  devant  le  comité  d'enquête  de  la 
chambre  des  pairs  (i),  sur  le  commerce  extérieur  du  pays, 
estimait  que ,  si  le  marché  était  libre  ,  la  quantité  de  thé 
transportée  de  Canton  elQ  Europe,  sur  les  vaisseaux  anglais, 
serait,  à  celle  transportée  sur  les  vaisseaux  américains, 
comme  loo  est  à  12.  On  est  fondé  à  croire  que  cette  estima- 
tion est  juste.  Nos  A'^aisseaux  ayant  à  exporter  les  produits 
de  nos  manufactures  ,  peuvent  se  charger  de  marchandises 
indigènes  et  étrangères ,  niais  les  négocians  européens  et 
américains  qui  n'ont  à  exporter  que  des  lingots ,  doivent 
envoyer  à  la  Chine  leurs  vaisseaux  sur  leur  lest ,  et  alors, 
les  frais  de  voyage  sont  supportés  exclusivement  par  la  car- 
gaison du  retour,  ou  bien  expédier  d'abord  leurs  bâtimens 
pour   l'Angleterre,  à  l'effet  d'y  prendre  des  marchandises 
recherchées  à  la  Chine.  C'est  en  effet  par  ce  canal  qu'une 
portion  considérable  de  nos  produits  industriels  est  dirigée 
vers  \ empire  céleste  (o.).  Or,  il  est  évident  que  si  le  com- 
merce était  libre,  nos  fabricans,  comuîe  ceux  des  autres  pays 

{ i)  Rapport  à  1^  cfiamhre  des  lords  ,  du  1 1  avril  i8ai  ,  pag.  21. 

(a)  11  est  dit ,  dans  une  lettre  écrite  par  un  des  facteurs  de  la  Com- 
pagnie à  Canton  ,  le  20  novembre  1820  ,  et  imprimée  dans  le  rapport 
fait  il  la  Chambre  des  communes,  le  18  juillet  1821,  que  trois  à<]uatrc 
mille  pièces  de  gros  draps  ont  e'/e  importes  d'Jnf^lcterre  en  Chine  sous 
pavillon  américain  ;  ce  qui  porte  un  coup  mortel  au  monopole  dont  a 
joui  jusqu'ici  r honorable  Compagnie. 


)4'-i  Oùsen'utio/is  su/  le  commerce  avec  hi  Chine 
-y  enverraient  eux-mêmes  ces  produits ,  à  moins  de  trais  et 
avec  plus  de  bénéfices  que  ces  derniers.  Dans  celte  hypo- 
thèse, les  marchands  anglais  livreraient  le  thé  au  consom- 
mateur ,  à  aussi  bas  prix,  et  peut-être  à  meilleur  marché 
que  ceux  du  continent  ou  des  Etats-Unis.  On  peut  juger 
par  cette  observation  à  quel  point  le  monopole  ,  exercé  par 
la  Compagnie  des  Indes,  nous  est  profitable  !  S'il  y  avait 
concurrence  eutr' elle  et  les  autres  négocians  ,  le  prix  du  thé 
ne  dépasserait  pas  en  Angleterre  celui  coté  à  la  bourse  de 
New-York  ou  d'Hambourg. 

Nous  possédons  un  état  officiel  des  ventes  de  thé  faites 
par  la  Compagnie,  de  18:20  à  iSsD.  On  y  voit  à  quel  prix 
elle  a  proposé  ses  diverses  espèces  de  thé  ,  à  chacune  de 
ses  ventes  trimestrielles,  le  total  des  quantités  vendues  et  des 
quantités  refusées  par  les  marchands.  A  l'exception  du  thé 
Bou  ,  dont  le  prix  a  varié  de  i  sh.  11  d.  7/10  à  1  sh.  6  d. 
5/10,  il  y  a  eu  très-peu  de  fluctuation  dans  le  prix  des  au- 
tres espèces. 

11  résulte  encore  de  ce  compte  officiel,  qu'au  mois  de 
mars  iSaS,  la  Compagnie  a  vendu  7,077,485  livres  de 
ihé,  et  qu'on  a  refusé  de  lui  acheter  77,1 55  livres  de  thé 
Hyson ,  parce  qu'on  a  trouvé  que  le  prix  auquel  elle  le  li- 
vrait (  4  sh.  5  d.  /j/io  par  livre  )  était  exorbitant.  Enfin, 
nous  y  trouvons  qu'elle  a  vendu ,  à  la  même  époque  ,  le 
\\\é  BouS  sh.  5  d.  2/10  la  livre. 

Or,  à  New -York  en  i825,  le  prix  moyen  du  thé  Hy- 
son était  de  -l  sh.  6  d.  ,  et  celui  du  thé  Bou  de  8  d.  1/2  la 
livre. 

A  Hambourg ,  le  prix  du  thé  Hyson  ,  à  la  même  époque , 
toutes  charges  déduites  ,  sauf  le  fret  et  l'assurance,  s'élevait 
de  2  sh.  2  d.  à  2  sh.  1 1  d. ,  et  celui  du  thé  Bon  de  9  d.  et 
5/16  à  10  d.  5;i6. 

Hambourg  et  beaucoup  d'autres  ports  du  continent  ti- 
rent indirectement  de  New-York  une  portion  considérable 


et  sur  fe  monopole  dit  thé.  i45 

de  leur  thé  ;  New-York  est,  après  Londres,  le  marché  le 
plus  important  de  cette  denrée  qn'll  y  ait  hors  de  la  Chine. 
Les  prix  de  ce  marché ,  comparés  avec  ceux  de  la  Compa- 
gnie des  Indes  ,  offrent  donc  la  règle  la  plus  sûre  pour  dé- 
montrer les  effets  du  monopole  qu'elle  exerce. 

En  1823,  le  prix  du  thé  Bou  était  de  i  sh.  8  d.  plus 
élevé  à  Londres  qu'à  Nevr-York;  la  différence  était  la 
même  dans  les  ventes  de  1822.  Or ,  il  est  constaté  ,  par  les 
comptes  annuels  de  la  Compagnie,  qu'en  1822  elle  a  ven- 
du 2,4  ï9î<j4I>  livres  de  thé  Bou.  Multiplions  par  cette  quan- 
tité celle  de  i  sh.  8  d.  excédant  perçu  par  la  Compagnie 
sur  les  prix  courans  de  New-York,  et  nous  verrons  que 
le  monopole  a  fait  perdre  aux  consommateurs  anglais,  sur 
le  thé  Boz^  seulement,  la  somme  de  206, 58"  llv.  si. 

Un  calcul  semhlahle  sur  les  autres  espèces  de  thé  ,  offre 

le  résultat  suivant  : 

I 

Quantité  de  thés  Exoédant,  par  livre,  des  Total  de  IVxcédant 

vendus  en  1822  prix  de  la  CorapaRnie  de  prix  reçu  par 

aux  marchés  de  surccuxde  iVew-York  la  Compagnie. 

la  Compagnie.  ou  Hambourg. 

Th(vBou 2,419,045  ish.  8d.  N.-Y.  207,587  Liv.  st. 

—  Congou 18,569,472  1   sh.  6  «1.  H.          •  1,392,710 

— Campoi iy6,7'29  i   sh.  5  d.  H.  28,871 

— Souchong....  ii5,738  3  sh.          N.-Y.  17,860 

— T-wankay....  4jo3^>445  i  sh.  10  cl.  H.  368,907 

— Hyson  sltin..  i3o,420  i  sh.  9  d.  H.  ii,4ii 

— Ilyson 396,697  2  sh.  N.-Y.  et  H.  39,469 

Totaux...  25,874,546  2,o58,8i5  (i). 

Dans  les  {quantités  ci-dessus  ,  on  ne  comprend  pas  les 
2.109,019  livres  de  thé  vendues  aux  mêmes  marchés  pour 

(i)  NOTK  DU  Tr.  Ce  total  évalué  en  francs  est  de  51,470,375  fr. 
Sur  la  même  e'chelle ,  le  prix  du  the'  Bou  le  plus  commun  est  d'en- 
viron 3  fr.  la  livre  ,  vendu  par  la  Compagnie,  tandis  qu'il  ne  coûte 
à  Nc\v-York  que  75  à  80  c.  Le  thé  Hyson  ,  qui  se  vend  à  New-York 
3  fr.  5  c.  la  livre  ,  est  vendu  à  Londres  ,  par  la  Compagnie  ,  5  fr.  5o  c. 


iZj4  Observations  sur  le  commerce  avec  la  Chine 
le  compte  des  capitaines  et  autres  olHcicrs  des  vaisseaux,  de 
la  Compagnie;  les  espèces  n'en  sont  point  spécifiées  dans 
les  ventes.  Mais  en  supposant  qu'ils  aient  été  nièlés,  dans  les 
mêmes  proporlions,  à  ceux  appartenant  à  la  Compagnie, 
Texcès  de  prix,  sera,  à  leur  égard  ,  d'environ  160,000  liv. 
st. ,  et  le  total  do  la  différence  de  a,2i8,oi5  liv.  st. 

Ces  résultats  ,  extraits  de  documens  dont  l'exactitude  ne 
peut  être  révoquée  en  doute  ,  sont  de  la  plus  haute  impor- 
tance ;  ils  démontrent  que  les  monopoleurs  de  LeadenhaU- 
Street,  ont  gagné  sur  les  thés  qu'ils  ont  vendus  ,  en  Angle- 
terre, en  1822  ,  2,2i8,8i5  liv.  st.  (  55,470,875  fr.  )  de 
plus  qu'il  n'aurait  suffi  pour  ca  acheter  une  égale  quantité, 
si  le  commerce  en  eût  été  lihre  ^  mais  comme  le  pris  du 
thé  a  très-peu  varié ,  durant  les  trois  dernières  années ,  à 
Hamhourg  et  à  New-York,  et  que  les  quantités  vendues, 
ainsi  que  le  taux  des  ventes  faites  par  la  Compagnie ,  en 
1821,  1822  et  i8i5,  ne  diffèrent  pas  senslhlement ,  il  est 
évident  que  le  monopole  dont  jouit  la  Compagnie  coûte 
chaque  année  à  la  nation  2,2 18,000  liv. st.  (  55,45o,ooo  fr.), 
terme  moyen. 

Voilà  im  des  impôts  les  plus  scandaleux  qui  aient  jamais 
pesé  sur  un  pays.  Le  thé  est  devenu  une  denrée  de  pre- 
mière nécessité,  et  notre  gouvernement  donne  généreuse- 
ment à  une  association  de  simples  particuliers ,  le  droit 
d'en  faire  un  monopole  ,  el  de  la  vendre  à  plus  de  200  p.  °/o 
de  son  véritable  prix  !  John  Bull,  il  faut  l'avouer  ,  est  un 
être  bien  conséquent  ;  il  a  multiplié  ses  pétitions  à  la 
cliambre  des  communes,  pour  l'aboition  du  droit  d'un 
denier  et  demi  par  livre  (  i5  c.  environ  ),  sur  les  cuirs, 
droit  presque  imperceptible  ,  imposé  en  1822  ,  et  il  n'a  ja- 
mais réclame  contre  une  taxe  de  i  sh.  6  d.  5  hs.  par  livre , 
que  la  Compagnie  des  Indes' prélève  sur  le  thé  ,  et  dont  elle 
fait  sou  profit.  Sur  ce  sujet,  nos  orateurs  patriotes  ont  pris 
à  lâche  d'imiter  la  gravité  silencieuse  des  commissaires  de 


et  su?'  le  monopole  du  thé.  l45 

îa  Compagnie.  Mais  la  question  est  aujourd'hui  soumise  v^u 
public  i  les  marchands  de  thé  d'Edinbourg  ont,  d'ailleurs  , 
invoqué  Tintervention  des  lords  de  la  Trésorerie,  à  Teffet 
de  restreindre  la  cupidité  de  la  Compagnie  des  Indes  ,  v\. 
nous  pensons  que  cet  exemple  sera  suivi  par  les  marchands 
et  autres  habitans,  dans  toutes  les  villes  importantes  de 
l'empire.  Si  le  peuple  ne  cherche  pas  lui-même  à  s'affran- 
chir d'une  taxe  aussi  scandaleuse,  comment  osera-t-il  sol- 
liciter la  suppression  de  celles  qu'on  lève  dans  un  intérêt 
national?  Aussi  long-tems  qu'il  laissera  les  monopoleurs 
puiser  ainsi  dans  sa  bourse,  il  ne  méritera  aucun  ména- 
gement de  la  part  des  percepteurs  de  l'impôt. 

On  dira  peut-être  que  la  Compagnie  étant  en  possession 
légale  du  monopole,  a  le  droit  incontestable  de  l'exercer 
comme  il  lui  plaît.  Nous  contestons  le  fait  :  le  monopole  de 
la  Compagnie  n'est  pas  absolu  ,  il  est  purement  condition- 
nel ;  et  en  foulant  aux  pieds  les  stipulations  sur  lesquelles 
il  reposait ,  elle  a  rendu  impérieusement  nécessaire  l'inter- 
vention immédiate  du  gouvernement.  Le  Parlement  a  pro- 
mulgué plusieurs  actes ,  à  l'effet  de  l'empêcher  de  vendre 
ses  thés  à  un  prix  exorbitant,  et  dans  le  but  louable  d'as- 
surer à  la  nation  anglaise ,  aux  mêmes  frais  que  sur  le  con- 
tinent, la  jouissance  d'un  article  de  consommation  si  néces- 
saire. Ainsi,  un  acte  du  Parlement  de  1745(1 8*  de  George  II, 
chap.  XXVI ) ,  établit  que  «  dans  le  cas  où  le  thé  importé  par 
n  la  Compagnie  des  Indes  orientales,  ne  suffirait  pas  à  l'ap- 
»  provisionnement  de  l'Angleterre,  et  où  il  ne  serait  pas 
»  livré  au  même  prix  courant  que  dans  les  contrées  voi- 
»  sines ,  cette  Compagnie  et  ses  successeurs  devront  en  im- 
»  porter  des  ports  d'Europe  en  Angleterre,  telle  quantité 
»  qui  sera  jugée  nécessaire.  »  Une  autre  section  du  même 
statut  porte  que,  «  si  la  Compagnie  néglige  de  tenir  les 
»  uïarchés  anglais  approvisionnés  d'une  suffisante  quantité 
>>  de  thés,  à  un  prix  raisonnable,  il  sera  loisible  aux  lords 
I.  12 


i46       Obscn'atioiis  sur  le  commerce  avec  la  Cliine 

»  de  la  Trésorerie  de  délivrer  à  tout  autre  individu  ,  corps 
»  politique  ou  association  commerciale,  des  licences  d'i  m - 
»  portation  pour  le  même  objet.  »  Ce  statut  est  clair,  ex- 
plicite, décisif;  et  nous  sommes  également  étonnés  et  de 
l'effronterie  avec  laquelle  nos  nababs  ont  foulé  aux  pieds 
les  actes  les  plus  évidcns  ,  les  plus  solennels,  et  dq  peu  d'at- 
tention que  la  nation  et  le  gouvernement  donnent  à  de  tels 
procédés.  " 

Mais  ce  n'est  pas  tout  ;  il  est  dit  dans  le  fameux  acte 
de  commutation ,  passé  en  1784  (24^  de  George  III ,  chap. 
xxxvili),  «  que  la  Compagnie  des  Indes  fera  quatre  ventes 
»  de  tlié  par  an ,  à  des  intervalles  à  peu  près  égaux  ;  que 
»  le  marché  sera  fourni  de  quantités  suffisantes  pour  satis- 
»  faire  à  toutes  les  demandes ,  et  qu'à  chaque  vente  les 
»  thés  seront  livrés  sans  l'éserve  au  plus  offrant,  moyen- 
»  nant  la  simple  surenchère  du  penny  par  livre.  »  Une 
autre  -clause  du  même  acte  porte  ,  «  qu'il  ne  sera  pas  per- 
»  mis  à  la  Compagnie  de  vendre  ses  ihés  à  un  prix  qui 
»  excède,  pour  la  totalité  qui  en  sera  livrée,  le  taux  ds 
»  Tachât  primitif,  le  fret  et  les  charges  d'importation  , 
»  l'intérêt  légal  depuis  le  tcms  de  leur  arrivée  en  An- 
»  gleterre,  et  la  prime  d'assurance  à  raison  des  risques  de 
«  mer.  » 

Enfin  ,  par  une  dernière  clause,  la  Compagnie  est  obligée 
de  produire,  devant  les  lords  de  la  Trésorerie,  des  copies 
exactes  des  comptes  et  estimations  qui  servent  de  base  aux 
ordres  d'importation  rpTelle  a  donnés ,  aux  prix  de  ventes 
et  aux  quantités  vendues. 

Ces  clauses  ont  évidemment  pour  objet  d'empêcher  la 
Compagnie  de  hausser  artificiellement  le  prix  du  thé,  et 
de  l'obliger  à  le  mettre  en  vente  aux  taux  de  l'acquisition  , 
sauf  un  excédant  assez  modéi'é  pour  ne  lui  assurer  qu'un 
profit  raisonnable  ;  mais  les  règles  établies  par  cj  statut 
ont  été   aussi   ouvertement   foulées  aux   pieds   que    celles 


et  sur  le  monopole  du  tlië,  \^n 

jnescrites  par  le  statut  de  (ieorgc  II.  Dans  le  prix  des 
achats  faits  par  les  facteurs  de  la  Compagnie  à  Canton , 
sont  compris  les  émolumens  de  douze  subrécargues ,  de 
huit  cmp'ojés.  de  bureau,  etc.,  etc.  Il  est  alloué,  aux. 
membres  de  cette  factorerie ,  outre  un  large  salaire ,  une 
commissiou  de  2  p.  "/o  sur  les  ventes^  commission  qu'on 
peut  évaluer  à  un  revenu  de  i25,ooo  livres  par  an 
(^  5,125,000  fr.  ).  Le  doyen  du  comité  de  la  factorerie  tou- 
che la  somme  annuelle  de  18,000  liv,  (4^0,000  fr.  ) ,  et  les 
autres  personnages  qui  jouent  un  rôle  dans  cette  lucrative 
opération  ,  et  qui  sont  presque  tous  les  eufans  ou  les  pro- 
ches parens  des  directeurs,  ont  des  appointemens  fixés 
d'après  celte  échelle  de  prodigalités.  Outre  leur  salaire, 
ils  ont  une  table  somptueuse,  servie  au  nom  de  !a  Com- 
pagnie ,  et  dont  les  buveurs  de  thé  font  réellement  tous  les 
frais  ;  car  il  est  de  fait  que  chaque  shilling  que  cet  inutile 
et  incommode  établissement  engloutit  ,  concourt  ,  avec 
cent  autres  articles  de  dépense  aussi  peu  nécessaires  ,  à 
augmenter,  parmi  nous ,  le  prix  du  thé. 

Mais  le  pire  n'est  pas  de  faire  payer  par  le  public  ,  aux 
familles  qui  tiennent  à  la  junte  directrice ,  la  somme  an- 
nuelle de  200,000  liv.  ,  pour  un  travail  qui  est  beaucoup 
mieux  fait  par  un  consul  américain,  aux  appoiutemens  de 
200  liv.  Au  lieu  de  fournir,  ainsi  que  le  prescrivent  les  sta- 
tuts ,  assez  de  ihé  pour  approvisionner  le  marché,  moycr- 
naul  un  léger  bénéfice  sur  le  prix  d'achat,  la  Comj)aguic 
réduit  sans  cesse  cette  quantité  ;  et  comme  personne  ne  peut 
entrer  en  concurrence  avec  elle  ,  il  lui  est  possible  d'élever 
les  prix  à  un  taux  exorbitant,  et  de  faire  d'énornu'S  profils: 
ainsi,  jiar  exemple  ,  d'après  ses  propres  comptes,  la  livre 
de  tlu'  Bon  lui  revient  à  i  s.  Gd.  [^  i  fr.  o5  c.  ),  cl  elle  la  vend  ^ 
invariablement  près  de  2  s.  G  d.  (  3  f.  1 0  c.  )  5  elle  gagne  p;!  r 
cortséquent  environ  Oo  p.  "/o. 

Ne  sommes-nous  donc  pab  autorisés  à  dire  que  la  con- 


i^S     Obseri^ations  sur  le  commerce  (wec  la  Chine,  etc. 

duite  de  la  Compagnie  tles  Indes,  dans  la  vente  du  thé  , 
signale  une  rapacité  sans  exemple?  Et  comme  le  gouver- 
nement doit  parfaitement  connaître  quelle  extension  elle  a 
donné  à  son  système  ,  comme  il  est  autorisé  par  les  lois  à 
la  forcer  d'approvisionner  suffisamment  chaque  marché 
trimestriel,  et  de  prendre  toutes  les  mesures  nécessaires 
pour  réduii'e  les  prix  à  peu  près  au  niveau  de  ceux  des 
autres  pays  ,  ne  se  rend-il  pas  le  complice  du  vol ,  car  c^en 
est  un  manifeste,  qu'elle  commet  sur  le  public?  Le  prési- 
dent du  bureau  du  contrôle,  quel  que  soit  son  mérite  sous 
d'autres  rapports,  a  pleine  connaissance  des  statuts  sur  le 
commerce  du  thé.  Pourquoi  donc  ne  prend-il  aucune  mesure 
pour  en  maintenir  les  dispositions  7  A  Dieu  ne  plaise  qu'il 
commette  dans  ce  but  aucun  excès  de  pouvoir!  Mais  qu'il 
daigne  au  moins  protéger  les  actes  si  chers  à  ses  yeux,  qui, 
pour  me  servir  de  ses  propres  paroles ,  émanent  de  la  sa- 
f^esse  collectwe  du  grand  conseil  de  la  nation  ,  contre  les 
infractions  d'une  Compagnie  dont  il  est  chargé  de  contrôler 
les  opérations,  moyennant  4jOOO  liv.  st.  par  an. 

Les  calculs  dans  lesquels  nous  venons  d'entrer  (  et  nous 
défions  la  Compagnie  de  les  contredire)  prouvent  à  quel 
point  on  se  ti'ompe  ,  en  supposant,  comme  on  le  fait 
communément,  que  le  prix  élevé  du  thé  en  Angleterre  ré- 
sulte uniquement  delà  taxe  qui  frappe  coite  denrée. 

Le  gouvernement  el  la  nation  ont  donc  intérêt  à  abolir 
complètement  ce  funeste  monopole ,  et  à  laisser  le  vaste 
marché  ds^  la  Chine  ouvert  au  libre  concours  de  nos 
marchands  et  de  nos  manufacturiers;  la  baisse  du  prix  qui 
en  résulterait  étendrait  prodigieusement  la  consommation 
du  thé,  et  le  droit,  quoique  prélevé  sur  un  article  livré 
à  meilleur  marché,  produirait  bientôt  un  plus  grand 
revenu. 

Ainsi ,  qu  on  ne  nous  parle  plus  de  la  nécessité  de  livrer 
le  commerce  de  la  Chine  à  l'agence  d'une  compagnie  ex- 


Soiwenirs  de  Sir  Egerton  Brydgcs.  i49 

clusivc.  I.cs  Américains  ,  qui  n'ont  point  de  compaj^nie  pour 
fouler  aux  pieds  les  actes  du  congrès ,  et  piller  leurs  couci- 
tovens  ,  font  ce  commerce  avec  un  succès  complet ,  et  sont 
beaucoup  plus  favorise's  à  Canton  que  les  émissaires  de 
Leadenliall - Sreet .  IMais  comme  la  Compagnie  des  Indes 
est  assurée  du  monopole  Jusqu'en  i834,  tout  ce  qu'on  peut 
faire ,  en  ce  moment ,  c'est  de  la  forcer  à  se  conformer  dans 
ses  rapports  avec  le  public  aux  stipulations  qu'elle  a  cou- 
senties,  et  à  prendre  toutes  les  mesures  nécessaires  pour 
donner,  à  des  marchands  particuliers,  des  licences  à  l'efiet 
d'importer  du  thé  de  Hambourg  et  d'Amsterdam,  ou  bien 
à  réduire  ,  aux.  termes  du  i8*  statut  de  Georges  II ,  le  prix 
du  thé  dans  ce  pays ,  à  peu  près  au  niveau  du  prix  auquel  il 
est  livré  dans  les  pays  voisins.  (  Reuue  d'Édinbourg.  ) 


SOUVENIRS  DE  SIR  EGERTON  BRIDGES. 


Il  est  des  hommes  qui  raisonnent  mal  sur  un  sujet ,  et 
fort  bien  sur  tous  les  autres;  l'estimable  auteur  de  l'ouvrage 
que  nous  annonçons  en  fournit  un  exemple  frappant.  Abs- 
traction faite  de  quelques  principes  nouveaux  sur  l'impor- 
tance de  la  littérature ,  de  quelques  idées  hasardées  sur  le 
génie,  le  goût  et  la  critique,  enfin  de  quelques  conseils 
adressés  par  l'auteur  à  ses  jeunes  lecteurs,  et  qui  ont  pour 
objet  de  leur  faire  adopter  l'idée  dangereuse  que  Tét^at 
d'homme  de  lettres  est  le  seul  qui  ne  tende  pas  à  avilir 
l'âme  et  à  rétrécir  l'esprit,  le  reste  du  livre  esta  l'abri  de 
la  critique  la  plus  sévère.  L'auteur  a-t-il  à  rendre  compte 
des  mœurs,  des  coutumes,  des  usages  des  pavsqu'ila  vi*- 
sites  ?  entreprend-il  la  tâche  plus  pénible  encore  de  faire 
passer  sous  nos  yeux  les  bommes  qu'il  a  counus,  et  qui 


j  5o  Souvenirs 

oiU  (ixc  ses  regartls  par  leur  célébrité,  leur  mérite,  leur 
nullité,  leurs  vertus  ou  leurs  vices ,  leurs  laleus  ou  leurs  ri- 
dicules? il  reprenil  alors  tous  ses  avantages  ,  et  ses  remar- 
ques portent  l'empreinte  cVun  talent  précieux  d'observa- 
tion. Pour  le  prouver ,  il  suffira  de  citer  quelques-unes  de 
ses  réflexions  sur  Londres  et  sur  le  parlement  anglais,  en 
remarquant  nous-mêmes  qu'elles  partent  de  la  plume  d'un 
homme  d'une  liante  naissance,  d'une  éducation  exquise,  et 
qui  siégea  long-teius  lui-même  sur  les  bancs  de  l'assemblée 
dont  il  nous  fait  connaître  les  membres  les  plus  distingués. 

«  Pendant  ma  jeunesse,  dit  Sir  Egerton  ,  je  n'approchais 
»  jamais  de  Londres  sans  répugnance,  et  n'en  repartais  ja- 
»  mais  sans  plaisir.  J'avais  un  oncle  respectable  et  tendrc- 
»  ment  chéri  5  chasseur  déterminé,  il  vivait  dans  S(  s  terres  ; 
»  il  me  disait  souvent  que  lorsque  le  hasard  Tamenait  dans 
»  les  environs  de  la  métropole,  aussitôt  qu'il  avait  gagné 
»  la  sommité  de  Shooter'sHill,  et  que  Londres  développait 
3)  à  ses  yeux  son  enceinte  noirâtre ,  dominée  par  ses  nuages 
3>  carboniques,  le  mal  de  mer  le  saisissait,  sa  poitrine  était 
>)  oppressée ,  et  ses  forces  ne  revenaient  qu'après  qu'il  avait 
»  gagné  l'autre  plateau  de  la  montagne,  d'où,  en  détour- 
»  nant  les  yeux  de  cette  cité,  il  revoyait  enfin  le  ciel,  et 
»   respirait  un  air  plus  pur. 

»  Je  me  rappelle  Londres ,  tel  qu'il  était  encore  à  l'é- 
»  poque  où  parut  la  Cécilia  de  miss  Buruey  ,  et  tel  que 
»  celle-ci  l'a  décrit  dans  son  livre,  lorsque  !a  promenade 
j)  du  Raiielagh  formait  un  des  principaux  amuscmeus  pu- 
«blicsj  que  cette  ville  commençait  à  rassembler  sur  un 
»  seul  point  les  folies  du  reste  du  monde  ;  et  que  le  luxe 
n  des  nabahs  des  deux  Tndes  éloignait  peu  à  peu  de  la 
»  société  les  plus  anciennes  familles.  Mais  alors  ces  nou- 
))  veaux  Crésus  croyaient  encore  de  leur  intérêt  de  s'enter 
»  sur  la  propriété  foncière  :  que  les  tems  sont  changés  ! 
5)  Plus   modestes,    nos  riches   du  jour  se  contentent  de 


de  Sir  Egerton  Brydges.  i5i 

»  sortir  en  ligue  tlirecte  d'uu  des  obscurs  passages  de 
»  la  Bourse.  L'agiotage  est  aujourd'hui  le  seul  art  en 
»  crédit  dans  toutes  les  grandes  villes  de  TEurope.  Je 
«  n'insisterai  point  sur  les  tristes  effets  de  ce  jeu  funeste, 
»  qui ,  sans  rien  ajouter  à  la  richesse  d'un  pays  ,  se  horne , 
>•  par  le  plus  honteux  des  trafics ,  à  faire  passer  dans  la 
»  bourse  de  l'un  ce  qui  était  dans  la  bourse  de  l'autre. 
»  C'est  par  îui  que  toutes  les  distinctions  sociales  se  sont 
»  évanouies  en  Angleterre,  et  que,  dans  la  haute  société, 
»  il  se  trouve  à  peine  un  seul  nom  que  l'on  ait  entendu 
»  citer  avant  ce  bouleversement  général  d'états  et  de  for- 
»  tunes.  » 

Sir  Egerton,  comme  on  a  pu  le  soupçonner  déjà,  est 
loin  d'être  le  partisan  de  la  haute  société  de  la  moderne 
Londres  j  et  la  manière  dont  il  s'exprime  à  ce  sujet,  vers 
la  fin  de  l'ouvrage  ,  ne  permet  pas  d'en  douter. 

«  Impossible,  dit-il,  de  définir  ou  d'analyser  la  nature 
»  de  ce  petit  monde }  il  est  constitué  d'élémens  si  hétéro- 
»  gènes  et  sî  bizarres,  que  rechercher  sérieusement  le 
»  principe  de  son  existence ,  ce  serait  s'exposer  soi-même 
»  à  courir  après  l'absurde.  Tsous  savons  comment  il  est  jugé 
»  par  ceux  qui  en  font  partie  :  il  se  compose,  s'il  faut  les 
»  croire,  des  personnes  les  pîus  éminentes  par  le  rang, 
»  la  naissance,  la  fortune 5  d'hommes  qui,  par  l'élégance 
»  de  leurs  manières  ,  leurs  talens  et  leurs  habitudes  ,  sont 
»  autant  de  modèles  de  bon  ton  ,  d'esprit  et  de  goût.  IMais 
»  il  su/Tit  de  connaître  le  monde  pour  réduire  à  leur  juste 
»  valeur  ces  prétentions  exagérées. 

V  Ce  n'est  que  par  exception  que  cette  haute  société 
»  renferme  quelques  personnages  d'un  rang  élevé  ou  d'une 
»  naissance  illustre.  Les  autres  ont ,  en  général ,  une 
»  origine  et  une  réputation  équivoques  ;  tous  une  extrême 
»  frivolité  d'esprit  ;  le  reste  ,  qui  ne  vaut  pas  l'honneur 
»   d'ttre  nommé ,  ne  se  ccmpose  que  de  dupes  qui  ,   vie- 


iSa  Souvenirs 

»  times  de  la  fatuité  et  de  l'arrogance ,  tourmentes  du 
»  besoin  de  sortir  de  leur  splicre,  habituent  leur  front  et 
•>  leur  cœur  aux  explosions  journalières  de  l'orgueil  et  de 
»  la  vanité. 

»  Ces  coteries  ont  grand  soin  de  se  voiler  d'un  nuage 
M  mystérieux ,  qui  leur  assure  le  respect  d'une  multitude 
»  aveuglée,  mais  elles  ne  doivent  leur  influence  qu'à  l'in- 
»  trigue.  Dans  leurs  conciliabules,  elles  mettent  en  œuvre 
»  autant  de  ruses  ,  de  manèges  diplomatiques  ,  que  des 
»  ministres  dans  leur  cabinet  j  elles  appellent  à  leur  aide 
»  les  factions  politiques,  et  cherchent  un  soutien  dans 
»  l'esprit  de  parti ,  qui ,  tout  en  les  méprisant ,  les  fait 
»   servir  à  ses  propres  desseins. 

ji  De  toutesles  villes  du  monde,  Londres  est  probable- 
))  ment  le  lieu  où  ces  sortes  d'intrigues  se  déroulent  le  plus 
»  souvent;  au  nombre  des  raisons  que  Ton  peut  en  donner, 
»  se  présente  naturellement  l'étendue  inouie  de  cette 
»  ville,  l'uniformité  de  ses  mœurs  ,  et  surtout  celle  de  ses 
»  habitans.  Nulle  part  la  fortune  ne  s\icquiert  plus  vite; 
»  nulle  part  elle  n'est  aussi  incertaine ,  et  elle  n'a  autant 
»  d'influence  ;  nulle  part  la  condition  sociale  n'est  aussi 
»  peu  marquée  ;  et  nulle  part  enfin  il  n'est  plus  difficile  de 
»  suivre  pas  à  pas  les  progrès  de  la  fortune ,  dans  Thomme 
»  qu'elle  abaisse  ou  élève  à  son  gré.  C'est  ainsi  que  tel 
»  qui,  le  matin,  aura  vaqué  aux  soins  de  sa  boutique, 
»  dans  quelque  rue  obscure  de  la  Cité  ,  donnera  le  soir  un 
»  dîner  ou  un  bal ,  dans  une  des  plus  beljps  maisons  du 
»  quartier  fashionablc  de  liondres ,  ou  qu'il  passera  de- 
»  vant  vous  dans  un  équipage  magnifique ,  sans  que  son 
»  éclat  et  sa  pompe  vous  permettent  de  soupçonner  qui  il 
»  est.  Celte  grande  métamorphose  n'étonnera  personne  : 
«  ici  ,  l'argent  est  tout;  il  doit  être  le  passeport  de  toutes 
«  les  folies  humaines;  aussi,  n'en  doutez  pas,  la  bassesse 
»  des  idées  et  du   langage  de  cet  liomnie,  bassesse  que 


de  Sir  Egertoii  Brydges.  iSS 

?)  l'argent  ne  saurait  l'e'.ever ,  passera  sans  être  aperçue 
»  dans  la  plus  haute  société  j  et  s'il  peut  donner  à  sa  fille 
»  5o  ou  60  mille  livres  sterlings  ,  plus  d'un  duc,  gêné  dans 
»  ses  affaires ,  acceptera  le  beau-père  et  la  dot  sans  y  re- 
»  garder  de  plus  près. 

»  Il  n'est  donc  rien  dans  la  naissance ,  dans  les  mœurs  , 
»  dans  l'état ,  dans  la  réputation  d'un  homme ,  qui  puisse 
»  lui  fermer  ici  Tentrée  de  ce  qu^on  est  convenu  de  nom- 
»  nier  la  bonne  compagnie.  L'intrigant  le  plus  effronté, 
»  capabîe  de  se  soumettre  sans  murmure  à  l'esclavage  le 
»  plus  complet,  aux  sacrifices  les  plus  honteux,  et  les  plus 
»  dégradans ,  a,  par  cette  disposition  même,  les  chances 
M  iesplus  favorables  de  succès  dans  les  sociétés  à  la  mode. 
»  Il  lui  faudra,  il  est  vrai,  un  peu  de  dehors  et  de  politesse; 
»  mais  tout  cela  s'acquiert  facilement  dans  la  fréquen- 
»  tation  journalière  de  la  race  métis  qui  compose  la  no- 
»  blesse  actuelle, 

n  Quoique    l'aspirant,    sorti  des   derniers    rangs   de  la 

"  société,  puisse  réussir,'  ne  croyons  pas  cependant  qu'il 

»  parvienne  sans  peine   à   son  but.  Cette  tâche   demande 

»  de  la  persévérance  et    du    courage.   Pour    écarter  les 

M  obstacles,   il  faut  qu'il  souffre  patiemment,    et   même 

))  avec  indifférence,    une   longue  série  de  provocations  et 

«  d'insultes;    il  doit  être   respectueux,    actif,   prodigue, 

»  fastueux,   esclave  de  l'étiquette  et  de  l'usage,    réservé, 

»  minutieux,    adroit,    plein   d'affectation   et  de   fausseté. 

»  Grâces  à  ce  long  vasselage ,  les  hommes  à  la  société 

»  desquels  il  aspire,  par  habitude  ou  par  nécessité,  s'ac- 

»  coutumeront  à  le  voir  parmi  eux  et  à  le  traiter  en  égal. 

»  Dès  ce  moment,   ce  jeune  adepte  commencera  à  jouir 

»  de  l'influence  de  la  caste  sur  l'esprit  de  tous  les  profanes; 

»  il  est  inutile  d'ajouter  que  l'empix*e  qu'il  exercera  sur 

»  ceux-ci  sera  proportionné  aux  sacrifices  que  son  impor- 

»  tance  actuelle  lui  aura  coûtés. 

1.  .5 


i54  SniH'e?iirs 

»  Presque  toutes  les  gramies  familles,  du  moins  leurs 
»  plus  dignes  membres;  tous  les  hommes  doués  d'esprit  et 
»  detalens,  ou  appelés  à  des  travaux  sérieux;  tous  ceux 
il  qui  s'occupent  de  politique,  de  législation,  de  sciences, 
))  de  littérature;  tous  ceux  enfin  qui  sont  liés  à  des  pro- 
»  fessions  honorables,  rejettent  avec  dédain  ces  distinc- 
»  tions  frivoles.  Mais  quelques  jeunes  gens,  qui  tiennent 
j)  à  de  bonnes  familles  de  province ,  viennent  de  tems 
»  à  autre  augmenter  le  nombre  des  dupes  ;  et ,  comme 
»  beaucoup  d^autres,  après  avoir  payé  un  pénible  tribut 
»  au  sentiment  de  vanité  qui  égara  leur  inexpérience,  ils  se 
»  retirent  honteux  du  rôle  avilissant  qu'ils  ont  joué  ,  em- 
»  portant  parfois,  avec  eux,  la  charge  inaliénable  d'une 
»  lady  Betty  ou  d'une  lady  Jane,  qui,  déjà,  se  sera  mise  à 
»  un  prix  trop  haut  pour  un  homme  de  qualité  sans  fortune, 

»  Quoique  l'argent  en  Angleterre  ait  un  pouvoir  sans 
»  bornes,  et  qu'il  influe  puissamment  sur  la  considération 
»  dont  on  jouit  dans  la  société,  il  faut  encore,  poury  réussir, 
"  joindre  un  caractère  hardi  et  entreprenant  à  un  grand 
«fonds  d'arrogance,  de  prétention  et  de  dureté.  Par 
»  une  contradiction  remarquable,  l'insolence  et  l'orgueil 
>•  aristocratique  régnent  à  présent  plus  que  jamais  :  et 
>i  tandis  qu'ils  heurtent  sans  pitié  les  classes  inférieures  y 
»  modestes  et  inoffensives ,  ils  ploient  avec  une  bassesse 
»  peu  commune  devant  le  riche  parvenu  et  l'intrigant 
»  au  front  d'airain;  de  telle  sorte  que,  sans  profiler  ni 
»  de  l'un  ni  de  l'autre ,  la  société  souffi-e  à  la  fois  deux 
))  maux  essentiellement  contraires  :  l'orgueil  aristocrati- 
»  que,  et  l'insolence  des  parvenvis. 

»  L'Angleterre  gémit  aujourd'hui  sous  une  noblesse 
X  qui  est  illégitime,  parce  qu'elle  ne  s'appuie  pas  sur 
»  les  bases  étemelles  de  cet  ordre  privilégié  ;  et  la  réunion 
j)  de  l'Irlande  a  été ,  sous  ce  point  de  vue ,  un  coup  fatal 
»  porté  à  la  véritable  noblesse  anglaise.  » 


de  Sir  Egerlon  Biydges.  l55 

Sir  Egerton  a  été ,  pendant  quelques  années  ,  membre  du 
parlement  ;  ses  souvenirs  parlementaires  oflrent  beau- 
cx>up  d'intérêt  ;  novis  en  citerons  quelques  traits. 

«c  Bien  que  les  six.  années,  de  i8i'2  à  1818,  pendant 
»  lesquelles  je  siégeai  au  parlement  ne  se  soient  point 
»  écoulées  pour  moi  sans  déplaisir,  je  dois  avouer 
»  qu'elles  ont  été  les  plus  heureuses  de  ma  vie  ;  elles  me 
»  firent  envisager  les  choses  sous  un  point  de  vue  tout 
»  nouveau ,  et  me  forcèrent  à  des  occupations  qui  n'é- 
»  taient  point  tout-à-fait  étrangères  à  mes  travaux  ordi- 
»  naires  et  à  mes  habitudes  favorites.  Dans  une  place  de 
>'  ce  genre ,  ou  est ,  ou  l'on  s'imagine  être  plus  près  de  la 
»  force  motrice  de  llétat.  Les  occasions  que  Ton  a  d'exa- 
>'  rainer  plus  attentivement  tous  les  grands  caractères  pu- 
■)  blics ,  l'ournissent  chaque  jour  de  nouveaux,  sujets  d'ob- 
»  servations  ;  et  la  manière  dont  les  dépositaires  des  intérêts 
M  de  l'état  font  usage  de  leurs  taleus ,  de  leurs  lumières  et 
»  de  leur  adresse  personnelles  ,  nous  apprend,  par  l'expé- 
»  rieuce,  comment  le  monde  est  gouverné. 

»  Ce  qui  d'abord  me  frappa  le  plus  dans  la  chambre  des 
M  communes ,  c'est ,  je  ne  dirai  pas  l'extrême  rareté  des 
).  orateurs  vraiment  éloquens  ,  mais  le  petit  nombre  de  ceux 
»  qui  auraient  pu  passer  pour  tels,  et  la  multitude  des  ora- 
»  teurs  détestables.  M.  Canning  était  alors  le  seul  que  l'on 
»  aurait  pu  signaler,  comme  parlant  avec  grâce  et  élo- 
»  quence  ;  mais  ses  discours  étaient  rares ,  et  le  travail  s'y 
»  faisait  trop  sentir.  Quant  aux  autres  orateurs,  on  remar- 
>'  quait  en  eux  une  foule  de  défauts  naturels  ,  ou  qu'ils  s'é- 
»  taient  donnés.  Leur  accent  provincial  était  affecté  ou 
«  trop  peu  élégant  ;  tantôt  leur  prononciation  était  vicieuse, 
n  tantôt  leur  langage  était  lourd. 

»  Oa  sait  quelle  bizarre  et  latalc  destinée  était  réservée 
»  à  nos  trois  premiers  orateurs  (1).  L'éloquence  de  Whit- 

(^i)  Tous  Ic.^  trois  [hiiichI  [)ar  le  suicide. 


J  j<3  Soui^efiirs 

»  bread  ne  fit  que  se  perleclionner  jusqu'à  ses  derniers 
»  momens.  C'était  un  homme  doué  d'une  têle  excellente , 
w  tendant  sans  cesse  au  bien  public,  spirituel,  parfois 
»  subtil,  quelquefois  d'une  éloquence  entraînante  ;  mais  il 
»  ne  possédait  ni  un  goût  délicat,  ni  une  grande  richesse 
»  classique.  Quelquefois  ampculé,  il  était  toujours  trop 
«  violent;  on  remarquait  en  toute  sa  personne  quelque 
w  chose  de  lourd  et  de  peu  gracieux;  sa  voix  était  rare- 
»  ment  agréable  ;  enfin  tout  trahissait  en  lui  un  travail  et 
»  un  art  excessifs.  Il  commençait  par  s'élever  trop  haut, 
»  et  bientôt  il  perdait  haleine. 

»  Sir  Samuel  Romiliy  était  d'une  éloquence  impressive , 
»  dans  les  matières   de  haute  législation  ;   boa    logicien , 
»  plein  de  discernement  et  d'adresse,  il  avait  l'art  de  ré- 
»  veiller  la  sensibilité  et  de  parler  directement  au  cœur  ; 
»  toutefois  sa  diction  trahissait  trop  souvent  l'homme  de 
»  robe,  défaut  inexcusable  dans  le  parlement  britannique. 
»  Son  visage  et  son  attitude  avaient  aussi  je  ne  sais  quoi  de 
»  sec  et  de  mystérieux ,  peu  conforme  à  l'idée  qu'on  se  fait 
»  d'un  véritable  orateur ,  mais  qui  n'affaiblissait  en   rien 
•>  l'attention  respectueuse  que  Tou  prêtait  à  ses  discours. 
»  Ce  sentiment  puisait    sa  force   dans   le  respect  que  l'on 
»  portait  généralement  à  sa  belle  réputation  et  à  ses  grandes 
il  connaissances ,   comme  légiste  et  comme  avocat.   Tous 
»  ceux  qui ,  sous  les  rapports  politiques,  n'apercevaient  en 
»  lui  qu'un  esprit  imbu  d'un  républicanisme  sévère  ,  qu'un 
>.  bomme  dont  les  opinions  n'étaient  point  en  rappoit  avec 
»  les  formes  récentes  du  gouveruemeat  britannique  .  ceux- 
-»  là  même  qui  ,  par  conséquent,  différaient  le  plus  de  lui, 
»  quant  aux  principes,  à  leurs  conséquences  et  aux  vues 
»  générales  de  législation  et  de  gouvernement ,   n'osèrent 
»  jamais  traiter  légèrement  aucun  des  argumens  qui  sor- 
»  taieut  de  cette  bouche  éloquente.  Ses  manières  réservées 
«  et  froides  repoussaient  généralçmeut  la  confiance  et  la 


de  Sir  Egerlo/i  Brydges.  i5'j 

>)  familiarité ,  d'où  Ton  pourrait  conclure  qu'il  ne  dut  ses 
»  succès  qu'à  ses  propres  efforts. 

»  Lord  Castlereagh ,  appartenant  à  une  autre  classe  , 
n  était  jeté  dans  un  moule  très-différent.  Tout  en  lui  annon- 
«  çait  un  homme  infatué  <!e  ses  opinions  j  mais  je  n'ai 
»  connu  personne  dont  les  manières  fussent  plus  distinguées. 
»  Sa  carrière  fut  active  et  orageuse.  Souvent  il  s'exprimait 
»  mal}  cependant,  dans  une  ou  deux  occasions,  je  l'en- 
»  tendis  parler  avec  une  force  d'éioquence  qu'on  n'avait 
»  jamais  remarquée  dans  aucun  autre  de  ses  collègues; 
»  d'où  je  tire  la  conséquence,  que  la  confusion  qu'on  re- 
»  marquait  ordinairement  dans  ses  idées  et  dans  ses  dis- 
j)  cours  tenait  à  sa  défiance  de  lui-même;  et,  ce  qui  me 
»  porte  à  le  croire ,  c'est  qu'il  n'obtint  le  succès  dont  je 
»  viens  de  parler  qu'à  son  premier  retour  de  France  ,  en 
»  i8i4j  époque  où  la  paix  fut  cot due,  et  où  sa  rentrée 
n  dans  la  chambre  fut  marquée  par  les  témoignages  ilat- 
»  leurs  d'uae  approbation  générale.  Comme  ministre,  il  ne 
j>  fut  point  aimé  du  peuple,  et  je  crois  fermement  que  la 
»  conviction  qu'il  avait  de  son  impopularité  dut  influer 
»  beaucoup  sur  les  moyens  qu'il  déjiloya  comme  orateur 
»  parlementaire.  L'ignorance  et  la  malignité  estimèrent  ses 
»  talens  fort  au  dessous  de  leur  véritable  valeur  ;  mais  son 
>)  poste  était  bon,  et  pour  l'eu  débusquer  on  pouvait  bien 
»)  faire  quelques  frais  en  plaisanteries  et  en  sarcasmes.  Lord 
»  Castlereagh  était  laborieux  et  instruit  ;  il  lui  manquait 
)>  peut- être  cette  facilité  nécessaire  pour  se  rendre  maître 
)j  à  l'instant  des  différentes  parties  d'une  argumentation,  et 
»  celte  adresse  ,  plus  nécessaire  encore,  qui  sait  glisser  sur 
»  la  surface  des  raisonnemens  et  des  choses  ,  et  déguise  si 
»  bien  l'ignorance.  Son  crédit  s'éleva  irès-haut ,  mais 
»  moins  haut  encore  «(ue  celui  .e  plusieurs  ministres, 
j>  ^échappés  p<'urlanl  à  i  envie  qui  ne»  cessa  de  l'allaquer,. 
I)  Sa  mère  était  de  la  famille  Conwa\  ,  l'une  det.  premières 


i58  Souvenirs 

M  d^'Angieterre  ;  sa  grand'mère  était  fille  d'un  gouverneur 
»  des  ludes  orientales,  qui  avait  une  immense  fortune  pour 
»  celems-là.  Son  grand'père  maternel,  comte  d'Hertford, 
»  avait  été  vice-roi  d'Irlande.  I.ord  Castlereagli  avait  été 
3>  élevé  en  Angleterre  dans  la  famille  Seymour,  et  on  lit , 
y>  dans  la  correspondance  de  lord  Oxford ,  que  déjà  le 
»  futur  ministre  annonçait  de  grands  taîens.  Je  n'ai  pas 
»  connu  d'homme  qui  eût  moins  de  hauteur,  avec  des  ma- 
»  nières  plus  affables.  Il  est  une  foule  de  grands  person- 
j>  nages  qui ,  en  vous  rencontrant ,  ont  l'air  de  ne  pas  vous 
M  connaître,  ou  même  de  ne  pas  vous  voir;  comme  si  entre 
y>  eux  et  vous  leur  position  sociale  élevait  un  épais  nuage; 
»  lord  Castlereagh  n'agissait  point  ainsi  :  l'homme  qu'il 
»  avait  connu  ne  lui  fut  jamais  étranger,  et  celui  sur  lequel 
»  il  portait  ses  regards  ,  ne  lui  était  point  invisible. 

»  Quoique  placé  à  la  têle  trun  parti ,  et  bien  qu'il  eût 
»  été  lord -chancelier  d'Irlande,  Georges  Ponsonby  était  un 
>)  assez  médiocre  orateur  \  mais  peut-être  qu'à  l'i'poque 
'>  dont  je  parle,  et  quoiqu'il  n'eût  pas  soixante  ans,  ses 
»  moyens  étaient  affaiblis.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  avait  peu 
»  de  connaissances  et  encore  moins  d'imagination  ;  il  traitait 
»  son  sujet  d'une  manière  aride  ,  et  sou  ambition  se  bor- 
«  naît  à  faire  entrer  dans  ses  discours  quelques  traits  épi- 
»  grammatiques. 

»  Francis  Horner  annonçait  un  bon  orateur  ,  lorsqu'une 
»  mort  prématurée  l'enleva  ;  il  était  calme ,  judicieux , 
»  énergique;  ses  argumentations  étaient  si  précises  et  si 
»  claires ,  qu  elles  forçaient  l'attention  et  commandaient  la 
»  conviction  générale  ;  on  peut  dire  cependant  qu'il  ne  s'é- 
«  levait  pas  jusqu'à  la  parfaite  éloquence,  et  qu'il  avait  un 
3)   ton  trop  méthodique  et  trop  compassé. 

»  La  manière  de  Wilberforce  tenait  aussi  un  peu  trop  de 
.  »  la  chaire  ;  sa  voix  était  faible  et  criarde  ,  et  sa  personne 
»   même  n'était  rirn  moins  €[u'agréable  ;  mais  il  était  assez 


de  Sir  Egerton  Biydges.  i5g 

»  prudent  pour  ne  parler  que  sur  des  matières  importantes, 
«  et  à  l'égard  desquelles  on  devait  désirer  que  ses  opinions 
»  personnelles  formassent  l'opinion  générale. 

»  Quant  à  George  Rose ,  ses  discours  dégénéraient  en 
»  vrais  commérages  ;  aussi  n'eut-il  Jamais  une  grande  in- 
»  fluence  j  les  faits  qu'il  énonçait  semblaient  n'être  aux  yeux 
»  de  la  chambre  que  des  détails  parasites  défigurés  par 
»  l'esprit  de  parti. 

»  Tierney  se  distinguait  surtout  par  un  fonds  de  finesse 
»  et  de  bonne  plaisanterie  qui  n'eût  pas  réussi  chez  d'antres 
»  orateurs  ,  et  auquel  pourtant  il  dut  ses  succès. 

»  Le  style  oratoire  de  Brougham  est  trop  connu  pour 
»  qu'il  soit  nécessaire  de  l'analyser  ;  ce  style  est  sou- 
»  vent  entraînant ,  quelquefois  même  irrésistible ,  mais  il 
»  tombe  parfois  dans  l'exagération  et  dans  le  verbiage  ; 
»  le  sarcasme  et  l'ironie  sont  dans  ses  mains  une  arme 
»  dangereuse,  et  dont  il  parait,  difficile  de  se  défendre; 
»  sa  prononciation  a  quelque  chose  de  remarquable  ;  elle 
»  tient  de  l'accent  écossais ,  et  de  celui  du  Westmorland  ; 
»  au  reste,  il  ne  quitte  jamais  le  ton  et  les  manières  de 
»   l'avocat. 

»  Le  fonds  des  discours  et  le  style  de  Sir  James  Mackin- 
»  tosh  sont  également  dignes  de  l'admiration  générale  ;  par 
»  malheur,  son  organe  est  faible  et  peu  harmonieux,  et 
»  sa  prononciation  même  se  ressent  un  peu  trop  de  l'accent 
w  écossais. 

»  Peel  est  clair ,  ingénieux  et  méthodique  ;  il  traite  ha- 
»  bilement  les  points  en  question  ;  mais  sa  diction  n'a  rien 
»  de  naturel,  et  son  débit  est  à  la  fois  criard  et  d'une  tris- 
»  tesse  monotone. 

»  L'homme  qui  est  aujourd'hui  chancelier  de  l'Échiquier, 
»  M.  Robinsou  ,  ne  remplissait  point  de  mon  tems  cette 
)i  charge  importante  ;  il  parlait  alors  rarement ,  mais  tou- 
)'   jours  avec  chaleur,    avec  talent,   et  avec   une    raison 


i6o  Souvenirs  de  Sir  F.gerton  Bry^duts. 

«  éclairée;  ses  manières  étaient  nobles ,  et  tout  révélait 
»  en  lui  les  sentimens  les  plus  honorables. 

»  On  dit  que  les  gens  de  robe  sont  généralement  de 
»  mauvais  orateurs  parlementaires;  ou  doit  remarquer 
»  cependant  que  les  personnages  que  je  viens  de  citer 
»  appartiennent ,  ou  du  moins  ont  appartenu  au  barreau. 

»  C'est  un  travail  fort  pénible  que  d'apporter  tous  ses 
»  soins  à  la  connaissance  et  à  la  discussion  de  l'immense 
»  quantité  de  propositions  et  d'affaires  soumises  au  par- 
»  lement  britannique;  l'étendue  des  débats,  qui  se  pro- 
»  longent  long-tems  après  minuit,  devient  souvent  très- 
»  fatigante  ;  et  l'obligation  de  retourner  chez  soi ,  au  milieu 
H  de  la  nuit ,  exposé  à  l'humi  iité  de  Londres  ,  et  en  sortant 
»  d'une  salle  trop  petite  pour  n'être  pas  insalubre,  suffi- 
»  rait  pour  détruire  la  santé. 

»  Le  parlement  qui  succéda  à  celui  dont  je  fis  partie  ,  ue 
»  dura  qu'une  année;  il  fut  dissous  à  la  mort  du  roi,  au 
»  printems  de  1820.  J'étais  alors  à  Florence,  retenu  dans 
»  mon  lit,  par  suite  d'une  maladie  grave.  Pendant  le  fameux 
y>  procès  de  la  reine,  qui  ue  tarda  pas  à  s'inslruire ,  je 
»  restai  constamment  à  Naples,  me  félicitant  chaque  jour 
»  d'être  éloigné  du  théâtre  de  ces  déplorables  débats.   » 

(  Blackwood's  Magaizine.  ) 


LITTERATURE. 


DE    LA    POÉSIE    EN    FRANCE    (l). 


La  poésie  est,  1!  faut  Tavoucr,  ia  matière  sur  laquelle 
ropinioii  des  Français  et  celle  des  Anglais  sont  le  plus  in- 
conciliables ;  aussi  peut-être  les  critiques  d'une  de  ces  deux 
nations  ne  devraient-ils  point  juger  les  poètes  de  l'autre. 
Nous  pouvons,  à  la  satisfaction  mutuelle  des  contractans  , 
échanger  nos  cotons  contre  les  vins  de  France;  notre  acier 
ciselé,  contre  son  orfèvrerie;  nos  couvertures  contre  ses 
batistes  ;  mais  les  prix  courajis  de  la  poésie  différent  si 
prodigieusement  dans  les  deux  pays ,  que  nous  ne  donne- 
rions pas  une  scène  de  Shakspeare  pour  le  corps  entier 
des  poètes  dramatiques  français  ,  cl  nos  voisins ,  un  chant 
de  la  Henriade  ou  de  la  Pucelle  pour  notre  Spencer  et 
notre  Milton. 

(i)  Note  dti  Tr.  Nous  n'aurions  pas  inséré  cet  ariicle  dans  noire 
lîei'ue  ,  s'il  n'offrait ,  à  côté  d'un  critique  souvent  injuste  ,  des  aper- 
çus neufs  et  piquans  ,  et  un  éloge  de  nos  grands  poètes  aussi  complet 
qu'on  pouvait  l'attendre  d'un  peuple  idolâtre  de  Shakspeare  et  de 
Milton.  11  était  bon  d'ailleurs  de  le  faire  connaître  ,  ne  fut-ce  que  pour 
élargir  le  champ  de  bataille  sur  lequel  deux  partis  semblcnl  se  disputer 
en  France  le  domaine  de  la  littérature.  Mieux  la  question  à  débaltr? 
s'éclalrcira  de  part  et  d'autre  ,  moins  la  lutte  durera.  La  querelle  des 
anciens  et  des  modernes  est  morte  paisiblement,  et  le  XYIIl^  siècle 
n'en  a  pas  moins  e'té  fertile  en  grands  génies,  dociles  aux  principes 
éternels  du  goijt  ;  la  querelle  des  classîqups  et  des  romantiques  s'é- 
teindra de  même,  et  la  pabnc  restera,  auXiX^  siècle  comme  au  pré- 
cédent, à  toute  conception  neuve,  mais  forte  ,  mais  en  harmonie  avec 
1  opinion  et  les  besoins  de  l'époque,  écrite  avec  chaleur,  mais  avec 
pureté. 

I.  .4 


i62  De  lu  poéoie 

Nous  n'attribuons  pas  celte  opposition  de  sentiment  à 
l'esprit  de  nationalité,  ni  à  l'habitude  de  considérer  les 
beautés  substantielles  de  la  poésie  comme  exclusivement 
liées  à  certaines  formes  accessoires  ;  car  les  deux  nations 
rendent  justice  au  mérite  des  autres  poètes  étrangers  ;  mais 
il  existe  enlr'elles  une  différence  essentielle  dans  la  ma- 
nière d'envisager  le  beau.  Ce  que  l'une  estime  comme 
une  qualité ,  l'autre  le  dédaigne  comme  un  défaut  intolé- 
rable. Il  y  a  entre  elles  sans  doute  quelques  points  de 
contact  ;  mais  ils  sont  bien  rares.  L'admiration  de  Bolleau 
a  dû  conduire  à  celle  de  Pope  ,  et  Ton  ne  peut  se  laisser 
attendrir  aux  tragédies  d'Addisson  sans  avouer  qu'il  est 
inférieur  à  Racine  ;  mais  là  s'arrête  le  parallèle  ;  les  mo- 
dèles de  la  perfection  poétique  signalés  dans  chacun  des 
deux  pays,  n'offrent  d'ailleurs  entre  eux  aucun  point  de 
contact. 

Si  nous  étions  appelés  à  préciser  la  différence  qu'on 
remarque  entre  notre  école  et  celle  des  Français  ,  nous 
dirions  que  notre  poésie  tire  tous  ses  matériaux  de  la 
nature,  et  que  la  leur  emprunte  à  l'art  seul  tous  ses  su- 
jets ;  que  nos  images  sont  prises  pour  la  plupart  dans  la 
vie  des  champs ,  et  les  leurs  dans  le  spectacle  des  villes  ; 
que  nous  exploitons  franchement  les  passions  primitives  de 
l'espèce  humaine  en  général ,  tandis  qu'ils  s'attachent 
presque  exclusivement  à  peindre  les  prétentions  et  les  pré- 
jugés des  personnes  de  rang  et  de  condition  3  que  pour  eux 
recueil  est  d'être  ignoble  ,  pour  nous  d'être  froid  5  que  leur 
triomphe  est  de  vaincre  la  difficulté ,  le  nôtre  de  pénétrer  'es 
âmes  ;  en  un  mot,  que  'a  différence  essentielle  consiste  dans  la 
sympathie  plus  vive  que  nous  éprouvons  pour  la  nature ,  et 
dans  la  vénération  plus  profonde  qu'ils  professent  pour  l'art. 

Ceci  demande  une  explication  :  toute  civilisation  est  duc 
à  l'art,  et  aucune  nation  n'a  porté  et  n'a  étendu  si  loin  la 
sienne  que  l'Angleterre  j  mais  l'Anglais  emploie  l'art  à  em- 


en  France.  iG5 

bellir  et  à  iaiiler  la  nature;  le  Français  à  la  corriger  cl  à 
la  surpasser  ;  l'uu  s'en  approche  avec  vcncration  comme 
un  Imnible  ministre  de  son  culte ,  un  observateur  respec- 
tueux de  ses  procédés;  l'autre  avec  dédain,  el  comme  s'il 
prenait  en  pitié  sa  rudesse,  et  s'il  se  défiait  de  son  pouvoir. 
Ces  considérations  expliquent  pourquoi  la  poésie  française 
diffère  de  la  nôtre ,  et  lui  est  même  inférieure.  Qu'il  nous 
soit  permis  d'ajouter ,  quelque  mal-sonnante  que  paraisse 
aux  Français  cette  proposition  ,  qu'en  poésie  ils  ont  moins 
de  force  d'imaginatioq  ,  et  un  goût  moins  élevé  que  beau- 
coup d'autres  peuples  moins  policés. 

Les  reproches  qu'ils  se  font  à  eux-  mêmes  en  certaines 
occasions,  donnent  une  idée  de  leurs  prétentions  à  excel- 
ler par  l'imagination.  Ils  ne  doivent  en  effet  leurs  malheurs 
el  leurs  fautes  qu'à  l'abus  de  celle  qua  ité.  Qu'ils  précipi- 
tent la  conclusion  d'un  argument,  ou  hasardent  imprudem- 
ment une  bataille;  qu'ils  languissent  sous  un  despote 
qu'ils  n'aiment  point,  ou  renversent,  par  une  fausse  phi- 
lantropie,  les  limites  de  la  liberté  humaine;  qu'ils  exter- 
minent une  secte  rivale  ou  nient  l'existence  de  Dieu  ;  qu'ils 
passent  en  un  moment  aux  excès  contraires  ,  i'sen  accusent 
cette  vivacité  sans  frein  qui  les  pousse  toujours  en  avant,  et 
(ju'ils  ne  peuvent  assujettir  à  la  règ'e  et  au  compas ,  à 
l'exemple  de  leurs  stupides  voisins.  «  Nous  autres  Français^ 
disent-ils  ,  nous  avons  des  liiles  si  vices ,  nous  aroits  tant  d'i- 
magination !  »  Ainsi ,  à  les  entendre ,  le  seul  défaut  de  leur 
caractère  serait  d'être  trop  prodigues  de  la  plus  haute 
faculté  dont  puisse  être  doué  le  i^énie  créateur  ! 

lia  régularité  avec  laquelle  nous  dirigeons  les  affaires 
ordinaires  de  la  vie  ;  les  formes  lutélaires  dont  nous 
entourons  les  plus  précieux  de  nos  intérêts  publics  ;  sont 
dans  leur  opinion  autant  de  preuves  que  nous  n'avons 
pats  d'imagination.  Ils  poussent  quelquefois  i'iudulgonce 
jnsqii'à  reconnaître  que  nous  sommes  de  bonnes  machines , 


î  04  De  la  -poésie 

et  que  nous  en  avons  produit  qui  ne  sont  point  à  dédai- 
gner. Mais  ignbrcnt- ils  que  rimagination  peut  paraître 
prédominer  dans  l'homme  eu  deux  cas  tout  différens  : 
lorsqu'elle  surabonde,  et  lorsque  la  faculté  de  l'esprit  qui 
lui  est  opposée  est  assez  faible  pour  en  être  aisément  sub- 
juguée ?  Cette  faculté,  c'est  le  jugement.  Très-peu  d'ima- 
gination, jointe  à  très-peu  de  sens  commun,  peut,  sous 
quelques  rapports ,  produire  le  même  dérangement  dans 
la  balance  que  beaucoup  d'imagination  jointe  à  beaucoup  de 
jugement.  Nous  soupçonnons  qu'eu  France  l'imagination 
n'a  tant  de  part  aux  affaires  ,  que  parce  que  la  raison  en  a 
trop  peu. 

Le  langage  de  la  vie  commune  abonde  eu  petites  méta- 
phores, relatives  à  ses  détails  les  moins  importans  5  nous 
croirions  ridicule  d'en  augmenter  le  nombre ,  ou  de  les 
remplacer  par  des  figures  plus  relevées  ;  mais  c'est  sur  ce 
point  que  s'exercent  principalement  nos  voisins  d'outre- 
mer. Même  dans  les  discussions  graves ,  ils  se  montrent 
toujours  disposés  à  prendre  waq.  figure  de  rhétorique  pour 
lui  argument  \  à  chercher  trop  haut  leiu's  comparaisons , 
et  à  confondre  la  similitude  avec  l'ideniilé.  Le  langage  des 
sciences  lui-même  est  plus  figure  en  France  qu'en  Angle- 
terre; la  netteté  de  la  pensée  et  de  l'expression  y  est  jugée 
peu  nécessaire,  même  dans  les  discussions  dont  la  per- 
fection dépend  de  l'exactitude  du  langage.  Cette  disposition 
de  l'esprit  y  fait  sentir  son  influence  sur  les  actions  les  plus 
sérieuses.  En  France,  on  est  toujours  prêt  à  entrer  dans  un 
projet  qui  sourit  à  l'imagination,  sans  réfléchir  à  la  diffi- 
culté de  son  exécution,  ou  à  ses  avantages  réels.  En  un 
mot ,  on  y  traite  les  grandes  affaires  avec  légèi'eté  ,  et  on  y 
met  de  l'importance,  aux  moindres  détails  de  !a  vie. 

Si  l'imagination  est  déplacée  dans  le  jeu  des  intérêts  so- 
ciaux ,  elle  est  Tame  de  la  poésie j  or,  de  tous  les  peuples 
du  monde,  aucienselmodcrncs,  Hébreux  ;  Hindous,  Grecs, 


cji  France.  i65 

î^omaius,  Scaiuliuaves,  Italiens,  Espagnols,  Germains,  An- 
glais, il  n'en  est  aucun  qui,  ajant  une  poésie  quelconque,  ne 
surpasse  les  Français  ea  énergie,  en  originalité,  en  sublimité 
et  en  invention  ;  en  un  mot,  dans  toutes  les  qualités  qui  dé- 
pendent de  l'étendue  et  de  la  force  de  l'imagination.  Si  nos 
voisins  possédaient  cette  faculté  à  un  aussi  haut  degré  qu'ils 
le  prétendent ,  ne  brillerait-elle  pas  plutôt  dans  leurs  vers 
que  dans  les  matières  qui  tiennent  essentiellement  à  la  rai- 
son; dans  leurs  poèmes  épiques  plutôt  que  dans  leur  dé- 
claration des  droits  de  l'homme  ;  dans  leurs  odes  et  dithy- 
rambes plutôt  que  dans  leurs  lois  d'élection  i  parmi  leurs 
auteurs  dramatiques  plutôt  que  dans  leurs  assemblées  déli 
bérantes?  En  France,  cependant,  la  place  qui  convient  à 
l'imagination  paraît  avoir  élé  long-tems  méconnue  :  dans 
quel  autre  pays,  par  exemp'e  ,  une  académie  eût-elle  pro- 
posé, pour  sujet  d'un  prix  de  poésie  au  XIX^  siècle  ,  l'ins- 
titution du  jury? 

Que  la  langue  française  ne  soit  ni  sonore  ni  mélodieuse  , 
c'est  là  son  moindre  défaut  dans  ses  rapports  avec  la  poé- 
sie :  on  ne  peut  lui  reprocher  non  plus  sa  pauvreté  ,  ni  le 
caractère  anti-poétique  de  ses  métaphores.  Bien  qu'en  toul 
pays,  la  langue  réagisse  sur  l'intelligence  de  ses  habitans  , 
elle  est  l'ouvrage  des  hommes  ;  elle  porte  l'empreinte  des 
esprits  qui  l'ont  créée.  Chez  un  peuple  passionné  et  doué 
d'une  imagination  ardente,  les  expressions  les  plus  com- 
munes se  ressentent  de  cette  disposition  de  l'ame  ;  chez  un 
]:euple  plus  froid  et  plus  galant,  le  langage  précis  et  poli 
peut  devenir  le  docile  instrument  de  la  souplesse  et  de  la 
frivolité  nationales.  Le  sort  de  la  poésie  eu  France  est  d'a- 
voir porté  ,  dès  le  berceau,  la  livrée  des  cours.  Ses  pre- 
miers essais,  les  madrigaux  et  les  ballades,  étaient  com- 
posés pour  des  princesses,  et  chaules  dans  des  palais.  Du 
règne  de  Louis  XI]  à  celui  de  Louis  XV  ,  cette  mode  n'a 
cessé  de  \  révaloir  ■  les  juges  ,  dont  Boileau  et  Racine  ca- 


1 6Ç  De  la  poésie 

ressaient  le  plus  Popluion,  étaient  le  monarque  ;  après  lui 
les   princes  du  saug,  et  puis  successivement  les  ducs  et 
pairs  et  les  gentilsiiommes  de  la  cliambre  ;   tel  était  leur 
public  ,    f  t  le  langage  qui  n'gvalt  pas  cours  à  Versailles , 
semb'ail  répudié  par  les  muses.  INla's  ne  vaut-il  pas  mieux 
souffrir,  dans  le  discours,  quelques  réflexions  redondantes 
ou  Impropres  ,  que  de  priver  la  passion  de  sa  propre  élo- 
quence, et  d'imposer  à  l'anie  un  langage  froidement  com- 
passé par  les  académies ,  ou  dicté  par  la  servilité  des  cours? 
Nos  voisins  pensvnt  le  contraire.  Qu'un  étranger  ne  par- 
tage pas  Tenlhouslasme  dont  ils  sont  transportés  pour  leurs 
poètes  favoris,  et  ils  soutiendront  qu'il  ne  peut  sentir  les 
beautés  et  les  finesses  de  leur  diction.  Nous  soutenons  ,  nous, 
qu'une  poésie  dont  ce  serait  là  tout  le  mérite ,  serait  tombée 
au  dernier  rang,  et  que  le  moins  poétique  des  langages 
est  celui  dont  les  beautés  sont  les  plus  difficiles  à  décovi- 
vrir.  L'essence  de  la  poésie  est  dans  la  passion,   dans  l'I- 
magination, dans  les  senllmons ,  qui,  abstraction  faite  du 
coloris  qu'on  leur  donne,  pénètrent  forlenieut  les   âmes. 
Gfux-là,   sous     quelques    traits    qui's   se    désignent,    on 
les  reconnaît   à  Tinstaut.    comme  les  disjecta  meinhra  du 
poète.  D'où  vient  qu'Homère  est  admiré  de  toutes  les  na- 
tions? Y  a-t-11  dans  les  cliants  immortels  de  ce  patriarche 
des  poètes,  dans  ceux  de  Sophocle,  d'Eschyle,  de  Virgile, 
d'Horace,  dans  quelques  traits  sublimes  qu'on  dirait  ins- 
pirés aux  prophètes  hébreux,   dos  finesses  qu'un  étranger 
ne  puisse  sentir  ?  Nous  consacrons ,  Il  est  vrai ,  plusieurs 
années  à  étudier  les  langues  anciennes  ;  mais  un  séjour  d'uu 
ou  deux  ans  dans  un  pays,  devrait  suffire  à  l'homme  stu- 
dieux pour  s'initier  au  mystère  de  ses  trésors  poétiques  ; 
et  nous   ne  concevons  pas   que  la  lapgue  française  soit  si 
supérieure  en  ntticisme  à  celle  d'Athènes  ,  que  ses  beautés 
ne  puissent  être  senties  par  ceux  qui  n'auraient  point  res- 
piré ,  dès  le  berceau  ,  dans  l'atmosphère  de  Paris. 


en  France.  16 y 

D'après  les  principes  que  nous  venons  cVexposer ,  il  est 
facile  cVexpiicjuer  pourquoi  la  poésie  française  manque  en 
général  d'originalité,  d'invention,  de  sublimité  et  de  vi- 
gueur. On  ne  trouverait  pas  en  Europe  une  société  de 
36  millions  d'horaiiies,  qui,  en  proportion  de  l\.nciennelc 
et  du  degré  de  sa  civilisation,  ait  produit  si  peu  de  poètes, 
et  dont  les  poètes  aient  été  si  peu  inspirés.  Presqu 'aucun, 
avant  Corneille,  n'a  déployé  un  génie  énergique  et  vrai, 
et  n'a  laissé  de  son  art  des  monumens  durables  ;  tandis  que, 
long-tems  avant  la  même  époque ,  l'Angleterre  en  possé- 
dait un  qui  n'a  point  eu  d'égal ,  et  plusieurs  qui  n'ont  pas 
été  surpassés. 

D'ailleiu's  on  a  vn  ,  bien  pins  fréquemment  en  Angleterre 
que  chez  nos  voisins,  un  grand  génie  poétique  déployé 
par  des  hommes  sans  éducation,  ou  par  des  écrivains  très- 
jeunes.  Chez  nous,  rinspiration  est  trop  forte  pour  être 
arrêtée  par  le  défaut  d'élocution,  ou  plutôt  l'éioquence  du 
cœur  a  toujours  commandé  notre  admiration  ;  de  l'autre 
côté  du  détroit,  il  semble  que  ,  pour  plaire  aux  académies, 
il  faut  avoir  étudié  dans  leur  sein ,  et  que  la  connaissance 
du  cœur  humain  ne  peut  remplacer  le  ton  de  la  bonne 
compagnie.  Lagrange-Chancel  a  pu  écrire  à  neuf  ans  quel- 
ques tirades  sous  le  nom  de  comédie,  et  le  menuisier 
Adam  Billaut  composer,  sous  Louis  XIV,  des  clionsons 
assez  estimées  5  mais  quelle  comparaison  peut-on  faire  de 
l'un  avec  Cowley,  Pope,  Chatterton  et  Rirke-While,  pour 
la  précocité  du  tarent;  de  l'autre,  avec  Shakspeare, 
Burns ,  Hogg  ou  Bloomfield ,  pour  la  force  du  génie  au 
sein  de  la  détresse  et  dans  les  rangs  les  plus  obscurs  de  la 
société?  Une  civilisation  plus  raffiuéf ,  loin  de  glacer  les 
sentimens  des  genstlu  peuple,  ou  de  rendre  fastidieuse  la 
politesse  des  gens  du  monde,  a  produit,  chez  nous,  rcffet 
contraire. 

Les  remarques  que  nous  avons  faites   s'applltjueni  à  la 


i68  De  lu  poésie 

poésie  française  des  deux  derniers  siècles,  la  seule  sur  la- 
quelle nos  voisins  appellent  l'admiration  des  étrangers. 
Mais,  il  faut  l'avouer,  c'est  à  eux  que  l'Europe  doit  sa 
première  impulsion  poétique  ;  et  la  littérature  romantique, 
qui  distingue  le  génie  de  l'Europe  moderne  de  celui  de 
l'antiquité  classique,  tire  son  origine  des  trouvères  et  con- 
teurs, des  jongleurs  et  des  inénestrels  de  Provence  (i). 

Avant  la  fin  du  XII"  siècle,  \a  gaye  science  avait  à  Tou- 
louse son  académie,  et  ses  premiers  succès  la  propagèrent 
chez  toutes  les  nations  de  l'Europe.  Sarmiento  ,  dans  ses 
Mémoires  sur  l'iiistoire  de  la -poésie  espagnole  ^  s'est  attaché 
à  prouver,  qu'introduite  en  Espagne  par  les  Maures,  la 
gaye  science  passa  de  la  Catalogne  en  Provence  où  elle 
prospéra  ,  et,  après  avoir  parcouru  la  France  ,  rentra,  par 
Toulouse  et  Barcelonne ,  en  Andalousie,  où  elle  avait  pris 
naissance.  Nous  ne  croyons  cependant  pas  son  origiuemau- 
resque  assez  hien  étahlie,  pour  douter  que  les  poètes  pro- 
vençaux n'aient  eu  un  caractère  primitif.  11  est  vrai  que  le 
Romancero  gênerai  et  d'autres  collections  du  XI  ["^  siècle 
renferment  une  quantité  prodigieuse  de  poèmes  espagnols 
de  la  nouvelle  école  ;  mais  le  nom  seul  de  gaye  science  ré- 
vèle son  berceau ,  et  Sarmiento  ,  lui-même ,  rapporte  qu'au 
XIV^  siècle,  le  roi  d'Arragon  obtint  du  roi  de  France 
que  deux,  professeurs  de  poésie  lui  fussent  envoyés  de  Tou- 

(i)  Note  du  Tr.  La  liltéralure  des  anciens  n'est  pas  plus  classique, 
que  les  virelais  et  les  ballades  écrites  en  langue  romance  au  XlVe 
siècle  ne  sont  romantiques.  Les  chefs-d'œuvre  de  l'antiquité'  ont  c'U" 
mis  dans  nos  mains  pour  apprendre  le  grec  et  le  latin  ;  voilà  ce  qu'ils 
ont  de  classique;  les  ballades  du  XIV<=  siècle  sont  originales,  parce 
qu'elles  appartiennent  à  des  époques  avec  lesquelles  nous  n'avons  rien 
de  commun.  Quant  à  nous,  au  XIX^  siècle,  ne  copions  servilement 
ni  le  siècle  de  Uené  d'Anjou  ,  ni  même  celui  de  Pcriclès  et  d'Auguste  ; 
méritons,  s'il  se  peut,  d'être  modèles  à  notre  tour;  mais  sachons 
écrire  ,  même  en  poésie'',  dans  l'objet  d'être  utiles  aux  hommes ,  et  res- 
pectons la  langue  de  Racine  ,  de  Massillon  et  de  Montesquieu. 


€it  France.  \Zh) 

louse.  Ou  les  établit  à  Barcelonue,  pour  reacouragemeut 
de  Tari  poétique ,  auquel  on  attachait ,  à  cette  époque,  une 
importance  nationale. 

Il  n'entre  pas  dans  notre  sujet  de  reiracer  les  progrès  de 
la  poésie  française ,  depuis  Tâge  des  troubadours  jusqu'au 
siècle  de  Corneille  et  de  Racine  ,  dans  lequel  on  sup- 
pose qu'elle  a  atteint  sa  perfection.  C'est  sous  le  règne  de 
Louis  XII  qu'elle  se  modela  sur  les  classiques ,  lorsque 
Octavien  de  Saint -Gelais  traduisit  \  Odyssée  et  les  épîtres 
d'Ovide.  Sous  Henri  II,  Jodelle  devint  si  célèbre,  par 
ses  tragédies  dans  le  goût  des  anciens  ,  qu'il  fut  sur- 
nommé le  second  Eschyle ,  et  que ,  par  un  raffinement  de 
pédanterie  académique  ,  il  reçut  l'offrande  d'un  bouc  cou- 
ronné de  fleurs.  Le  règne  de  Henri  IV  paraît  avoir  été  le 
pius  fécond  en  poètes  f  c'est  à  cette  époque  que  Dubartas 
publia  ,  sous  le  titre  de  la  Première  Semaine  ,  un  poème 
sur  la  création  ,  qui  eut,  dit-on,  trente  éditions  eu  six  ans, 
et  que  personne ,  dans  le  dernier  siècle  ,  n'a  peut-être  eu 
le  courage  de  lire  ;  alors  aussi  parut  le  plus  fécond  des 
poètes  français,  Hardy,  qui,  s'il  faut  en  croire  les  chroniques 
littéraires,  ne  composa  pas  moins  de  six  cents  pièces  de 
théâtre. 

Nous  conualssoiis  fort  peu  ces  ouvrages;  mais  M.  Charici 
Lacretelle,  dans  ie  véritable  esprit  de  sa  nation,  s'applau- 
dit de  ce  que  Hardy  ne  s'est  jamais  livré  à  ces  élans  :îe 
génie  qu'on  admire  dans  Shakspeare  ;  «  à  une  telle  hau- 
»  teur,  ajoute-t-ll,  il  aurait  empêché  le  drame  français 
))  de  conserver  sa  glorieuse  analogie  avec  celui  A&s  Grecs.» 
Cette  ère  poétique  fut  close  par  Malherbe,  Racan,  IVIcv- 
nard  et  Voiture ,  les  précurseurs  Immédiats  de  Corneille. 
On  ne  saurait  disputer  à  Corneille  un  génie  élevé  et  ori- 
ginal. Le  reproche  que  nous  avons  fait  à  la  poésie  fraucais-j 
de  manquer  de  variété  et  de  vérité ,  dans  la  peinture  des 
passions,  ne  nous  rend  poinl  injustes  envers  ce  grand  homiîic 


l'jO  De  la  poésie 

et  ses  successeurs  ;  c'étaienl  inconteslablemenl  des  gens  de 
goût  et  de  talent ,  des  écrivains  accomplis  ,  dans  la  meil- 
leure acception  du  terme.  Sans  accorder  qu'on  doive  les 
placer  au  même  rang  que  nos  grands  génies  et  les  com- 
parer à  nos  Sliakspeare,  à  nos  Millon,  à  nos  Spencer 
et  même  à  nos  Dryden,  nous  reconnaissons  en  eux  les 
flambeau:^^  de  la  littérature  de  leur  pays ,  et  les  rivaux  , 
si  ce  n'est  les  maîtres  de  plusieurs  de  nos  poètes  les  plus 
célèbres. 

Il  serait  trop  long  de  discuter  ici  sur  les  règles  par- 
ticulières auxquelles  les  Français  attribuent  Texcellence  de 
leur  système  dramatique.  Nous  nous  bornerons ,  pour  le 
moment ,  à  faire  observer  que  les  pièces  de  Corneille  ,  de 
Racine  et  de  Voltaire,  soat  décidément  supérieures  à  celles 
qui  ont  été  composées  en  Angleterre  dans  le  même  sys- 
tème. 

Selon  nous,  Boileau  ,  par  les  grâces  et  l'énergique  con- 
cision de  son  style ,  est  au  moins  égal  à  Pope ,  dans  ses  sati- 
res, ses  critiques,  ses  imitations  des  écrivains  élégaus  de 
l'antiquité  ;  sur  ces  divers  points  il  fut  son  maître ,  son  mo- 
dèle, et  lui  est  même  resté  supérieur  ;  mais  il  n'aurait  écrit 
ni  i'épîlre  d'Héloïse  à  Abeilard,  ni  les  morceaux  les  plus 
admirables  de  X Essai  sur  l'homme^  et  il  n'aurait  pas  fait, 
ainsi  que  Pope,  de  la  traduction  de  Vlliade,  un  poème 
magnifique.  L'honneur  d'égaler  cette  grande  entreprise 
était  réservé  à  Delille. 

Nous  n'avons  personne  à  opposer  à  La  Fontaine,  écrivain 
unique,  et  le  plus  original  de  tous  les  poètes  français,  à 
l'exception  peut-être  de  Molière.  Nous  ne  prétendons  pas 
non  plus  trouver,  dans  les  meilleures  pièces  de  Prior,  Pope 
et  Svï^ift ,  des  morceaux  comparables  à  ces  trésors  de  déli- 
catesse et  de  grâce,  qui  font  le  charme  des  poésies  légères 
de  Chaulieu,  Gresset,  Gentil-Bernard,  Bouiïlcrs,  Bertin, 
Parny,  et  qu'on  admire  dans  les  moindres  saillies  échappées 


en  France.  i^  i 

à  la  plume  de  Voltaire;  en  un  motj  nous  avouons  que  les 
poètes  français  du  siècle  de  Louis  XIV  sont  au  moins 
égaux  aux  poètes  anglais  sous  la  reine  Anne.  Mais  ce  règne 
ne  fut  point  Tâge  d'or  de  notre  patrie  ;  loin  de  là ,  nous 
avons  toujours  soutenu  que  si ,  à  cette  époque,  elle  a  pris 
ses  modèles  en  France  ,  ce  n'est  qu'en  s'écartant  de  la  roule 
naturelle  qu'elle  devait  suivre ,  et  par  suite  d'une  véritable 
corruption  due  à  l'ascendant  éphémère  du  goût  étranger 
sur  la  cour  de  nos  rois  ,  après  la  restauration.  Quoi  qu'il 
en  soit ,  on  saisit  alors  l'occasion  d'étendre  le  domaine  de 
Ja  littérature  anglaise.  Mais  ,  en  moins  d'un  siècle  ,  lé 
champ  assez  resserré  dont  on  l'agrandit ,  fut  complète- 
ment exploré ,  et  après  avoir  porté  ce  genre  de  mérite , 
qui  dépend  de  la  pureté  de  la  diction  -,  de  la  précision  et 
de  la  finesse  des  pensées ,  à  cette  hauteur  qu'il  n'a  jamais 
pu  dépasser,  le  génie  de  notre  poésie ,  pour  reprendre  son 
essor,  s'est  reporté  vers  ses  vieux  modèles  du  XV II'' siècle; 
là ,  un  champ  illimité  s'est  ouvert  à  ses  conquêtes ,  et  sa 
gloire  y  trouve  une  mine  inépuisable. 

Lorsque ,  eu  France  ,  Racine  et  Voltaire  eurent  touché 
aux  limites  de  l'art ,  il  devint  impossible  aux  écrivains  fran- 
çais de  remonter  à  des  modèles  plus  riches  et  plus  parfaits. 
La  tâche  scolaire  de  l'imitation  classique  une  fois  termi- 
née, ils  ne  pouvaient  recourir  à  leurs  pi^emiers  poètes,  et 
puiser  dans  leurs  chants  cette  mélodie  continue  de  l'ame , 
qui  résonne  sous  le  double  ressort  de  l'imagination  et  du 
sentiment.  Ainsi,  se  voyant  tout-à-coup  à  la  fin  de  leur 
carrière,  i!s  n'ont  plus  eu  qu  à  déclarer  qu'ils  avaient  at- 
teint la  perfection ,  et  il  ne  leur  est  resté  d'autre  soin  que 
celui  de  déchoir  le  moins  possible  de  la  hauteur  à  laquelle 
ils  s'étaient  élevés  :  il  en  est  résulté  que  la  poésie  française, 
pendant  la  plus  grande  partie  du  dernier  siècle  ,  est  de- 
meurée slalionnaire ,  même  sous  la  plume  de  Voltaire  ;  et 
que ,  depuis  sa  mort .  elle  n'a  fait  que  déchoir  et  s'éteindre., 


lyi  De  la  poésie 

destinée  à  ne  jamais  dépasser  les  bornes  qui  lui  ont  été  assi- 
gnées par  les  beaux  esprits  et  par  les  critiques  du  siècle 
de  Louis  XIV. 

L'extrême  agitation  produite  par  la  révolution  j  les  pas- 
sions qu'elle  excita  ;  les  primes  qu  elle  semblait  offrir  aux 
talens  de  tout  genre  ;  la  vaste  carrière  qu'elle  ouvrit  à  Tam- 
bition  de  tous  les  citoyens,  semblaient  devoir  rompre  le 
charme  léthargique  qui  pesait  sur  le  génie  de  la  nation ,  et 
ouvrir  un  champ  nouveau  à  l'inspiration  poétique.  Mal- 
heureusement la  révolution  ne  produisit  pas  cet  effet  ;  ses 
jours  atroces,  voués  au  deuil  et  à  la  terreur,  ne  laissèrent 
dans  les  cœurs  aucune  place  à  ces  douces  énaotions ,  sources 
fécondes  de  poésie  j  et ,  sous  Napoléon ,  les  devoirs  de  la 
guerre  absorbèrent  les  jeunes  talens  qui  s'élevaient,  tan- 
dis que  la  sévérité  de  sa  domination  militaire  réprimait 
ce  noble  enthousiasme  qui  avait  inspiré  les  chants  de 
triomphe  d'un  peuple  libre.  Ce  n'est  que  depuis  sa  chute  , 
que  le  retour  de  la  paix  a  forcé  les  esprits  ambitieux  à  une 
autre  lutte  que  celle  des  armes,  et  que  les  divisions  survenues 
dans  i'opinion  publique  ont  exalté  et  enflammé  les  âmes  à  un 
degré  jusque-là  inconnu  ;  aussi  la  poésie  est-elle  devenue  un 
objet  national ,  et  a-t-élle  reconquis  ,  au  service  des  partis 
opposés,  une  portion,  non  de  son  élégance,  mais  du  moins 
de  sa  chaleur. 

C'est  sur  la  scène  que  nos  poètes  modernes  ont  fait  un 
appel  aux  sentimens  et  aux  préjugés  populaires.  En  effet, 
le  théâtre  a  toujours  été  le  temple  consacré  à  la  muse  fran- 
çaise ;  soit  qu'elle  fut  convaincue  que  les  accords  qu'elle 
inspirait  exigeaient  ie  secours  d'une  pompe  scénique,  d^une 
déclamation  pleine  de  grâce  et  de  dignité,  et  les  élans 
d'enthousiasme  d'une  multitude  assemblée  ;  soit  plutôt 
parce  qu'il  n'est  point  d'auteur  français  qui  ne  soit  charmé 
de  s'entendre  déclamer  devant  un  brillant  auditoire ,  et  de 
respirer  en  personne  la  vapeur  enivrante  d  un  encens  qui 


en  France.  î^5 

s'exhale  des  cœurs  et  clos  voix  de  ses  admirateurs.  La 
situation  actuelle  du  pays  ajoute  un  motif  [jlus  puissant  à 
celte  prédilection.  A  Paris,  !e  théâtre  a  toujours  été  l'ap- 
pât le  plus  entraînant  des  son liniens  populaires.  Là,  toute 
allusion  fausse  ou  éloignée  aux  événemens  passés .  aux 
<liscussions  d'une?  importance  nationale  ,  est  saisie  avec  une 
extrême  avidilé  et  devient  Foracle  de  l'opinion ,  et  cela  , 
souvent  sans  que  l'auteur  y  ait  pensé  ;  parfois  même 
les  auditeurs  lui  attrihuent  des  allusions  qui  n^ entrèrent  ja- 
mais dans  sou  esprit.  Ainsi,  par  exemple,  à  la  représen- 
tation des  T-'tpres  Siciliennes  ,  de  M.  Delavigne',  une  simple 
phrase  qu'il  protestait  n'avoir  été  qu'accidentelle,  fut  consi- 
dérée comme  une  insinuation  politique  ,  et  fit  !e  succès  de 
la  pièce  et  de  l'auteur. 

Toutefois ,  les  écrivains  ne  se  montrent  pas  toujours 
exempts  de  l'esprit  de  parti,  qui  cherche  un  appui  dans 
;curs  ouvrages.  C'est  au  contraire  vers  ce  facile  et  dange- 
reux moyen  de  popularité  qu'ils  dirigent  pour  la  plupart 
leurs  efforts  et  leurs  talens.  Prenant  d'ordinaire  une  part 
très-vive  aux  violentes  discussions  qui  agitent  malheureu- 
sement son  pays,  le  poète  se  les  exagère,  ou  du  moins 
s'exalte  à  leur  idée,  et  la  passion  de  l'indépendance  ,  l'amour 
de  !a  patrie,  la  haine  de  l'influence  étrangère,  deviennent 
le  sujet  de  ses  vers. 

Sur  la  scène,  la  politique  a  maintenant  usurpé  la  place 
occupée  par  l'amour.  Comme  celte  passion,  elle  se  mon- 
tre en  premier.'  ligne,  mais  avec  beaucoup  plus  de  dan- 
ger. Il  est  beau  que  ie  théâtre  soit  pour  nous  une  école  de 
patriotismej  mais  îorsquMl  devient  l'arène  des  antipathies 
nationales ,  il  est  dégradé  de  sa  noble  destination.  Malheu- 
reusement telle  nous  paraît  être  la  mode  du  jour.  Exercer 
à  la  vertu  notre  sensibilité,  n'est  plus  en  France  l'objet  de 
la  tragédie,  et  sur  ce  point  ,  la  définition  do  Blair  est  en 
déhuit.  [i'ancieu  système  esl  abandonne,  ses  sujtls  no  sont 


174  ^^  l^  poésie 

plus  tirés  de  Vbistoîre  ancienne  (i),  et,  sous  ce  rapport, 
l'exemple  des  meilleurs  auteurs  français  est  méconnu.  Cor- 
neille et  Racine  dédaignèrent  l'histoire  de  leur  pays  ;  Vol- 
taire lui-même  n'a  pas  écrit  une  tragédie  nationale  ;  car  , 
bien  que  dans  Adélaïde  du  Guasclin  et  dans  Zaïre ,  ou 
trouve  des  noms  français ,  le  sujet  en  est  fabuleux  ;  la  Harpe 
et  Ducis  suivirent  les  anciens  mo  èles.  Il  était  réservé  à  un 
poète  d'un  ordre  inférieur  de  faire  la  première  épreuve  du 
système  qui  domine  aujourd'hui.  On  pardonna  àDubelloy 
rincohérence ,  la  complication  de  ses  plans  et  la  rudesse  de 
son  style,  en  faveur  des  élans  de  patriotisme  excités  par  le 
Siège  de  Calais  et  Gaston  et  Bayard. 

L'esprit  de  parti  ouvrit  bientôt  un  vaste  champ  aux  pro- 
grès de  ce  système  ,  et  le  nom  de  patrie,  toujours  si  fécond 
en  inspiration ,  mais  qui  l'est  plus  encore  dans  les  jours 
de  lutte  pour  les  droits  nationaux  ,  fut  destiné  à  exercer  en 
France  sa  magique  influence.  Notre  intention  n'est  pas  de 

(  1  )  Les  deux  trage'dies  de  Sylla  et  de  Régulas  sembleraient ,  par  leur 
litre  ,  faire  exception  à  la  règle  ;  mais  ces  pièces  y  rentrent  à  quelques 
égards.  Leur  obiet  est  simplement  de  représenter  Napoléon  dans  deux 
situations  remarquables ,  son  abdication  et  son  bannissement  ;  du 
moins  les  spectateurs  l'ont  généralement  pensé.  Dans  Sylla,  Talma  a 
cherché  à  le  copier  jusque  dans  sa  coiffure  ,  et  l'effet  en  est  prodigieux. 
Ob  assure  qu'après  la  première  représentation  ,  la  police  défendit  à 
cet  acteur  de  tenir  ses  mains  derrière  le  dos  ,  à  l'instar  de  Napoléon  ;  ' 
une  considération  d'un  autre  genre  força  les  censeurs  à  supprimer  les 
passages  sulvans  du  rôle  de  Sylla  : 

C'était  trop  peu  pour  moi  des  lauriers  de  la  guerre  ; 
Je  voulais  une  gloire  et  plus  rare  et  plus  clière. 
Home  en  proie  aux  fureurs  des  partis  triomphans  , 
Mourante  sous  les  coups  de  ses  propres  enfans, 
Invoquait  à  la  fols  mon  bras  et  mon  génie  ; 
Je  me  fis  dictateur,  je  sauvai  la  pairie  , 


J'ai  souverné  le  monde  à  mc>  ordres  soumis  , 
Et  j^impose  silence  à  tous  mes  ennemis  \ 
Leur  haine  ne  saurait  atteindre  ma  mémoire  , 
J'ai  mis  entre  eux  et  moi  l'abîme  de  ma  gloire. 


en  France.  i^5 

tliscutpr  le  mérite  politique  ou  dramatique  de  ses  tragédies 
actuelles  ',  mais  seulement  de  domier  au  lecfeur  une  idée 
générale  de  l'état  présent  de  la  poésie  chez  nos  voisins  , 
abstraction  faite,  autant  que  possible  ,  et  des  particularités 
de  leur  système  dramatique  et  de  l'influence  de  leurs,  dis- 
sentions intestines. 

C'est  diaprés  ces  principes  que  nous  choisirons  les  trois 
ouvrages  capitaux  de  MM.  de  Lamartine,  Casimir  Dela- 
vigne  et  de  Béranger,  comme  représentant  des  diverses 
nuances  d'opinion  auxquelles  ils  se  rattachent. 

Le  mérite  de  ces  trois  ouvrages  a  été  généralement  ap- 
précié j  tous  les  parus  rendent  justice  à  l'élévation  de  sen- 
timens  qui  caractérise  M.  de  Lamartine,  à  l'énergie  de 
Casimir  Delavigne,  à  l'esprit  et  à  la  gaîté  de  Béranser.  Le 
premier  peut  être  considéré  comme  le  représentant  poéti- 
que de  la  haute  aristocratie  j  le  second  comme  l'oracle  de 
l'indépendance,  le  champion  de  la  nationalité,  le  barde 
des  libéraux  ;  le  troisième  comme  le  poète  du  peuple.  De 
toutes  ces  qualifications ,  la  première  est  peut-être  la  seule 
qui  soit  arbitraire  et  gratuite. 

Les  Méditations  poétiques  consistent  en  une  vingtaine  de 
pièces  ,  où  le  poète  s'abandonne  à  ses  réflexions  sur  divers 
sujets  qui  touchent  à  la  métaphysique.  Le  caractère  général 
qui  les  distingue  est  une  pieuse  mélancolie  ;  elles  émanent 
>3videmment  d'une  ame  possédée  de  l'enthousiasme  reli- 
gieux ,  la  source  de  poésie  la  plus  noble  et  la  plus  féconde  j 
mais  cet  enthousiasme,* bien  qu'il  ait  parfois  ses  écarts  ,  se 
montre  toujours  exempt  de  violence.  On  remarque,  dans 
les  Méditations  ,  cette  solennité  de  sentiment  qu'on  admire 
dans  les  chœurs  iS! Athalie  et  diEsther.,  poèmes  parfaits  ,  où 
Ton  voit,  en  quelque  sorte,  la  piété  la  plus  pure  couler 
comme  un  ruisseau  limpide  de  l'anie  du  poète,  plutôt  que 
ces  vagues  éclairs  d'inspirations ,  qui  perçaient  à  travers  le 
fougueux  délire  de  T^ebrun.  Mais,  ce  qui  dislingue  surtout  la 


in6  De  la  poésie 

poésie  de  M.  tie  Lauiai'tiiie,  c'est  la  hardiesse  de  sa  versilica- 
tion ,  qui  n'a  pas  peu  scandalisé  les  écrivains  de  la  vieille 
école,  et  n'avait  jamais  été  portée  aussi  loin  ;  c'est  peut-être 
aussi  de  fréquentes  et  heureuses  irrégularités  dans  la  cons- 
truction de  son  vers.  A  la  p  ace  de  cette  claire  insipidité  , 
qui  caractérise  en  général  ies  poèmes  français,  les  siens  se 
distinguent  par  ce  mélange  de  vague  et  de  profo;^deur  qui 
produit  tant  d'effet  dans  ce  genre  de  composition ,  lors- 
qu'il se  fait  sentir  (  selon  l'expression  d'un  auteur  français  ) 
comme  l'awe,  et  non  comme  le  corps  du  vers. 

Un  gran  !  tnérite  de  M.  de  Lamartine  (  ses  compatriotes 
diraient  peut  -  être  une  Jante  ) ,  est ,  selon  nous  ,  dans  les 
emprunts  assez  nombreux  qu'il  a  faits  .inx  auteurs  anglais, 
Kous  ne  saurions  contester  que  la  poésie  française  n'ait  le 
droit  de  s'enrichir  en  les  imitant  et  en  naturalisant  leurs 
pensées  dans  son  domaine.  Une  expatriation  volontaire  ou 
forcée  des  inspirations  originales  de  nos  écrivains  ne  peut 
empêcher  qu'on  ne  reconnaisse  leur  sol  natal.  Cette  origi- 
nalité formera  toujours  le  premier  caractère  de  notre  lit- 
térature, et  nous  ne  manquerons  jamais  à  l'étranger  de 
critiques,  ni  de  consuls  pour  nous  en  faire  honneur.  M.  de 
Lamartine  peut  en  ce  genre ,  et  sans  que  nous  ayons  à 
craindre  les  protêts,  tirer  autant  de  traites  sur  nos  poètes, 
que  les  écrivains  français  et  lui-même  l'ont  fait  sur  ceux  Av. 
l'antiquité.  Au  surplus,  sur  ce  point,  l'exemple  de  leurs 
grands  poètes  doit  servir  d'excuse  à  ceux  d'un  ordre  infé- 
rieur ;  M .  de  Lamartine  n'apparliébt  pas  à  cette  dernière 
classe  ;  nous  espérons  même  qu'il  s'élèvera  au  premier 
rang  ;  nous  le  considérons  en  ce  moment  comme  le  plus 
distingué  des  poètes  français  vivans,  et  pour  en  juger  il  nous 
suffira  de  citer  les  extraits  de  ses  mei  leures  Méditations. 

(  Ici  l'auteur  anglais  transcrit  eti  entier  /a  4*^  Méditation, 
intitulée  WnwworlaVilé,  et  celle intituIéelàGloire,  adressée  à 
lin  poète  exilé  :  cl  il  ajoute  :  ) 


I 


en  France  >  ij'] 

('.elles,  ces  stances  admirables  sont  les  productions  d'un 
génie  noble  et  indépendant  ;  dans  la  pièce  intitulée  /s  Golfe 
de  Bayes  ,  si  remarquable  par  la  mélodie  de  la  versification, 
les  vers  suivaiis  nous  ont  surtout  frappe  : 

O  de  la  liberté  vieille  et  sainte  pali-ie! 
Terre  autrefois  fe'condc  en  sublimes  vertus  , 
Sous  d'indignes  Césars  maintenant  asservie, 
Toh  empire  est  tombé,  tes  héros  ne  sont  plus! 

Mais  dan*  ton  sein  l'ame  agrandie 
Croit  sur  leurs  monumens  respirer  le  génie  , 
Comme  on  respire  encor  dans  un  temple  aboli 
La  majesté  du  Dieu  dont  il  était  rempli  ! 

Passons  aux  élégies  de  M.  Deîavigne.  I/aiiteur  dit,  dans 
un  court  avertissement  :  «  J'ai  cru  pouvoir  emprunter  a 
M  Barthélémy  le  titre  de  Messénïennes,  pour  qualifier  un  geiu'e 
«  de  poésies  nationales  qu'on  n'a  pas  encore  essayé  d  intro- 
j)  duiredans  notre  littérature.  »  Sans  disputer  avec  îui-sur  If 
choix,  de  ce  litre,  nous  avouerons  que  la  vigueur  et  Tenthoù- 
siasme  qui  distinguent  son  style  et  sa  manière  de  sentir,  for- 
ment un  contras  !e  frappant  avec  l-^  faire  de  son  riva!.  îi' ins- 
piration que  l'on  puise  dans  la  pieté,  l'autre  la  tire  du  pa- 
triotisme. L'amour  du  pays  et  la  haine  des  étrangers  ont 
conduit  naturellement  M.  Deîavigne  à  des  observations 
aussi  fausses  en  point  de  fait,  qu'admirables  en  poésie  ;  mais  ce 
qui  domine  dans  ses  écrits,  c  est  l'éuergique  effusion  d'une 
sensibilité  exaltée,  qui  jaillit  comme  un  torrent  d'une  ame 
profondément  pénétrée  de  l'amour  delà  liberté  ctdcluhaiuc 
de  resc'avage,  et  à  qui  il  faut  pardonner  de  rOmpreses  digues. 
M.  de  Bérangçr  a  en,  pour  devenir  célèbre,  un  avan- 
tage qui  manquait  à  iViM.  Deîavigne  et  de  Ijamartinc  j 
il  a  été  poursuivi,  condamné  et  prohibé  :  n'est-ce  pas 
dire  qu'il  est  plus  populaire  que  les  autres?  Des  milliers 
d'exemplaires  de  ses  chansons  se  sont  écoulés  en  quelques 
semaines,  et  grâce  au  goîtt  qu'on  a,  surtout  en  ]Illéralur<?. 
j .  I  (') 


in8  ^e  la  poésie  en  Frcince. 

pour  le  fruit  défendu,  obtenir  une  copie  do  ces  précieuses 
satires  ,  était  une  faveur  qu'on  n'obtenait  pas  toujours  à  prix, 
d'argent  ;  nous  devons  à  un  agent  plus  puissant  Texemplaire 
qui  est  sous  nos  yeux.  TVous  nous  empressons  de  donner,  sans 
commentaires,  quelques  échantillons  de  ces  morceaux 
pîquans,  que  l'auteur  a  si  bien  assaisonnés  au  goût  du  pidilic. 
(  ici  l'auteur  cite  les  chansons  intitulées  :  les  Révérends 
Pères,  la  Requête  présealéa  par  les  Cliiens  ds  qualité, 
pour  obtenir  l'entrée  libre  au  jai'din  des  Tuileries,  et  deux 
coupLts  du  Dieu  des  bonnes  gens.  ) 

A  ces  brillantes  exceptions  près ,  il  faut  reconnaître  que 
la  poésie  française  est  aujourd'hui  sur  son  déclin.  Presque 
tous  les  poètes  s'occupent  exclusivement  de  tragédies  ;  pui- 
sant leurs  sujets  dans  les  anciennes  annales  de  leur  pays  , 
c'est   moins   au  cœur   humain   qu'aux    passioiis  politiques 
qu'ils  s'adresseut.  Des  phrases  pompeuses  sur  le  patriotisme, 
cjes  tirades  véhémentes  contre  1  influence  étrangère ,  font 
tous  les  frais  de  leurs  succès.  Les  spectateurs  les  accu^iVent 
avec  transport  ;   mais  ils  sortent  rarement  attendris..  De 
vigoureux  applaudissemens,  de  vives  acclamations  ,  son!  les 
palmes  d'un  auteur  qui,  au  lieu  d'émouvoir  les  afifeclions 
sympathiques  et  de  faire  couler  de  douces  larmes,  ne  s'at- 
tacîie  qu'à  prodiguer  l  invective  et  à  nourrir   des  haines 
uationales.   Ainsi,    le    public   et  le  poète  font  un  duuble 
échange   d'adulation    pour    eux-mêmes,    d'injure  contre 
l'étranger,:  l'un  offre  uu  aliment  au  sentiment  dirritatitm 
qui  distingue  cette  époque  j  l'autre  outrage  incessamment 
la  digniié  de  la  poésie.  Ainsi  le  goût  se  corrompt,  le  talent 
fait  fausse  route  ;  un  appétit  morbide  appelle  les  stiraulans 
les  plus  pernicieux ,   et  la  main  qui  les  administre  languit 
sans  pouvoir  pour  une  plus  noble  destination.  Mais,  quelque 
dégradée  que  soit  la  poésie  en   France,  il  s'y  trouve  en- 
core des  âmes  accessibles  à  de  sublimes  inspirations.  Les 
erreurs  que  nous  déplorons  prouvent  qu'il   y    existe   de 


Obseri-'ations  pratiques  sur  l'éducation  des  peuples.  1 79 
l'enlhousiasme ,  une  sensibilllé  profonde  et  des  seulimens 
élevés.  Ce  scnl  à  les  mel  leurs  atlribuls  de  la  poésie.  Nous 
pouvous  espérer  qu'ils  l'elèveront  celle  de  la  France  de  su 
abaissemeat  actuel.  i  Revue  d'Edinbourg). 


MÉLAN(iES. 

OBSERVATIONS  PRATIQUES  SUR  l'ÉDUCATION  DU  PEUPLE  , 
ADRESSÉES  AUX  CLASSES  OUVRIERES  ET  A  CEUX  QUI  LES 
EMPLOIENT  ; 

P.\R    M.    KROUGHAM     (l). 


Jamais,  depuis  la  découverte  de  Tiniprimerie,  le  corps 
sncial  n'a  reçu  de  bienfait  plus  signalé ,  que  celui  des  insli- 
(utions  à  l'examen  desquelles  M.  JBrougham  a  consacré 
son  livre.  Rien  de  plus  admirable  que  ia  clialeur,  la  sim- 
plicité et  la  sagesse  expérimentée  qui  distinguent  les 
vues  de  l'auteur.  De  tous  'es  titres  d'honneur  rassemblés 
sur  sa  tête,  nul  n'est  plus  digne  d'envie  que  celui  qui  se 
fonde  sur  les  services  qu'il  a  rendus  à  la  cause  de  l'éduca- 
tion. De  tout  le  bien  quU  a  fait,  celui-là  est  le  plus  fécond 
et  le  plus  incontestable  j  la  gloire  qu'il  en  a  reiirée  est  pure 
de  tout  esprit  de  parti  ;  elle  ne  lui  a  pas  même  été  disputée. 
Oràces  lui  soient  rendues  surtout  pour  ses  travaux  récens 
en  faveur  des  écoles  d'ouvriers  I  Dans  son  mémorable 
exposé  de  l'abus  des  charités  publiques ,  il  était  animé , 
autant  par  une  juste  indignation  que  par  le  plaisir  de 
triompher  de  l'opposition  redoutable  qu'il  rencontrait  dans 

(  i  )  Pracfical  Ubserçatiuns  upon  the  éducation  ofthe  pcople,  adres— 
sed  to  tke  working  classes  ,  nnd  their  employers.  IJy  H.  Brouc;ham, 
Ksq.,  ia-i2,  33  j>p.  London. 


1  !>o  Obse?çaliOiis  pratiques 

1  indolence  et  la  corruption  de  certaines  classes  3  ici,  il 
u'a  clé  8x.cilé  que  par  rhinnauité,  par  cet  avant-gout  su- 
blime de  l'amour  el  de  -a  reconnaissauce  de  la  postérité , 
qui  soutient  les  amis  sincères  de  la  patrie,  lorsque  ,  dans  le 
silence,  ils  travaillent  à  assurer  le  bonheur  de  leurs  conci- 
tojens,  sans  enflaoïnier  leurs  passions,  ni  capter  vlo- 
len^menl  leurs  suffrages. 

Voici  comment  cet  ouvrage  est  terminé  : 
«  Il  est  inutile,  dit  Bl.  Brougham,  que  je  combatte,  en 
fin'«sant ,  îes  objections  de  ceux  qui ,  par  des  motifs  politi- 
ques ,  s'opposent  à  ce  que  Tinslructiou  se  répande  dans 
les  classes  industrielles,  et  je  me  félicite  de  n'avoir  point 
à  remplir  celte  tâche  pénible.  Il  n'est  plus  le  tems  où  les 
faux  dévots  pouvaient  persuader  aux  hommes  qu'il  fallait 
xneiWe  sous leboisseauXes  lumières  de  la  philosophie,  comme 
dangereuses  à  !a  religion,  et  où  les  tyrans  proscrivaient, 
comme  ennemis  de  leur  pouvoir,  les  citoyens  voués  à  l'ins- 
truction du  peuple.  On  sent  aujourd'hui  l'absurdité  de 
croire  que  la  science  des  lois  qui  régissent  runivci's  dispose 
à  l'incrédulité  5  mais  elle  est  le  remède  le  plus  sûr  de  la  su- 
perstition et  surtout  de  l'intolérance.  INon ,  la  pure ,  la  vraie 
religion  n'a  rien  à  craindre  des  lumières  que  l'entendement 
humain  peut  tirer  de  l'étude  de  la  matière  oudel'ame; 
plus  la  science  se  répandra,  mieux  l'auteur  de  toutes 
choses  sera  connu  ,  moins  le  peuple  sera  le  jouet  des  fourbes 
et  des  imposteurs.  C'est  ]pour  les  tyrans  et  les  mauvais  gou- 
vcrnemens  que  les  masses  éclairées  sont  un  objet  de  terreur, 
la  lumière  est  fatale  à  leur  despotisme,  cl  ils  le  savent  bien; 
mais  il  leur  est  plus  aisé  de  la  maudire  que  de  l'éteindre. 
Elle  s'étend,  eu  dépit  d'eux-mêmes,  dans  le  pays  où  le 
pouvoir  arbitraire  semble  le  plus  affermi;  et,  en  Angle- 
terre, le  moindre  effort  pour  arrêter  ses  progrès  entraîne- 
rait la  ruine  soudaine  de  celui  <[ui  serait  assez  inscusé  pour 
le  tenter. 


sur  l'éducation  des  peuples.  1 8 1 

»  Je  dirai  doue  aux  hautes  ciasses  de  la  société  que  la 
«|iieslion  n'est  plus  de  savoir  si  le  peuple  sera  instruit;  elle 
est  irrévocablement  résolue  j  mais  s'il  sera  bien  ou  mal  ins- 
truit j  s'il  aura  droit  à  une  demi-instruction ,  ou  bien  à 
toute  celle  que  réciament  sa  position  et  ses  besoins.  Qu'on 
ne  s'efFraie  point  de  voir  la  masse  du  peuple  trop  éclairée 
dans  ses  rapports  avec  ses  supérieurs.  De  simples  ouvriers 
peuvent  se  distinguer  par  leur  éducation,  se  livrer  même 
à  l'étude  des  hautes  sciences.  Quel  en  sera  le  résultat? 
celui  de  forcer  leurs  maîtres  à  mériter  leur  supériorité  de 
position,  en  acquérant  eux-mêmes  des  connaissances  plus 
solides  et  une  éducation  plus  forte.  Ou  agrandira  l'enceinte 
de  nos  collèges,  et  plusieurs  de  nos  grand  s  cités,  spécia- 
lement la  métropole,  ne  sex'ont  plus  dénuées  de  moyens 
réguliers  de  fournir  à  leurs  habitaus  toute  l'instruction 
qu'i's  peuvent  désirer. 

»  Je  dirai  à  îa  classe  des  artisans  que  le  tems  est  arrivé  , 
où  elle  peut,  en  faisant  un  grand  effort,  s'assurer  pour 
toujours  l'inappréciable  bienfait  de  l'instructioiî.  Jamais  les 
riches  n'ont  été  plus  disposés  à  leur  eu  faciliter  les  moyens; 
mais  aussi  le  peuple  doit  profiler  de  l'opportunité  des  cir- 
constances ,  et  suivre  le  mouvement  imprimé  par  les 
hautes  classes  à  l'éducation  populaire.  Ceux,  qui ,  déjà 
lancés  dans  la  carrière  ,  ont  savouré  les  fruits  de  la 
science  ,  n'ont  plus  besoin  qu'on  les  exhorte  à  persévérer^ 
mais  si  ces  pages  tombent  dans  les  mains  d'un  ouvrier ,  dans 
les  momens  de  loisjr  qui  lui  restent  nécessairement  après 
les  travaux  de  la  journée ,  je  ne  lui  demande  d'autre  ré- 
compense (  moi  qui ,  à  toutes  les  heures ,  ai  écrit  pour  sou 
bien-être  )  ,  que  d'économiser  Xvoh peuces ,  le  jour  suivant , 
d'acheter  la  vie  de  Fi'ankHn  et  d'en  lire  la  première  page. 
Je  suis  sûr  qu'il  lira  le  reste ,  et  qu'il  consacrera  son  tems 
et 'ses  épargnes  à  acquérir  les  connaissances  qui  ,  d'un 
f'fircon   imprimeur  ,    ont    lait    le    plus    granil    pliilosnphe^ 


1 82  Extrait  des  dépositions 

et  Tuu  des  plus  grands  hommes  d'état  de  sou  siècle.  Peu 
d'hommes,  sans  doute,  sont  destinés  à  s'élever  à  sa  hau- 
teur ;  il  n'est  point  nécessaire  ce  se  diriger  dans  la  vie  avec 
cette  parfaite  régularité ,  avec  celte  rigide  économie  de 
tous  ses  inslans  ;  mais  tous  peuvent  faire  honne  route,  en 
étant,  comme  lui ,  sohres,  actifs  et  studieux;  et  nul  ne 
peut  dire,  avant  d'avoir  fait  cet  essai,  jusqu'à  quel  point 
il  est  capable  de  se  rapprocher  de  son  modèle.  » 

Le  livre  de  M.  Brougham  est  court;  mais  il  est  plein ,  et 
nous  serions  bien  trompés  s'il  n'acquérait  pas  cent  fois  plus 
de  publicité  que  l'extrait  que  nous  en  donnons. 


EXTRAIT   DES   DEPOSITIONS   FAITES    DEVANT    LES    COMITÉS 

DU  Parlement  Britannique,  no3imés  dans  les  ses- 
sions  DE  l8'24  ET   1825,  POUR   ÉTABLIR   UNE    ENQUETE 

SUR  l'État  de  l'Irlande. 


Vendredi,  ce  25  mars  1825,  sous  la  présidence  de  lord 
vicomte  Palmerston ,  le  très- révérend  père  Jacques  Ma- 
gaurin  ,  docteur  en  théologie,  évèque  du  diocèse  d'Amagh, 
est  appelé  et  interrogé. 

Demande.  Avez-vous  connaissance  de  certaines  commu- 
nications qui  cnt  eu  lieu  en  iy88,  entre  les  catholiques  an- 
glais de  ce  royaume  et  quelques  vmlversités  étrangères  , 
touchant  l'autorité  du  pape?  —  Réponse.  Oui,  j'en  ai  quel- 
que souvenir. 

D.  Sur  l'invitation  de  M.  Pitt,  les  catholiques  anglais 
n'out-ils  pas  soumis  ,  dans  le  cours  de  celle  même  année  , 
certaines  questions  à  ces  imlversités?  —  R.  Je  me  rappelé 
ce  fait.  On  s'en  entretenait  beaucoup  au  collège  irlandais 
de  Salamanque,  quand  \y  arrivai,  en  1789. 


faites  devanL  les  comités  du  Parlement'.  i85 

D.  Voici  ces  questions  :  i°  Le  pape,  les  cardinaux,  , 
M  aucun  corps  ou  individu,  faisant  partie  de  Téglise  de 
M  Rome,  exercent-ils  de  droit  aucune  autorité  ,  pouvoir, 
)3  juridiction  •  ou  prééminence  civiles  quelconques  dans 
«  l'empiré  Britannique?  a°  Le  pape,  les  cardinaux  ,  au- 
»  cun  corps  ou  individu  ,  faisant  pi-rlie  de  l'église  dePvome  , 
r>  peuvent-ils,  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit,  délier 
»  les  sujets  de  ce  royaume  de  leur  serment  d'alie'geance 
»  au  souverain?  3°  Existe-t-il  dans  la  religion  catholique 
»  aucun  point,  de  doctrine ,  d'après  lequel  le  catholique 
»  soit  dispensé,  comme  homme  public  ou  comme  simple 
»  particulier,  de  garder  sa  foi  envers  les  hérétiques  ou  au- 
»  très  individus  professant  des  opinions  religieuses,  antres 
»  que  les  siennes.  »  Où  doivent  se  trouver  les  réponses 
qui  ont  été  fnites  à  ces  questions  ?  R.  Je  crois  que  ces 
questions  furent  soumises  aux  universités  de  Salainanque, 
d'Alcala  et  de  Valladolid  ,  ainsi  qu'à  celles  de  Paris,  de 
Louvain  et  de  Douai ,  et  que  toutes  y  firent  les  mêmes  ré- 
ponses ,  au  moins  en  substance. 

D.  Les  réponses  ne  sou'.-eiles  pas  comprises  en  détail 
dans  les  Mémoires  de  M.  Buder?  —  R.  Je  crois  qu'oui. 

D.  La  doctrine  que  contiennent  ces  réponses  cst-e  le 
admise  par  les  évèques  catholiques  d'Irlande?  R.  Oui, 
elle  l'est  également  par  les  laïques  catholiques  de  ce  pavs. 
Je  crois  même  que  ces  décisions  ont  servi  de  base  au  ser- 
ment d'a'légeance  qui  a  été  dressé  pour  eux. 

D.  Ne  joignit-on  pas  un  précis  de  ces  réponses  à  l'adresse 
du  comité  catholique,  publié  en  1793? —  R.  Je  cnns 
qu'oui. 

D.  Avez-vous  lu  ces  décisions?  —  iï.  Oui,  et  j'y  souscris 
de  toute  mon  ame. 

D.  La  pièce  que  vous  avez  dans  ce  moment  devant  vous, 
est -elle  un  précis  des  réponses  dont  il  s'agit?  —  R 
Oui. 


iH4  •  Extrait  des  dépositions 

Précis  de  la  rc'po?ise  faite  par  la  Faculté  de   théologie    do 
Paris  aux  questions  énoncées  ci-dessus. 

Après  un  préambule  dans  les  formes  usitées  par  1  Uni- 
versité  de  Paris,  la  première  question  est  résolue  en  ces 
termes  :  «  Ni  le  pape ,  ni  les  cardinaux ,  ni  aucune  congré- 
j)  gation ,  ni  aucun  individu ,  faisant  partie  de  l'église  ro- 
»  maine,  n'exerce,  en  vertu  d'aucune  autorité,  pouvoir, 
»  juridiction  ou  prééminence  quelconques,  d'institution  di- 
»  vine ,  inhérens  à  leur  personne,  à  eux  départis  ou  à  eux 
»  appartenant  de  quelque  manière  que  ce  soit,  aucune 
»  autorité,  pouvoir,  juridiction  ou  prééminences  civiles  , 
»  dans  aucun  royaume  ,  et  par  conséquent  aucun  privilège 
))  de  ce  genre  dans  l'empire  Britannique.  La  Faculté  de 
»  théologie  de  Paris  a  toujours  professé  cette  doctrine;  cl'c 
»  l'a  maintenue  en  toute  occasion,  et  elle  proscrit  rignureu- 
»  sèment  de  ses  écoles  toute  doctrine  contraire. 

Réj  onse  à  la  deuxième  question.  «  Wi  le  pape,  ni  les 
»  cardinaux,  ni  aucun  corps,  ni  aucun  individu,  faisant 
»  partie  de  l'église  de  Rome ,  ne  peuveut ,  par  la  vertu  des 
»  clefs  de  saint  Pierre,  délier  ou  affrauchir  les  sujeïs  tXu. 
»  roi  d'Angleterre  de  leur  serment  d'allégeance  envers 
»  lui. 

»  Cette  question  et  celle  qui  la  précède ,  se  lient  si  inli- 
M  mement  entr'elles,  que  la  solution  de  l'une  est  uaturellc- 
»  ment  et  nécessairement  celle  de  l'autre. 

Réponse  à  la  troisième  question.  «  T/église  catholique 
»  n'admet  point  la  doctrine  d'après  laquelle  le  catholique 
»  serait  dispensé  de  garder  sa  foi  envers  les  hérétiques  ou 
n  schismatiques ,  la  maxime  qui  permet  de  violer  sa  foi 
»  envers  les  hérétiques ,  répugne  tellement  à  tout  principe 
»  d'honnêteté  et  spécialement  aux  opinions  dis  catholiques, 
»  qu'il  n'est  rien  dont  ils  aient  eu  plus  à  se  plaindre  que 
)-  de  la  méchanceté  des  protcslans  qui  la  leur  ont  altrihuée. 


J 


faitts  daçaTht  les  cuniiU's  du  Parlement.  iSl; 

»  Donné  à  Paris,  dans  rass(nnbl«îe  générale,  tenue  ce 
»    jeudi  onzième  jour,  avant  les  calendes  cîe  mars  178L).  » 

(  Signé  ,etc.  -  etc.  ) 

Université  de  Lvuvain. 

«  La  faculté  de  théologie  de  Louvaiu,  appelée  à  donner 
5)  la  solution  des  questions  ci-dessus  énoncées  ,  le  fait  avrc 
»  empressement;  elle  s'étonue  toutefois  qu'à  la  lin  du 
»  XVII I"^  siècle,  de  pareilles  questions  soient  soumises  à  un 
»  corps  savant  par  des  habitaus  d'un  royaume  qui  se  fait 
»  g!oire  d'avoir  produit  tant  de  sujets  distingués  par  leurs 
w  talens  et  leurs  lumières.  La  faculté  .  rassemblée  pour 
»  l'objet  ci -dessus,  s'accorde  à  l'unanimité  à  répondre  néga- 
»  tivement  à  la  première  et  à  la  seconde  de  ces  questions. 

«  La  Faculté  ne  se  croit  pas  obligée  de  développer  ici 
»  les  motifs  sur  lesquels  sa  solution  est  fondée ,  ni  de  citer 
»  les  passages  de  l'Écriture-Sainle,  et  les  écrits  des  Pères 
»  qui  sont  à  l'aj^pui  ;  cela  a  déjà  éié  fait  par  Bossuet ,  par 
))  de  Marca  ,  par  les  deux  Barclajs ,  par  Goldast ,  [lar 
»  les  deux  Pilhou,  par  d'Argentré  ,  par  Widringben,  et 
»  par  S.  M.  le  roi  Jacques  I"  dans  sa  dissertation  contre 
»  Bellarrain  et  du  Perron,  etc.  ,  etc. 

»  La  Faculté  déclare  ensuite  que  le  pouvoir  souverain 
»  de  l'état  n'est  subordonné  ni  directement,  ni  indirecte- 
»  ment  à  un  autre  pouvoir,  fût-ce  même  un  pouvoir 
»  spirituel,  lequel  a  été  institué  uniquement  pour  le  salut 
»  des  âmes  ; 

n  Qu'aucun  individu  ou  réunion  d'individus  ,  quelqu'é- 
»  levés  qu'ils  soient,  en  puissance  ou  en  dignité,  (luc 
»  même  le  corps  universel  de  l'église  catliolique  assemblé 
«  en  concile  général,  ne  peuvent,  sous  quelque  motif  ou 
»  prétexte  que  ce  .soit ,  affaiblir  le  lien  qui  unit  le  souverain 
n  à  ses  peuples ,  encore  moins  affranchir  ces  derniers  d(^ 
»   Iciu"  serment  d'allége;mce. 

i.  ,7 


i86     Extrait  des  dépositix)iis  faites  aux  comités  ,  etc. 

»  Passant  à  la  troisième  question ,  la  Faculté  de  théologie , 
M  étonnée  qu'une  pareille  question  lui  soit  soumise ,  répond 
»  de  la  manière  la  plus  formelle  qu'il  n'existe  pas  et  qu'il 
M  n'a  jamais  existé  chez  les  catholiques  ou  dans  les  doc- 
>>  Irines  de  l'église  de  Rome ,  aucune  loi  ou  principe  qui  au- 
»  torise  le  catholique,  soit  comme  homme  puhlic,  soit 
»  comme  simple  particulier  ,  à  manquer  à  sa  foi  envers  les 
»  hérétiques  ou  autres  individus  professant  une  croyance 
»  autre  que  la  sienne.  La  Faculté  déclare  que ,  selon  la 
»  doctrine  des  catholiques ,  la  loi  divine  et  naturelle  qui 
«  impose  à  chacun  l'obligation  de  garder  sa  foi  et  de  tenir 
»  ses  promesses,  reste  la  même,  qu'elles  que  soient  les 
»   opinions  religieuses  de  ceux  avec  qui  ils  ont  contracté. 

M  Fait  et  signé,  etc.,  etc.,  ce  i8  novembre  1788.   « 

Université  de  Valladolid. 

On  répondit  aux  trois  questions  : 

"  1°  Que  ni  le  pape  ,  ni  les  cardinaux ,  ni  môme  un  con- 
»  cile  général  de  l'église,  n'avalent  autorité,  pouvoir,  ju- 
»  ridiction  ou  prééminence  civile  directement  ou  indirec- 
»  tement  ,  dans  le  royaume  de  la  Grande-Bretagne,  ni 
»  dans  aucun  autre  royaume  ou  province,  où  ils  ne  seraient 
»   point  saisis  de  la  puissance  temporelle  j 

»  2"  Que  ni  le  pape ,  ni  les  cardinaux  ,  ni  même  un  con- 
»  cile  général ,  ne  peuvent  délier  les  sujets  de  la  Grande- 
»  Bretagne  de  leur  serment  d'allégeance ,  ni  les  dispenser 
»  de  leurs  obligations, 

»  6"  Que  l'obligation  de  garder  sa  foi  est  fondée  sur  la 
»  loi  naturelle  qui  régit  également  tous  les  hommes  , 
»  quelles  que  soient  leurs  croyances  religieuses  ,  et  que 
»  cette  loi  le  commande  encore  plus  impérieusement  au 
»  catholique,  parce  qu'elle  se  trouve  confirmée  par  les 
»   principes  de  sa  religion. 

5)  Signé  dans  les  formes  usitées,  ce  17  février  1789.    » 


Analyse  des  nouifelies propositions  ,  etc.  1B7 

Analyse   des    nouvelles    propositions    faites    par 
M.  Huskisson,  a  la  chambre  des  communes,  sur 

LA   réduction    des   DROITS    DE    DOUANE. 


«  Lorsque  j'ai  proposé  à  la  chambre  le  bill  sur  les  droits 
d'entrée  des  marchandises  étrangères  ,  a  dit  cet  homme 
d'état,  je  me  snis  entouré  de  toutes  les  lumières  qui  pou- 
vaient m' éclairer  sur  l'utilité  de  la  mesure.  Dans  ce  but , 
j'ai  foit  un  appel  à  toutes  les  classes  dont  elle  devait  affecter 
les  intérêts  ;  et ,  après  avoir  mûrement  examiné  les  nom- 
breuses observations  qui  m'ont  été  adressées ,  j'ai  cru  de- 
voir apporter  quelques  modifications  aux.  propositions  que 
j'ai  faites  au  mois  de  mars  dernier. 

»  Je  me  vois  forcé  de  renoncer  à  la  réduction  que  j'avais 
d'abord  proposée  sur  les  droits  auxquels  sont  soumis  les  fds 
et  tissus  de  coton ,  ainsi  que  les  poteries ,  faïences  et  porce- 
laines ,  etc. 

»  J'avais  d'abord  proposé  de  n'assujettir  les  fils  et  tissus 
de  lin ,  qu'à  un  droit  de  26  pour  cent  de  la  valeur  que  ces 
articles  ont  en  Angleterre  5  mais  après  avoir  entendu  toutes 
les  parties  intéressées  dans  cette  branche  de  notre  indus- 
trie, je  me  suis  déterminé  à  fixer  le  droit  d'après  les  prix. 
auxquels  ces  articles  se  vendent  à  l'étranger.  Mon  but  a  été 
de  ne  point  aggraver  actuellement  la  position  du  manufac- 
turier anglais  j  mais  je  me  réserve  d'introduire  progressi- 
vement, durant  les  huit  années  qui  vont  s'écouler,  la  con- 
currence dans  cette  branche  de  production  ,  en  opérant 
chaque  année  une  nouvelle  réduction,  à  moins  que  ,  par 
l'introduction  de  machines  plus  parfaites  et  à  l'aide  de 
nouveaux  capitaux  ,  nos  manufacturiers  ne  préviennent  ce 
résultat. 

»  Je  propose  sur  les  verreries  des  droits  plus  modérés 
que  je  ne  l'avais  fait  d'abord  ;  mais ,  sur  ces  articles,  comme 


i88  Analyse  des  nouvelles  propositions 

sur  les  lins,  la  réduction  sera  graduelle.  C'est  également 
d'après  ces  bases  que  j'ai  réduit  les  droits  sur  les  papiers. 
Toutefois,  la  prohibition  qui  pèse,  en  France  et  dans  les 
Pays-Bas,  sur  les  produits  bruts  de  nos  papeteries,  m'a 
forcé  d'augmenter  ces  droits  de  4  p  °/o- 

»  J'ai  pensé  qu'il  était  de  l'intérêt  des  libraires  anglais , 
et  surtout  qu'il  importait  aux  progrès  de  la  littérature  et  à 
ia  propagation  des  connaissances  humaines^  que  les  droits 
sur  les  livres  importés  fussent  considérablement  diminués. 

»  Je  passe  sur  une  foule  d'autres  articles  dont  les  droits 
ont  été  réduits  par  le  bill  du  aS  mars  dernier.  Je  ferai  ob- 
server ,  toutefois  ,  que  je  suis  décidé  à  diminuer  encore  les 
droits  que  ce  bill  avait  déjà  modérés  sur  'es  chanvres  et  sur 
]ps  suifs. 

»  Mou  dessein  était  de  faire  exécuter  la  disposition  qui 
réduit  les  droits  sur  la  potasse,  à  partir  du  x"^  janvier 
procliain  ;  mais  il  m'a  été  démontré  que  lorsque  leur  taux 
a  été  élevé,  il  y  a  quelque  tems,  le  gouvernement  s'était 
tacitement  engagé  à  n'y  apporter  aucun  changement  avant 
six  ans  \  celte  considération  m'a  déterminé  à  n'effectuer  la 
réduction  que  du  jour  où  ce  délai  sera  expiré. 

n  Je  n'apporterai  aucune  modification  aux  droits  sur  les 
l>ois  de  construction  j  mais  je  soumettrai  au  Parlement  un 
règlement  tendant  à  empêcher  que  la  taxe  ne  soit  éludée  j 
ces  bois  paient  55  liv.  et  les  planches  44  ^i^'-  pour  chaque 
126  pièces.  Je  n'ignore  point  que  jusqu'ici  on  a  réduit  l'é- 
paisseur des  madriers ,  pour  éluder  le  paiement  du  droit 
qui  pèse  sur  eux.  Quoi  qu'il  en  soit ,  je  me  borne  à  demander 
que  les  fortes  planches  qu'on  obtient  de  celte  manière  , 
soient  souînises  aux  mêmes  droits  que  '.es  bois  de  charpente. 

j)  Le  droit  sur  les  bois  de  la  marine,  travai'lés  dans  les 
colonies,  et  qui  servaient  à  la  construction  des  vaisseaux, 
d;ins  la  métropole,  a  été  jusqu'ici  de  plus  de  5o  p.  "/„,  et 
vaL'i  pourquoi  les  bols  énormes  du  (Jauada  n'ont  janinis  été 


Jattes  yar  M.  Hiiskisson.  189 

tl'un  grand  produit  pour  l'Angleterre.  Je  réduis  ces  droits 
;i  i5  p.  °/o  ?  et  j'ai  la  fenne  conviction  que  cette  mesure 
ainsi  que  toutes  celles  que  je  A'iens  de  proposer,  contribue- 
ront éminemment  aux  progrès  de  notre  prospérité  nationale. 
»   Le  nouveau  système  que  je  recommande  aux  lumières 
du  Parlement  Britannique,   a  surtout,  en  ce  moment,  le 
mérite  de  l'opportunité.  J'ai  la  ferme  conviction  que  si  les 
coalitions  d'ouvriers  ,  ce  grand  fléau  de  notre  industrie  ma- 
nufacturière,  ne  peuvent  être  réprimées  parles  lois,  elles 
le  seront  par  les  facilités  accordées  à  l'importation  des  pro- 
duits étrangers.  Il  faut  que  les  ouvriers  sachent  que  le  con- 
sommateur anglais  ne  saurait  être  condamné  à  s'approvi- 
sionner à  des  prix  exorljitans,  et  que  la  nation  entière  ne 
doit  poiàit  rester  engagée  dans  la  position  fâcheuse  où  la 
placeraient  les  tentatives  de  quelques  hommes ,  pour  em- 
])ècher  le  libre  emploi  du  capital  et  du  travail.   Je  crois 
pouvoir  assurer  que  si  les  charpentiers  de  vaisseaux  cher- 
chent à  faire  la  loi  aux  armateurs  5  s'ils  ne  laissent  pas  les 
hommes  laborieux  et  habiles  ,  que  réclament  nos  chantiers, 
suivre  en  liberté  l'impulsion  de  leurs  intérêts  ,  le  Parlement 
permettra  l'usage  des  hâtimens   étrangers.  La  déclaration 
(jue  je  viens  de  faire  concerne  également  les  classes  qui  ex- 
ploitent les  diverses  branches  de  notre  industrie  manufac- 
turière j  qu'elles  prennent  garde  au  piège  qui  leur  est  tendu 
par  quckjues  brouillons.  Les  mesures  que  je  viens  de  pro- 
I  oser  nous  affranchiront   nécessairement   de  l'espèce   de 
dictature  que  font  peser  sur  nous  les  coalitions  de  la  classe 
ouvrière,    en  faisant  disparaître   les  restrictions  qui,  jus- 
qu'ici ,   ont  donné   aux   artisans  de  la  Grande-Bretagne , 
l'avantage  sur  ceux  de  l'étranger ,  dans  la  fabrication  des 
principaux  articles  de  nécessité,  d'uli'.ité  ou  de  luxe.  S'ils 
ont  recours  à  ces  coalitions  perturbatrices  et  illégales,  qui 
nous  ont  fait  tant  de  mal,  la  nation  n  eu  restera  pas  tran- 
quille spoctalnce,  et   elle   ouvrira  ses  ports  aux  produits 


igo  Analyse  des  nouvelles  propositions ,  etc. 

industriels  des  peuples  A^oisins.  Il  est  du  devoir  du  Parle- 
ment Britaunique  d'apprendre  à  ces  hommes  abusés ,  qu'ils 
ne  sauraient,  sans  crime,  entraver  la  libre  distribution  du 
capital  et  du  travail.  Cette  liberté ,  qui  n'existe  pas  en  ce 
moment,  on  l'obtiendra  bientôt,  non  par  des  lois  pénales, 
mais  par  une  plus  grande  concurrence  entre  tous  ceux  qui 
nous  livreront  à  un  prix  raisonnable  les  fruits  de  leur  in- 
dustrie. Ces  motifs  suffiraient  pour  engager  la  chambre  à 
accueillir  favorablement  des  résolutions  qui  mettent  un 
terme  à  un  système  de  prohibition ,  dont  les  coalitions  d'ou- 
vriers ne  sont  pas  les  plus  funestes  conséquences. 

»  Je  désire,  a  dit  M.  Huskissou  en  finissant,  réduire, 
autant  que  possible  ,  les  droits  qui  grèvent  certains  articles 
de  consommation  qui  nous  sont  expédiés  par  les  n^gocians 
des  Indes  orientales.  Le  droit  sur  les  poivres  est,  en  ce 
moment,  de  5oo  p.  "/o  ;  il  est  de  2  sh.6  d.  (  plus  de  3  fr.  ) 
par  livre,  et  la  livre  ne  revient  qu'à  5  d.  (  5o  c.  ).  Cette 
taxe  énorme  n'a  d'autre  effet  que  de  diminuer  la  consom- 
mation et  d'encourager  la  fraude.  Je  propose  de  réduire  le 
droit  à  I  sh.  par  livre  ;  cette  mesure  encouragera  l'indus- 
trie dans  les  Indes  orientales ,  et  contribuera  au  bien-être 
d'un  pays  que  tant  de  charges  grèvent  encore. 

Par  le  bill  du  mois  de  mars  1825  ,  les  droits  sur  les  fei"s 
étrangers  avaient  été  considérablement  réduits  ;  ceux  sur 
les  vins  de  France  ont  été  réduits  ainsi  qu'il  suit  :  à  6  sh. 
par  gallon  (  environ  7  fr.  5o  c.  ) ,  et  à  6  sh.  6  d. ,  quand  les 
vins  sont  importés  sur  des  vaisseaux  étrangers.  » 

Les  propositions  de  M.  Huskisson  ont  été  unanime- 
ment adoptées  par  la  chambre  des  communes  et  par  cell<: 
des  lords. 


NOUVELLES  DES  SCIENCES, 

DE    LA    LITTÉRATURE,    DES    BEAUX-ARTS,    DU     COMMERCE, 
DES  ARTS  INDUSTRIELS,  DE  l'aGRICULTURE  ,  ETC. 


SCIENCES. 


Chimie  appliquée  aux  arts.  — On  est  enfin  parvenu  à  sou- 
raetlrc  à  l'analyse  le  carbone  pur.  L'échantillon  sui'  lequel 
on  a  opéré ,  a  été  obtenu  par  le  professeur  Mac  Neven  ,  de 
New-York,  au  moyen  du  déflagrateur  de  M.  Hares.  Il  con- 
siste en  (\eu-s.  globules  adliérens  d'inégales  dimensions  ,  de 
couleur  noire,  terne  et  opaque.  Lorsqu'on  le  frappe,  il  cède 
sans  casser,  il  reçoit  le  poli  du  ferj  il  donne  prise  à  la  lime 
comme  le  fer  et  l'acier  le  plus  tendre  ;  il  est  malléable  et 
obéit  aux  lois  du  magnétisme.  L'acide  nitrique  agit  vivement 
sur  lui.  L'analyse  de  ce  carbone,  faite  par  M.  Vauuxen , 
a  donné  pour  produit  un  oxlde  de  fer  au  maximum  et  un 
peu  de  silice.  La  proportion  du  silice  au  fer  est  à  peu  près 
de  II  à  5. 

Indigo. — Nous  devons  à  Bergman  l'analyse  jusqu'ici  la 
plus  exacte  de  l'indigo.  D'après  ses  expériences,  les  meil- 
leurs échantillons  d'indigo  offrent  à  l'analyse  47  P-  °/o  de 
pur  indigo,  i2  de  gomme,  6  de  résine,  22  de  terre  et  i5 
d'oxlde  de  fer. 

Une  analyse  faite  postérieurement  par  M.  Chevrcul,  sur 
le  meilleur  Guatimala  (  Annales  de  CJiiniie ,  t.  68  )  ,  donne 
47  p.  "/o  d'indigo  pur.  Quant  aux  matières  étrangères  qui 
s'y  incorporent,  les  résultats  de  ce  chimiste  dilTcrent  un 
peu  de  ceux  obtenus  par  Bergman.  Cette  différence  s'ex- 
plique par  la  diversité  des  procédés  employés  dans  chaque 


IÇ)'^  Nouvelles  des  sciences  , 

pays  pour  Textraclioii  Je  l'indigo ,  et  par  k-s  variétés  de 
la  plante  qui  fournit  celle  matière.  L'indigo  pur  constitue 
seul  la  matière  colorante.  Trois  chimistes  de  Glasgow, 
^IM.  Thompsoni,  Ure  et  W.  Crum  en  ont  publié  l'ana- 
lyse. Ils  ont  tous  adopté  ie  même  procédé,  qui  consiste  à 
Lrûl.'r  dans  un  tube  de  verre  de  couleur  verle ,  une  portion 
donnée  d'indigo  mis  en  contact  avec  l'oxide  noir  de  cuivre. 
L'indigo,  étant  bien  dissous  et  fondu  avec  l'oxide ,  on 
chauffe  l'appareil  au  point  de  consumer  le  carbone  et  l'hy- 
drogène de  l'indigo ,  et  de  dégager  l'azote.  La  quantité  de 
gaz  acide  carbonique  et  d'azote  produite  par  l'opération  et 
la  perte  que  l'oxide  subit  dans  son  poids ,  déterminent  les 
principes  constituans  de  l'indigo.  Les  résultats  suivans  ont 
été  obtenus. 

Le  docteur  Thompsom  a  trouvé  4o"^9  ^^  carbone,  1 5-4^'» 
d'azote ,  4^- 1 5  d'oxigène  et  point  d'hydrogène  ;  le  docteur 
Ure,  71-57  de  carbone,  10  d'azote,  i4"^7  d'oxigène  et 
5-38  d'hydrogène;  et  M.  Crum,  75-22  de  carbone  ,  1  1-26 
d'azote,  i5-6o  d'oxigène  et  2-92  d'hydrogène. 

On  voit  que  les  analyses  de  MM.  Ure  et  Crum  donnent 
à  peu  près  le  même  résultat,  el  que  celle  de  M.  Thompsom 
en  diffère  trop  pour  ne  pas  laisser  beaucoup  de  doutes  sur 
l'exactitude  de  leurs  expériences. 

Point  d'ëbullitioîi  des  liquides.  —  Il  résulte  de  quelques 
expériences  et  observations  récentes  que  le  point  d'ébuUi- 
tion  de  l'eau  et  des  autres  liquides  ,  n'est  point  aussi 
uniforme  sous  vm  égal  degré  de  pression  qu'on  l'avait  cru 
généralement;  car  il  est  démontré  que  si  l'on  introduit 
dans  un  liquide  chauffé  quelque  corps  solide ,  tels  que  des 
copeaux,  Jes  fragmens  de  verre,  des  particules  métalli- 
ques, ce  liquide  entve  en  ébuUition,  c'est-à-dire  se  vapo- 
risera à  une  température  plus  basse  qu'il  ne  l'eût  fait  sans 
cette  circonstance. 


du  coinmerce  ,  de  l'industrie  ,  etc.  iq5 

Un  procédé  semblable  a  long-tems  été  pratiqué  par  les 
fabricaus  qui  possèdent  des  machines  à  vapeur,  à  l'effet 
d'augmenter  et  d'accélérer  te  dégagement  de  la  vapeur. 
Mais  il  ne  paraît  pas  jusqu'ici  avoir  été  bien  compris  ,  et 
avoir  fixé  l'attention;  il  vient  d'élre  consigné  dans  une 
notice  curieuse,  et  signalé  comme  très-avantageux,  aux 
distillateurs ,  qui  peuvent  en  faire  la  plus  lieureu.se  appîi- 
catioji. 

STATISTIQUE. 

Taxe  des  panures. — La  taxepour  l'entretien  des  pau- 
vres a  été  ,  dans  l'anne'e  qui  se  termine  au  a5  mars  i8ii47 
de  6,  855,  655  llv.  st.  Elle  a  été  inférieure  de  94,  55^  liv.  st., 
H  cel'e  de  i822-a5  .  elde  2,  486,  4io  liv.  st. ,  à  cellede  181  j, 
époque  où  ce  genre  de  taxe  a  atteint  son  maxinuim. 

La  dépense  totale  supportée  pour  !es  pauvres,  en 
1825-24?  n'est,  au-dessous  de  celle  de  189/2-25^  que  de 
58,  742  liv.  st. 

Le  lernie  moyen  de  celte  dépense,  pour  les  trois  années 
antérieures  à  mars  i8i5,  a  été  de 6  ,  129,  844  l'v  st. 

Pour  les  trois  années ,  finissant  en  1 8 18 . 
de 6.  844^  290 

De  1818 à  1821 ,  de 7,272.535 

Et  enfin  de  1821  à  1824  ,  de 3.955,092 

La  dépense  pour  les  pauvres,  en  1825-24,  étant  de 
5,'i54,2i6  liv.  st.,  est  plus  faib'e  que  toules  celles  des 
années  postérieures  à  181 5,  et  n'excède  cellede  181 5  i\\\e, 
de9,7ioliv.  si. 

Dans  quelques  comtés,  la  taxe  des  pauvres  a  augmenté 
en  dlver.ses  propor lions  ;  dans  celui  de  Wilts  ,  par  exemple, 
elle  est  de  6  p.  "/„  ;  dans  celui  de  Berksde7  p.  %  ;  dans 
d'autres  de  (i  p.  "/o,  etc. 

Le  comté  deSussex  est  à  cet  égard  le  plus  chargé  relati- 
vement à  sa  population.  Ke  comté  de  Lancaslre  est  celui 
où  la  taxe  esl  plus  légère. 

I.  '  18 


igi  Noui>elles  des  sciences  f 

—^Indwidus  détenus  dans  les  prisons  d'Angleterre.  — 
D'après  un  rapport  fait  au  secrétaire  d'état  de  l'intérieur, 
(M.  Peel)  sur  l'état  des  prisons  en  1823  et  iSaS,  le 
nombre  des  prévenus,  écroués ,  était  en  1822,  pour 
l'Angleterre,  de  20,835;  pour  le  pays  de  Galles,  de  200; 
et  en  1823  ,  de  25^  pour  ce  dernier  pays  ,  et  de  2 1,84.9 pour 
l'Angleterre. 

Déportés  à  la  Nouvelle-Galles  du  Sud.  —  L'almanach 
qui  s'imprime  dans  la  colonie  anglaise  de  Botany-Bay  ou 
New  South  Wales,  et  qui  contient  les  noms  de  tous  les 
déportés  arrivés  dans  cette  colonie  eu  1824,  constate  que 
leur  nombre  total  est  pour  cette  année  degS'^. 

COBIMERCE. 

Commerce  de  la  Graiide  Bretagne.  —  De  l'état  officiel 
suivant  qui  a  été  déposé  sur  le  bureau  de  la  cbambre  des 
communes ,  il  résulte  que  le  montant  brut  des  valeurs  ex- 
portées dans  le  cours  de  l'année  dernière ,  excède  de  vingt- 
un  millions  sterlings,  celui  des  valeurs  importées  dans  cette 
même  année. 

Année  se  terminant  au  5  janvier  1825. 

Total  des  valeurs  importées  dans  la  Grande-Bretagne, 
liv.  sterl.  4-1,729,485  sh.  9  d. 

Valeurs  exportées  de  la  (»rande-Bretagne ,  savoir  : 

Liv.  st. 

Matières  premières  et  objets  fabrlque's  d'o- 
rigine tant  irlandaise  que  britannique.      51,718,60g    17  sb.  8  d. 
Matières  e'trangères  et  denrées  colonijjes..    ii,5o6,665      8        10 

Liv.  st 63,225,272      7  6 


I 


du  commerce  .  de  l'indusLrie ,  etc. 


195 


Etat  de  la  valeur  des  matières  exportées  dans  l' Amérique 
du  sud  dajis  le  cours  de  trois  années  se  terminant  au  5 
janvier  iSsS. 


1823 
1825 


Valeur  des  matières  exportées  de  la  Grande-Bretagne 
dans  rAme'rirjue  me'ridionale  (  y  compris  le  Mexique 
et  le  Brc'sil.  ) 


Produits  et   objets 

manufacturés    de   la 

Grande-Bretagne 

et  d'Irlande. 


3,166,071       II     7 

4,219,890      6  2 
5,563,434     18  7 


Matières  étrangères 
et  coloniales. 


122,384        12    5 

1 53,666      2  I 
3oi,888      8  3 


Produit  total  des 
matières    exportées. 


3,288,456 
4,373,556 

5,865,323 


L'état  ci-dessus  est  tiré  d'une  brochure  qui  vient  de  pa- 
raître à  Londres  ,  intitulée  :  a  Présent  opérations  andjuture 
prospects  qf  the  Mexican  mine  association ,  By  sir  William 
Rawson.n 

Celte  brochure,  dit  le  Blackwood' s  Magazine ,  du  mois 
de  juin,  présente  sous  un  point  de  vue  frappant  les  im- 
menses avantages  que  TAngletcrre  doit  retirer,  tant  sous 
le  rapport  commercial  que  politique ,  de  ses  relations  avec 
les  républiques  de  TAmérique  méridionale. 


Commerce  britannique  du  Levant,  —  D'après  les  états 
du  produit  des  douanes  anglaises,  qui  viennent  d'être  soumis 
au  Parlement,  le  montant  des  exportations  faites  au  Le- 
vant ,  pour  chacune  des  trois  dernières  années ,  est  ainsi 
qu  il  suit  : 

En  1822 972,447  liv.  st.      8  sh.      1  d. 

iSaS 1,274,2.57  iG  9 

1824 i,5()7,5o()  4  II 


igG  Nouvelles  des  sciences , 

Les  importations  du  Levant  dans  les  Iles  Britanniques 
ont  augmenté  dans  !a  même  proportion.  L'existence  d'une 
Compagnie  du  Levant  a  fait  jusqu'ici  peser  un  droit  de  trois 
pour  cent  sur  ce  commerce  ,  tant  en  ce  qui  regarde  les  im- 
portations que  les  exportations.  Mais  la  suppression  de 
cette  Compagnie  fera  à  l'avenir  disparaître  ce  droit. 

Situation  des  finances  de  la  Compagnie  des  Indes.  —  Il 
s'est  établi  depuis  peu  entre  VAsiatic  Journal  ei  Y  Oriental 
Herald  (  le  Héraut  de  l'Orient  )  (i),  deux  journaux  pu- 
bliés à  Londres,  une  poémique  assez  animée  à  l'occasion 
de  i'Sûvragë  de  M.  J.-B.  Say ,  intitulé  :  Essai  historique 
sur  l'origine ,  les  progrès  et  les  résultats  probables  de  la 
souveraineté  des  Anglais  dans  V Inde  ^  et  de  l'écrit  de  M.  de 
Sismondi  sur  le  même  sujet. 

Le  li*  ii4  de  \ Asiatic  Journal,  qui  vient  de  paraître, 
relève  quelques  erreurs  dans  lesquelles  seraient  lombes 
iMM.  Say  et  de  Sismondi  3  il  contient  en  même  teins 
l'analyse  d'un  écrit  nouveau  intitulé  :  Financial  situa- 
tion of  the  East  India  company  1824  ,  hy  Georges 
Tucker ,  esquire ,  sur  lequel  il  s'appuie  pour  réfuter  les 
allégations  de  M.  Say,  relatives  à  l'étal  financier  de  la 
Compagnie,  et  son  opinion  sur  l'importance  dont  les  pos- 
sessions de  l'Inde  sont  pour  la  métropole. 

M.  Say  a^ant  assuré,  dans  son  Essai  historique  ,  que  les 
finances  de  la  Compagnie  présentaient  un  déficit  annuel  de 
plus  de  2,000,000  st.  ;  V Asiatic  Journal  lui  oppose  les  états 
officiels,- produits  par  M.  ïuckcr ,  qui  embrassent  une 
période  de  vingt-buit  ans,  de  1792  à  1821.  D'après  ces 
éta's,  les  finances  de  la  Compagnie  présentent  au  contraire 
un  excédant  d'environ  a, 000,000  st, 

(i)Ons'abonue  à  ce  journal,  à  ia  librairie  orientale  île  MM.  Uondey- 
Dupre'  ,  père  et  fils  ,  rue  Saint-Louis,  n"  ^(> ,  au  Marais,  et  rue  Ri- 
chelieu ,  n°  4?  '"*• 


du  commerce  ,  de  l'industrie,  etc.  197 

Il  est  Jifîicile  de  rccuei'llr  des  notions  positives  sur  celle 
matière,  parce  que  la  Compagnie  n'est  pas  tenue  de  sou- 
mettre tons  les  ans  au  Parlement  un  compte  de  ses  financesj 
cependant  elle  fut  oblige'e  ,  en  i8i8  ,  d'en  présenter  un  état 
détaillé  ,  à  Teffet  d'obtenir  le  renouvellement  de  son  privi- 
lège ;  c'est  à  l'aide  de  ces  tableaux  que  M.  Tuckcr  a  pu 
établir  un  parallèle  entre  la  situation  commerciale  de  !a 
Compagnie  à  cette  époque  ,  et  sa  situation  actuelle. 

En  i8i4-i8i5  ,  l'actif  de  la  Compagnie  était  de.   22,787,034  liv.  st. 
Son  passif  de. 2,484,270 

Balance  en  faveur  de  l'actif 20,302,764 

De'duction  faite  du  montant  des  obligations  de 

l'Inde  (  India  Bonds  ) ,  ci 4>487,  «  70 

L'actif  se  réduit  à 1 5, 8 15,094 

En  1S22-1823,  l'actif  de  la  Compagnie  et  ùt  de..    26,878,165 
Passif 2,252,3o7 

Balance  en  faveur  de  l'actif. 1 4,625,858 

Déduction  faite   du   montant  des   obligations  de 

l'Inde  ,  ci 3, 937,72(1 

L'actif  se  réduit  à 20,688,12g 


Ainsi  l'actif  de  la  Compagnie,  de  i8i5à  1823,  a  aug- 
menté de  5,000,000  1.  st.,  et  son  passif  a  diminué  dans  la 
même  proportion.  En  retranchant  de  celte  somme  les  fonds 
nécessaires  à  ramorlissement  de  la  dette  territoriale  , 
l'auteur  a  réduit  a  3, 650,595  1.  st.  ,  ce  qui  donne  à  la 
Compagnie  un  surplus  annuel  de  4-5o,ooo  1.  D'après  ce 
calcul,  de  i8a3  à  1824  >  ItTine  de  son  privilège,  elle 
a,ccroîtra  ses  bénéfices  de  459-'^, 000  1.  st.  Compiète- 
ment  libérée  de  ses  obligations  de  llnde ,  et  riche  de 
'if\,'SoOfOOo  liv.  ,  elle  pourra  retirer  cel  énorme  capital  et» 


198  Nouvelles  des  sciences  , 

1834  )  ^'  Ï6  parlement  ne  cousent  pas  à  renouveler  son 
privilège. 

M.  ïucker  analyse  ensuite  les  divers  états  de  situation 
de  la  Compagnie,  considérée,  soit  comme  association  de 
commerce,  soit  comme  puissance  territoriale;  Texamen  de 
sa  situation,  sous  ce  double  rapport,  !e  conduit  aux  résul- 
tats suivans  : 

1°  En  tems  de  paix  ,  les  recettes  territoriales  de  la  Com- 
pagnie ,  déduction  faite  des  charges  locales  et  des  arrérages 
des  obligations  de  l'Inde,  peuvent  offrir  un  excédant  de 
2,000,000  liv. 

2°  Si  Ton  en  retranche  i,5oo,ooo  liv.  dépenses  rela- 
tives à  des  intérêts  territoriaux  ou  politiques  ,  le  revenu 
net  de  la  Compagnie,  provenant  de  la  possession  du  pays, 
sera  de  5oo,ooo  liv.  st. 

5°  La  deite  de  la  Compagnie  s'élevait,  au  5o  avril  1822, 
à  3 1,623, -20  liv.  st.  ,  ce  qui  entraîne  une  charge  annuelle 
de  1,896,524  liv.  st.  pour  le  service  des  intérêts. 

4°  Après  avoir  payé  les  dividendes  de  ses  actionnaires,  les 
arrérages  des  obligations  de  Tlnde,  et  pourvu  aux  frais  des 
établissemens  de  tout  genre  quelle  entretient,  tant  dans  la 
métropole  que  dans  Tlnde  et  ailleurs,  la  Compagnie  retire 
de  son  commerce  un  bénéfice  net  de  45o,ooo  liv.  st. 

5°  Ainsi ,  le  revenu  net  ;  territorial  et  commercial  de  la 
Compagnie  est ,  eu  tems  de  paix  ,  d'environ  un  million  st. , 
somme  dont  elle  peut  affecter  une  partie  à  l'acquittement  de 
sa  dette ,  et  l'autre  à  l'accroissement  du  capital  qu'elle 
consacre  à  ses  entreprises  commerciales. 

6°  Depuis  le  dernier  renouvellement  du  privilège  de  la 
Compagnie ,  le  total  annuel  de  ses  recettes  s'est  accru 
annuellemenl  d'environ  5, 000, 000  st. ,  malgré  les  guerres 
qu'elle  a  eu  à  soutenir. 

M.  Tucker,  après  avoir  retracé  les  circonstances  de  cette 
prospérité  financière,   fait  l'apologie  du  mode  de  gouvor- 


du  commerce  ,  de  L'industrie  ■)  etc.  igg 

nement  adopté  par  la  Compagnie  clans  ses  vastes  possessions, 
et  de  son  système  politique;  il  ne  cr.int  point  qu'elle  abuse 
de  sa  souverainelé ,  puisqu'elle  ne  l'exerce  que  sous  une 
responsabilité  réelle ,  et  dans  les  limites  que  défend  et 
surveille  une  biérarcliie  de  ;  ouvoirs  ,  qui  tous  relèvent 
du  peuple  anglais,  de  la  couronne  et  du  parlement  bri- 
tannique. 

Quant  à  celte  fausse  philantropie  ,  qui  nous  inviterait  à 
affranchir  le  peuple  hindou  de  tout  joug  étranger  pour  le 
rendre  au  bonheur  et  a  la  liberté,  dit  en  finissant  M.  Tuc- 
ker,  Il  me  suffit,  pour  la  combattre,  d'énoncer  cette  vérité  : 
que ,  quels  que  soient  nos  droits  sur  les  peuples  de  l'Inde , 
nous  les  gouvernons  mieux,  qu'ils  ne  se  gouverneraient 
eus-mémes,  et  que  notre  domination,  n'eût-elle  d'autre  effet 
que  de  prévenir  les  luttes  sanglantes  qui  probablement  s'é- 
lèveraient parmi  eux,  s'ils  étaient  livrés  à  eux-mêmes, 
devrait  être  considérée  comme  un  bienfait  pour  l'humanité. 

Iles  Philippines.  —  Une  lettre  de  Manille,  du  mois  de 
septembre  dernier ,  insérée  dans  un  journal  de  l'Ile  de 
France,  nous  apprend  que  cette  ville  a  perdu  une  grande 
partie  de  son  éclat,  depuis  que  Tiodépendance  du  Mexique 
a  détruit  tout  rapport  entr'elle  et  Acapulco ,  qui  lui  four- 
nissait tous  les  ans  une  somme  considérable  de  piastres 
fortfs.  A  Manille,  le  commerce  est  nul  et  l'argent  fort 
rare  5  les  vins,  les  liqueurs  de  tout  genre,  et,  en  général, 
les  denrées  alimentaires  sont  soumises  à  un  droit  d'entrée 
de  5o  p.  "/o  de  leur  valeur.  Les  marchandises  les  moins 
imposées  paient  lo  1/2  p.  "/o  ^  celles  qui  viennent  d'Es- 
pagne, sur  des  bâtimens  de  ce  pays,  sont  les  seules  qui  en- 
trent en  franchise.  Le  droit  de  5o  p.  "/o  a  été  établi  par  les 
cortès  i  ou  ignore  si  le  roi  le  supprimera. 


y.oo  yoiu'eUrs  des  sciences  , 

État  drs  exportations  des  tissus  de  coton  et  des  ùiiiies  filées 
proveiiantde  l'Angleterre,  dans  le  cours  destrois  dernières 

années. 


.  )      26,357,070  Liv.  st_ 
I  (  658,t)2(i,8-25  francs.) 


Tissus  de  coton.    23,{)38,26o  Liv. 
Laines  filées.  . . .      2,41 8,588 

l    Tissus  de  coton.    24,618,588  |      27,245,220  Liv.  si. 

)    Laines  fili'es. .. .      2,626,632  j  (68i,i5o,5oo  francs.) 

(    Tissus  de  coton.   26,880,937  )      30,019,284   Liv.   st- 

)    Laines  file'es.  ..  .      3,i38,357  1(750,482,100  francs.) 

Ainsi,  le  montant  de  Texportation  des  tissus  de  coton  et 
des  laines  filées  a  été  de  2,^-^45064  iiv.  st.  (69,35i,6oo  fr.  ) 
plus  considérable  eu  i8ii4  fJuVn  iSsS;  cette  différence  est 
due  principalement  aux  emprunts  de  Tétranger,  que  nous 
avons  rempli  Tannée  dernière  ,  en  valeurs  représentées  par 
les  produits  Industriels  que  nous  avons  exportés.  Ce  fait  ex- 
plique le  peu  d'activité  qui  semble  régner  cette  année  dans 
notre  commerce. 

Ktr.t  des  billets  de  la  Banque  d' Angleterre  en  circulation 
dans  les  années  iS'^D,    1824  e^  i825. 

Du  5  avril  iSaS  au  5  avril  1824... Liv.  st.    i8,g84,449    '0  sh.   i    il. 
Du  .3  avril  1824  au  2  avril  1825 10,092,009   i4         '' 

Moiwemens  des  ports. — On  vieut  de  soumettre  au  par- 
lement le  tableau  officiel  des  bâtimens  qui  sont  entrés  dans 
les  «orlsdc  la  Grande-Bretagne,  dans  le  cours  des  années 
1822,  1825  et  1824  ;  ce  lab'eau  indique  le  tonnage  de  cha- 
que bâtiment ,  et  le  noaibre  de  ses  matelots;  il  distingu;' 
les  navir.  s  anglais  des  navires  étrangers  ,  en  désignant  à 
quelle  puissance  appartient  chacun  de  ces  derniers. 

On  n'a  présenté  au  parlement ,  dans  le  cours  de  la  ses- 
sion actuelle ,  aucun  document  plus  intéressant  que  ces 
tableaux.  Il  nous  mettent  à  même  de  juger  de  qnelqiie.s- 


du  commerce ,  de  l'industrie ,  etc.  20 1 

uns  des  effets  produits  par  les  modifications  qu'a  subies  notre 
acte  de  navigation ,  et  d'apprécier  les  progrès  de  notre 
commerce. 

On  y  volt ,  par  exemple ,  que  le  nonil^re  des  matelots 
régnicoles,  employés  sur  nos  bàtimens,  a  été  de  98,976, 
en  1822;  de  112,244  en  1825 5  et  de  108,700  en  1824. 
Ainsi  ce  nombre,  en  1820  et  eu  1824,  a  été  supérieur  d'un 
dixième  environ  à  celui  de  1822. 

On  y  voit  aussi  que,  de  1822  à  1825,  le  nombre  des 
matelots  employés  sur  les  bâtimens  étrangers  qui  commer- 
cent avec  nous  ,  s'élève  de  28,000  à  42^000. 

Il  est  donc  clair  que  les  modifications  subies  par  l'acte 
de  navigation  ont  favorisé  les  intérêts  maritimes  de  la 
Grande-Bretagne,  bien  qu'elles  aient  été  plus  utiles  encore 
à  ceux  de  l'étranger.  Mais  il  suffit  que  les  relations  du  com- 
merce anglais  se  soient  étendues  pour  que  nous  ne  regret- 
tions pas  les  facilités  qu'il  a  offertes  aux  autres  peuples. 

Les  états  officiels  soumis  au  parlement  sont  précieux 
surtout,  en  ce  qu'ils  constatent  Is  avantages  que  le  com- 
merce a  retirés,  dans  chaque  payS;  des  nouveaux  rapports 
introduits  par  les  changemens  faits  au  code  maritime  de 
l'Angleterre.  Nous  y  voyons  que  la  NorAvège  ,  le  Dane- 
mark, la  Suède  et  la  Prusse  sont  les  pays  dont  la  prospé- 
rité maritime  a  été  le  plus  favorisée  par  ces  modifications  , 
el  qu'elles  ont  été  moins  utiles  à  ceux  dont  les  Anglais  ont 
le  plus  à  redouter  la  rivalité  commerciale.  Ainsi  la  marine 
norwégienne,  qui,  dans  ses  rapports  avec  eux,  n'em- 
ployait que  5,000  matelots,  en  emploie  aujourd'hui  0,000 
La  Prusse  en  eaiploie  5,826,  au  lieu  de  2^521  j  au  con- 
traire, la  France,  qui,  en  i8u2,  envoya  dans  les  ports 
7,694  matelots,  n'en  a  envoyé  que  7,4^7  en  1824,  ^^  ^^ 
marine  marchande  des  Ltats-Unis,  qui  desliuail  6,000  ma- 
telots à  ses  expéditions  pour  le  même  pays  ,  a  réduit  au- 
jourd'hui ce  nombre  à  ■■>.4oo  11  est  vrai  que  le  rommrrce 
I.  .9 


202  Nouvelles  des  sciences , 

de  celte  republique  avec  l'Irlande  occupe  aujourd'hui  4oo 

matelots  de  plus  qu'en  1822^  mais  les  émigrations  e'tant 

très  multipliées  dans  cette  [ortion  de  l'empire  britannique  , 

on  peut   croire  que  quelques-uns  des  matelots  de'signés 

comme  américains  sur  les  registres  de  bord  sont  réellement 

irlandais. 

Au  demeurant ,  les  étais  officiels  dont  nous  parlons  pré- 
sentent des  résultats  très-satisfaisans. 

—  liCS  fabricans  de  Nottiugbam  ont  présenté  dernière- 
ment, à  la  chambre  des  communes ,  une  pétition  pour  de- 
mander le  maintien  des  lois  actuelles ,  qui  interdisent  l'ex- 
portation des  machines. 

Voici  quelques  particularités  tirées  de  cette  pétition  : 

«  Les  métiers  pour  le  tissage  des  bas  de  coton ,  furent  in- 
ventés en  1 589  ;  dans  les  deux  cent  trente-six  années  écoulées 
depuis  celte  époque  ,  les  fonds  employés  à  Tachai  de  ces 
métiers,  sont  estimés  à  476,000  liv.  st.  (  11,900,000  fr.  ); 
et  ceux  employés  comme  salaire  des  ouvriers  qui  s'en  ser- 
vent, sont  estimésà  ^oomillious  st.  (5, 750,000,000 fr.) 

»  T^es  premières  pétitions  contre  l'exportation  des  ma- 
chines furent  présentées  au  parlement,  avec  des  pièces 
justificatives,  parles  fabricans  de  Nottingham  ,  en  165^, 
époque  du  protectorat  de  Crovuwell.  Elles  restèrent  alors 
sans  effet.  Chai^les  II  accueillit  favorablement  ces  mêmes 
demandes ,  lorsqu'elles  furent  renouvelées  à  l'époque  de 
la  restauration.  Mais  ce  n'est  que  soixante  ans  plus  tai'd 
qu'on  publia  des  lois  prohibitives  de  l'exportation  des 
machines. 

»  Le  nombre  des  métiers  employés  actuellement  à  la  fa- 
brication des  bas  de  coton  tant  en  Amérique  que  dans  les 
différeus  pays  de  l'Europe  ,  est  estimé  ainsi  qu'il  suit  : 

Aux  Étals  Unis  d'Amérique 1 20 

En  Espagne  ,  de  200  à 25o 


du  commerce-,  de  l'industrie.,  etc.  'u^b 

Eli  Allemagne  ,  en  Danemarck ,  en  Suètlc  ,  en 

Prusse  cl  en  Russie >  •  5,5oo 

En  Italie 2,5oo 

En  France .  de  8,000  à Q5O00 

Dans  la  Grande-Bretagne  et  en  Irlande 55, 000 

—  Les  compagnies  anglaises  qui  se  sont  formées  depuis 
peu,  et  dont  les  actions  ,  pour  la  plupart ,  sont  négociables, 
s'élèvent  au  nombre  de  cent  quarante-une,  dont  vingt  s'oc- 
cupent seulement  d'entreprises  relatives  à  T Amérique.  La 
Compagnie  ,  pour  reucouragenient  du  travail  par  mains 
libres  sous  les  tropiques  (  Tropical  Free  Labor  Company  )  , 
annonce  qu'elle  aura  un  capital  de  4  millions  sterlings. 
Trois  autres  destinent  cliacuneà  leurs  entreprises  un  capital 
d'un  million  et  demi  sterlings;  et  vingt-quatre  j  emploient 
chacune  un  capital  d'un  miliion.  Parmi  ces  entreprises, 
ou  en  voit  figurer  une  pour  Tencouragement  des  lettres  ; 
son  capital  est  de  100,000  liv.  st.  Les  capitaux  réunis 
de  tes  diverses  Compagnies  s'élèvent  à  la  somme  de 
6o,85o,ooo  liv.  st. 

INDUSTRIE. 

'Ponts  à  cordes  dans  l'Inde.  —  Ces  ponts  sont  appelés 
ponts  à  cordes  portatifs ,  tendus  et  suspendus  ;  quelques 
chevaux  suffisent  pour  en  transporter  les  matériaux.  Ces 
ponts ,  à  la  fois  champêtres  et  pittoresques  ,  n'ont ,  indé- 
pendamment des  deux  piles  principales  qu'on  place  à  quinze 
pieds  environ  des  bords  de  la  rivière  et  qui  forment  l(>urs 
points  de  suspension ,  d'autre  support  que  la  force  résul- 
tante delà  tension  des  cordes.  Cette  tension  est  obtenue  au 
moyen  d'une  ingénieuse  combinaison  de  cordages  gou- 
dropnés  de  difléreutes  dimensions  ,  placés  transversale- 
ment ,  et  dont  le  volume  diminue  à  mesure  qu'ils  se  rap- 
prochent du  centre  ;  c'est  sur  ces  cordages  que  repose  le 


2.04  NoiwelidS  (les  sciences  , 

plancher   du  poat,   lequel  esl  égalemeul,   portatif,   et  se 
compose  tle  liges  de  Lamlious  liées  Tune  à  l'autre.  Toutes 
ces  pièces  sont  exécutées  et  disposées  avec  beaucoup  d'a- 
dresse, et  leur  effet  est  calculé  avec  une  précision  matlié- 
nialique.  Un  grand  avantage   dans  ce  système,  c'est  que 
si  une  des  coi-dcs  casse ,  on  peut  la  remplacer  dans  un  quart 
d'heure,  sans  que  le  pont  soit  endommagé.  Le  principe  de 
ces  sortes  de  consîructions  est  l'action  perpendiculaire  de 
la  pesanteur,  et  il  est  d'une  absolue  nécessité  de  l'appli- 
quer dans  rinde ,  où  le  sol  est  mouvant,  et  offre  peu  de 
résistance.  Cependant ,  comme  tout  le  poids  de  ces  ponts 
repose  sur   deux  simples  points   d'appuis .   souvent  fort 
éloignés  l'un  de  l'autre ,  et  n'est  point  soutenu  entre  ces 
deux    distances  par   des   piles   ou  autres    supports,    leur 
construction  est  d'une  extrême  délicatesse.  Le  pont  à  cordes 
qu'on  avait  jeté  sur  le  torrent  de  Bei'aj ,   durant  les  der- 
nières pluies,   avait,  entre  les  deux  points  de  suspension, 
cent  soixante  pieds  de  longueur  sur  une  largeur  de  neuf 
pieds,  et  n'était  fermé  qu'aux  voitures  très-chargées.  Ce 
qui  caractérise  principalement  les  ponts  de  ce  genre ,  c'est 
la  combinai.son  de  la  légèreté  avec  la  solidité ,  et  le  con- 
cours de  chaque  partie  à  l'ensemble  du  système,  rigoureu- 
sement calculé  d'après  les  lois  de  la  statistique.  Il  faut  remar- 
quer qu'ici  le  pouvoir  de  tension  est  totalement  indépen- 
dant de  celui  de  suspension . 

Grand  canal  de  New-York.  —  Les  détails  suivans  sont 
extraits  d'un  rapport  fait  par  les  commissaires  do  l'admi- 
nistration de  ce  canal  pour  l'année  1824  aux  actionnaires 
de  cette  entreprise. 

On  estime  que  les  frais  de  construction  du  canal  de  New- 
York,  s'élèveront,  quand  ii  sera  achevé,  à  7,700,000  dollars 
(  4 1 ,734 ;POo  francs  ),  dont  l'intérêt  annuel  sera  de  4^0,000 
dollars  (2.276,400).   Ce  canal    a    une   étendue    de   255 


du  commerce  ,  de  l'industrie^  etc.  2o5 

milles,  [\o  pieds  de  largeur  et  4  de  profondeur.  Le  produit 
des  péages  imposés  sur  sa  navigation  dépasse  déjà  l'intérêt 
des  fonds  consacrés  à  cette  immense  entreprise.  On  pré- 
sume qu'au  moyen  de  ces  péages,  ces  fonds  seront  rem- 
boursés dans  dix  ans,  et  qu'alors  le  canal  produira  un 
revenu  net  de  i  ,600,000  dollars  (  8, 1 5o,ooo  fr.  )  ;  le  succès 
de  l'entreprise  eu  a  déjà  déterminé  dix-sept  du  même 
genre,  dans  le  seul  état  de  New- York 5  quelqvies-uns  des 
nouveaux  canaux  ne  seront  que  des  embrauchemens  du 
grand  canal. 

Grand  canal  projeté  entre  la  Manche  et  la  mer  d'Irlande. 
—  Le  projet  qu'on  a  formé  pour  unir  la  Manche  avec  la  mer 
d'Irlande  par  un  canal  d'une  grandeur  extraordinaire,  pa- 
raît devoir  enfin  s'exécuter.  Ce  canal  aurait  4o  milles 
d'étendue  et  il  abrégerait  de  4oo  à  5oo  milles  le  trajet  qui 
se  fait  maintenant  en  doul)lant  le  cap  appelé  Land's-End^ 
à  l'extrémité  sud-ouest  de  l'Angleterre. 

Le  bill,  concernant  le  projet  de  ce  cana'. ,  a  été  favo- 
rablement accueilli  au  Parlement.  Le  comité  chargé  de 
l'examiner ,  à  la  chambre  des  pairs  ,  en  a  trouvé  les  avan- 
tages svifBsamment  démontrés  et  en  a  proposé  l'adoption 
sans  aucun  amendement. 

Les  avantages  qui  paraissent  devoir  résulter  de  cette  en- 
treprise, sont  l'emploi  utile  d'un  grand  nombre  de  bras; 
une  réduction  considérable  dans  le  prix  des  objets  néces- 
saires à  la  vie ,  par  suite  des  facilités  qu'offrirait  ce  canal , 
et  les  communications  plus  promptes  qu'il  procurerait  au 
commerce  d'L-lande  et  aux  mineurs  du  pays  de  Galles. 

Dans  l'état  actuel  de  la  navigation  sur  ces  deux  bras  de 
mer,  les  bâtimens  sont  quelquefois  retenus,  par  suite  des 
gros  tems,  pendant  plusieurs  semaines,  dans  !cs  ports  ds; 
Sy^ansea  et  de  Miljord-llaven. 

Société  pour  l'enseignement  des  métiers  ■,  à  Calcutta, — 


2o6  Noiwelles  des  sciences^ 

On  forme  en  ce  moment,  sous  la  proteclion  de  l'évèque 
(le  Calcutta ,  une  société  pour  renseignement  des  métiers 
aux  enfans  des  indigeiis.  On  se  propose,  dans  ce  but, 
d'envoyer  quelques-uns  de  ces  derniers  en  Angleterre,  où 
ils  apprendront  certains  métiers ,  et  d'où  ils  reviendront 
ensuite  pour  les  exercer  dans  l'Tnde ,  et  les  enseigner  à  ses 
liabilans  ;  on  en  mettra  d'autres  en  apprentissage  chez  di- 
vers artisans  établis  à  Calcutta. 

AGRICULTURE. — ÉCONOMIE  DOMESTIQUE. 

Eau-de-i-'ie  de  pommes  de  terre.  —  Le  professeur  Oersted 
rend  compte  du  nouveau  procédé  de  Siemen  pour  la  fa- 
brication de  l'eau -de-vie  de  pommes  déterre,  généralement 
adopté  aujourd'hui  en  Allemagne  et  dans  le  nord  de  l'Eu- 
rope ,  et  à  l'aide  duquel  on  obtient  un  tiers  de  plus  d'eau- 
de-vie  que  par  la  méthode  ordinaire  j  les  pommes  de  terre 
sont  jetées  dans  un  grand  vaisseau  fermé,  et  exposées  à 
l'action  de  la  vapeur  ,  qui  les  échauffe  plus  que  l'eau  bouil- 
lante. On  peut  ainsi  les  réduire  aisément  à  une  pâte  très- 
fine  ,  en  se  bornant  à  les  remuer  avec  un  instrument  de  fer 
à  plusieurs  dents  5  ou  jette  ensuite  sur  cette  pâte  de  l'eau 
bouillante,  puis  une  légère  quantité  dépotasse,  à  laquelle 
on  a  dû  mêler  assez  de  chaux  vive  pour  lui  donner  un  goût 
caustique.  Ce  mélange  i^xisovXV albumen  végétal,  qui  s'op- 
pose à  la  conversion  complète  de  la  pâte  à  l'état  de  liquide. 
M.  Oersted  ôte  à  Teau-de-vie  de  pommes  de  terre  sa  saveur 
particulière  ,  au  moyen  du  chlorate  de  potasse,  qui ,  dit-on, 
lui  donne  le  goût  du  meilleur  brandevin. 

Procédé  employé  -pour  Juire  pousser  lesjleiirs  dans  l'hiver. 
— On  coupe,  à  l'aide  d'une  scie,  une  branche  d'arbuste  ; 
on  la  plonge  dans  une  eau  courante,  et  on  l'y  laisse  tremper 
pendant  une  lieure  ou  deux ,  à  l'effet  de  détacher  de  Té- 
oorce  le  givre  qui  peut  v  adhérer  ,  et  de  ramollir  les  bour- 


du  commerce ,  de  l'industrie  ,  etc.  lo'] 

geous  j  on  en  transporte  ensuite  une  branche  dans  une  pièce 
chauffée  à  la  tempëi'ature  ordinaire  de  nos  apparte- 
mens.  On  la  fixe  verticalement  dans  un  baquet  d'eau  ;  ou 
mêle  à  cette  eau  de  la  chaux  vive  qu'on  retire  douze  heures 
après ^  cela  fail,  on  y  verse  une  petite  quantité  de  vitriol 
pour  prévenir  la  putréfaction.  Au  bout  de  quelques  heures 
les  fleurs  commencent  à  poindre  ;  les  feuilles  poussent  à 
leur  tour.  Si  l'on  renforce  la  dose  de  chaux  ,  on  rend  la 
germination  plus  hâtive  ;  on  la  retarde ,  au  contraire,  si  on 
n'emploie  pas  de  chaux ,  et ,  dans  ce  dernier  cas ,  les  feuilles 
se  montrent  avant  les  fleurs. 

FAITS     DIVERS. 

f^oiture  du  chef  des  Birmans. — Cette  voiture  magnifi- 
que, ornée  d'émeraudes,  de  rubis  et  de  diamaus  ,  est  tom- 
bée dans  les  mains  des  Anglais  à  Tai'oy  ;  elle  a  été  trans- 
portée depuis  peu  à  Calcutta  et  vendue  à  l'encan,  -j,  ooo 
roupies.  Cet  objet  curieux  va  être  embarqué  pour  ïiOn- 
dres  :  on  le  destine  à  une  exposition  publique  (  i  ). 

Femme  briîléc  dans  l' Inde.  Nepaul,  le  '^janmer.  —  Lun 
des  neveux  du  général  indien  Beem-Syae ,  arriva  ici  vers 
la  fin  de  novembre  dernier ,  et  il  y  mourut  le  5  décembre. 
Le  jour  suivant  on  brûla  son  cadavre,  et  avec  lui,  deux 
de  ses  femmes  et  trois  jeunes  esclaves  du  même  sexe.  Mais 
ces  dernières  n'eurent  pas  l'honneur  de  périr  sur  le  bûcher 
dont  les  flammes  avalent  dévoré  le  corps  de  leur  maître. 
Suivant  l'usage  du  pays,  le  frère  du  défunt,  tenant  so:i 
neveu  daas  ses  bras,  alluma  le  jjûchej'  funèbre. 

Il  y  a  quelques  mois  qu'une  femme,  dont  le  mari  aval 
tué  son  amant,  s'est  précipitée  dans  les  (lammes  qui  con- 
sumaient le  cadavre  de  ce  dernier. 

(i)  Celte  voiture  est  maintenant  arriver  à  Londres. 


io8         Nouvelles  des  sciences  ^  du  commerce  ,  etc. 

BOURSE  DE  LONDRES. 
Cours  des  effets  publics  au  ilb  juin  iSaS . 

£aDck  Stock ' -iZi  1/2 

3  p.  0/0  réduits 91  7/8 

3  p.  "/o  consolides go  7/8 

Nouveau  4  P-  "Z** " *°4  '/^ 

3  et  i/a  p-  0/0  re'duits '. 98  7/8 

Longues  annuités ^3  7/16 


AOUT  1825. 
REVUE 

INDUSTRIE- 


DES    OUVRIERS    ET   DES   MACHINES    EN    FRANCE, 


La  chambre  des  communes  a  eu  à  débattre,  dans  sa  ses- 
sion de  1824  ,  Tétat  de  la  législation:  1"  sur  les  coalitions 
d'ouvriers  5  1°  sur  leur  émigration^  5°  sur  l'exportation  des 
machines.  De  nombreuses  enquêtes  ont  eu  lieu,  et,  après 
de  pénibles  recherches  ,  le  comité  a  proposé  de  modifier  les 
lois  sur  les  coalitions ,  de  manière  à  prévenir;toutes  les  ob- 
jections élevées  contr'elles,  et  de  révoquer  les  actes  du 
Parlement,  qui  défendaient  aux  ouvriers  de  quitter  le 
royaume  pour  exercer  leur  industrie  à  l'étranger.  Quant 
au  troisième  point,  le  plus  important  peut-être  ,  le  comité 
s'est  refusé  à  émettre  une  opinion^  mais  il  a  voté  une  nou- 
velle enquête  pour  la  session  présente  (i). 

Les  lois  actuelles  sont,  il  faut  l'avouer,  inefficaces  con.tre 

(1)  Ces  trois  objets  ont  occupe  le  Parlement  clans  la  session  de  182!). 
On  trouvera  n  l'article  des  Mélanges  l'exlrait  de  ses  re'solutions  sur 
«les  matières  <jui  inte'resaent ,  au  plus  Viaut  degrir ,  l'industrie  ma- 
nufacturière de  la  France. 

I.  14 


ïioo  Des  ouiTÏers 

ces  coalillous  d'ouvriers  qui  ont  dlclé  si  souvent  à  leurs 
maîtres  le  montant  du  salaire ,  l'heure  et  le  mode  du  tra- 
vail, etc.  Il  a  clé  prouvé  qu'à  l'exception  de  ceux  qui  sont 
employés  dans  les  fonderies  typographiques ,  il  n'y  a  pas, 
dans  les  trois  royaumes,  de  classes  d'artisans  qui  ne  soient 
régulièrement  organisées ,  et  qui  n'aient  des  fonds  pour  as- 
sister les  ouvriers  disposés  à  s'insurger  contre  leurs  maîtres. 
Le  corps  des  tailleurs  est  le  plus  nomhreux  et  le  mieux  dis- 
cipliné. La  masse  totale  des  ouvriers  est  divisée  en  deux 
classes,  sous  l'ahsurde  dénomination  àejlints  et  dujig  (cail- 
lou cijumier);  les  uns  reçoivent  un  salaire  fixe  de  tant  par 
jour,  et  les  autres  travaillent  à  tant  la  pièce.  Les  premiers 
ont  des  lieux  de  réunion  déterminés.  Chaque  assemblée 
choisit  un  député  :  ceux-ci  en  élisent  cinq  autres,  appelés 
le  town  (  la  ville  )  ,  dont  le  pouvoir  est  sans  limite  et  qui 
gouvernent  les  ouvriers  avec  toute  la  sévérité  de  la  disci- 
pline militaire.  Si  l'ordre  de  cesser  le  travail  est  secrète- 
ment transmis  à  ces  derniers,  ils  obéissent  sans  délibérer. 
Un  système  semblable  régit  tous  les  ouvriers  du  pays;  il 
est  fâcheux  d'ajouter  qu'à  peu  d'exceptions  près  il  a  at- 
teint son  but.  Ces  associations  se  sont  souvent  portées  aux 
excès  les  plus  vlolens  ;  on  a  même  cité  au  comité  plu- 
sieurs meurtres  commis  de  sang-froid,  entr'autres  à  Li- 
verpool  et  à  Dublin,  non  à  l'effet  d'amener  une  augmen- 
tation de  salaire,  mais  pour  donner  une  leçon  terrible 
aux  artisans  étrangers ,  qui  se  permettraient  de  chercher 
du  travail  dans  les  villes  où  ils  n'auraient  pas  fait  leur  ap- 
prentissage. 

Clen  que  les  lois  sur  les  coalitions  aient  manqué  leur 
but,  et  aient  été  mises  rarement  à  exécution,  l'effroi 
qu'elles  inspiraient,  lors.'ju  elles  étaient  appliquées ,  pro- 
duisait chez  les  ouvriers  un  sentiment  d'hostUilé  contre  les 
maîtres ,  et  nourrissait  leur  haine  contre  les  lois  de  leur 
pays.  Il  s'agissait  donc  d'éprouvrer  si  un  système  plus  doux 


,     et  des  machines  en  France.  uo  i 

et  plus  généreux  ne  produirait  pas  «.le  meilleurs  effets  ; 
aussi  un  assentiment  général  a-t-il  accueilli  le  bill  qui,  en 
abolissant  les,  lois  sur  les  coalitions  ,  a  prononcé  des  peines 
sévères  contre  les  artisans  qui  tenteraient  d'améliorer 
leur  condition,  à  l'aide  de  la  violence  ou  de  la  terreur. 

Le  second  point  était  peut-être  plus  aisé  à  décider  qne  le 
premier.  La  loi  contre  les  émigrations  d'ouvriers,  mal- 
gré sa  sévérité,  était  habituellement  violée.  En  efïet,  il 
n'était  pas  facile  de  l'exécuter ,  et  aucune  de  ses  disposi- 
tions ne  pouvait  forcer  les  émigrans  de  révéler,  au  mo- 
ment de  leur  départ ,  leur  métier  ou  leur  profession. 

Du  reste,  on  a  eu  jusqu'ici  des  idées  fausses  sur  le  nombre 
des  ouvriers  anglais  qui  sont  à  l'étranger.  Quelques  témoins 
entendus  dans  l'enquête  du  comité  portaient  ce  nombre 
très-haut.  Il  y  en  eut  un  entr'autres  qui  déclara  savoir 
que  16,000  ouvriers  avaient  traversé  le  détroit  en  1822 
et  1825.  D'autres  prétendaient  qu'il  .y  en  avait  de  5oo  à 
1 ,200  ;  dans  chacune  des  deux  grandes  usines  de  Charenton 
et  de  Chaillot. 

Quant  à  nous ,  nous  pouvons  assurer  que  le  nombre  des 
ouvriers ,  et  même  de  tous  les  sujets  anglais  résidant  en 
France  a  été  très-exagéré.  Il  varie  chaque  jour;  mais  on 
pent  l'estimer  approximativement  à  i5,ooo,  dispersés  en 
difféi-entes  villes;  les  relevés  faits  par  la  police  française  ne 
le  portent  pas  plus  haut.  Paris  en  possède  à  peu  près  i  ,800: 
ce  nombre  augmente  eu  été  ;  mais,  depuis  quelques  années, 
on  n'y  en  a  pas  vu  2.400  à  la  fois. 

IjCS  Anglais  résident,  pour  la  plupart,  en  France  par 
économie  ou  par  curiosité  ;  i,5ooou  i,4ooaup'lus  y  sont 
employés  comme  ouvriers.  Siu-  ce  nonibre  il  y  en  a  25o  à 
Charenton;  de  70  à  80  dans  les  fonderies  de  Paris;  et  de 
160  à  200  ,  dans  d'autres  ateliers  de  cette  capitale.  Le  reste, 
s'élevant  à  près  de  5oo,  est  réparti  dans  les  diverses  usines 
i\p.s  déparlemens,  telles  que  les  fonderies  de  l'Allier,   les 


aoi  Des  ouvriers 

filatures  de  Calais  et  de  Lille ,  les  fabriques  de  toiles  de  coton  à 
Saint-Quentin,  à  Rouen  et  en  Alsace.  Quoique  ce  nombre 
suffise  à  fournir  des  chefs  d'atelier  aux  dÎA'erses  manufactures 
de  France,  il  est  Insuffisant  pour  que  ceux  de  ces  établisse- 
mens  où  on  file  la  laine  et  le  coton ,  puissent  rivaliser  avec 
les  nôtres  j  d'autant  plus  que  les  ouvriers  anglais  qui  sont 
dans  ce  pays  ,  sont  aussi  employés  à  des  travaux  hydrauli- 
ques. D'ailleurs,  nous  tenons  de  plusieurs  d'entr'eux  que 
.  fréquemment  le  fabricant  français ,  après  avoir  fait  de  gran- 
des dépenses  pour  se  procurer  un  chef  d'atelier  anglais,  le 
force  d'abandonner  sa  propre  méthode,  pour  adopter  le  sys- 
tème imparfait  de  travaildans  lequell'usine  était  d'abord  ex- 
ploitée. Cette  mesure  insensée,  qui  trompe  si  étrangement  la 
destination  de  l'ouvrier  émigrant ,  semblerait  incroyable  y 
si  elle  n'était  attestée  par  les  fabricans  eux-mêmes. 

Ainsi ,  l'Angleterre  ne  recevant  aucun  préjudice  notable 
de  l'émigration  de  ses  artisans,  il  semblait  injuste  de  res- 
treindre le  champ  de  leur  industrie,  en  leur  refusant  le 
droit  de  porter  ailleurs  une  propriété  qui,  peut-être,  est 
la  seule  qu'Us  possèdent.  Cette  consldéi'atlon ,  jointe  à  l'im- 
possibilité d'exécuter  les  lois  existantes  contre  les  émigra- 
tions, a  fait  admettre,  sans  opposition,  le  blll  qui  les  abolit. 

Quant  à  l'exportation  des  machines,  cette  importante 
question  avait  été  ajournée  à  la  session  actuelle.  Avant  de 
pouvoir  la  décider,  il  faut  examiner  l'état  des  manufactures 
étrangères  et  le  comparer  avec  celui  de  nos  établissemens. 
Une  enquête  fort  étendue,  en  ce  qui  concerne  la  France, 
a  été  faite  devant  le  comité,  et  comme  ce  pays  est  et  sera 
long-tems  notre  unique  rival  par  sa  situation,  ses  manufac- 
tures ,  son  commerce ,  c'est  sur  son  industrie  que  porteront 
spécialement  nos  observations. 

Les  trois  branches  d'industrie  manufocturlère  qui  for- 
ment l'objet  capital  de  la  discussion  soumise  au  Parlement, 
sont  les  fdalur-es  de  coton,  les  fabriques  de  draps  et  de 


et  des  machines  en  France.  20?) 

soieries.  La  première  est  la  plus  importante,  tant  ea  An- 
gleterre qu'en  France.  Il  y  a  quarante  ans  que  le  système 
de  filature  par  niachiues  était  presqu' entièrement  inconnu 
dans  ce  dernier  pays.  Le  coton  y  était  filé  à  la  main,  prin- 
cipalement dans  les  districts  montueux,  où  la  main-d'œuvre 
coûte  très-peu  j  mais  la  majeure  partie  du  coton  filé  était 
fournie  par  l'Anglelerre  et  la  Suisse.  De  1786  à  1789,  on 
en  importa  pour  une  valeur  moyenne  de  25, 83 1, 253  fi\  , 
presque  tout  de  la  première  qualité.  Les  manufactures 
existantes  en  France,  à  cette  époque,  se  bornaient  à  des 
articles  de  fabrication  ibrt  grossiers ,  destinés  à  l'usage  des 
dernières  classes  du  peuple  ,  tels  que  les  toiles  de  Rouen  et 
de  Montpellier.  Depuis  cette  époque,  plusieurs  des  per- 
fectionnemens  mécaniques  adoptés  par  les  Anglais ,  l'ont 
été  en  France,  quoique  imparfaitement.  On  a  créé  de  nou- 
velles manufactures,  et  la  guerre  ,  ayant  pendant  long-tems 
rompu  toute  communication  avec  la  Grande-Bretagne  ,  a 
forcé  les  Français  à  filer  eux-mêmes  les  cotons  qu'ils  tiraient 
auparavant  de  nos  filatures.  Napoléon ,  en  suivant  un  sys- 
tème qui,  selon  lui,  devait  ruiner  son  plus  redoutable  en- 
nemi et  ajouter  à  la  gloire  de  son  règne ,  cbercha,  par  des 
prohibitions  et  des  primes ,  à  donner  une  nouvelle  activité 
aux  manufactures,  et  il  y  réussit  jusqu'à  un  certain  point. 
Des  machines ,  h.  la  vérité  imparfaites ,  sont  aujourd'hui  gé- 
néralement employées  en  France.  Ses  fabricans  peuvent 
fournir  au  consommateur  la  plupart  des  articles  dont  ils  ont 
besoin  ;  il  en  est  pourtant  quelques-uns  qu'ils  sont  incapables 
de  produira.  Ainsi ,  par  exemple ,  les  vrais  nankins  de  l'Inde 
ont  été  admis  depuis  la  loi  du  28  avril  1816 ,  moyennant  un 
clroit  de  douane  de  5  fr.  par  kllog. ,  et  cette  mesure  à  fait 
abandonner  la  fabrication  du  nankin  dans  les  dcpartemens 
de  l'Ain  ,  de  la  Seine-Inférieure ,  de  la  Somme  et  du  Nord  , 
qui«n  fournissaient  i,5oo,ooo  pièces  par  an. 

Les  autres  branches  de  l'industrie  manufacturière  sont 


2(j4  Des  ouvriers 

exploitées  spécialement  daus  les  départemens  du  Nord,  du 
Pas-de-Calais,  de  l'Aisne,  de  la  Somme ,  de  Seiue-et- 
Oise  ,  de  la  Seiue-Inférieure,  de  la  Seine,  du  Calvados  ,  du 
Haut-Rhin ,  du  Bas-Rliin ,  de  l'Aube  ,  du  JRhoue ,  de  la 
Loire,  du  Gard,  de  l'Hérault  et  quelques  autres. 

Les  principales  manufactures  sont  situées  à  Saint-Quen- 
tin ,  à  Lille  et  dans  le  voisinage  de  ces  deux  villes.  En 
1812,  les  lilatures  des  seuls  départemens  de  l'Aisne  et  du 
Nord  (i)  étaient  plus  productives  que  toutes  celles  du  reste 
de  la  Fi'ance.  Quoique  la  même  production  n'existe  plus  ^ 
néanmoins  Lille  ,  et  les  petites  villes  de  Roubaix  et  de 
Turcoing,  sont  encore  au  rang  des  districts  manufacturiers 
les  plus  florissans  du  royaume. 

Cependant ,  ni  Lille ,  ni  Saint-Quentiu  ne  fournissent 
beaucoup  de  tissus  de  laine  et  coton.  Le  produit  des  fda- 
lures  de  Saint-Quentin  est  livré  aux  paysans  du  voisinage  j 
il  en  est  de  même  à  Lille,  à  Aubenton,  à  Saint-Michel  et 
dans  d'autres  villes  des  départemens  de  l'Aisne  et  du  Pas- 
de-Calais.  Presque  toutes  les  chaumières  ont  un  métier  j 
et  lorsque  les  cultivateurs  ne  peuvent  vaquer  à  leurs  tra~ 
vaux  agricoles,  ils  se  livrent  à  la  fabrication  des  grosses 
étoffes ,  qui  forment  le  produit  principal  de  ces  départe- 
mens. A  Lille ,  une  portion  des  cotons  est  tissée  dans  la 
ville ,  et  les  numéros  les  plus  fins  sont  envoyés  aux  manu- 
factures de  Tarare ,  près  Lyon. 

Rouen  est  également  célèbre  par  les  tissus  connus  sous 
le  nom  de  rouenneries ;  et  il  tire  un  grand  avantage  du 
voisinage  du  Havre ,  qui  reçoit  la  majeure  partie  des  co- 
tons importés  en  France. 

La  consommation  manufacturière  des  cotons  filés  a  beau- 
coup diminué  à  Paris  et  dans  le  voisinage.  Cej.endant   la 

(i)  Il  y  a  ici  une  erreur.  Les  filatures  de  coton  de  Kouen  cl  des  en- 
virons e'iaient,  à  cette  époque,  et  sont  encore  les  plus  considérables. 
Celles  de  l'Aisne  e'taicnl  alors  très-peu  nombreuses.  C. 


et  des  machines  en  France.  ao5 

manufacture  de  Jouy,  pour  ses  tissus  imprimés ,  est  tou- 
jours florissante.  Elle  a  été  fondée  par  M.  Oberkamf ,  qui, 
le  premier  peut-être,  à  exploité  avec  succès  cette  branche 
d'industrie.  M.  Wldmer  a  ,  depuis  peu ,  par  ses  découvertes 
chimiques  dans  l'art  de  la  teinture,  procuré  une  grande 
extension  à  la  vente  de  ses  produits.  L'élégance  des  des- 
sins et  la  beauté  des  couleurs  les  ont  placés  immédiate- 
ment au-dessous  des  tissus  de  coton  de  l'Alsace  ;  et  ils  sont 
à  bien  meilleur  marché  (i). 

Les  tissus  de  cotons  exportés  de  Paris  ,  de  1819  a  1822  , 
représentaient  les  valeurs  suivantes  : 

En  1819,  708,108  fr.  dont,  en  tissus  imprimes 489,701  fr. 

En  1820  ,  476)987 Id 306,226 

En  i8ii  ,  a55,83o , Id. . , 173,200 

Plusieurs  des  filatures  et  ateliers  de  tissage  de  Paris  ont 
été  abandonnés,  et,  dans  presque  tous  les  ateliers  conservés, 
on  a  dû  recourir  à  l'emploi  des  machines  à  vapeur  j  mais 
malheureusement  il  est  bien  peu  de  fabrlcans  qui  aient  eu 
assez  d'habilité  ou  de  capitaux  pour  tirer  avantage  de  ce 
mode  d'exploitation. 

En  Alsace ,  les  manufactures  sont  bien  plus  florissantes  , 
et  quoique  les  progrès  de  leur  prospérité  ne  soient  pas 
aussi  rapides  qu'ils  l'étaient  d'abord  ,  ils  ne  laissent  pas  que 
d'être  sensibles.  Ces  progrès  n'auront  rien  de  surprenant 
si  l'on  considère  l'excellente  qualité  des  produits  fournis 
par  ces  usines.  Sous  certains  rapports,  et  notamment  sous 
celui  du  teint,  elles  l'emportent  sur  les  manufactures  an- 
glaises. A  la  vérité  elles  nous  sont  inférieures  pour  la  fa- 

(1)  La  manufacture  de  Jouy  n'appartient  plus  à  la  famille  Obcr- 
kamf  depuis  cinq  ou  six  ans.  Le  nouveau  proprie'taire  a  adopte  uii 
autre  ^cnrc  de  produits  ,  moins  soignes  et  moins  cliers  que  ceux  que 
MM.  Obcrkamf  et  Widracr  y  ont  fabriques  autrefois.  C. 


noO  Des  ouvriers 

l)ricalion  des  étoffes  bleues  ;  mais  elles  ont  une  grande  supé- 
riorité dans  les  andrinoples  (rouge  de  Turquie).  Jamais, 
en  effet,  nos  teinturiers  n'ont  su  donner  à  cette  couleur 
autant  d'éclat  et  de  solidité  que  les  ouvriers  de  TOrient  et 
de  l'Alsace. 

Du  câté  de  Lyon ,  les  manufactures  de  soie  ont  beaucoup 
nui  à  celles  de  coton.  Des  circonstances  particulières  ont 
cependant  favorisé  ,  à  Tarare ,  une  branche  de  cette  der- 
nière industrie,  celle  des  mousselines  fines  ;  c'est  peut-être  li^ 
seule  ville  du  royaume  qui  s'y  livre  j  et  nous  pouvons  ga- 
rantir sa  prospérité,  aussi  long-tems  que  le  svstème  actuel 
des  douanes,  en  Fi'ance  ,  ne  sera  pas  modifié.  Les  principales 
manufactures  de  colons ,  dans  le  Midi ,  sont  employées  à 
fabriquer  des  bas  ;  Nîmes  et  Montpellier  en  exportaient 
anciennement  pour  des  sommes  très-considérables.       * 

Outre  les  départemens  que  nous  venons  de  citer,  il  eu 
est  beaucoup  d'autres  qui  possèdent  des  filatures,  ou  bien- 
dans  lesquels  les  gens  du  peuple  filent  le  coton  sans  le  se- 
cours des  machines.  Ces  départemens  alimentent  en  grande 
partie  la  consommation  de  rintérieur. 

Il  serait  difficile  de  déterminer  à  quelle  valeur  s'élèvent 
I<;s  produits  de  cette  branche  d'industrie  ;  il  n'est  pas  aisé 
non  plus  de  préciser  le  nombre  de  filatures  exploitées  en 
France,  et  celui  des  broches  que  contient  chacune  d'elles. 
En  1812,  il  y  avait  1,028,642  broches,  donnant  annuel- 
lement io,446;526  kilog.  de  fil.  Nous  pensons  qu'aujour- 
d'hui on  y  compte  une  centaine  de  filatures  considérables  '•, 
un  grand  nombre  d'établissemens  du  même  genre  ,  moins 
importans;  de  80,000  à  go, 000  métiers  à  tisser  j  et  de 
12,000  à  i5,ooo  métiers  à  bas.  Depuis  1812,  l'importation 
du  coton  brut  en  France  ayant  pris  une  plus  grande 
extension ,  il  est  probable  que  le  nombre  de  broches  s'est 
accru;  peut-être  aussi  le  perfeclionncraent  des    machines 


rA  dus  machines  cm  Fravcc.  207 

a-t-11  suffi  pour  occasionner  une  plus  grande  consommation 
de  cotons  bruts. 

Malgré  de  récentes  améliorations  ,  et,  il  faut  le  dire  aussi, 
malgré  les  soins  que  le  gouvernement  s'est  donnés  ,  les  ma- 
chines pour  la  fabrication  des  étoffes  de  coton  sont  restées 
imparfaites  chez  nos  voisins  j  les  meilleures ,  à  très-peu  d'ex- 
ceptions près  ,  ne  valent  pas  celles  qui ,  chez  nous  ,  seraient 
reconnues  insuffisantes. D'ailleurs  les  fahricans  français  sont 
en  général  très-négligens  quand  il  s'agit  d'y  faire  les  répara- 
tions convenables.  Si  l'une  des  pièces  se  dérange  ou  remplit 
mal  sa  destination,  ils  continuent  de  se  servir  de  la  machine 
jusqu'à  ce  qu'elle  soit  hors  d'état  de  donner  un  produit 
même  défectueux;  mais  alors  la  réparation  en  devient  im- 
possible ,  ou  exige  une  dépense  équivalente  au  prix 
d'achat. 

Ils  choisissent  avec  aussi  peu  de  discernement  la  force 
motrice  ;  et  il  en  est  bien  peu  qui  fassent  usage  de  la 
vapeur.  Ils  emploient  des  moteurs  hydrauliques,  lorsqu'ils 
peuvent  disposer  d'un  courant  d'eau.  Dans  les  pays  plats , 
ils  se  servent  de  chevaux,  parfois  même  des  bras  de 
l'homme.  Ainsi,  dans  le  département  de  la  Seine-Inférieure, 
il  y  a  cent  neuf  fdatures  situées  sur  des  ruisseaux 5  il  en  est 
de  même  en  Alsace ,  où  les  manufactures  de  coton  rivali- 
sent le  plus  avec  celles  de  l'Angleterre.  Les  principales 
sont  établies  sur  des  torrens  qui  descendent  des  Vosges  ,  et 
elles  sont  exposées  à  tous  les  inconvéniens  qui  naissent  de 
leurs  débordemens  et  de  leur  dessèchement,  suivant  le 
caprice  des  saisons. 

Dans  les  plaines  de  Lille,  les  machines  sont  mues  par 
des  chevaux  ou  par  l'action  du  vent.  On  voit  aux  portes 
de  Lille  plusieurs  centaines  de  moulins  à  v^nt,  dans  les- 
quels ou  fabrique  rhulle  de  pavot,  de  navet  et  de  trèfle j 
mais  la  ville  ne  possède  que  dix  ou  douze  machines  à  va- 


:io8  Dâs  oiwrlers 

peur.  Salnt-Quenlin  est  une  des  villes  manufacturières  de 
France  où  on  en  fait  le  plus  usage. 

Le  département  de  la  Seine  possède  cinquante-une  machi- 
nes à  vapeur,  savoir  :  trente-cinq  à  Paris  j  huit  dans  l'ar- 
rondissement de  Sceaux  3  huit  dans  celui  de  Saint-Denis. 
Plusieurs  de  ces  machines  sont  en  activité  à  Charenton  et 
dans  quelques  fonderies;  d'autres  sont  employées  à  élever 
l'eau.  Il  y  en  a  une  aussi  dans  une  fabrique  de  chocolat 
de  la  rue  Richelieu  ;  sa  force  motrice  est  la  moitié  de 
celle  d'un  cheval. 

Cet  éloignement  pour  l'emploi  de  la  vapeur  qui  non- 
seulement  ajoute  aux  dépenses  de  la  filature,  mais  qui 
empêche  de  donner  aux  fils  la  parfaite  égalité  qu'ils  obtien- 
draient  d  un  moteur  uniforme,  peut  être  attribuée  en 
partie  au  haut  prix  des  machines;  mais  il  est  dû  aussi  à  la 
mauvaise  qualité  du  fer  et  à  une  exécution  défectueuse.  Les 
accidens  produits  par  ces  machines  ne  sauraient  populariser 
l'application  de  la  vapeur.  Ija  modicité  des  salaires  rend 
d'ailleurs  le  fabricant  moins  attentif  à  cette  économie  de  la 
main-d'œuvre  qui  a  tant  contribué  à  la  prospérité  des  ma- 
nufacturiers anglais. 

IjC  travail  par  machines,  tout  imparfait  qu'il  est  aujour- 
d'hui chez  nos  voisins,  l'était  bien  davantage  lorsque 
M.  Chaptal  fut  nomme,  sous  Napoléon,  ministre  de  l'in- 
térieur. La  France  doit  beaucoup  à  ses  efforts,  et  surtout 
aux  encouragemens  que  le  gouvernement  de  cette  époque 
a  donnés  à  toutes  les  branches  d'industrie  dont  le  perfec- 
tionnement pouvait  nuire  à  l'Angleterre. 

Depuis  lors,  et  principalement  durant  les  trois  années 
qui  viennent  de  s'écouler,  l'état  florissant  du  commerce  des 
cotons  s'est  sensiblement  altéré.  Pendant  le  cours  de  ces 
trois  années,  ni  les  droits  dédouanes,  ni  la  main  d'œuvre 
n'ont  diminué;  les  machines  n'ont  été  que  fort  peu  améJio- 


et  des  machines  en  France.  ^iog 

rces  j  ou  n'a  point  importe  une  plus  grande  quantité  de 
matières  premières  ;  la  valeur  n'en  a  point  été  réduite ,  et 
pourtant  le  prix  des  étoffes  de  coton  a  décliné  sensible- 
ment. Partout  en  France,  excepté  en  Alsace  et  à  Tarare, 
les  fabrlcans  se  plaignent  du  mauvais  état  du  commerce  i 
partout  on  montre  de  la  répugnance  à  former  de  nou- 
veaux,  établissemens.  Dans  quelques  places,  et  spécia- 
lement à  Paris  ,  plusieurs  ont  été  abandonnés  ,  comme 
ne  donnant  pas  assez  de  bénéfices  pour  le  capital  qu'on  y 
employait. 

Et  cependant  le  gouvernement  protège  cette  brancbe 
d'industrie^  car  il  a  prohibé  l'importation  des  produits  du 
coton,  à  l'exception  du  véritable  nankin  des  Indes.  Il  est 
vrai  aussi  que  les  fabricans  qui  confectionnent  des  mousse- 
lines et  autres  tissus  du  genre  le  plus  fin  et  le  plus  léger , 
doivent  nécessairement  tirer  de  l'étranger  les  qualités  de 
fil  qui  leur  sont  propres.  Ainsi ,  à  Lille  ,  où  le  voisinage  des 
frontières  rend  la  fraude  très-aisée ,  beaucoup  de  fabricans 
font  passer,  sous  le  couvert  de  leurs  produits  les  plus  fins , 
ime  grande  quantité  de  cotons  anglais,  importés  par  la 
Belgique 5  et,  à  Tarare,  les  employés  des  douanes  ont  ordre 
de  ne  pas  inquiéter  les  manufacturiers,  dont  plusieurs  ne 
font  usage  que  des  mêmes  matières. 

Avant  la  révolution,  la  France  était  sous  la  dépendance  de 
l'Angleterre  pour  les  étoffes  de  coton  qu'elle  consommait  j  la 
valeur  moyenne  de  ses  importations  était,  en  1787  ,  1788 
et  1789,  de  58,962,466  fr. ,  dont  près  de  25,000,000  en 
cotons.  Depuis  ce  tems  l'importation  de  ce  dernier  article  a 
graduellement  diminué.  De  180G  à  i8i2,  elle  était,  par  an, 
de  1,472,028  fr. ,  taux  moyen,  et  de  1820  à  1823,  elle 
n'a  été  que  de  135,670  fr.  Dans  ce  compte  nous  faisons 
abstraction  des  tissus  introduits  par  contrebande  j  il  y  en  a 
toujours  eu  une  quantité  plus  ou  moins  considérable,  et  dans 


2IO  Des  omrîers 

ces  derniers  tems,  la  France  en  a  été  inondée  malgré  tous 
les  efforts  des  douaniers. 

Voici  l'état  sommaire  des  importations  et  exportations 
de  1820  à  1824. 

IMPORTATION. 


Cotons  bruli 

;.       Valeurs. 

Cotons  ma- 
nufacture's. 

Valeurs. 

(  Kilogramme?. 

) 

(  Kilogramme?:.' 

) 

1820 

20,2o3.,  Il4 

47.579>47o  fr- 

26,116 

241,160  fr 

I82I 

2i,586,6i5 

53,279,296 

27,365 

273,650 

i8ia 

a  1 ,372,412 

51,700,829 

7,9" 

79,222 

1823 

2o,3.ï3,i52 

48,019,^70 

i4,o65 

i4o,65o 

faus  moy 

en.  20,928,823 

50,157,391 

EXP0RT.\TI0N. 

18,867 

183,670 

Cotons 

Valeurs. 

Cotons 

Valeurs^ 

manufacture's. 

bruts. 

(Kilogrammes.) 

( 

'Kilogrammes.  ) 

1820 

1,430,490 

26,333,210  fr. 

10,868 

38,000  fr. 

1821 

1,168,346 

19,788,514 

i5,797 

55,290 

1822 

1,168,119 

20,668,358 

13,996 

49,884 

i8a3 

i,38i,477 

24,890,740 

24,489 

85,710 

aax  moyen.  1,287,108 

22,927,705 

16,287 

57,221 

On  voit,  par  ce  tableau,  que  la  France  consomme  la  pres- 
que totalité  du  produit  de  ses  manufactures  de  coton. 

Les  manufactures  de  laine,  presqu'aussl  importantes 
que  celles  de  coton  ,  se  distinguent  de  ces  dernières,  par  la 
facilité  avec  laquelle  elles  peuvent  se  procurer  les  matières 
premières.  Les  trois  quarts  des  laines  consommées  par  la 
France  sont  indigènes  j  et  une  grande  partie  de  leurs  tissus, 
spécialement  les  plus  grossiers,  sont  fabriqués  par  les 
paysans,  pour  les  besoins  du  commerce,  ou  pour  leur 
propre  usage.  Quant  aux  manufactures  publiques,  qu'on 
nous  passe  l'expression ,  elles  sont  très-nombreuses  ;  les 
principales  sont  situées  à  Louviers,  Sedan  et  Abbeville, 
pour  la  fabrication  des  draps  fins 3  et,  pour  les  gros  draps, 


et  des  machines  en  France.  ixv 

à  Elbeuf,  Carcassonne  et  Lotiève.  Reims  et  Paris  possè- 
tlent ,  indépendamment  de  bien  d'autres  branches  d'indus- 
trie, des  manufactures  de  schalls  et  autres  tissus  de  mérinos. 

C'est  à  Elbeuf  qu'on  a  fait  les  premiers  essais  dans  la 
fabrication  des  draps.  On  voit  encore  dans  l'église,  Saint- 
Etienne,  qui  fut  bâtie  en  1248,  des  vitraux  gothiques 
représentant  des  métiers  à  tisser  et  des  hommes  qui  sont  à 
^'ouvrage.  L'église  Saint-Jean  possède  également  un  tableau 
en  vitrages  peints ,  donné  par  la  compagnie  des  fabricans 
<le  draps  d'Elbeuf ,  dans  lequel  on  remarque  une  machine  à 
tondre  les  draps ,  et  une  autre  hérissée  de  tctes  de  chardons. 

Malgré  leur  antique  origine,  les  machines  pour  la  fabri- 
cation des  draps  sont  généralement  défectueuses  :  ce  n'est 
qu'en  i8o4  ^^  celles  à  carder  ont  été  introduites  en  Erance. 
Les  filatures  de  laine  ont  en  général,  pour  moteurs,  des 
«ourans  d'eau  ou  des  chevaux;  à  Elbeuf  et  dans  les  en- 
virons, on  en  voit  plusieurs  situées  sur  des  ruisseaux;  une 
vingtaine  est  mue  par  tles  chevaux,  et  onze  seulement 
par  la  vapeur. 

M.  Ternaux  ,  ancien  député  de  Paris  ,  est  le  premier 
fabricant  de  France.  Par  l'importance  de  ses  entre- 
prises et  les  capitaux  énormes  qu'il  y  consacre,  il  laisse 
tous  ses  concurrens  j>ien  loin  derrière  lui.  Il  a  vingt-deux 
établlssemens  employés  à  diverses  branches  d'industrie  ma- 
nufacturière et  répartis  dans  plusieurs  villes  ;  il  en  a  quatre 
à  Reims,  deux  à  Louviers,  deux  à  Sedan,  à  Liège,  etc.,  etc. 
Quoiqu'il  possède  tous  les  capitaux  que  ces  établlssemens 
exigent,  il  n'a  pas  encore  jugé  à  propos  de  les  concentrer 
sur  un  seul  point,  ni  d'en  créer  un  assez  grand  pour  l'in- 
demniser des  dépenses  qu'entraînerait  son  exploitation  à 
l'aîde  de  la  vapeur.  Au  lieu  de  1*2000  ouvriers  qu'il  employait 
ily  a  vlngtans,  il  n'en  emploie  aujourd'hui  que  6,000,  grâce 
aux  perfectlonnemens  de  ses  machines. 

M.  Ternaux  donne  en  ce  moment  tous  ses  soins  à  nn 


■21 'JL  Des  oiwriers 

genre  de  faLrication  inconnu  jusqu'ici  en  Europe  (i  ):  c'est  la 
confection  des  sclialls  de  cachemire.  Il  a  importé,  à  grand 
frais  et  à  travers  d'immenses  difficultés  ,  du  Thibet,  d'An- 
gola et  autres  contrées  de  l'Orient,  un  certain  nombre  de 
chèvres  dont  le  duvet  compose  ces  sclialls  célèbres;  elles 
se  sont  parfaitement  acclimatées  en  France;  elles  s'y  propa- 
gent et  le  troupeau  s'augmente  tous  les  jours.  Leur  nour- 
riture étant  très-frugale  et  se  composant  de  ce  que  d'autres 
animaux  rebuteraient ,  de  feuilles  de  châtaignier,  de  mau- 
vaises herbes,  etc.,  leur  entretien  ne  coûte  presque  rien. 
M.  Ternaux  en  a  un  troupeau  de  cent  têtes  à  Saint-  Ouen, 
près  Paris  ,  un  autre  plus  nombreux  au  pied  des  Pyrénées  , 
et  un  ou  deux  autres  moins  considérables  dans  d'autres  dé- 
partemens;  il  vend  annuellement  de  70  à  80  chèvres. 
Comme  le  poids  du  duvet  que  lui  fournit  chacun  de  ces 
animaux  est  tout  au  plus  de  trois  onces  et  demie  ,  et  qii'il 
essaie,  en  ce  moment,  si  en  croisant  les  races  de  Tiljet  et 
(l'Angola ,  il  n'en  obtiendra  pas  une  plus  grande  quantité, 
il  ne  peut,  quant  à  présent,  fabriquer  un  grand  nombre  de 
schalls  de  pur  duvet. 

Le  ministère  de  M.  Chaptal  rendit  aux  manufactures 
de  draps  le  même  service  qu'aux  filatures  ;  mais  cette  tâche 
était  bien  plus  aisée  par  la  facilité  avec  laquelle  on  peut , 
en  France,  s'approvisionner,  à  bon  marché,  de  laines  in- 
(lliîèues.  Le  premier  objet  que  se  proposa  M.  Chaptal,  fut 
le  perfectionnement  des  machines;  et  à  cet  effet ,  il  appela 
enFrancevm  très-habile  mécanicien  écossais,  M.  Douglas, 
lequel  y  importa  plusieurs  machines  qui  y  étaient  à  peine 
connues.  MM.  Decrélot  et  Ternaux  s'empressèrent  d'en 
adopter  l'usage  ;  ces  premiers  perlèclionnemens  en  amenè- 

(1)  Il  y  a  déjà  bien  des  années  que  M.  Ternaux  a  fabriqué  de 
Irès-beaux  schalls  de  Cachemire  avec  de  la  laine  apportée  de  Russie; 
il  a  r'te'  imité  par  plusieurs  fabricans  dont  les  produits  sont  aussi  jus- 
tement eslirnés.  C. 


et  des  machines  en  France.  y.  i3 

rent  d'autres'moins  importans,  dusà  Thabilelc  de  MM.  Dabo 
et  Richard  ;  mais  snr  ce  point  rindustrie  n'est  guère  allée 
plus  loin.  Les  fabricans  français ,  satisfaits  de  ce  qu'ils 
ont  obtenu,  paraissent  peu  désireux  de  recliercber  ou  du 
moins  d'adopter  ces  nombreuses  améliorations,  dont  s'enri- 
chit chaque  jour  la  mécanique.  Protégés  dans  Texploita- 
tion  des  laines  et  du  coton  contre  la  concurrence  du  de- 
hors ,  par  des  droits  équivalens  à  des  prohibitions  ,  ou  par 
des  prohibitions  absolues ,  ils  paraissent  se  contenter  de 
suffire  à  la  consommation  intérieure,  et  ils  font  très-peu 
d'efforts  pour  concourir  avec  nous  à  approvisionner  les 
marchés  étrangers. 

Pendant  les  années  1822  et  iSaS,  les  importations  et  les 
exportations  des  laines  ont  offert  les  résultats  suivans  : 

Kilogrammes.  Valeurs. 

i8aa.  Importation  ,  laines  brutes ,.   3,137,606  34,3o5,8o7 

Id.  Manufacturées...        90)9^9  575,087 

9,198,605  -24,881,794 

i8:i3.  Importation,  laines  brutes 5,490,876  i2,72q,33q 

/</.  Manufacturées. . .         47>2i5  393,014 

5,538,091  «3,098,353 

1822.  Exportation,  laines  brutes 522,522  i  n65  in6 

Id.   Manufacturées...    1,098,635  2o,i56,38o 

1,621,147  23,121,576 

1823.  Exportation  ,  laines  brutes 4^9,342  a  080  i5o 

Id.  Manufacturées  . .  .^996,495  1 8,598,040 

1,485,937  20,678,190 

Laines  brutes...    7,309,266  18,517,573 

Taux  moyen  ini  p. /J.  maoufacturécs. ..  59,082  4-2  ^00 

7,368,384  18,990,073 

Id.  Des  exportations,  laines  brutes    ..  ,       5o5,932  2  022  673 

///.  Manufaclarees...    1,047,560  19,377,2,0 

1,553,492  2  1,399,883 


ai 4  Ues  ouvriers 

On  calcule,  en  outre,  que  la  France  fournit  annuelle- 
ment 38, ono,ooo  kil.  tle  laines  non  lavées,  dont  : 

800,000  kil.  de  mérinos,  à 4  f''-  ^^  kilo. 

4,000,000  de  laine  métis,  croisée  avec  du 

mérinos,  à 3 

33,000,000  de  laine  commune  à 2 

Il  est  reconnu  que  la  laine  perd  ,  par  le  lavage  ,  les  2/5 
de  sou  poids  j  il  faut  donc  ajouter  22,800,000  kil.  de  laine 
brute  aux  7,200,000  k.,  importés  annuellemeut ,  ce  qui 
fournit  chaque  année  aux  manufacturiers  une  quantité  d'en- 
viron 00,000,000  kil.  de  laines.  La  valeur  totale  des 
laines  brutes  est  d'environ  100,000,000  fr.  ,  et  cette  valeur 
est  plus  que  doublée,  avant  qu'elles  soient  sorties  des 
mains  du  fabricant;  ce  travail  leur  donne  im  prix  de 
260,000,000  fr.,  et  on  n'en  exporte  que  pour  un  treizième 
de  ce  prix,  c'est-à-dire  pour  19,577,210  fr.,  taux  moyen. 

La  majeure  partie  de  ces  produits  exportés  consiste 
en  draps  de  première  qualité,  attendu  que  pour  les  gros 
draps,  les  fabricans  français  ne  peuvent  soutenir  la  concur- 
rence avec  nous.  Voici  au  surplus  dans  quelles  propor- 
tions cette  exportation  a  eu  lieu  en  1822  et  iBaS  : 

1822.  1825. 

Draps 12,390,260  fr.  1 5,643,420  fr. 

Casimirs  et  mérinos.  i,i38,9o5  187,800 

Serges 804, 535  1,124,320 

Schalls 4,674,250  3,765,000 

L'industrie  manufacturière  qui  s'exerce  sur  la  soie  a 
moins  d'extension  et  est  plus  sjéciale  à  certains  départe- 
mens,  que  celle  qui  exploite  la  laine  ou  le  coton.  Elle  prit 
naissance  à  Tours,  sous  !e  règne  de  Louis  "XI,  et  de  là  elle 
s'étendit  graduellement  dans  le  midi  de  la  France.  Henri 
IV  ,  jugeant  que  lo  climal  «le  la  Provence  élait  plus  propre 


et  des  machines  en  Fra/ice.  9,1 5 

à  réclucatiou  des  vers  à  soie  que  celui  de  la  Touraine ,  y  en- 
couragea de  tout  son  pouvoir  la  culture  du  mûrier 5  le  suc- 
cès couronua  ses  efforts;  aujourd'hui luie  grande  partie  de 
!a  population  dans  les  départemens  que  baigne  le  Rliône, 
dans  ceux  de  rilérault ,  de  l'Indre  et  de  la  Loire,  exploitent 
des  manufactures  de  soieries. 

Les  onze  départemens  du  midi,  où  l'on  cultive  la  soie, 
produisent,  année  commune,  5,5io,ooo  kll.  de  cocons; 
ceux  de  l'Indre  et  de  la  Tjoire,  5o,ooo;  total,  5, 180,000  kil., 
évalués  1 5,600,000  fr.  Ces  produits,  lavés  et  filés,  donnent 
28o;00o  kil.  de  soie  brute  et  160,000  kil.  d'organsin,  et 
leur  valeur  est  de  20,600,000  fr.  L'étranger  fournit,  en 
outre,  aux  manufactures  françaises,  pour  473000,000  fr.  de 
sole  filée. 

Lyon  est  la  ville  de  France  la  plus  importante  pour  les 
fabriques  de  soieries  en  tous  genres  et  spécialement  d'étoffes 
de  sole.  Néanmoins,  sur  cet  article,  son  commerce  a 
éprouvé  de  grandes  fluctuations;  en  voici  le  tablrau  : 

Métiers.         Ouvriers. 

En   1786,  Lyon  possédait i5,ooo 

178g 7,5oo  12,700 

1800 3,5oo  5,800 

1812 10,720  i5,5o6 

1824.,  il  y  avait  danstoutle 

département 24,000 

Presque  tous  les  rubans  de  soie ,  dont  on  fait  usage  en 
France,  se  fabriquent  dans  le  voisinage  de  Tiyon ,  à  Saint- 
Etienne,  à  Saint-Chamand  et  aux  environs. 

On  fait  prinripalement  à  Avignon  les  satins,  les  levan- 
tines et  les  taffetas;  à  jNîmes,  les  bas  de  soie,  les  gazes  , 
les  crêpes,  les  articles  de  fantaisie;  à  Gauzcs  et  dans  les 
Cévenues,  les  bas  de  soie.  Les  manufactures  de  Tours  se 
bornent  à  confectionner  des  étoffes  pour  l'ameublement  et 
I.  i5 


a  i6  Des  ouvriers 

autres  articles  peu  iinportaus.  Paris  est ,  après  Lyon ,  la 
ville  où  on  fabrique  le  plus  de  soieries.  Mais  une  grande 
partie  des  produits  de  ce  genre,  évaluée  à  8,000,000  fr. , 
consiste  en  objets  de  luxe.  La  valeur  totale  des  soieries 
fabriquées  k  Paris,  est  de  18,600,080  fr.  j  on  en  fait  en 
France,  année  commune,  pour  110,008,000  fr.  (i),  et  on 
en  exporte  pour  3o, 000,000  fr.  environ. 

Plusieurs  causes  ont  concouru  jusqu'ici  à  assurer  à  la 
France  la  supériorité  qu'elle  a  toujours  possédée  sur  l'An- 
gleterre,  dans  ce  genre  de  fabrication.  Le  fabricant  an- 
glais aie  désavantage  d'unemain-d'œuvre  très-coûteuse  (2); 
il  est  soumis  à  une  taxe  très-forte,  il  ne  peut  importer  la 
matière  première  que  de  la  France,  ou  de  la  baute Italie  (5). 
Or,  le  droit  sur  la  soie  brute  étant,  par  livre,  de  5  sli.  8  d. 
(7  fr.  environ),  le  droit  sur  l'organsin  de  i3  sh.  8.  d.  (17  fr. 
environ),  il  lui  est  impossible  de  mettre  ses  produits  à  la 
portée  de  la  classe  moyenne,  qui  en  fait  cbez  nos  voisins 

(1)  Cette  évaluation  est  sans  doute  au— dessous  de  la  vérité,  car  il 
parait  constant  qu'à  Sainl-Elienne  et  Saint-Cliammand  la  valeur  des 
rubans  qui  s'y  fabriquent  surpasse  35  millions,  et,  d'un  autre  côté, 
on  ne  peut  guère  estimer  la  fabrication  de  Lyon  au-dessous  d'une 
centaine  de  millions.  C. 

(a)  C'est  une  erreur  aussi  générale  en  Angleterre  qu'en  France  , 
que  de  croire  à  une  grande  différence  de  prix  dans  la  main-d'œuvre 
des  deux  pays.  Elle  n'est  qu'apparente.  En  effet ,  si  on  ne  considère 
auc  le  prix  de  la  journée  ,  on  trouve  qu'il  est  beaucoup  plus  haut  en 
Angleterre  ;  mais  si  l'on  a  égard  à  l'ouvrage  fait ,  on  voit  le  plus  son- 
vent  que  le  prix  est  plus  bas  en  Angleterre  qu'en  France.  Ainsi  la  fila- 
ture du  coton,  l'impression  des  calicots,  la  maçonnerie,  etc.,  payées 
à  la  pièce,  sont,  par  le  fait,  à  meilleur  marché  dans  la  Grande- 
Bretagne. 

(3)  On  est  étonné  que  l'auteur  ait  oublié  la  soie  des  Indes  orientales, 
qui  fait  sans  dontc  la  plus  forte  partie  de  l'importation  de  l'Angle- 
terre ;  car  elle  est  au  Bengal  à  un  prix  très-baS.  On  assu^  qu'il  varie 
de  T)  à  6  sh.  la  livre  anglaise  ,  environ  7  fr.  à  8  fr.  aS  c.  la  livre  de 
F/ancc.  *^' 


et  des  machines  en  France.  i\n 

unesi  grande cousommation;  et  cepcndaul,  parson  habileté, 
et  grâce  à  la  perfection  de  ses  niachines  ,  il  est  parvenu  à 
obtenir  des  produits  qui,  quoique  d'une  qualité  inférieure  , 
paraissent  aussi  beaux  que  ceux  obtenus  en  France.  La 
réduction  que  notre  gouvernement  vient  d'opérer  dans  les 
droits  sur  la  soie,  ne  nous  permet  plus  de  douter  qu'à 
l'avenir  nous  ne  puissions  braver,  à  cet  égard ^  la  concur- 
rence de  l'étranger. 

Quant  aux  chanvres  et  aux  lins ,  nous  nous  bornerons 
aux  observations  suivantes  : 

20,000,000  fr.  de  lin,  dont  un  vingtième  est  importé, 
produisent  par  la  main-d'œuvre ,  dans  les  manufactures 
françaises,  75,000,000  fr.  Les  paysans  en  fabriquent,  en 
outre ,  dans  leurs  habitations ,  pour  aS, 000, 000  fr. 

En  France ,  la  récolte  du  chanvre  est  de  3c)o,ooo  quin- 
taux, évalués  3o,ooo,ooofr.5  on  eu  importe  pour  5,ooo, 000. 
Ou  estime  110,000,000  fr.  la  valeur  des  toiles  tissées  dans 
les  manufactures,  et  à  plus  de  35, 000, 000  fr.  le  produit 
du  tissage  dans  les  chaumières. 

Les  principales  manufactures  de  ces  deux  articles  sont 
situées  dans  la  Bretagne  ,  la  Normandie  ,  le  Dauphiné  ,  la 
Picardie  et  le  département  de  la  Mayenne. 

Nul  doute  que  les  propriétaires  des  diverses  manufac- 
tures qui  existent  en  France,  ne  désîi'ent  vivement  importer 
les  machines  auxquelles  l'Angleterre  doit ,  en  partie ,  la 
supériorité  de  ses  produits  industriels.  IMais  les  lois  res- 
trictives et  le  taux  élevé  des  droits  d'entrée  s  y  opposent. 
Loin  de  montrer  quelque  disposition  à  diminuer  ces  droits, 
le  gouvernement  français  a  récemment  porté  à  3o  p.  °/,  ceux 
établis  sur  les  machines  à  vapeur.  La  loi  du  20  avril  1818 
avait  déjà  soumis  toutes  les  machines  importées  à  un  droit 
de  i5  p.  °/o  ad  valorem  eu  se  réservant  de  l'élever,  sur  l'a- 
vis du  comité    consultatif  des   arts   et  îles  manufactiu'es. 


2 1 8  Des  om>riers 

Cependant  on  a  importé  d'Angleterre  en  France,  un  plus 
grand  nombre  de  machines  à  vapeur,  que  de  celles  appelées 
vulgairement  inécam'ques.  En  voici  .la  raison  :  les  pre- 
mières ont  un  prix  courant,  et  le  tep^is  nécessaire  à  leur 
confection  est  déterminé  ;  les  autres  sont  d'une  exportation 
très-difficl'c  ;  après  qu'elles  ont  été  construites  et  livrées  à 
l'agent  du  fabricant  français,  il  faut  attendre  souvent,  pen- 
dant un  ou  deux  ans ,  l'occasion  de  les  faire  sortir  d'An- 
gleterre par  contrebande.  Presque  toujours  on  est  forcé 
d'expédier  la  machine  par  pièces  détacbées  ;  qu'une  d'elles 
vienne  à  se  perdre  ou  soit  endommagée ,  on  est  obligé  de 
la  remplacer  par  une  pièce  plus  imparfaite. 

Nous  avons  eii  occasion  de  nous  entretenir  avec  beau- 
coup de  fabricans  français  :  tous  manifestaient  un  vif  désir 
d'avoir  des  macbines  anglaises  et  la  conviction  qu'elles 
pourraient  influer  puissamment  sur  la  prospérité  de  leur  in- 
dustrie 5  mais  ,  en  même  tems,  tous  nous  ont  déclaré  qu'à 
l'exception  de  celles  à  vapeur  ,  il  en  est  très-peu  dont  l'ex- 
portation soit  praticable,  et  qu'ils  ne  connaissent  pas  d'u- 
siné où  il  y  en  ait  plus  d'une  ou  deux  employées  comme 
modèles.  Il  n'est  pas  étonnant  qu'en  d'aussi  fâcheuses  cir- 
constances les  fabricans  français  soient  forcés  de  se  conten- 
ter des  machines  ordinaires  ,  fournies  par  les  mécaniciens 
du  pays,  et  qu'ils  cherchent  à  embaucher  nos  ouvriers,  à 
l'effet  d'eu  établir  sur  les  lieux  5  mais  rarement  le  succès 
coui'onne  leurs  tentatives.  Il  existe  à  Saint-Denis  un  établis- 
sement où  l'on  exploite  102  métiers  à  tisser  ,  confectionnés 
par  des  Anglais.  Nous  l'avons  visité  dix  mois  après  sa  mise 
en  activité.  Les  rouages  de  presque  tous  ces  métiers  étaient 
endommagés  ,  une  portion  de  leurs  engrenages  était  brisée 
ou  remplacée  par  d'autreS  en  bois ,  soit  parce  que  les  Fran- 
çais n'ont  pas  de  fonte  de  fer  assez  solide  pour  cet  usage , 
soit  parce  qu'ils  Irouvcntccluidu  bois  moins  coûteux.  Ainsi, 


et  des  machines  en  France.  2Iq 

datis  rinipossibillté  de  recourir  à  l'étranger  ,  pour  les  ma- 
çliiues  dont  lis  ont  besoin  ,  nos  voisins  sont  en  généralsous 
la  dépendance  des  mécaniciens  du  pays. 

L'établissement  le  plus  important  de  Paris,  pour  la  con- 
fection des  machines,  est  celui  de  M.  Calla,  qui  n'occupe 
que  cinquante  ouvriers.  Trois  cents  ouvriers,  dont  vingt 
anglais,  sont  employés  dans  celai  de  M.  Dixon ,  méca- 
nicien du  département  du  Haut-Rliin,  Ses  machines  coû- 
tent deux  fois  plus  et  sont  moins  parfaites  que  celles  fournies 
par  l'Angleterre. 

Il  existe  en  France  deux  grands  établissemens  consacrés 
à  la  construction  des  machines  à  vapeur^  Tun  est  situé 
à  Charenton  ;  l'autre  à  Chaillot.  Le  premier,  celui  de 
MM.  Manby,  Wilson  et  compagnie  ,  occupe  4oo  ouvriers, 
dont  i5o  anglais  5  le  second,  est  exploité  par  i4  ouvriers 
anglais  et  25o  français. 

M.  Cockerell ,  de  Liège,  a  fondé  des  établissemens  très- 
importans  pour  la  construction  des  machines  propres  au 
tissage  et  des  machines  à  vapeur.  Ces  dernières  sont  faites 
a  Seraing  ,  près  de  cette  ville,  sur  les  bords  de  la  Meuse  , 
dans  l'ancien  palais  du  prince  évêque  de  Liège.  M,  Coc- 
kerell y  emploie  de  Coo  à  yoo  ouvriers  :  à  Liège  ,  il  en 
occupe  200  à  confectionner  des  machines  à  tisser  et  des 
presses  hydrauliques.  Les  demandes  de  ces  derniers  articles 
sont  devenues  très-rares  depuis  la  paix  ;  durant  la  guerre  , 
la  France  en  prenait  la  moitié,  le  reste  était  envoyé  en 
Saxe  ,  en  Prusse  ,  en  Autriche ,  etc.,  etc.  M.  Cockerell  at- 
tribue la  stagnation  qu'éprouve  cette  branche  de  son  in- 
dustrie ,  aux  droits  élevés  imposés  par  la  France  sur  Tim- 
porlalion  des  machines;  à  la  prohibition  des  draps  étrangers 
par  le  gouvernement  russe;  et  surtout  à  rinlroduction  des 
meilleurs  draps  anglais  en  Allemagne  ,  et  à  leur  vente  à  un 
prix  assez  modéré  pour  écarter  toute  concurrence  de  la  paît 
des  fabricans  allemands. 


220  Des  ouvriers 

Les  diflicullcs  qu'éprouvent  les  mécaniciens  français , 
dans  la  conslruclion  de  leurs  machines ,  proviennent  sur- 
tout du  prix  élevé  et  de  la  qualité  inférieure  du  charbon 
et  du  fer.  (i)  ^^^  ^x\Ti  élevé  de  ces  matières  résulte  moins  de 
leur  quantité  insuffisante  que  du  peu  d'habileté  qu'on  met  à 
exploiter  les  mines  ,  et  des  frais  du  transport  des  minéraux. 

La  France  est  très-riche  en  mines  de  fer  j  les  montagnes 
des  Vosges ,  des  Ardenncs  ,  du  Jura  ,  du  Puy-de-Dôme  , 
les  Pyrénées,  etc.,  fournissent  ce  métal  en  abondance. 
aSo  forges,  environ,  ont  été  établies,  principalement  dans 
les  départemens  des  Ardennes  ,  de  la  Meuse ,  de  la  Haute- 
Marne  ,  de  la  Haute-Saône ,  du  Cher ,  de  la  Côle-d'Or ,  de 
la  Dordogiie ,  de  la  Kièvre ,  etc.  Il  y  a,  en  outre ,  loo  for- 
ges à  la  Catalane,  et  près  de  900  feux  d'affinerie  qui  don- 
nent, par  an  ,  un  produit  de  75,000,000  kil.  Mais  ,  à  Tex- 
ceplion  de  la  mine  de  fer  découverte  près  de  Béfort  (Bas- 
Rhin  )  ,  toutes  les  autres  donnent  des  produits  inférieurs 
aux  fers  de  l'Angleterre  :  celui  de  France  est  trop  cassant 
pour  être  employé  dans  la  construction  des  machines. 

Quant  au  cuivi'e,  au  plomb  et  à  Tétain  ,  la  France  est 
forcée  d'en  tirer  une  grande  partie  de  l'étranger.  Les  seules 
mines  considéi'ables  de  cuivre  qu'elle  possède,  sont  celles 
du  Bigorre,  dans  les  Pyrénées;  de  Chcssy  et  de  Saint-Bel;, 
près  deLyou.  Ou  trouve  ce  métal,  en  petite  quantité,  dans 
quelques  cantons  des  Hautes-Alpes  et  du  Haut-Rhin.  Les 
départemens  del'Arriège,  de  la  Haute-Loire  et  du  Finis- 
tère, fournissent  du  plomb.  On  extrait  de  l'étain  dans  les 
environs  de  Saint-Omer.  Mais  les  produits  de  ces  mines 
sont  iusuffisaus  pour  la  consommation  intérieure,  et  Ton  est 

(i)  La  France  possède  d'abondantes  mines  de  charbon  d'excellenle 
tjualite';  elle  a  e'galenient  d'excellent  fer  en  barres;  la  fonte  seule 
n'eit  pas  toujours  très-bonne.  Mais  ce  qui  nuit  à  la  bonne  qualité  de 
CCS  machines,  c'est  le  haut  prix  des  matériaux  ,  dans  les  endroits  où  on 
ies  confectionne.  C. 


et  des  machines  en  France,  l'xx 

souvent  forcé  de  substituer  le  zinc  au  cuivre ,  spccialetoent 
pour  le  doublage  des  vaisseaux. 

Outre  les  mines  qu'on  exploite  actuellement  en  France  , 
il  en  existe  beaucoup  d'autres  qui ,  par  l'elFet  des  obstacles 
que  le  gouvernement  a  opposes  jusqu'ici  à  l'industrie  des 
spéculateurs ,  ne  sont  pas  encore  ouvertes.  D'après  la  loi 
française ,  toutes  les  mines  appartiennent  à  la  couronne , 
et  le  seul  avantage  dont  jouissent  les  propriétaires  du  sol 
qui  les  couvre,  c'est  d'obtenir ,  de  prcférem^e  à  des  tiers,  le 
privilège  de  leur  exploitation ,  moyennant  une  redevance 
annuelle  payable  à  l'Etat  ;  il  est  quelquefois  très-difficile 
même  au  propriétaire  du  fonds,  de  devenir  concession- 
naire des  mines  qu  il  y  découvre. 

Au  surplus,  voici  le  tableau  des  importations  et  des  ex- 
portations qui  ont  eu  lieu  en  France  ,  eu  1822  et  1823,  sur 
le  fer,  le  cuivre  et  Tétain  : 

FER. 


Importations. 

Exportations. 

Quantités. 

Valeur. 

Quantités. 

Valeur. 

l82i 

i5,6i6,8i8  kilo. 

5,77^'74o  fr. 

3, 082,335  kilo. 

2,714,527  f 

j323 

14,806,880 

5,328,222 

CUIVRE. 

3,558,451 

3,601,207 

i8a3 

5,023,904 

io,265,g44 

23i,886 

1,075,277 

i8a3 

3,987,786 

8,126,761 

ÉTAit!. 

178,964 

228,793 

1822 

784,156 

i,55o,848 

=^4;784 

93,676 

1823 

807,675 

1,592,998 

21,362 

68,988 

En  France ,  les  tourbières  sont  inépuisables  et  les  mines 
de  houille  très-nombreuses;  on  les  trouve  dans  le  Nord,  sur 
les  boï'ds  de  l'Allier,  dans  les  départemens  du  Puy-de- 
Dôme,  du  Cantal,  de  l'Auvergne  et  dans  beaucoup  d'au- 
tres cantons  ;  mais  il  eu  est  un  grand  nombre  que  la  dlfli- 
cullé  des  transports  empêche  d'exploiter. 


222  ]Jtis  oïwners 

Ou  ue  pourra  Je  loog-tems,  et  sans  d'énormes  dépenses, 
applanlr  ce  dernier  obstacle ,  si  nuisible  aux  iulérèls  com- 
merciaux et  manufacturiers  de  nos  yoislns.  La  conviction 
profonde  qu'on  a  eue  si  long-tems  et  si  généralement  crr 
Angleterre,  des  avantages   du  transport  par  eau,  a  fait, 
dans  tous  les  sens,  sillonner  de  canaux  le  sol  anglais.  Eu 
France  ,  a«  contraire  ,  le  défaut  de  relations  commerciales 
et  de  capitaux,  les  maux  enfantés  par  la  révolution  ,  et  les 
guerres  qui  l'ont  suivie,  ont  réprimé  l'essor  de  cet  esprit 
d'entreprise  sans  lequel  on  ne  pourra  jamais  ,  Fexpérience 
le  démontre ,  se  livrer  à  des  travaux  qui  aient  une  impor- 
tance aussi  nationale   que  les    canaux  ,    et  qui   soient  en 
même  tems  d'un  intérêt  immédiat  aussi  douteux  pour  le 
spéculateur. 

Les  premiers  canaux  creusés  en  France ,  sont  le  canal 
de  Briarre  et  celui  du  Languedoc.  Dans  les  départe- 
niens  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais  ou  en  compte  quatorze  ; 
dans  les  autres  parties  de  la  France  il  y  en  a  dix  ou  onze 
dont  les  travaux  sont  terminés  ;  mais  ils  sont  mal  entre- 
tenus ,  peu  fréquentés ,  et  le  péage  qu'on  y  perçoit  n-e 
couvre  pas  les  frais  de  leurs  réparations.  Toutefois,  les  ca- 
naux des  deux  départemens  que  nous  venons  de  citer,  suf- 
fisant aux  communications,  ils  sont  plus  fréquentés  et  plus 
productifs  que  les  autres.  Aussi  remarque-t-cn  que  les 
contrées  qu'ils  traversent  sont  très-florissantes ,  et  que  le 
revenu  foncier  y  est  plus  considérable  que  dans  toute  autre 
partie  de  la  France.  L'bectare  produit,  dans  le  départe- 
ment du  Nord,  6g,  fr.  56  c;  dans  celui  de  la  Seine,  2i6fr., 
et,  dans  celui  de  la  Seine-Inférieure,  67  fr.  85  c.  Tandis 
que  ce  revenu  n'est ,  dans  le  reste  du  royaume,  que  de 
28  fr.,  taux  moyen. 

Plusieurs  difficultés  se  réunissent  pour  cmpccber  !e  com- 
merce français  de  faire  un  grand  usage  du  transport  par  les 
rivières.  Dans  1  été  elles  manquent  d'eau,  et  en  hiver  el!e& 


et  des  machines  en  France.  225 

tlébordeut.  Le  Rhôuc  porte  des  bateaux  dont  le  tonnage 
est  de  cent  cinquante ,  et  qui  souvent ,  Iraîne's  par  trente- 
six  chevaux ,  mettent  quinze  Jours  à  remonter  ce  fleuve 
de  Marseille  à  Lyon.  On  en  a  vu  qui  ont  employé  six  se- 
maines à  faire  ce  voyage.  La  navigation  des  autres  rivières, 
et  même  de  la  Garonne  au-dessus  de  Bordeaux ,  et  de  la 
Seine  au-dessus  de  Rouen,  offre  des  incouvéniens  semblables. 
L'auteur  de  cet  article  était  à  Paris  au  mois  de  juillet  1824. 
Il  s'est  convaincu  qu'à  cinq  milles  au-dessous  de  cette  ca- 
pitale, le  lit  de  la  Seine  n'avait,  en  été,  que  de  seize 
pouces  à  deux  pieds  de  profondeur.  Ainsi ,  à  défaut  de 
canaux  et  de  rivières  navigables,  les  habitans  delà  plus 
grande  partie  du  royaume  sont  forcés  d'expédier  leurs 
denrées  par  la  voie  de  terre.  C'est  par  cette  voie  que  le 
coton  brut  est  transporté  du  Havre  en  Alsace ,  à  une  dis- 
tance de  quatre  cent  quarante  milles  ;  et  que  les  objets  ma- 
nufacturés reviennent  de  l'Alsace  à  Paris. 

Les  grandes  routes  elles-mêmes ,  si  nécessaires  aux  be- 
soins du  commerce,  ne  semt  ni  aussi  nombreuses  ,  ni  aussi 
bien  entretenues  qu'on  devrait  s'y  attendre.    Les    routes 
royales  qui  conduisent  direclenient  de  Paris  aux  principales 
villes,  sont  en  général  fort  larges  ,  mais  le  milieu  seul  en 
est  pavé  :  la  chaussée  a  rarement  assez  d'espace  pour  que 
deux  grosses  voitures  puissent  y  passer  de  front ,  et  elle 
décrit  une  courbe  très-prononcée.  Aussi,  arrive-t-il  fré- 
quemment que  des  diligences  très-chargées ,   ou  des  voi- 
tures de  roulage  ,  versent  en  chemin  ;  parce  que  l'une  des 
roues  pose  sur  la  chaussée ,  tandis  que  la   roue  parallèle 
s'embourbe  dans  les  ornières  qui   sillonnent  la  partie  qui 
n'est  point  pavée  ;  celle-ci  n'est  jamais  tenue  en  bon  état,  et 
devient  impraticable  dans  l'hiver  ou  par  un  tems  pluvieux. 
Les  routes  départementales  et  vicinales,  entretenues,  les 
premières  aux  frais  du  département,  les  secondes  aux  frais 
des  communes  qu'elles  traversent,  sont,  eu  général,  fort 


224  ^^s  oiwrters 

tlégradées  .  et  ces  ilernières  presque  toutes  impraticables 

pour  les  voitures. 

M.  Dupin ,  dans  son  ouvrage  sur  la  force  commerciale 
de  la  Grande-Bretagne  ,  affirme  que  la  France,  dont  la  sur- 
face est  à  celle  de  notre  pays  comme  trois  est  à  un ,  pos- 
sède trois  fois  moins  de  routes.  Les  conséquences  qui  dé- 
coulent de  ce  fait  n'ont  pas  besoin  d'être  énoncées. 

Nous  devons  cependant  avouer  que  le  gouvernement 
français  a  étendu  sa  sollicitude  à  tout  ce  qui  pourrait  amé- 
liorer la  situation  du  royaume  et  spécialement  la  naviga- 
tion intérieure.  Nous  avons  sous  nos  yeux  un  rapport 
adressé  au  ministère  par  le  directeur-général  des  ponts-et- 
cliaussées.  Ce  rapport  contient  l'état  de  tous  les  canaux, 
terminés,  de  ceux  eu  construction  ,  et  de  ceux  qui  n'exis- 
tent qu'en  projet.  Mais  l'administration  des  ponts-et-chaus- 
sées  reconnaît  que  plusieurs  de  ces  canaux  ont  été  tracés 
sur  la  carte ,  abstraction  faite  des  difficultés  locales  quî 
peuvent  en  arrêter  l'exécution j  d'ailleurs,  le  devis  de  ces 
entreprises  s'élève  en  totalité  à  un  milliard  de  francs  ;  il  est 
donc  évident  que  les  intentions  du  gouvernement  ne  s'ac- 
compliront pas  de  long-tems. 

Les  canaux  les  plus  importans ,  qui  aient  reçu  un  com- 
mencement d'exécution ,  sont  : 

i"  Le  canal  de  Charles  X.  Il  doit  faciliter  l'exportation 
des  produits  industriels  de  l'Alsace  à  Paris  et  à  Marseille. 

2°  Le  canal  de  Bourgogtie ,  qui  joindra  le  canal  de 
Charles  X  avec  la  Seine ,  en  passant  par  Dijon. 

5"  Le  canal  latéral  de  la  Loire. 

4°  Le  casai  du  duc  de  Berri ,  formant  la  corde  de  l'arc 
décrit  par  la  Loire,  de  Tours  à  NeverS;  il  traversera  la 
ville  de  Bourges. 

5'  Le  canal  de  Bretagne. 

6o  Le  canal  du  Nivernais;  il  traversera  le  département 
de  la  Nièvre  et  ouvrira  une  communication  avec  des  can- 


et  des  machines  eu  France.  Ci25 

tons  înclustrieux,  mais  tlonlles  produits  étalent  transportés 
jusqu'à  ce  moment  à  clos  de  cheval. 

On  conçoit  à  peine  en  Angleterre  à  quel  point  la  France 
a  à  souffrir  du  défaut  de  navigation  intérieure.  Les  contrées 
qui  forment  le  centime  de  ce  royaume ,  bornées  au  nord 
parla  Loire  ,  à  l'ouest  par  la  route  de  Bordeaux,  au  sud 
par  le  canal  du  Languedoc  ,  à  l'est  par  le  Rhône  ,  n'ont , 
sur  une  étendue  de  200  à  2i5  milles  de  largeur  ,  et  de  220 
à  290  milles  de  longueur,  qu'une  seule  route  royale  (celle 
de  Paris  à  Toulouse,  par  Limoges  et  Cahors  )  ;  et  l'on  n'y 
A'oit  ni  aucun  canal  ni  aucune  grande  rivière  navigable. 
Quoique  ces  contrées  soient  riches  en  minéraux  et  en  pro- 
ductions végétales,  l'industrie  y  languit,  faute  de  débouches 
et  d'une  consomniation  intérieure  suffisante.  Il  est  très-peu 
de  riches  propriétaires  qui  vivent  habituellement  dans 
leurs  domaines;  aussi  la  consommation  des  produits  du 
pays  est-elle  livrée  ,  presque  exclusivement ,  aux  classes 
inférieures. 

«  Je  parcours  ,    dit  M.  l'ingénieur  Cordier  ,  dans  sou 
excellent  ouvrage  sur  les  ponts-et-chaussées  ,  je  parcoui's ,  r 
après  une  longue  absence,   les  départemens  du  Jura,  de 
l'Ain,  de  la  Saône-et- Loire  ,  du  Rhône,  et  les  provinces 
intérieures  du  royaume.  Je  trouve  les  chemins  vicinaux  , 
les  rivières  ,  les  fleuves ,  dans  l'ancien  état  de  nature  5  on 
n'arrive  d'une  contrée  à  l'autre  que  par  des  directions  for- 
cées et  difficiles.    En  s'écartant  des  grandes  routes  entre- 
tenues ,  on  entre  dans  des  espèces  de  déserts  j  on  ne  dé- 
couvre  plus   que   quelques   traces    des    familles   qui    ont 
illustré  ou  enrichi  la  France;  on  n'aperçoit  que  les  ruines 
de  leurs  demeures  ou  des  débris  de  domaines  qui  passent 
de  main  en  main ,   ou   s'exploitent   par   procuration    au 
<lélriment   du  propriétaire.  J'ai   traversé   plusieurs  fois , 
dans  dlfiféreus  départemens  ,   vingt   lieues   carrées  ,    sans 
rencontrer  un  canal  ,   une  route  ,  une  manufacture  ,  et 


226  Des  ouvriers 

surtout  une  terre  habllée.  La  campagne  semMe  un  lie» 
crexil  abandonné  au  malheureux  cultivateur  j  ses  Intérêts 
et  ses  besoins  sont  méconnus,  et  sa  détresse  est  toujours 
croissante  par  le  bas  prix  des  profits  et  la  difficulté  des 
transports.  » 

Le  cabotage  ne  saurait  suppléer  en  France  au  défaut  de 
navigation  intérieure.  Une  partie  des  côtes  est.  séparée  de 
l'autre  par  des  pays  étrangers.  Ainsi  les  produits  du  sud  ne 
peuvent  arriver  au  nord  du  royaume,  qu'en  traversant 
rinlérieur.  Entre  les  côtes  du  Dauphiné  de  la  Provence , 
du  Languedoc  et  du  Roussillon ,  et  celles  de  l'ouest  de  la 
France  s'élève  la  barrière  des  Pyrénées.  Aussi  les  trésor^ 
industriels  et  agricoles  ,  qui  sont  particuliers  à  ces  pro- 
vinces ,  ne  pourraient-ils  ,  en  cas  de  guerre  avec  l'Es- 
jiagne  ou  avec  l'Angleterre ,  être  transportés  dans  le  reste 
du  royaume ,  si  les  communications  intérieures  étaient 
supprimées. 

Les  côtes  de  l'ouest  ne  sont  pas  favorables  à  la  uavfgation. 
Les  tempêtes  si  fréquentes  dans  la  baie  de  Biscaye ,  et  le 
peu  de  sûreté  de  ses  ports  la  rendent  très- dangereuse. 
L'embouchure  de  l'Adour,  obstruée  par  des  bancs  de 
sables,  est  d'un  accès  difficile  dans  les  gros  temsj  et,  de 
cette  embouchure  à  celle  de  la  Gironde,  on  ne  voit  pas 
un  seul  port  qui  mérite  ce  nom.  En  remontant  vers  le 
nord  on  trouve  Rochefort ,  Nantes  ,  Brest  et  le  Havre  qui 
reçoit  la  presque  totalité  des  cotons  importés  en  France  5 
mais ,  à  l'exception  de  ces  ports ,  tous  les  autres  sont^ 
étroits  ,  peu  fréquentés ,  peu  profonds ,  et  destinés  unique- 
ment à  recevoir  de  petits  bâlimens. 

A  ces  obstacles  naturels,  et  qui  ne  pourraient  être  sur- 
montés que  par  d'immenses  travaux  ,  le  système  de  l'ad- 
ministration française  en  ajoute  de  beaucoup  plus  graves. 
La  centralisation,  telle  qu'elle  existe  en  France  ,  esl  surtout 
nuisible  à  l'établissement  des  roules  et  des  canaux.  A  l'ex- 


et  des  machines  en  France.  ii'j 

ception  des  réparations  les  plus  ordinaires ,  ou  ne  peut  en- 
treprendre aucuns  travaux  d'utilité  pidilique  ,  sans  obtenir 
rautorisation  du  gouvernement  (i).  IVai Heurs ,  les  fonds 
alloués  par  les  chambres  ,  et  applicables  à  ces  travaux ,  de- 
viennent insuffisans  après  avoir  été  répartis  sur  tous  les 
départemens,  dans  les  bureaux,  du  ministère.  D'où  il  suit 
que  les  grandes  entreprises  s'exécutent  très-lentement ,  et 
que  les  autorités  locales  cherchent  plutôt  à  pourvoir  à  la 
conservation  des  établissemens  déjà  existans  qu'à  en  créer 
de  nouveaux. 

Examinons  maintenant  quelles  sont  les  causes  de  la  supé- 
riorité qu'à  certains  égards  la  France  possède  sur  l'An- 
gleterre : 

D'abord,  son  climat  est,  en  général ,  plus  productif  que 
le  nôtre.  C'est  à  l'influence  du  climat  que  l'Alsace  doit  les 
belles  couleurs  de  ses  tissus  de  coton  ,  et  Lyon  ,  l'éclat  de 
ses  soieries. 

C'est  au  climat  qu'il  faut  attribuer  l'excellente  qualité 
des  produits  du  sol  français.  Les  grains  de  toutes  espèces  et 
les  pommes  de  terre  y  suffisent  à  l'approvisionnement  de 
l'intérieur  et  à  l'exporlatlon.  Ses  pâturages  sont  couverts  de 
bestiaux  et  de  bêtes  à  laines  ;  on  y  voit  même  de  nombreux 
troupeaux  de  mérinos.  I^e  vin  ,  l'huile,  la  soie,  sont  des 
productions  indigènes.  A  l'exception  du  coton,  il  n'est  peut- 
être  pas  de  denrée  nécessaire  aux  besoins  du  propriétaire 
foncier  ou  à  l'industrie  du  fabricant ,  que  la  France  ne 
puisse  fournir.  Le  combustible  y  est  très- commun.  Sur 
plusieurs  points  les  mines  de  charbon  sont  inépuisables. 
Les  grandes  forêts  du  domaine  et  les  forêts  des  particuliers 

(i)  U  n'y  a  aucune  exception  ;  les  réparations  les  plus  ordinaires  ne 
s<^  (ont  jamais  sans  l'ordre  du  dirccleur-géne'ral  des  ponlsel-chaussccs , 
qui  ne  les  donne  le  plus  souvent  qu'après  la  belle  saison  ;  sur  les  roules 
dites  ferre'es  ,  ces  réparatioQS  se  bornent  presque  toujours  à  e'icndre  des 
pierres  <lans  la  bouc. 


228  Des  oiwners 

sont  si  heureusement  réparties  sur  toute  la  surface  du  pays, 
que  le  transport  du  ])ois  n'est  coûteux  que  pour  Tappro- 
visionnement  des  grandes  villes.  lie  houblon  ,  qui  ne  croît 
en  général  que  dans  le  Nord  ,  est  cultivé  en  grandes  quan- 
tités dans  quelques  parties  du  royaume.  Enfin  l'indus- 
trie française  est  parvenue  à  extraire  de  la  betterave  un 
sucre,  au  moius  aussi  beau  que  celui  de  la  canne  ,  quoique 
d'une  qualité  inférieure  ;  et  à  faire  de  Tindigo  avec  du 
pastel ,  cultivé  à  cet  effet,  sur  une  grande  échelle  ,  dans  le 
Languedoc  et  la  Provence  (i). 

La  situation  topographique  de  la  France  ne  lui  est  pas 
moms  favorable  que  son  climat.  Elle  peut  aisément  faire 
passer  ses  produits  industriels  dans  toute  rAllemagne  j 
située  entre  la  Méditerranée,  la  baie  de  Biscaye  et  la  Man- 
che, elle  communique  avec  l'Italie,  Naples  et  TÉgypte, 
pour  l'importation  des  soies  ,  des  cotons  ;  avec  l'Espagne  , 
pour  celles  des  mérinos  ;  eu  un  mot,  elle  peut  facilement 
faire  le  commerce  avec  toutes  les  parties  du  monde. 

D'ailleurs  ,  le  sol  et  le  climat  y  rendent  les  subsistances 
très-abondantes  5  aussi  les  classes  inférieures  y  vivent-elles 
dans  une  sorte  d'aisance ,  avec  un  revenu  qui  serait  insuffi- 
sant à  la  subsistance  d'un  Anglais.  Dans  quelques  départe- 
mens,  tels  que  l'Allier,  la  Gironde,  l'ouvrier  peut  vivre 
cojifortahlenient ^  pour  i4  ou  i5  sous,  au  plus  par  jour- 
Dans  ceux  où  il  n'y  a  point  de  manufactures  et  où  les 
mœurs  des  paysans  n'ont  pas  subi  d'altération  ,  on  vit  à 
niellleur  marché  encore.  Toutefois ,  dans  les  districts  ma- 
jiufacturiers ,  les  prix  des  denrées  augmentent  en  raison  de 

(i)  La  fabrication  du  sncrc  de  betteraves  qui  avait  e'te'  picsque  en- 
tièrement abandonnée  dans  les  premières  années  de  la  paix ,  s'est 
relevée  depuis  trois  ou  quatre  ans  et  promet  des  succès ,  car  on  a  ob- 
tenu d'assez  grandes  quantités  de  sucre  ;  mais  il  n'en  est  pas  de  même 
de  l'indigo  qu'on  n'a  jamais  fabriqué  (]u'en  (]uanti:é  toul-à-fait  iiisi— 
guiriantc.  C. 


et  des  machines  en  France.  239 

la  population  :  on  y  vil  en  général  pour  i5  sous  par  jour; 
mais  à  Paris,  les  droits  tVoctroi  et  les  taxes  municipales 
élaut  très-élevés ,  la  dépense  journalière  de  Touvrler  est 
d'environ  26  sous. 

Moins  la  subsistance  de  l'ouvrier  est  coûteuse,  plus  son 
salaire  doit  être  modique.  A  Paris  ,  où  la  nourritui'e  est 
clière,  il  gagne  environ  2  fr.  5o  c.  par  jour;  à  Roueu  et 
dans  les  environs,  il  gagne  de  5o  à  56.  sous.  La  journée 
d'une  femme  se  paie  10  sous  de  moins.  En  général,  dans 
tous  les  districts  manufacturiers  ,  le  taux  du  salaire  est  par 
jour  de  3o  ou  /jo  sous  pour  les  hommes  et  de  1 5  à  20  sous 
pour  les  femmes. 

Dans  les  départemens  où  l'on  se  livre  plus  spécialement 
aux  travaux  agricoles  ,  le  prix  du  travail  varie  en  raison 
de  leur  distance  de  la  capitale  ou  des  autres  grandes  villes 
manufacturières;  ce  taux  descend,  suivant  les  localités, 
de  56  à  20  et  à  16  sous. 

Ainsi  il  est  évident  que  si  les  débouchés  de  l'intérieur 
étaient  ce  qu'ils  dcA-^ralent  être ,  et  si  les  fabricans  français 
possédaient  l'habileté  ,  l'industrie  et  l'expérience  de  ceux 
de  l'Angleterre  ,  une  grande  partie  de  l'Europe  deviendrait 
tributaire  de  la  France. 

Mais  par  combien  d'avantages ,  qui   lui  sont  propres 
notre  patrie  ne  balance-t-elle  pas  ceux  que  la  nature  a  pro- 
digués à  nos  voisins  !  Le  plus  important  de  tout  est  sa  na- 
vigation intérieure.  Sans  entrer  dans  des  détails  fastidieux, 
qu'il  nous  suffise  de  citer  parmi  ses   rivières  la  Tamise 
l'Humber,  la  Mersey  et  la  Saverne  ,  toutes  plus  favora- 
bles à  la  navigation  qu'aucun  des  fleuves  de  la  France 
.'1  l'exception  de  la  Gironde;  parmi  ses  canaux,  \e  grand 
ïrunk,  qui,  avec  ses  branches,  a  i8o  milles  de  longueur; 
le  grand  canal  de  Jonction ,  qui  suit  une  ligue  de  l5o  milles, 
et  celui  d'Oxford,  dont  l'étendue  est  de  100  milles.  Nous 
ne  parlerons  pas  de  ceux  qui  sillouncnl  lepavs  dans  tous 


•i3o  Des  ouvriers 

les  sens  et  de  leurs  diverses  ramifications.  Il  n'y  a  pas  une 
ville  manufacturière,  pas  une  mine  en  exploitation  qui  ne 
commnniquent  par  eau  avec  tous  les  points  où  il  est  utile 
que  leurs  produits  soient  transportés  avec  sûreté  et  célé- 
rité. Ija  France  ,  au  contraire  ,  ne  possède  ,  proportiouelle- 
nient  à  son  étendue ,  qu'un  vingtième  de  ces  canaux. 

Si  la  Grande-Bretagne  est  moins  fertile  que  sa  rivale 
en  produits  agricoles  ,  elle  est  infiniment  plus  riche  en 
minéraux.  Elle  fournit  annuellement  à  la  consommation 
intérieure  et  au  commerce  d'exportation  ,  une  immense 
quantité  de  fer,  d'étain,  de  cuivre  et  de  plomb.  L'abon- 
dance du  charbon  et  la  facilité  des  transports  permettent 
d'extraire  ces  métaux  à  si  bon  marché ,  que  les  frais  ne 
paraissent  rien,  si  on  les  compare  aux  d('penses  que  font 
en  France  les  concessionnaires  des  mines. 

L'abondance  des  capitaux  qui  existent  en  Angleterre , 
est  aussi  pour  elle  une  source  féconde  de  prospérité. 
S'agit-il  de  creuser  des  canaux  ou  des  ports  ,  d'établir  des 
roules  à  rainures  de  fer,  d'exploiter  des  mines?  Quels  que 
soient  les  plans  proposés ,  quelque  éloignés  qu'en  soient 
les  avantages  ,  s'ils  paraissent  en  définitive  réellement  utiles 
au  pays,  la  somme  nécessaire  à  leur  exécution  est  fournie 
à  1  instant.  Ainsi,  l'Angleterre  compte,  en  ce  moment , 
■22  compagnies  pour  la  confection  des  routes  en  fer  5  12 
pour  l'éclairage  par  le  gaz  5  18  pour  l'exploitation  des  mines 
étrangères;  8  pour  celles  desniines  de  Tintérieur  ;  enfin 
55  pour  diverses  entreprises,  La  masse  des  actions  fournies 
par  toutes  ces  compagnies  ,  s'élève  à  la  somme  énorme  de 
120,000,000  liv.  st.  (trois  milliards  de  fraxcs!) 

On  demandait  deux  millions  sterlings  pour  l'exécution 
des  routes  à  rainures  de  fer,  du  nord  de  l'Angleterre.  Eu 
deux  jours ,  on  a  offert  six  millions  sterlings. 

Tl  n'est  pas  plus  difficile  d'obtenir  des  capitaux  pour  les 
opérations  ordinaires  du  commerce.  liCS  sommes  considé- 


et  des  machines  en  France t  'Ï5i 

rablos  versoos  dans  les  manufaclures  importantes  en  aug- 
mentent tVaiitant  les  produits.  ÏjC  plus  niiuce  profit ,  sur 
chacune  des  balles  de  marchandises  qu'on  y  fahrirpie  tous 
les  ans  par  milliers,  suflit  pour  assurer,  aux  propriétaires  de 
ces  ëtahllssemens ,  de  très-grands  bénéfices  ,  et  leur  permet 
de  vendre  presque  au  prix  coûtant.  Les  mêmes  causes  foi-- 
cent  chaque  vendeur  intermédiaire  à  se  contenter  d'un 
])etit  bénéfice  sur  chaque  article ,  et,  en  définitive,  le  con- 
sommateur n'achète  jamais  à  un  prix  qui  excède  de  beau- 
coup celui  de  fabrique. 

Dans  ce  parallèle  entre  les  deux  pays ,   il  est  essentiel 
aussi  de  tenir  compte  du  caractère  des  classes  industrielles. 
En  Angleterre ,  les  ouvriers  employés  dans  les  manufac- 
tures montrent  en  général  beaucoup  de  zèle  dans  Taccom- 
plissement  de  leur  tâche ,  stimulés  qu'ils  sont  par  l'espoir 
de  perfectionner  leur  instruction ,   ou  d'obtenir  une  aug- 
mentation de  gages.  Il  en  est  plusieurs  dont  les  connais- 
sances scientifiques  ne  sont  nullement  à  dédaigner  et  aux- 
quels l'expérience  suggère  les  inventions  les  plus  utiles. 
Beaucoup  de  perfectionnemeus  ont  été  introduits  dans  les 
machines  -,  par  des  ouvriers  mécaniciens  qui,  après  en  avoir 
remarqué  les  défauts  ,  ont  découvert  les  moyens  d'y  remé- 
dier. Ces  hommes  aspirent ,  pour  la  plupart ,  à  travailler 
un  jour  pour  leur  propre  compte  j  aussi  commencent-ils 
par  acquérir,  en  cpialité  d'ouvriers,   une  haute  capacité. 
Les  ouvriers  français,   au  contraire,  manquent  de  persé- 
véi'ancej  ils  suivent  les  vieux  procédés  que  leurs  prédéces- 
cesseurs  leur  ont  transmis,  sans  s'inquiéter  des  nouveaux 
syslèines  et  des  nouvelles  machines  dont  ils  pourraient  faire 
usage. 

En  Angleterre,  Témulationdes  classes  industrielles  ne 
s'arrête  Jamais.  Les  ouvriers  croiraient  leur  honnt'ur  et 
celui  de  leur  maître  conipromis,  s'ils  ne  travaillaient  pas  , 
sans  relâche  ,  à  surpasser  les  rivaux  qu'ils  peuvent  avoir  à 


'iîa  Des  ouvriers 

l'étranger  et  dans  leur  propre  pays.  C'est  une  vérité  tlonl 
les  Français  conviennent  eux-mêmes  j  car  lorsqu'ils  s'attri- 
buent le  mérite  d'une  invention  ,  ils  avouent  que  le  procédé 
primitif  a  été  perfectionné  par  les  Anglais. 

En  général ,  les  ouvriers  travaillent  chez  nous  à  tant  la 
pièce,  et  chez  nos  voisins  ,  à  la  journée.  Tandis  que  l'artisan 
français  ne  s'attache  qu'à  faire  tout  juste  ce  qu'il  faut  pour 
ne  pas  perdre  ses  gages,  l'Anglais  cherche  constamment  à 
produire  le  plus  d'ouvrage qu'llpeut dans  un  temsdouné(i). 
liCs  fahrlcans  de  France  qui  emploient  des  ouvriers  appar- 
tenant aux.  deux  pays  ,  calculent  que  l'Anglais  fait  un  quart, 
s^ouvent  même  un  tiers  de  plus  d'ouvrage  que  le  français. 
Mais  le  premier,  quoique  fort  habiie  ,  est  en  général  d'un 
caractère  détestable ,  après  avoir  quitté  son  pays.  Buveur 
et  querelleur,  il  donne  lieu  aux  plaintes  les  plus  graves. 
Puis  donc  que,  loin  de  sa  patrie,  il  est  si  supérieur  en  ac- 
tivité aux  ouvriers  étrangers  ,  nous  laissons  à  penser  ,  si 
dans  ses  foyers  ,  Une  doit  pas  être  plus  laborieux  encore. 

Enfin  ,  la  supériorité  de  nos  machines  sur  celles  du 
continent  est  Incontestable  j  nous  eu  appelons  aux  désirs 
manifestés  par  tous  les  fabricans  étrangers  ,  de  se  les  pro- 
curer ou  d'en  faire  coufeclionner  sur  leur  modèle.  C'est 
donc  une  question  très- grave  que  celle  de  savoir  si  nos 
lois  actuelles  sur  l'exportation  des  machines  doivent  être 
modifiées  au  point  de  permettre  à  ces  fabricans  de  les  Im- 
porter à  un  prix  modéré  ,  lorsqu'ils  est  constant  que  sans 

(i)  C'est  là  uns  des  plus  puissantes  causes  du  développement  de 
rindustrie  en  Angleterre.  Les  chefs  d'entreprises  ont  pousse'  très- 
loin  le  système  de  travail  à  la  tâche.  Par  exemple,  daasl'exploitatiou 
des  mines  de  cuivre  ,  de  plomb  ,  etc.,  le  mineur  reçoit  en  paiement 
une  partie  du  prix  de  la  vente  du  minerai  ,  et  par  là  il  se  trouve 
associé  aux  bénéfices  de  son  maître  ;  cet  accord  des  intérêts  est  as- 
sure'ment  la  plus  puissante  condition  du  développement  de  l'iudustrie. 

c. 


et  des  tmichines  en  France.  a35 

Cf^  miportations  ,  qui  leur  sont  aujourtVliui  presque  impos- 
sibles ,  ils  seront  toujours  hors  cFélat  de  rivaliser  avec  nous, 
dans  plusieui's  branches  d'industrie.  Sauf  quelques  excep- 
tions, les  matières  premières  ne  leur  manquent  pas  ;  ils 
ont  à  payer  des  droits  moins  élevés,  une  main-d'œuvre 
moins  coûteuse  j  et  cependant  jusqu'ici  notre  concurrence 
les  a  toujours  écrasés.  La  liberté  ,  dans  l'exportation  des 
machines  ,  va  rétablir  le  niveau  entre  les  fabricans  des  deux, 
nations.  Cette  liberté  profitera  principalement  aux  mécani- 
ciens de  Londres  ,  qui ,  seuls ,  ont  paru  désirer  ardemment 
que  les  lois  prohibitives  fussent  rapportées.  Ceux  des  di- 
vers comtés  qui  travaillent  pour  les  i;randes  villes  manufac- 
turières, ont  déclaré  au  comité  de  la  chambre  (\çs  comniu- 
lies  qu'ils  recevaient  plus  de  commandes  qu'ils  ne  seraient 
en  état  d'en  exécuter  d'ici  à  quelques  années  ;  et  que  les 
propriétaires  de  mines  se  trouvaient  dans  le  même  cas. 
Ainsi,  les  machines  étant  très-chères  sur  le  continent,  les 
fabricans  étrangers  pourraient  offrir  à  nos  mécaniciens  un 
prix  assez  élevé  pour  les  engager  à  travailler  pour  eux,  au 
mépris  des  commandes  qui  leur  viendraient  de  l'intérieur. 
Le  manufacturier  anglais  éprouverait  doue  un  double  pré- 
judice ;  la  confection  des  machines  dont  il  a  besoin  serait 
ajournée,  et,  en  attendant ,  il  verrait  grandir  et  s'étendre 
une  concurrence,  qui  résulterait  de  ces  mêmes  moyens  d'ex- 
ploitation qu'on  lui  aurait  refusés. 

Le  principal  argument  des  défenseurs  de  l'exportation 
consiste  à  dire  ,  qu'en  la  prohibant,  nous  forçons  les  Fran- 
çais à  mettre  toute  leur  liabileté  à  confectionner  leurs  ma- 
chines, et  qu'en  définitive  ils  en  feront  d'aussi  parfaites  que 
les  nôtres.  Nous  répondrons  d'abord,  que  jusqu'ici  ils  en 
ont  confectionné  très-peu  et  d'une  qualité  bien  inférieure  ; 
en  second  lieu  ,  qu'en  supposant  même  qu'avec  le  teras  ils 
acquièrent  plus  d'expérience  et  d'habileté  ,  ce  n'est  pas  \me 
raison  pour  leur  olïrir  actuellement  des   avantages  qu'ils 


234.  -^^  système 

obtiendraient,  tout  au  plus,  d'une  longue  persévérance^ 
que  TAugleîerre  doit  à  des  essais  multipliés  et  à  plusieurs 
années  de  travaux  constans  ;  et  pour  les  placer  en  un  jour 
à  une  hauteur  que  nos  fabricans  n'ont  su  atteindre,  qu'en 
faisant  une  dépense  énorme  de  tems  et  de  capitaux. 

La  question  ,  nous  le  répétons ,  est  Irès-graA'e  et  très- 
difficile.  D'une  part ,  nous  adoptons  sincèrement  ces  prin- 
cipes de  liberté  commerciale  ,  auxquels  le  gouvernement 
s'est  si  libéralement  conformé  ,  et  dont  les  conséquences 
nous  pressent.  D'un  autre  côté  ,  voici  une  circonstance  re- 
marquable ,  dans  laquelle  l'exception  nous  paraît  réelle- 
ment avantageuse  ,  et  où  l'application  de  la  règle  ne  serait, 
au  contraire  ,  qu'un  acte  gratuit  de  générosité. 

Au  surplus  ,  nous  n'exprimons  ici  qu'une  opinion.  La 
question  sera  bientôt  jugée  par  un  tribunal  plus  compétent. 
Quant  à  nous,  dans  l'humble  sphère  de  nos  travaux,  nous 
n'aurons  pas  perdu  notre  tems  ,  si,  par  la  publication  de 
faits  authentiques,  nous  ajoutons  quelques  documens  à  la 
masse  de  previvessur  lesquelles  ce  tribunal  suprême  fondera 
sa  décision.  (  Qiiarlerly-Revie'W .  ) 


ÉCONOMIE  POLITIQUE. 


DU    SYSTÈ5IE   DES  DETTES    FONDEES    (  I  ). 


Il  est  rai'e  que  les  dépenses  qu'occasionne  nécessaire- 
ment te  gouvernement  d'un  peuple  civilisé,  excèdent,  en 

(i)  Note  DU  Tr.  La  publication  de  cet  arlirlc  est  il<'jà  assez  an- 
cienne, puis(]uc  c'est  en  i8a3  qu'il  a  été  insère'  dans  la  liante  d'E- 
dinbourg-  Mais  la  question  qui  y  est  discutée  est  si  importante  ,  que  la 
considération  de  sa  date  ne  nous  a  pas  paru  suffisante  pour  nous  cm- 
nèflier  d'en  donner  aujourd'hui  la  tiaduclion. 


des  dettes  jbndédù.  •  25") 

lems  de  paix,  le  montant  de  son  revenu  ordinaire.  Mais  , 
eu  tems  de  guerre,  cela  est  très-diflérent.  Lorsque  Thon- 
neur  et  rindépendance  d'une  nation  sont  en  péril,  il  ne 
laut  pas  hésiter  4  faire  tous  les  sacrifices  que  récianient  de 
si  grands  intérêts.  Tjcs  agressions  liostiles  doivent  être  re- 
poussées et  punies.  Mais  il  laut  pour  cela  des  fonds  extraor- 
dinaires i  et  c'est  assurément  une  recherche  fort  impor- 
tante que  celle  du  meilleur  moyen  à  employer  pour  se  les 
procurer. 

11  était  d'usage ,  dans  Tantiquité  ,  de  pourvoir  aux  be- 
soins de  la  guerre  par  les  économies  que  le  fisc  avait  faites 
pendant  la  paix.  L'argent  thésaurisé  était  un  moyen  de 
conquête  ou  de  défense  ,  et  jamais  on  ne  recourait  ,  dans 
des  tems  d'embarras  et  de  désordre ,  à  la  ressource  des 
taxes  extraordinaires  ,  et  bien  moins  encore  à  celle  des  em- 
prunts (i).  Cet  usage  a  été  loué  par  Humej  mais  il  n'a- 
vait pas  calculé  que ,  pour  former  ces  trésors  ,  il  fallait 
enlever  des  capitaux  aux  emplois  productifs,  et  que  cette 
manière  de  procéder  diminuait  nécessairement  l'industrie  , 
et  par  conséquent  la  richesse ,  la  population  et  les  moyens 
de  défense  des  peuples  qui  l'adoptaient.  Aussi  cet  ancien 

(i)  Note  DuTr.  Cette  assertion  est  trop  générale  :  il  paraît  constant 
que  plusieurs  gouvernemens  de  l'antiquité  avaient  contracté  Jes  em- 
prunts. La  sagacité  de  Philippe  de  Macédoine,  père  d'Alexandre,  lui 
avait  même  fait  pressentir  tout  le  parti  qu'on  pouvait  en  tirer,  comme 
mojcn  politique.  Après  lu  spoliation  du  temple  de  Delphes,  par  les 
Phocéens  ,  une  grande  quantité  de  valeurs  métalliques  qui  y  étalent 
accumulées  depuis  des  siècles,  fut  répandue  dans  la  Grèce.  Philippe 
ouvrit  des  emprunts  dans  les  villes  principales  de  ses  différentes  ré- 
publiques, et,  de  cette  manière  ,  il  intéressa  la  classe  dos  capitalistes 
au  succès  de  ses  entreprises.  Ces  emprunts,  en  lui  créant  beaucoup  de 
partisans  dévoués  ,  riches,  et  qui  jouissaient  tous  d'une  influence  plus 
ou  mt)ins  grande,  contribuèrent  bien  davantage  à  l'accomplisscnicni 
doses  vues  politlijues  que  l'éloquence  salariée  de  quelques  oralcurs 
«l'Athènes.  S.  V. 


236  Du  système 

usage ,  fondé  sur  les  principes  les  plus  erronés  ,  esl-il  au- 
jourd'hui généralement  désapprouvé  ",  et  tous  les  écono- 
mistes conviennent  que  l'accroissement  de  dépenses  qu'oc- 
casionne la  guerre ,  doit  être  défrayé ,  soit  par  une  aug- 
mentation proportionnelle  dans  les  impôts  ,  soit  en  partie 
par  ce  moyen  ,  et  en  partie  par  des  emprunts. 

On  a  long-tems  et  vivement  discuté  la  question  desavoir 
quel  est  celui  de  ces  deux  modes  qui  doit  être  préféré  ;  et, 
dans  le  cours  de  cette  discussion,  on  a  avancé  les  opinions 
les  plus  opposées  et  les  plus  contradictoires.  Suivant  nous  , 
à  aucune  époque,  ces  difléreuces  d'opinion  n'auraient  dû 
exister.  Quoi  qu'il  en  soit ,  les  opérations  financières  des 
dernières  trente  années  nous  fourniront  les  moyens  de  les 
faire  cesser,  et  de  résoudre,  d'une  manière  satisfaisante, 
cette  importante  question.  Nous  croyons  ,  d'ailleurs,  que 
le  moment  d'en  reprendre  l'examen  est  arrivé  ,  non-seule- 
ment parce  que  nous  pourrons  présenter  à  l'appui  de  la 
théorie ,  les  résultats  d'une  vaste  expérience ,  naais  aussi 
parce  qu'il  existe  plusieurs  circonstances  qui  doivent  faire 
désirer  que  l'opinion  publique  soit  enfin  fixée  à  cet  égard. 
Si  l'on  ne  connaît  pas  les  principes  sur  lesquels  est  fondé 
notre  système  de  crédit,  il  est  impossible  de  se  rendre  un 
compte  exact  de  la  situation  financière  du  pays ,  et  d'appré- 
cier la  convenance  des  grandes  mesures  qu'on  vient  de 
prendre  relativement  aux  annuités  et  au  fonds  d'amortisse- 
ment. Il  ne  faut  pas  non  plus  nous  dissimuler  que  nous 
n'avons  aucune  garantie  de  la  prolongation  de  la  paix  j  et 
peut-être  avant  peu  serons-nous  dans  le  cas  de  décider  si 
c'est  avec  des  emprunts  ou  des  taxes  extraordinaires  ,  que 
nous  devrons  supporter  les  charges  d'une  nouvelle  guerre. 
Mais  ce  n'est  pas  au  milieu  du  trouble  et  du  tumulte  qui 
suivent  des  préparatifs  militaires,  que  la  comparaison  des 
avantages  et  des  inconvénlens  de  ces  deux  modes  peut  être 
faite  avec  la  maturité  convenable  j  et  c'est  pendant  les  loi- 


dts  dettes  fondées.  i'5'j 

sirs  de  la   paix  que  de  semblables    questions  doivent  être 
examinées  et  résolues. 

Avant  de  commencer  cet  examen ,  nous  dirons  un  mol 
des  étranges  opinions  qui  ont  été  avancées  sur  les  emprunts 
des  gouvernemens  ;  opinions  qui  ne  sont  pas  encore  entiè- 
rement   abandonnées.    Levéque   Berkley    nous  dit    qu'il 
considère  les  fonds  publics  comme  une  mine  d'or.  Me!on  , 
écrivain  français  ,  auteur  d'un  livre  intitulé  Essai  politique 
sur  le   Commerce ,  ne  va  pas  aussi  loin  que   Berkley  ;  il 
assure  seulement,  et  cette  manière  de  voir  a  été  celle  de 
beaucoup  d'autres ,   que  les  dettes  publiques  sont  des  dettes 
de  la  main  droite  a'fa  main  gauche  ;  et  que,  par  conséquent, 
elles  nauzuientent  ni  ne  diminuent  la  richesse  nationale. 
Enfin  ,  im  négociant  Juif  qui  vivait  en  Hollande,  M.  Piiito, 
prétend,  dans  un  livre,  d'ailleurs  ingénieux,  sur  la  circula- 
tion et  le  crédit,  (\[\une  dette  publique  accroît  la  richesse 
nationale  de  tout  le  montant  de  son  capital.  Ce  ridicule 
paradoxe  a  été  soutenu  depuis  par  M.  Hope  ,   d'Amster- 
dam ,  M.  Gale  et  M.  Spence  j  et  ,  ce  qui  est  plus  extraordi_ 
naire,  le  juge  Bayley  en  fut  tellement  séduit,  qu'un  jour, 
dans  un  moment  d'enthousiasme ,   laissant  Blackstone  pour 
Pinto  ,    il  harangua  le  grand   jury   du   Yorkshire  sur  les 
immenses   avantages   d'une    forte  delte  nationale.   «  Nous 
aurions  pu  croire ,  dit  Hume,   que  ces   opinions  n'étaient 
que  des  jeux  d'esprit,  comme  les  discours  de  ces  rhéteurs 
qui  faisaient  l'éloge  de  la  folie  ,  de  la  fièvre  ,  de  Busiris  ou 
de  Néron  ,  si  nous  n'avions   pas   vu  de  grands  ministres 
s'en  faire,  parmi  nous,  les  patrons.  »  La  fausseté  de  ces 
lapinions  est  cependant  si  évidente  qu'il  est  étonnant  qu'elles 
aient   jamais  pu  avoir   des  partisans.   Nous  conviendrons 
avec  Melon,  car  il  est  inutile  de  parler  de  ]M.  Piuto,  qu'une 
dette  publique  est   une  dette  de  la  main  droite  à  la  main 
gauche  :  nous  observerons  seulement  que  ce  n'est  pas  d(î 
l'intérêt  qu'il  s'agit,    mais  du   capital  pour  lecjucl  cet  iu~ 


a58  Du  système 

térct  csl  desservi.  Or  ce  capital  n'a  pas  été  prête  par  une 
fraction  de  la  nation  à  une  autre  fraction ,  mais  ou  gouver- 
nement qui  Ta  dépensé  comme  revenu.  Il  est  entièrement 
anéanti  j]  et  les  rentiers  de  TEtat ,  au  lieu  d'en  touclier  la 
rente,  tirent  au  conti'aii*e  leur  revenu  des  capitaux  et  de 
l'industrie  des  autres  classes  de  la  société. 

Afin  de  mieux  faire  sentir  les  effets  des  emprunts  sur 
la  richesse  nationale ,  supposons  qu'un  pays  ,  avec  deux 
uiillions  d'habitans  et  quatre  cents  millions  st.  de  capital  , 
se  trouve  engagé  dans  une  guerre  ,  et  que  le  gouvernement 
emprunte  et  dépense  cinquante  millions  de  ce  capital. 

Si  le  taux  ordiuaii-e  du  profit  qu'on  en  retirait  était  de 
dix  pour  cent  ^\^  rç.yenw  du  pays  devait  être  de  quarante 
millions,  antérieurement  à  la  guerre j  mais  à  sa  conclu- 
sion, après  la  dépense  des  cinquante  millions,  il  n'aura 
plus  été  que  de  trente-cinq.  Il  est  évident  cependant  que 
ce  revenu,  ainsi  réduit,  devra  fournir  des  moyens  de 
subsistance  à  la  totalité  des  deux  millions  d^habitans  ;  et 
quoiqu'il  soit  vrai  que  le  pays  n'est  pas  privé  de  l'intérêt 
de  la  dette,  puisque  cet  intérêt  est  seulement  transféré 
d'une  classe  à  une  autre ,  il  ne  l'est  pas  moins  qu'il  est 
privé  du  revenu  des  cinquante  millions,  et  que  le  capital 
qui  servait  jadis  à  alimenter  et  à  vêtir  un  huitième  des 
habitans  étant  anéanti,  il  faut  qu'ils  tirent  leurs  moyens 
de  subsistance  du  revenu  d^  ceux  qui,  probablement  , 
avaient  déjà  beaucoup  dé'  peine  à  s'entretenir  eux- 
mêmes. 

Ces  courtes  observations  serviront  à  faire  connaître  la 
véritable  nature  des  dettes  publiques  ;  mais  elles  ne  sufli- 
senl  pas  pour  décider  la  question  qui  fait  le  sujet  de  cet 
article.  Chaque  guerre  doit  nécessairement  entraîner  une 
perte  de  capital  plus  ou  moins  considérable.  Il  est ,  par 
conséquent,  de  la  plus  haule  importance  de  savoir  ce  qu'il 
faut  faire  pour  que  ces  inconvéniens  inévitables  soient  moisis 


des  dettes  fondées,  23g 

pernicieux. ,  et  puissent  être  plus  facilement  réparcs  ;  et 
c'est  ce  que  nous  allons  osaminer  à  l'instant. 

Si  la  facilité  avec  laquelle  l'argent  peut  être  obtenu 
était  la  seule  chose  qu'on  dût  considérer ,  en  comparant  le 
système  des  emprunts  avec  l'autre  mode  de  pourvoir  aux 
besoins  extraordinaires  de  l'Etat ,  par  une  augmentation 
pi'oporlionuelle  dans  les  taxes,  il  n'y  a  cucun  doule  que 
c'est  aux  emprunts  qu'il  faudrait  donner  la  préférence.  Le 
taux  élevé  de  l'intérêt,  l'exactitude  avec  laquelle  il  est 
payé ,  et  l'espoir  que  chacun  entretient  qu'il  saura  habi- 
lement profiter  des  fluctuations  du  cours  des  fonds  publics, 
tout  contribue  à  déterminer  une  classe  nombreuse  de  ca- 
pitalistes à  prêter  au  gouvernement,  qui  peut,  de  cette 
manière ,  se  procurer ,  très-facilement  et  dans  des  délais 
très-courts  ,  des  sommes  considérables.  Dun  autre  côté,  la 
masse  des  contiubuables  se  félicite  également  de  ce  système, 
car,  au  lieu  de  prélever  sur  eux  une  forte  somme  par  de 
nouveaux  impôts ,  on  ne  leur  demande  que  ce  qui  est  né- 
cessaire pour  payer  l'intérêt  de  cette  somme;  et  comme 
une  charge  aussi  modérée  ne  met  personne  dans  la  néces- 
sité de  réduire  beaucoup  ces  jouissances,  on  s'y  soumet 
sans  murmures.  Tl  n'est  pas  étonnant  d'après  cela  que  les 
divers  gouvernemeus  aient  souvent  eu  recours  à  un  moyen 
aussi  facile  et  en  même  tems  aussi  populaire  de  se  procurer 
l'argent  dont  ils  ont  besoin. 

Mais  quoique  le  plus  ou  moins  de  facilité  avec  laquelle 
l'argent  sera  obtenu ,  soit  une  considération  importante  , 
il  y  en  a  d'autres  qui  le  sont  bien  davantage,  l^es  effeis 
réels  d'une  opération  financière  ne  peuvent  pas  être  con- 
venablement appréciés  ,  en  en  examinant  seulement  les 
conséquences  immédiates.  Nous  devons  porter  noire  vue 
plus  loin  et  tâcher  de  découvrir  quelles  doivent  en  être  les 
conséquences  définitives.  Si  on  procède  de  cette  manière 
et  que  l'on  examine,  non  pas  seulement  les  elfcls  transi- 


a^o  -O"  système 

toires,  tnaîs  aussi  les  effets  diu'ables  clu  système  des  em- 
prunts ,  Ton  se  convaincra  qu'au  fond  les  facilités  f|u'il 
donne  au  gouvernement  (ie  se  procurer  de  l'argent  ,  loin 
d'être  un  avantage ,  sont  an  contraire  au  nombre  de  ses 
plus  grands  iuconvcnicns.  Assurément  il  serait  fort  peu 
raisonnable  de  croire  que  les  dépenses  d'une  guerre  puis- 
sent être  défrayées  sans  préjudice  et  sans  pertes  pour  les 
contribuables.  Alors  même  qu'elle  est  juste  et  nécessaire, 
la  guerre  est  toujours  un  très-grand  mal  ;  et  les  peuples  qui 
ont  le  malheur  de  la  faire  doivent  souffrir  plus  nu  moins 
promptement  des  suites  de  la  perte  des  capitaux,  et  par 
conséquent  de  la  diminution  des  moyens  de  production.  Or 
il  est  évident  qu'un  plan  de  finances  est  vicieux,  quand  il  a 
pour  résultat  de  déguiser  ces  inconvéniens  inévitables  de  la 
guerre  et  de  tromper  !e  public  sur  sa  situation  réelle  ;  et 
c'est  ce  que  font  les  dettes Jondées.  Leurs  apologistes  disent 
qu'elles  n'imposent  jamais  aux  contribuables,  dans  un  tcms 
donné,  des  sacrifices  extraordinaires  j  à  cet  égard,  elles 
ressemblent  à  ces  affections  cbroniques  qui  s'introduisent 
lentement  et  imperceptiblement  dans  le  corps  humain  , 
et  dont  le  danger  ne  se  fait  apercevoir  que  lors  qu'elles  ont 
vicié  toute  l'économie  animale  et  attaqué  les  jîrincipes 
mêmes  de  l'existence.  Les  profusions  de  la  guerre  ne  peu- 
vent être  contrebalancées  que  par  les  progrès  de  l'industrie 
des  particuliers  et  par  leur  économie  5  mais  pour  que 
cette  économie  ait  lieu,  et  que  les  contribuables  cherchent 
à  augmenter  leur  industrie  ,  ils  faut  qu'ils  sentent  l'in- 
flueuce  qu'exercent  sur  leur  fortune  les  frais  de  la  guerre. 
Ce  sont  les  illusions  qu'il  entretient  qui  constituent  le 
vice  radical  du  système  des  emprunts.  Ses  progrès  .sont 
graduels  et  presqu'impeixeptib'.es  5  il  n'exige,  dans  le 
principe,  que  de  légers  sacrifices  ,  mais  jamais  il  ne  cède 
ce  qu'il  a  une  fois  obtenu^  et  l'ambition  .  l'injustice  et  l'a- 
vidilé   du  gouvernement ,  aussi  bien  que   celles  des  Etats 


des  dettes  fondées.  a4 1 

voisins  j  ne  lardent  pas  à  commander  des  sacrifices  nou- 
veaux. Le  public  est,  de  cette  manière,  privé  de  ses 
jouissances  ,  les  unes  après  les  autres  3  et  les  contribuables 
ne  sont  pas  encore  sortis  de  leurs  rêves  ,  que  leur  industrie 
et  leurs  propriétés  se  trouvent  grevées,  par  les  intérêts  de  la 
dette  publique,  d'une  somme  beaucoup  plus  considérable 
que  s'ils  avaient  satisfait  immédiatement  aux.  frais  de  la 
guerre. 

On  dira  peut-être  qu'en  admettant  que  nous  soyons  en- 
gagés dans  une  guerre  qui  coûte  annuellement  vingt  mil- 
lions st.,  ce  sera  tout-à-fait  la  môme  cbose,  pourvu  que 
l'intérêt  soit  à  cinq  pour  cent ,  si  nous  payons  ces  vingt 
millions  tout  d'un  coup  par  l'augmentation  proportionnelle 
des  taxes,  ou  si  le  gouvernement  emprunteet  rembourse  les 
prêteurs  par  un  contrat  de  rente  perpétuelle  d'un  million 
par  an  j  car  l'intérêt  étant  à  cinq  pour  cent,  les  vingt 
millions  et  l'annuité  perpétuelle  d'un  million  représentent 
absoluinent  la  même  valeur.  Mais  c'est  précisément  parce 
que  la  masse  du  public  n'a  jamais  pensé  el  ne  pensera  ja- 
mais ainsi,  que  le  systèmes  des  dettes  fondées  est  très-perni- 
cieux. Supposons,  par  exemple,  que  Ton  ait  satisfait  aux. 
cbarges  extraordinaires  par  des  impôts  levés  dans  l'année, 
et  que  la  part  de  chacun,  dans  ces  nouvelles  contributions, 
soit  de  mille  livres  :  le  désir  de  se  maintenir  dans  son  an- 
cienne situation  et  de  conserver  sa  fortune  intacte  ,  désir 
qui  naît  avec  nous  et  qui  ne  nous  quitte  qu'au  tombeau,  en- 
gagera certainement  le  contribuable  à  tâcher  de  s'acquitter 
en  donnant  une  impulsion  pus  active  h  son  industrie, 
ou  en  soumettant  ses  dépenses  à  une  économie  plus  sévère, 
afin  que  ses  c.ipilaux  ne  soient  pas  entamés.  Mais  ,  sous 
l'empire  du  système  des  emprunts,  on  ne  lui  aurait  de- 
mandé que  de  payer  l'iulérct  des  mille  liv,  ou  cinquante 
'  liv.,  et  au  lieu  d'épargner  les  mille  liv.,  il  se  serait  contenté 
d'en  épargner  l'intérêt.  Les  hommes  se  conduisent  de  cette 


242  T)u  systèniti 

manière ,  parce  qu'ils  sont  dans  l'usage  invariable  de  ne 
considérer  une  guerre  comme  onéreuse,  que  dans  îa  pro- 
portion des  obligations  auxquelles  il  faut  qu'i's  satisfassent 
immédiatement,  sans  calculer  la  durée  probable  de  ces 
charges.  Ce  serait  une  tentative  fort  inutile  de  clierclier  à 
leur  démontrer  que  le  paiement  d'une  rente  perpéîuelle  de 
cinquante  liv.  est  aussi  onéreux  que  le  paiement  unique  de 
mille  liv.  Nous  sommes  toujours  disposés  à  croire  que  quel- 
(praceident  imprévu  ou  quelque  révolution  viendra  à  notre 
aide,  et  dégagera  noire  fortune  du  fardean  d'un  paiement 
perpétuel. 

Nous  calculons  aussi  que,  dans  tous  les  cas,  la  portion 
la  plus  considérable  restera  à  la  charge  de  la  postérité,  ou, 
ce  qui  est  la  luème  chose  ,  que  ce  paiement  sera  réparti  en 
un  grand  nombre  d'années.  Cette  considération  est  même 
un  des  principaux  argumens  des  apologistes  des  dettes 
fondées.  Mais  il  serait  facile  d'en  démontrer  Soute  la  fai- 
blesse, et  de  faire  voir  que  ce  que  l'adminislralion  a  de 
mieux  à  faire  ,  c'est  de  protéger ,  le  plus  possible  ,  les  in- 
térêts de  l'avenir,  sans  blesser  ceux  du  présent;  et  c'côt 
précisément  ce  qu'on  fait  en  levant,  dans  le  cours  de  cba- 
que  année  ,  tout  l'argent  nécessaire  pour  en  payer  la  dé- 
pense. Dans  l'bypothèse  même  où  ce  système  n'augmen- 
terait pas  l'esprit  d'économie,  l'adoption  n'en  serait  pas 
préjudiciable  aux  générations  existantes,  et  les  effets  eu 
seraient  les  inênjes  pour  elies  et  pour  la  postérité  ,  que 
ceux  du  système  des  emprunts  ;  car  il  est  évident  que  ce 
serait  une  chose  tout-à-falt  indifférente  pour  riiérilier 
d'un  individu  ,  dont  la  quole  part  dans  les  dépenses  d'une 
guerre  aurait  été  de  1,000  liv.  st.,  si  cet  individu  avait 
payé  tout  d'un  coup  cette  somme  ,  et  laissait  1,000  liv.  de 
moins,  ou  bien,  s'il  laissait  ces  1,000  liv.  grevées  d'une 
rente  perpétuelle  de  5o  liv.  C'est  un  des  avantages  par- 
ticuliers du  mode  que  nous  voudrions  voir  préférer,  qu'en 


des  dettes  fondées.  245 

même  tems  qu'il  n'impose  à  personne  de  fardeau  plus  con- 
sidérable que  celui  qui  résulterait  d'une  dette  fondée  ,  et 
qu'il  laisse  à  cliacun  la  faculté  de  se  soulager  d'une  partie 
de  ce  fardeau,  en  le  partageant  avec  la  postérité,  sa  ten- 
dance naturelle  est  cependant  d'engager  la  masse  du  pu- 
blic à  ne  pas  user  de  cette  facilité  et  à  devenir  plus  active, 
plus  frugale  et  plus  économe.  Ce  serait  une  erreur  gros- 
sière de  supposer  qu'il  ne  ménage  l'avenir  qu'aux  dépens 
(iu  présent  ;  c'est  en  communiquant  une  impulsion  plus 
vive  à  l'industrie  des  contemporains,  et  en  faisant  mieiix 
sentir  les  avantages  de  l'esprit  d'accumulation,  qu'il  sert 
la  poslérilé.  Sous  l'empire  de  l'un  des  systèmes  que  nous 
examinons ,  ou  n'épargne  juste  que  ce -qu'il  faut  pour  payer 
l'intérêt  du  capital j  sous  l'empire  de  l'autre,  c'est  le  ca- 
pital lui-même  qu'on  économise.  Si  donc  on  veut  décider  la 
question  par  l'intluence  qu'ils  exercent  respectivement  sur 
la  richesse  nationale,  et  cette  considération,  dit  M,  Genlz 
doit  toujours  être  la  première  et  l'ejnporter  sur  toutes  les 
autres,  il  ne  peut  y  avoir  aucun  doute  sur  la  manière  dont 
elle  sera  résolue. 

Mais  ces  raisons  ne  sont  pas  !es  seules  que  nous  ayons  à 
faire  valoir.  Nous  devons  aussi  parler  des  dangers  de  'a 
facilité  avec  laquelle  les  gouvernemens  se  j  reçurent  de 
l'argent  par  le  système  des  emprunts.  Celte  facilité  dép'o- 
rable  a  été  une  des  causes  principales  de  ces  innombrables 
guerres  qui  ont  désolé  le  monde,  depuis  la  renaissance  d  s 
lettres.  C'est  elle  qui  a  déterminé  les  divers  gouvernemens 
à  s'engager  témérairement  dans  les  entreprises  les  plus 
ruineuses  ,  tandis  qu'en  trompant  les  peuples  sur  les  con- 
séquences inévitables  qu'elles  devaient  avoir,  elle  ne  les  a 
que  trop  disposés  à  applaudir  et  à  seconder  les  ambitieux 
(Ti'ojels  de  louis  cliefs.  La  loterie  de  la  guerre  est  la  plus 
dangereuse  de  toutes  les  loteries  :  ses  conquêtes  ses 
trionqîhcs  ,  quelque  séduisans  et  quel.'pie  magnifiques  qu'ils 


a  4  4  ^"  système 

soient ,  ne  sont  cependant  que  des  compensations  miséra- 
bles de  l'or  et  du  sang  qu'il  faut  répandre  pour  les  obtenir. 
Le  bon  sens  national  se  manifeste  principalement  eu  évitant 
toutes  les  guerres  inutiles,  et  en  terminant  celles  qui  sont 
nécessaires ,  aussitôt  qu'elles  peuvent  l'être  avec  sûreté  et 
honneur.  Mais  pour  que  les  peuples  apprécient  les  ines- 
timables avantages  delà  paix,  il  faut  commencer  par  leur 
faire  sentir  que  la  guerre  est  toujours  un  jeu  ruineux, 
même  pour  ceux  qui  paraissent  y  gagner  ,  et  qu'il  n'y  a  pas 
moyen  de  la  faire,  sans  être  forcé  de  renoncer  à  une  partie 
des  aisances  et  des  agrémens  de  la  vie.  Malheureusement 
le  système  des  emprunts  cache,  pendant  quelque  tems, 
aux  yeux  des  peuples  ,  ces  conséquences  inévitables,  et,  en 
leur  persuadant  qu'ils  ne  les  ressentiront  jamais  ,  les 
pousse  à  manifester  des  dispositions  farouches  et  intraita- 
bles dans  les  occasions  les  plus  futiles.  Tl  en  résulte ,  et  ce 
résultat  est  déduit  des  faits  les  plus  nombreux  et  les  plus 
positifs,  que  tout  État  qui  a  eu  recours  ,  pendant  un  cer- 
tain tems,  aux  emprunts,  ne  tarde  pas  à  se  trouver  en- 
aaeé  dans  une  masse  de  dettes  et  de  difficultés  inextricables; 
que  les  taxes  qu'il  supporte  se  maintiennent  à  un  taux  à 
peu  près  aussi  élevé  en  tems  de  paix  qu'en  tems  de  guerre  ; 
qu'il  se  trouve  quelquefois  forcé  de  rester  neutre ,  lors- 
que sou  honneur ,  ses  devoirs  ou  ses  intérêts  lui  com- 
mandent de  prendre  les  armes,  et  que  le  fardeau  sous  lequel 
il  gémit  devient  la  cause  d'agitations  convulsives  qui  se 
terminenî;  presque  toujours  par  la  banqueroute  et  par  une 
révolution. 

C'est  seulement  pour  un  peuple  qui  satisferait  à  ses 
besoins  extraordinaires,  par  un  accroissement  correspon- 
daiît  dans  ses  taxes  ,  qu'il  serait  vrai  de  dire,  avec  le  poète, 
que  la  paix  apporte  avec  elle  sous  son  aile  la  guérisou  des 
maux  des  nations.  Aussitôt  <jne  la  guerre  serait  terminée, 
les  taxes  imposées  pour  en  supporter  les  frais  cesseraient 


des  dettes  fondées.  u^'j 

également.  Les  prix  descemlraient  h  leur  véritable  niveau, 
cl  rindiislrle  dégagée  du  poids  qui  pesait  sur  elle,  l'cpren- 
drait  un  nouvel  essor.  Si  nous  nous  étions  toujours  dirigés 
d'après  ces  principes,  nos  taxes  n'excéderaient  pas  aujour- 
d'hui cinq  à  six  millions  st.  (  230,000,000  i'r.  ),  c'est-à- 
dire  à  peu  près  la  somme  qui  est  nécessaire  pour  payer  les 
frais  de  perception  de  notre  revenu  actuel,  et  en  même 
tems,  nous  aurions  en  capital  plusieurs  centaines  de  mil- 
lions que  nous  ayons  dissipés.  La  Grande-Bretagne ,  plus 
puissante  ,  plus  peuplée  et  plus  riche  ,  pourrait  bien  mieux 
résister  aux  attaques  dirigées  contre  son  indépendance  et  sa 
liberté  ,  et  elle  serait  plus  à  même  de  protéger  efficacement 
la  liberté  des  autres. 

Les  objections  que  l'on  nous  fait ,  quoiqu'assez  plausi- 
bles,  ne  sont  au  fond  d'aucun  poids.  On  prétend  d'abord 
que  le  paiement  immédiat  des  dépenses  d'une  guerre  serait , 
dans  beaucoup  de  cas,  tout-à-fait  impraticable,  et  que 
dans  les  tems  modernes,  ces  dépenses  se  sont  tellement 
élevées,  qu'il  n'y  a  guère  d'autre  manièi^e  d'y  satisfaire  , 
que  de  partager  le  fardeau  avec  la  postérité  pac  la  voie 
des  emprunts.  Le  meilleur  moyen  de  détruire  l'argument 
lire  de  V impossibilité ,  c'est  de  faire  voir  que  la  chose  a  réel- 
lement eu  lieu  5  or,  avant  de  finir,  nous  espérons  démontrer 
à  nos  lecteurs  que  les  sommes  que  le  gouvernement  s'est 
procurées  par  1  impôt,  ont,  à  peu  de  chose  près  ,  égalé  le 
montant  de  l'énorme  dépense  que  la  guerre  de  1795  à 
18 16  a  occasionée,  et  que  nous  avons  ajouté  plus  de  six 
cents  millions  sterlings  (quinze  milliards  de  francs),  à  notre 
dette  fondée,  pour  éviter  de  lever  une  centaine  de  millions 
de  taxes  additionnelles,  pendant  le  cours  de  ces  vingt-trois 
années. 

•  .A.U  fond ,  l'argument  tiré  de  l'impossibilité  se  réiuità 
ceci  :  que  le  mode  de  payer  la  totalité  des  dépenses  d  un 
exercice,  par  les  t;ixes  qui  y   seraient  alîectées  ,  serait  fort 


246  Du  xysthne 

gênant  pour  les  propi'iclairps  ot  ]ionr  les  fabricans  qui,  en 
général,  ont  fort  peu  tVargent  coinplant.  Supposons  ,  par 
exemple,  que  la  part  d'un  manufacturier,  dans  les  frais 
d'une  guerre ,  s'élève  à  i,ooo  liv.,  et  qu'il  ne  puisse  ni 
économiser  cette  somme  sur  sa  dépense  personnelle  ,  ni 
la  retirer  de  ses  affaires ,  sans  préjudice.  L'avantage  du 
système  des  dettes  fondées  consiste,  nous  dit-on,  à  le 
dégager  de  j' obligation  de  faire  ce  paiement ,  au  moven 
d'une  petite  réserve  annuelle  de  5o  liv.,  qu'il  pourra  facile- 
ment prélever  sur  ses  bénéfices.  Mais  le  plus  léger  examen 
suffira  pour  faire  voir  que  cet  avantage  n'est  qu'apparent. 
En  effet ,  le  fabricant  en  question  ne  se  trouve  dégagé  de 
l'obligation  de  payer  immédiatement  les  i,ooo  liv.,  que 
parce  que  le  gouvernement  les  emprunte  lui-même  ,  en 
laissant  l'intérêt  à  sa  charge.  Or,  n'est-il  pas  évident  qu'il 
aurait  pu  faire  directement  ce  qu'il  fait,  par  l'intermé- 
diaire des  agens  du  fisc  «  Il  est  hors  de  doute,  dit 
M.  Ricardo  ,  qu'il  existe  des  capitalistes  disposés  à  prêter 
aux  particuliers  ,  et  la  promptitude  avec  laquelle  !e  gou- 
vernement remplit  ses  emprunts  le  prouve.  Que  ce  grand 
emprunteur  se  relire  du  marché,  et  les  emprunts  privés 
se  rempliront.  Avec  de  bonnes  lois  et  de  sages  réglemens , 
ces  transactions  particulières  pourraient  même  se  faire 
avec  la  plus  grande  facilité.  Dans  l'état  actuel  des  choses 
A  avance  l'argent,  et  B  paie  l'intérêt  au  gouvernement,  qui 
le  paie  à  A.  Dans  notre  système  B  paierait  directement 
l'intérêt  à  A.  » 

..iais  ce  n'est  pas  tout.  Si  un  particulier  va  sur  la  place 
emprunter  de  l'argent  pour  son  propre  compte,  il  emprun- 
tera à  des  conditions  plus  avantageuses  que  les  agens  du 
trésor.  Se  procurer  de  l'argent,  n'importe  à  quelles  condi- 
tions ,  est  le  but  exclusif  de  ces  derniers ,  tandis  que  ce 
que  les  particuliers  désirent  par-dessus  tout,  c'est  de  s'en 
proctn-er  à  bon  marché.  Une  r/c^/eyo/zf/ee  exige  d'ailleurs 


des  dettes  fondées-  2^7 

t 
un  clispendieux  établissement  qui  coûte  au  pays  plusieurs 

millions  par  an  pour  la  perception  des  taxes  destinées  à  en 
payer  l'intérêt.  Ainsi  il  est  évident  qu'à  tous  égards  il  vau- 
drait beaucoup  mieux  que  les   particuliers  qui  n'ont  pas 
d'argent  comptant,  empruntassent  eux-mêmes,  que  d'em-    i 
prunier  par  l'intermédiaire  du  gouvernement. 

Comme  un  accroissement  subit  et  considérable  des  taxes 
qui  affectent  les  objets  de  luxe,  en  diminuerait  la  consom- 
mation et  rendrait  par  conséquent  ces  taxes  peu  produc- 
tives ,  il  serait  indispensable  ,  pour  payer  les  dépenses  ex- 
traordinaires de  l'année ,  d'imposer  les  objets  de  nécessité 
ou  bien  le  revenu  des  particuliers.  Mais  on  observe  que  si 
les  choses  nécessaires  à  la  vie  sont  surtaxées,  l'impôt  pèsera 
principalement  sur  la  classe  qui  sera  le  moins  en  état  de  le 
supporter,  c'est-à-dire  sur  celle  des  prolétaires ,  et  que  si , 
au  contraire ,  c'est  à  une  taxe  sur  le  revenu  que  l'on  a  re- 
cours, elle  ne  pèsera  pas  d'une  manière  moins  inégale  et 
moins  oppressive  sur  les  rentiers  et  sur  ceux  qui  exercent 
des  professions  libérales.  Nous  ne  croyons  pas  cependant 
que  ces  objections  soient  plus  fondées  que  celles  que  nous 
avons  défà  réfutées.  C'est  une  erreur  de  supposer  qu'une 
taxe  sur  les  objets  de  nécessité  imposerait  de  plus  grands 
sacrifices  aux  classes  ouvrières  qu'aux  autres  ;  car  le  prix 
de  la  journée  s'accroîtrait ,  après  l'imposition  de  la  taxe , 
de  manière  à  les  maintenir  dans  leur  ancienne  situation. 
En  effet ,  le  produit  de  la  taxe  tomberait  dans  les  mains  du 
gouvernement  qui,  par  suite,  se  trouverait  à  même  de 
commander  plus  de  travail;  ainsi  l'impôt  qu'on  aurait  enlevé 
aux  ouvriers  ne  tarderait  pas  à  leur  être  rendu  par  la  hausse 
que  les  demandes  du  gouvernement  ou  de  ses  agens  produi- 
raient dans  les  salaires. 

Il  n'est  pas  plus  juste  de  prétendre  que  dans  le  cas  où 
l'on  mettrait  une  contribution  sur  le  revenu ,  pour  défrayer 
les  dépenses  de  la  guerre,   elle  pèserait  trop  inégalement 
I.  17 


248  Du  xysième 

sur  ceux  qui  exercent  des  professions  libérales.  Ce  nVst 
pas,  il  faut  Tavouer,  sans  quelque  apparence  de  raison  , 
qu'on  se  récrie  sur  l'extrême  injustice  qu'il  y  aurait  à  im- 
poser l'homme  de  loi  ou  le  médecin ,  dont  l'industrie  est 
souvent  l'unique  moyeu  d'existence  d'une  nombreuse  fa- 
mille, delà  même  manière  que  le  capitaliste  ou  le  proprié- 
taire foncier.  Mais  11  sera  facile  de  faire  voir  que  la  condi- 
tion des  individus  qui  exercent  des  professions  libérales,  ne 
serait  pas  moins  affectée  par  les  taxes  qui  frapperaient  ex- 
clusivement la  classe  des  propriétaires  ou  des  capitalistes  , 
que  si  ces  taxes  pesaient  en  même  tems  sur  eux. 

En  effet,  lessalaii'es  des  médecins,  des  avocatset  de  tous 
ceux  qui  se  trouvent  dans  la  même  catégorie,  dépendent . 
en  partie  ,  des  frais  que  leur  éducation  a  occasioués  ,  et ,  en 
partie,  des  habitudes  particulières  de  la  société  dans  la- 
quelle ils  vivent  et  du  rang  qu'ils  doivent  y  tenir.  Si  les 
salaires  n'étaient  que  la  compensation  des  frais  faits  pour 
leur  éducation,  ils  ne  seraient  pas  long— tems  affectés  par 
une  taxe  sur  le  revenu  ,  car  aussitôt  que  cette  taxe  aurait 
été  imposée ,  on  les  trouverait  insuffisans.  Dès-lors  les 
jeunes  gens  seraient  détournés  de  ces  professions;  et  ceux 
qui  les  exerceraient ,  fortement  tentés  d'y  renoncer,  elcetic 
double  action  se  prolongerait  jusqu'à  ce  qu'eu  diminurint  la 
concurrence,  elle  ramènerait  les  salaires  à  leur  véritable 
niveau  .  c'est-à-dire  jusqu'à  ce  qu'ils  se  seraient  augmentés 
de  tout  le  montant  de  la  taxe. 

La  seule  classe  en  faveur  de  laquelle  il  serait  juste  de 
réduire  le  montant  de  la  charge  qui  résulterait  d'une  taxe 
sur  le  revenu  ,  est  celle  dont  les  moyens  d'existence  pro- 
viennent d'annuités  qui  doivent  s'éteindre  à  des  époques 
fixes.  H  est  évident  qu'une  taxe  semblable  pèserait  plus 
fortement  sur  cette  classe  que  sur  celle  des  propriétaires 
fonciers  ou  des  capitalistes,  dont  le  revenu  est  tire  de 
sources  qu'on  considère  comme  inépuisables.  Il  serait  donc 


des  dettes  fondées.  249 

lif'cessaire,  pour  ne  pas  surtaxer  les  possesseurs  d'annuités 
l\  terme,  et  pour  les  maintenir  clans  leur  situation  relative, 
«le  leur  accorder  un  déi^rèvement  qui  devrait  être  en  pro- 
portion inverse  de  la  durée  de  leurs  annuités. 

On  obtieildrait  deux  avantages  importans ,  en  recourant 
à  une  taxe  sur  le  revenu,  de  préférence  à  des  impôts  sur 
les  objets  de  nécessité  ou  de  luxe  pour  défrayer  les  dépenses 
extraordinaires  de  Tannée.  Le  premier  consisterait  dans 
l'égalité  avec  laquelle  cette  taxe  afl'ecterait  les  différentes 
classes  de  la  société.  Les  impôts  sur  les  consommations  on 
sur  les  marchandises  pèsent ,  au  contraire  ,  trop  fortement 
sur  ceux  qui  ont  des  familles  nombreuses  ou  dont  la  situa- 
lion  exige  une  dépense  considérable,  tandis  que  les  riches 
avares  ,  ou  les  personnes  qui  n'ont  pas  de  famille,  peuvent 
presqu'entiérement  se  soustraire  à  ces  charges. 

Le  second  avantage  d'une  taxe  sur  le  revenu  consiste 
dans  le  peu  de  changement  qu'elle  occasione  dans  la  ma- 
nière dont  les  capitaux  sont  distribués  ,  et  dans  le  prix  des 
marchandises.  Quand  un  impôt  frappe  une  classe  particu- 
lière de  marchandises  ,  les  producteui's  ,  afin  d'en  élever  le 
prix  proportionnellement  à  cet  impôt,  diminuent  la  quan- 
tité qu'ils  étaient  dans  l'usage  de  mettre  sur  le  marché  ,  en 
engageant  dans  d'autres  affaires  une  portion  plus  ou  moiiis 
considérable  du  capital  qu'ils  employaient  à  produire  l'ar- 
ticle taxé.  Mais  une  taxe  sur  le  revenu  opère  comme  un 
impôt  qui  serait  convenablement  réparti  sur  les  profits. 
Or,  si  les  profits  étaient  taxés  avec  égalité,  il  n'y  aurait 
pas  d'avantages  à  transférer  son  capital  d'une  affaire  à  une 
antre  ,  et  les  producteurs  n'auraient  aucun  moyen  de  faire 
hausser  les  prix.  Chaque  individu  continuerait  à  faire  ce 
(|u'il  aurait  fait  ,  s'il  n'y  avait  pas  eu  d'augmentation 
dans  les  contributions,,  et,  comme  par  le  passé,  il  s'occii- 
])erait  des  opérations  qui  lui  paraîtraient  les  plus  avanta- 
{^euses.   Les  capitatix    et    l'industrie  ne  seraient   pas  eu- 


a5o  Du  système 

traînés  dans  les  voies  artificielles.  On  nVlèverait  pas  la 
paie  des  troupes  et  les  trailemens  des  fonctionnnaires  pu- 
blics ,  à  cause  de  l'augmentatiou  des  prix  ,  produite  par  les 
impôts.  A  la  fin  delà  guerre,  chaque  chose  serait  à  sa  vé- 
ritable place ,  et  nous  pourrions  tirer  immédiatement  parti 
de  tous  nos  avantages  naturels  et  acquis. 

M.  de  Gentz  prétend ,  et  il  compte  beaucoup  sur  la  force 
de  cet  argument,  qu'il  est  toujours  an  pouvoir  des  con- 
tribuables de  payer  Tintérct  des  emprunts  ,  tandis  que  s'il 
fallait  en  payer  le  capital ,  il  en  résulterait  une  si  grande 
diminution  dans  leurs  moyens  de  production  ,  qu'ils  fini- 
raient peut-être  par  se  trouver  dans  l'impuissance  d'eu 
payer  même  l'intérêt.  En  raisonnant  ainsi,  ou  suppose 
nécessairement  qu'un  individu  qui  est  dans  les  affaires  et 
qui  n'a  pas  de  capitaux  surabondans  ne  peut  pas  trouver 
à  emprunter  pour  payer  ses  taxes  extraordinaires ,  et  nous 
avons  prouvé  que  cela  était  au  contraire  très-facile.  Ce 
serait ,  d'ailleurs  ,  une  erreur  de  croire  que  l'avantage  du 
mode  que  nous  voudrions  voir  préférer,  résulte  de  ce  qu'il 
sauve  la  totalité  de  la  dépense.  Chaque  guerre  occasione  la 
perte  d'un  capital,  et,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  toute 
la  question  est  de  savoir  si  cette  perte  est  plus  prompte- 
ment  compensée  par  notre  système  que  par  celui  des  em- 
prunts. 

■Il  n'est  pas  plus  exact  de  dire  qu'il  est  toujours  au  pou- 
voir des  individus  de  payer  l'intérêt  des  emprunts  par  un 
redoublement  d'activité  et  d'économie.  Ci :!a  est  générale- 
ment vrai  dans  l'enfance  du  système  ,  mais  lorsqu'il  a  im- 
posé sur  la  nation  le  fardeau  d'une  dette  énorme,  el  qu'il 
l'a  privée  delà  plus  grande  partie  c'  ses  ait- uces,  l'activité, 
l'économie  ne  sufHsent  pas  pour  acquitter  les  arrérages 
des  emprunts.  Comme  il  n'existe  plus  aucun  principe  qui 
puisse  balancer  la  perle  du  capital  et  par  conséquent  celle 
du  revenu,  la  richesse  publique  ne  lardera  pas  à  diminuer 


des  dettes  fondées.  20 1 

avec  une  effrayante  rapidité.  Dans  l'origine,  et  lorsqu'il  est 
le  moins  nia'faisant,  le  système  des  dattes  fojidées  est  un 
système  de  déception  et  de  prodigalités,  et  lorsqu'une  fois 
il  a  acquis  tout  son  développement,  non-seulement  il  dé- 
truit une  portion  considérable  des  moyens  de  reproduction , 
malsj  en  maintenant  les  impôts  au  taux  le  plus  élevé,  pen- 
dant la  paix,  il  accable  le  peuple  ,  il  paralyse  son  énergie  ,  il 
excite  fortement  les  capitalistes  à  transporter  leurs  capitaux 
dans  des  pays  moins  malheureux,  et  11  devient  une  source 
active  et  féconde  de  ruines,  de  désastres  et  de  révolutions. 

Il  est  à  peu  près  inutile  de  parler  de  l'étrange  argument 
avancé,  en  faveur  des  dettes  fondées,  par  M.  INecker.  Il  pré- 
tend que  lorsqu'une  fols  une  nation  a  eu  recours  à  ce 
moyen,  les  antres  doivent  Templover  également  dans  l'In- 
térêt de  leur  sûreté.  Mais  si  ce  système  appauvrit  et  épuise, 
comme  cela  est  Incontestable,  tous  les  peuples  qui  le  sui- 
vent j  il  est  évident  que  ce  qu'un  Etat  a  de  mieux  à  faire 
pour  augmenter  sa  force  relative,  c'est  d'y  renoncer  le 
plus  lot  possible,  et  par  conséquent  il  est  indispensable  qu'il 
i'asse  précisément  tout  le  contraire  de  ce  que  conseille 
M.  Necker. 

On  nous  répète  sans  cesse  que  notre  dette  Jojidée  n'a  pas 
tu  les  conséquences  funestes  annoncées  par  Hume  et  par 
Smith  5  que  la  richesse  nationale  s'est  beaucoup  accrue, 
quoique  le  capital  de  cette  dette  soit  augmenté  de  plus  de 
Ç)G0  p.  "/oj  depuis  l'époque  où  ils  écrivaient,  et  que  par  con- 
séquent nous  sommes  autorisés  à  croire  qu'il  en  sera  de 
même  des  prédictions  sinistres  qu'on  pourra  faire  à  l'avenir. 
Mais  les  prodigieux  progrès  de  la  richesse  nalioijiale,  depuis 
iG^a  ,  époque  à  laquelle  Hume  publia  son  iJ^^a/ .y///- /e  c/c- 
dit  public,  ne  prouvent  nullement  que  notre  système  de 
nuances  soit  moins  malfaisant  qu'il  le  suppose.  Hume  et 
Smith  n'avaient  pas  assez  rélléchl  à  ce  que  les  découvertes 
mécaniques,  et,  en  général,  ramélioralion  des  divers  moyens 

I' 


a52  Du  système 

de  production  pouvaient  faire,  pour  réparer  les  portes  oc- 
casionées  par  ce  système;  ce  qui  n'empêche  pas  que  leurs 
observations  ne  soient  d'ailleui'S  très-justes,  lies  dilapida- 
tions et  les  prodigalités  dans  lesquelles  nous  a  entraînés 
notre  dette  fondée  ^  ont  été  contrebalancées  par  des  choses 
qui  n'ont  aucune  connexion  avec  elle,  et  qui  auraient 
également  existé  si  le  gouvernement  n'avait  jamais  con- 
tracté d'emprunts ,  c'est-à-dire  par  les  admirables  décou- 
vertes des  Watt ,  des  Arkwright ,  des  Crompton ,  des 
Wedgwood,  etc.  Sans  ces  dilapidations  et  ces  prodigalités  , 
les  découvertes  de  ces  bienfaiteurs  de  Ihumanité  auraient 
eu  des  résultats  bien  autrement  utiles.  Si  nous  avions  cou- 
vert les  dépenses  extraordinaii'es  de  l'Etat,  par  des  impôts 
levés  dans  l'année,  nos  taxes  n'excéderaient  pas  le  dixième 
de  leur  montant  actuel  ;  la  diminution  du  prix  des  produits 
de  notre  sol  ou  de  notre  industrie  ne  serait  pas  compensée 
par  des  droits  équivalens  ou  supérieurs;  les  ouvriers  iudus- 
trieux  pourraient  vivre  sans  réclamer  les  secours  de  leurs 
paroisses,  et  le  taux,  des  profits  ne  serait  pas,  parmi  nous, 
au-dessous  de  ce  qu'il  est  dans  la  plupart  des  autres  pavs. 
Aussi,  quand  on  réfléchit  à  ce  que  l'Angîelerre  serait  main- 
tenant sans  ce  système  fatal,  on  est  tenté  de  croire  que  Hume 
et  Smith  ont  plutôt  méconnu  une  partie  de  ses  dangers 
qu'i's  ne  les  ont  exagérés. 

I/histoire  de  presque  tous  les  Etals  modernes  atteste  la 
vérité  des  principes  que  nous  avons  cherché  à  établir.  Le 
système  des  emprunts  a  été  presqu'univei'sellement  adopté  , 
et  il  a  affaibli  toutes  les  nations  qui  y  ont  tu  recours.  C'est 
aux  emprunts  et  aux  taxes  dont  i's  ont  rendu  la  création 
nécessaire,  qu'il  faut  attribuer  la  décadence  df  s  pêcheries, 
des  manul'actures  et  du  commerce  de  la  Hollande.  Aussi  ic 
judicieux  auteur  d'un  ouvrage  sur  la  richesse  de  cette  an- 
cienne république,  obscrve-t-il  que  celui  qui,  le  premier, 
a  pensé  à  faire  soutenir  les  dépenses  de  la  guerre  par  les 


des  dettes  fondées.  253 

ressources  tlii  crctlit ,   ne  pouvait  pas  invenlcr  \\\\  aii  plus 
funeste  pour  riuimauitô. 

Voler  quels  ont  été  les  progrès  de  l'intérêt  de  !a  dette 
publique  de  la  province  de  Hollande. 

Florins. 
En  1562  ,  avant  le  commencement  des  troubles,  cet 

intérêt  e'tait  de 78,100 

En  iSyg  ,  à  l'e'poquc  Je  l'union  d'Utrecht 1 17,000 

En  1671 ,  avant  l'invasion  de  Louis  Xl\ 5,5og,3ig 

En  1678,  à  la  pais  de  Nimcguc. 7,107,128 

En  1G97 ,  à  la  paix  de  Ryswick 8,545,3or) 

En  I7i3  ,  à  la  paix  il'Ulrecht i3,475,o2fj 

En  1750 ,  à  la  paix  d'Aix-la-Chapelle.' i^  910,874 

En  178g,  au  commencement  de  la  révolution   fran- 
çaise      14,948)822 

En  1791 i8,2  7G;Oi5 

Cetle  progression  eût  été  beaucoup  plus  rapide  sans  les 
réductions  forcées  d'intérêls.  Le  premier  eut  lieu ,  en 
i655,  sous  radministration  du  fameux  Jean  de  Witt,  qui 
lit  réduire  l'intérêt  de  la  dette  publique  de  5  à  4  p-  °lo-  En 
1795,  plus  de  cinq  millions  de  florins  furent  déduits  des 
intérêts  payés  par  la  proi>ince  de  Hollande j  mais,  malgré 
cetle  réduction,  le  fardeau  était  encore  trop  lourd  pour 
elle,  et  il  devint  Indispensable,  pour  la  soulager,  de  con- 
fondre sa  dette  avec  celle  des  autres  provinces.  L'intérêt 
de  ces  dettes  réunies  était  de  plus  de  vingt-cinq  millions  de 
florins.  En  i8o4,  il  dépassait  vingt-quatre  millions,  et 
depuis,  malgré  tous  les  eflorts  de  son  gouvernement  pour 
combler  le  déficit ,  et  l'imposition  de  nouvelles  taxes  sur 
les  consommations  et  sur  les  capitaux,  une  autre  ban- 
queroute devint  nécessaire.  Telles  ont  été  les  conséquences 
des  dettes  fondées  en  Hollande,  et  il  en  sera  de  mémo  dans 
tous  les  Etals  qui ,    après   ces   eflVayans  exemples,  seront 


a54  Du  système 

assez  insensés  pour  se  servir  de  ce  moyeu  de  payer  leurs 
dépenses  extraordinaires. 

Personne  ne  met  plus  en  doulc  aujourd'hui  que  le  mau- 
vais état  des  finances,  résultant  de  l'extension  qu  avait 
prise  la  dette  publique,  a  été  la  cause  immédiate  delà  révo- 
lution française.  C'est  un  fait  curieux  que  Colbert  avait  pres- 
senti le  danger  du  système  des  emprunts,  et  quil  avait  fait 
tous  ses  efforts  pour  eu  empêcher  rintroduction.  Nous  em- 
pruntons le  récit  suivant  à  un  Mémoire  très-eurieux  sur  l'état 
des  finances,  présenté  au  duc  d'Orléans,  régent,  en  1717. 

«  M.  de  Louvois,  dit  l'auteur  du  Mémoire ,  comme  toul 
le  monde  sait,  n'était  pas  fâché  de  voir  la  guerre.  Au  com- 
mencement de  celle  qui  fut  entreprise  en  iQ'j'i  ,  il  fallut 
des  secours  extraordinaires.  M.  Coibert  créa  quelques  nou- 
veaux impôts,  ce  qui  excita  des  plaintes  dans  le  public, 
et  des  représentations  de  la  part  des  magistrats.  M.  de 
Louvois,  instruit  de  ces  diflicuîlés,  alla  trouver  le  premier 
président  du  parlement  de  Paris ,  homme  d'un  mérite  dis- 
tingué et  d  vine  probité  reconnue.  Il  lui  dit  qu'il  rendrait  un 
service  essentiel  au  roi,  en  lui  représentant  qu'au  lieu  de 
ces  impôts  extraordinaires  que  le  Parlement  avait  tant  de 
répugnance  à  enregistrer  et  qui  étaient  si  insupportables 
au  peuple,  il  était  bien  plus  simple  de  créer  des  rentes  5 
qu'un  million  de  rentes  créées  produirait  tout  d'un  coup 
ving^  millions,  et  que  ce  serait  un  petit  objet,  par  rapport 
au  revenu  si  considérable  de  sa  Majesté.  Ce  magistrat  suivit 
de  bonne  foi  l'avis  qui  lui  était  donné.  Le  roi,  ravi  de  cet 
expédient,  qui  lui  venait  d'un  homme  si  recommandable, 
dit  qu'il  fallait  créer  des  rentes.  M.  Colbert,  (|ui  en  pré- 
voyait les  suites  et  les  Inconvéniens  ,  voulut,  avant  de  ren- 
dre l'édit,  se  donner  la  «atisfaction  de  parler  au  premier 
président.  Il  lui  fit  sentir  les  conséquences  du  conseil  qu'il 
avait  donné,    et  lui  dit  qu'il   répondrait   de^vant  Dieu    du 


des  dettes  fondées.  255 

préjudice  qu'il  causait  à  l'Etat ,  et  du  mal  qu  il  liaisait  au 
peuple.  » 

La  maison  de  Bourbon  a  payé  cher  le  tort  qu'elle  a  eu 
de  sacrifier  les  avantages  durables  et  permauens  du  système 
de  Colbert,  aux  apparences  trompeuses  du  plan  suggéré 
par  Louvois.  Si  l'avis  de  Colbert  eût  élé  suivi,  les  hon- 
teuses banqueroutes  de  1715  et  de  17G9,  et  probablement 
la  révolution  française  n'auraient  pas  eu  lieu. 

Malheureusement  pour  nous ,  noire  propre  histoire  ne 
fournit  pas  des  preuves  moins  concluantes,  que  celle  de 
France  ou  de  la  Hollande,  du  danger  des  emprunts.  A 
l'exception  de  664,263  liv.,  données  en  compensation  aux 
négocians  et  aux  autres  personnes  qui  avaient  souffert  de 
la  spoliation  de  l'Échiquier,  ordonnée  par  Charles  II,  en 
1672,  la  dette  de  la  Grande-Bretagne  a  été  entièrement 
contractée  depuis  la  révolution.  Au  commencement  du 
règne  de  la  reine  Anne,  le  principal  de  la  'dette  était  seule- 
ment de  i6,4oo,ooo  liv. ,  et  l'intérêt  de  i, 5 10, 000  liv.  A 
l'avéuement  de  Georges  P"^,  en  171!»,  le  principal  montait 
à  52,000,000  liv.  et  Vintérêl  à  3, 35 1,000  liv.  j  et  à  l' avè- 
nement de  Georges  II,  en  1727,  le  principal  montait  tou- 
jours à  52,000,000  liv.  ;  mais,  par  suite  de  quelques  mesu- 
res prises  en  1716,  l'intérêt  était  réduit  à  2,217,000  liv. 
Quoique  les  inconvéniens  des  dettes  fondées  eussent  élé  in- 
diqués de  bonne  heure  par  les  membres  de  la  chambre  des 
communes  et  par  des  écrivains  d'une  habileté  incontestable, 
les  facilités  que  ce  système  présenta  aux  ministres  qui  se 
succéilèrent,  de  faire  des  dépenses  considérables  ,  sans 
compromettre  leur  popularité  par  l'imposition  de  nouvelles 
taxes ,  le  firent  prévaloir.  Les  ministres  de  Georges  II  et 
de  Georges  III  avaient  tous  été  élevés  dans  les  principes 
de  l'école  de  Louvois.  Une  saine  politique  et  l'intérêt  de 
l'Etat  leur  commandaient  impérieusement  de  se  conduire 


256  Du  systèina 

avec  fermeté ,  et .  en  dcplt  des  clameurs  des  ign,oraiis  , 
d'imposer  toutes  les  taxes  nc1cliliomiel\es  nécessaires  pour 
couvrir  les  dépenses  extraordinaires.  Mais  au  lieu  d'agir  de 
celte  manière  mâle,  franche  et  énergique,  soit  pour  obtenir 
les  applaudissemens  éphémères  de  la  multitude,  soit  par 
des  considérations  encore  moins  élevées,  ils  persévérèrent 
avec  une  déplorable  obstination  dans  les  voies  funestes  du 
système  des  emprunts. 

Nous  avons  déjà  observé  qu'à  Tavénement  de  Georges  II, 
en  «727,  le  principal  de  la  dette  était  de  cinquante-deux 
millions  st. .  et  l'intérêt  de  2, '217.000.  Trois  ans  après  Tavé- 
nement  du  feu  roi,  à  la  paix  de  Paris,  le  capital  de  la  dette 
s'était  élevé  à  la  somme  de  cent  trente-huit  millions,  et 
Tintérèt  à  celle  de  47852.05 1  liv.  ,  par  suite  des  guerres, 
de  1739  et  1756.  Depuis,  la  dette  s'est  accrue  avec  une 
rapidité  qui  n'a  eu  d'exemples  dans  aucmi  tems  et  dans 
aucun  autre  pays.  Les  tentatives  faites  pour  contraindre 
les  colons  de  l'Amérique  du  Nord  à  payer  des  taxes  qu'ils 
n'avaient  pas  consenties,  l'augmentèrent  de  cent  vingt  mil- 
lions (  trois  juilliards  de  francs  ),  et  la  croisade  en  faveur 
de  la  maison  de  Bourbon,  de  six  cents  millions  (  quinze 
milliards  de  francs  ).  Le  montant  total  de  la  dette  fondée  et 
Jlottante  qui  n'avait  pas  été  rachetée  ,  était  eu  principal , 
au  5  janvier  17  17  ?  de  plus  de  huit  cent  quarante-huit  mil- 
lions st.  (  environ  ving-deux  milliards  de  francs  ),  et,  en  in- 
térêts, de  près  de  trente-quatre  millions  st.  (  environ  huit 
cent  cinquante  millions  de  francs  ). 

Mais  le  principal  objet  de  cet  article  est  moins  de  faire 
voir  quels  ont  été  les  effrayaus  et  rapides  progrès  de  notre 
dette,  que  démontrer  combien  d'argent  a  été  inutilement 
perdu ,  pendant  le  cours  de  la  dernière  guerre  ,  par  suite 
tle  l'adoption  du  système  des  emprunts  ;  et  afin  que  l'on  ne 
puisse  pas  nous  accuser  de  nous  servir  de  moyens  accès- 


des  dettes  fondées.  2;' 7 

soircs  ou  douteux,  nous  commencerous  par  faire  une 
£;rande  concession  à  nos  adversaires  ;  nous  supposerons 
donc,  et  certes  le  lauréat  (i)  lui-même  ne  pourrait  pas 
exiger  davantage ,  que  non-seulement  cette  guerre  a  été  , 
comme  ses  apologistes  le  prétendent  .  juste  et  iiîdispen- 
sable  ,  mais  aussi  qu'on  l'a  conduite  avec  toute  Véconomie 
possible.  Nous  conviendrons  ,  si^on  le  désire  ,  qu'il  n'y  a 
pas  eu  de  subsides  donnés  en  pure  perte  aux  puissances 
étrangères  j  qu'on  n'a  pas  fraudé  dans  le  commissariat  ni 
dans  !es  autres  services  ;  qu'aucune  somme  n'a  été  folle- 
ment employée  à  faire  des  casernes  ou  à  élever  d'auiros 
constructions  3  que  tous  les  changemens  faits  dans  l'habillc- 

(i)  Note  du  Tr.  C'est  ainsi  qu'on  appelle  ironiquement  F<o- 
hert  Sontliey ,  l'un  des  e'crivains  contemporains  les  plus  odieux  nu 
parti  VFhig.  11  est  l'auteur  de  plusieurs  poèmes  où  il  a  fait  preuve  d'un 
talent  supe'rieur  ,  et  d'une  histoire  de  la  guerre  de  la  Péninsule  n'- 
dige'e  sur  les  matériaux  qui  lui  ont  été'  fournis  par  le  gouvernement 
anglais.  Cette  histoire  contient,  comme  on  peut  le  croire,  un  orand 
nombre  d.e  faits  curieux  et  peu  connus.  Malheureusement  on  y  trouve 
aussi  beaucoup  d'imputations  odieuses  contre  une  partie  des  officiers- 
généraux  de  notre  ancienne  armée.  11  serait  à  désirer  nue  ce  dernier 
ouvrage  l'ùt  plus  connu  parmi  nous',  afin  que  ces  imputations  qui  s'ac- 
créditent en  Europe  ,  à  l'insu  des  parties  intéressées,  pussent  cire  dé- 
menties. Robert  Southey  s'était  d'abord  annoncé  comme  un  turbulent 
démagogue;  il  avait  débuté  dans  les  lettres  par  un  petit  drame  in- 
titulé U'att  Tyler,  qui  n'a  jamais  été  représenté  et  qui  n'est  pas  sus- 
ceptible de  l'être.  Ce  drame  ,  qui  parut  pendant  les  lems  les  phjs 
orageux  de  la  révolution  française,  est  nul  sous  le  rapport  lilléiaire 
et  ne  se  fit  remarquer,  à  l'époque  de  sa  publication,  que  par  l'exalta- 
tion des  scnlimens  démocratiques  qui  y  étaient  exprimés.  Mais  Scu- 
thcy  a  renoncé  ,  depuis  long-tcms  ,  aux  opinions  de  sa  jeunesse  cl  il 
est  devenu  le  complaisant  apologiste  de  toutes  les  mesures  desdifrérens 
ministères  (jui  sont  sortis,  en  Angleterre,  de  l'école  de  ?vl.  Pitt.  Ce 
sont  ces  complaisances  qui  lui  ont  valu  !;•  dignité  de  poîle-lniircni 
du  roi.  Les  fonctions  du  poèlciauréat  consistent  à  faire  Vi-Xo^v  i\u  roi 
le  jour  de  sa  naissance. 


358  Du  système  des  dettes  fondées. 

ment  et  réquipement  des  troupes  étaient  indispensables  ,  et 
en  un  mot ,  que  les  opérations  des  ministres  ont  cons- 
tamment été  dirigées  avec  le  même  esprit  d'économie  que 
si  elles  avaient  dû  être  contrôlées  par  un  comité  de  bourgue- 
mestres  hollandais.  Mais,  après  avoir  fait  toutes  ces  conces- 
sions ,  nous  prouverons  que  si  les  dépenses  extraordinaires 
eussent  été  couvertes  par  des  taxes  levées  chaque  auuée , 
nous  aurions  dépensé  CE^T  quarante-six  millions  ster- 
LINGS  f  5, 65o, 000,000  fr.  )  de  moins  ^  et  tjiie  nous  aurions 
accumulé  CENT  MILLIONS  (  2,5oo,ooo,ooo  fr.),  à  cause  du 
développement  qu'auraient  pris  nécessairement  l'industrie  et 
l'esprit  d'économie  ,  quand  chaque  contribuable  aurait  su 
quelle  part  il  dei^ait  supporter  dans  les  frais  de  la  guerre. 

C'est  ce  qui  résulte  du  tableau  ci-contre  ,  que  nous  avons 
dressé  d'après  les  pièces  publiées  par  ordre  de  la  chambre 
des  communes  et  d'après  celles  qui  ont  été  insérées  dans  le 
journal  officiel.  On  peut  donc  compter  sur  sa  parfaite  exac- 
titude. (  Voyez  ci-contre  le  tableau  N°  I.  ) 

La  première  colonne  contient  l'état  de  la  dépense  totale 
relative  à  la  dette  fondée  cl  flottante  ,  non  rachetée,  telle 
que  cette  dette  était  le  5  Janvier  1795,  et  telle  qu'elle  se 
serait  trouvée  les  années  suivantes  jusqu'au  5  janvier  i8i6 
inclusivement  ,  si  elle  n'eiàt  pas  reçu  d'augmentation.  Nous 
avons  compris  l'année  1 8 16,  parce  que  ,  quoique  la  guerre 
ait  été  terminée  en  181 5,  les  opérations  financières  aux- 
quelles elle  avait  donné  lieu ,  se  sont  prolongées  jusqu'en 
1816.  Les  réductions  résultent  de  l'extinction  des  annuités 
viagères  ou  à  terme  fixe.  La  deuxième  colonne  contient  le 
montant  total  des  dépenses  faites  par  l'Etat,  pour  toutes  les 
branches  du  service  public ,  la  dette  exceptée  ,  également 
depuis  1793  ,  et  y  compris  18 16.  La  troisième  colonne 
contient  l'addition  des  sommes  portées  dans  la  première 
et  dans  la  deuxième  ,  et ,  par  conséquent,  elle  fait  voir  ce 
qui!  aurait  fallu  lever  annuellement  par  l'impôt,  pour  ne 


Du  système  des  dettes  fondées. 

N"  I. 


a5.j 


TABLEAU  1°  Du  montant  de  la  dépense  occasionèe  -par  la  dette  publique  ,  contractée  antérieurement  au  5  janvier  lygS, 
à  partir  de  cette  année  jusqu'en  1 8 16  inclusivement  ;  'i°  du  montant  des  autres  dépenses  de  l'État,  pendant  le  même  espace 
de  tems  ;  5°  du  montant  total  des  dépenses  publiques  ,  y  compris  la  dette  ;  4°  du  revenu  net  perçu  par  le  Trésor  ;  5°  de 
l'excédant  de  la  dépense  sur  le  revenu  ;  6°  de  l'excédant  de  la  recette  sur  la  dépense,  ' 


,. 

3. 

4- 

5. 

G. 

'• 

Frais  annnels   de 

la  d 

ette 

Années. 

fondée  et  flottante, 

duc 

Montant  total  des 

lépe 

■ises 

Total  des  sommes 

portées 

Total  du  revenu  net  pe 

'•';■■• 

Exré.lant    de   la   dépense 

Excédant  du  icvenu  sur  la| 

i)ar  l'état,  au  5ja 

uv.t 

793, 

de  l'état,  la  dette  'p 

ibli- 

dans  les  colonne 

I  et  2. 

par  le  tréso 

sur  le  revenu. 

dépense. 

à  pavtii-  de  cette 
jusqu'au  5  janvi 

r°iTi6.' 

que  exceptée. 

Livres. 

Livres. 

Livres. 

Liv.es. 

Livres. 

Livres. 

1793 

9,208,495 

16 

1 

12,058,424 

16 

4 

21,266,920 

12        5 

17,869,236 

16 

4 

3,397,683  16 

I 





4 

9,208,495 

16 

1 

16,431,141 

i5 

2 

25,639,636 

II     3 

18,037,696 

5 

4 

7,601,940    5 
17,852,545  i3 

1 1 



~ 

5 

9,208,495 

16 

l 

27,225,772 
26.186,027 

'4 

6 

36,438,268 

10    7 

i8,585,o22 

17 

3 

4 



— 

6 

9,208,495 

16 

I 

4 

"i 

35,394,523 

0    2 

19,654,779 

5 

7, 

13,739,743  i4 

7 



— 

7 

9,169,915 

10 

7 

33,314,986 

0 

4 

42.484,901 

10  11 

22,952,828 

i5 

oi 

18,532,072  i5 

104 



— 

8 

9,169,915 

10 

3i, 147,810 

16 

u 

40,317,726 

7     6 

30,727,737 

i5 

41 

9,589,988  12 

14 



— 

0  9 

^,805,9.4 

8 

4 

37,562,715 

10 

9I 

46.368,629 

19    i| 

35,737,275 

2 

0 

io,63i,354  16 

2 



— 

lôoo 

8,635,254 

10 

0 

39,774,539 

iS 

41 

48,409,794 

5    41 

34,703,045 

3 

7 

13,704,75g     i 

18 



— 

I 

8,578,034 

10 

7 

43,306,424 

6 

0 

Si,884,458 

16     7 

36,320,149 

18 

10 

i5, 55.4,308  17 

9 



— 

2 

8,542,760 

i3 

0 

32,774,3o4 

i8 

0 

41,317,965 

11     o^ 

38,001,900 

17 

8 

3,3i5, 164  12 

4 



— 

3 

8,482,846 

06 

^x 

29,716^197 

r, 

10 

3^,199,043 
49,i99>534 
50,141,028 

14     0-1 

39/195,089 

8 

8 

— 

1,29(3,042 

14     7 

4 

8,463,i86 

5 

X 

40,736,348 

8 

4 

i3     8 

47,382,331 

18 

4i 

1,817,202  i5 

3t 



5 

8,422,326 

16 

6 

46,718,701 

14 

0 

10    6 

52,137,859 

11 

4 

i5,oo3,i68  19 

2 



— 

6 

8,351,789 

9 

H 

44,368,5 1 4 

2 

4-^ 

52,920,3o3 

Il   11 

55,823,570 

18 

0 

— 

2,903,267 

5     1 

l 

8,3.16,458 

0 

2t 

46,i83,o63 

18 

8t 

54,499,521 

18  io| 

60,445,007 

16 

07 

— 

5,945,485 

'7      1-1 

8 

7,83o,3o4 

i3 

17 

52,099,735 

0 

7  = 

59,930,039 

ij     9 

64,202,723 
66,140,317 

17 

iiî 

— 

4,272,684 

4       2i 

9 

7,811,425 

II 

3-j 

53,865,861 

0 

9? 

6i,677,286 

12     o\ 

9 

77 

— 

4,463,o3o 

17    6i 

1810 

7,786,287 

16 

Sf 

58,23i,43i 

i3 

S? 

66,017,719 
70,252,477 

9  lol 

70,274,066 

i 

6- 

— 

4,256,346 

•'-     7l 

II 

7.763,998 

6 

62,488,478 

19 

7? 

6    3^ 

68,061,896 

14 

i 

2,190,580    12 

2 

— 

— 

12 

7,735,463 

18 

0 

68,780,604 

4 

10 

76,516,068 

2  10 

67,545,437 

19 

o\ 

8,970,730    3 

9i- 



— 

i3 

7,714.447 
7,688,078 

i5 

ii\ 

79,968,337 

i5 

loi 

87,682,785 

11    94 

7     7-î 

75,457,610 

7 

0 

12,225,175    4 

10 



— 

•4 

7 

04 

87,o5i,332 

0 

6t 

94,739,410 
77,292,063 

79,5,44,567 

16 

0 

18,194,842  II 

8 



— 

i5 

7,669,013 

'9 

1 17 

69,623,049 

•9 

2 

19     i4 

81,252,911 

7 

6 

— — 

4,000,847 

8    5 

16 

7,634,755 

14 

7 

39,426,943 

1 
; 

'^ 

47,061,698 

i5     5; 

68,169,073 

16 

2} 

/ 

21,107,375 

0    6i 

201,406,161 

2 

/j 

''079,244,746 

1,280,650,907 

i3     2 

i,i66,564,o34 

19 

6 

162,331,332   i3 

10 

48,245,080 

0     i\ 

10 

10 

Excédant  de  la 

dépense  sur  le 

revenu 

48,245,080    0 

1} 

1 14,086,272  i3 

84 

iGo 


Du  système  des  dettes  fondées. 


N»  II. 

r     •  r.   ,   "/      „f  A  intérêt  comvosé .  des  capitaïuv  laissés  aux  contribuables  par  suite  de  la  supériorité 
Accroissement  progressif ,  a  J  p.    U ,  et  a  im  re..         y       ,  ,•     v^     .  i     ^i 

de  la  dépense  sur  la  recette  ,  et  de  ceux  qu'on  leur  a  eideves  par  la  supériorité  des  taxes  sur  la  dépense. 


■79^ 
■794 

'795 
'7!)G 
•797 
•798 
^799 
iSoii 
1801 


3,397,683  8 

lui.  iG<j,884  2 

7,601,940  3 


11,169,508  3 

Int.  558,475  4 

17,852,645  7 


Excédant  de  la  dépense 


5  p.    o/n,    ; 
.■(.nipoj. 


Excédant  de  la  dépense 

à  5   p.    0/0,   à   intérêt 
I  composé. 


29,580,629  4 

[ni.       l,479,o3i   5 
«5,739,743  7 


46,799,404  6 

Int.       2,339,970  2 

18,532,072  8 


67,671,44?  ^ 

Inl.       3,383,572  4 

9,589,988  6 


80,645,008  6 
Int.       4>"^^)25o  4 
io,63i,354  8 


95,.3û8,6i3  8 
Inl.       4'7'^5,43o  7 
13,704,759  I 


113,778,803  6 

lut.      5,b88,94o  1 

i5,564>3o3  9 


i8o3 


804 


:8o5 


1806 


.808 


1809 


i35,o32,o47  7 
Int.      6,751,602  4 
3,3i5,i64  6 


145,098,814  7 
Int.       7,254,94°  7 


152,353,755  4 

Int.       7,617,687  8 
1,817,202  8 


161,788,646  o 

Int.      8,089,432  3; 

3,oo3,i6g  o 


1811 


1812 


8i3 


17^,881,247  3; 
Int.       8,644,062  4; 


i8i,5î5,3o9  7 
Int.      9,076,265  5 


190,601,575  2 
Int.       9,530,078  7 


U8.4 


i8i5 


.8.6 


200, i3i,653  g 

Int.     10,006,582   7 


Excédant  de  la  dépense 
sur  le  reveau  accumulé 
à  5  p.   010,   il   intérêt 


210, 1 38,236  6 
Int.    10,506,911  8 


220,645,148  4 

Int.      11,032,257   4 
2,190,580   6 


233,867,986  4 

Int.     11,693,399  3 
8,970,730  2 


254,532,115  9 

Int.      12,726,605  8 

12,225,175  2 


279.453,896  9 

Int.     13,974.194  8 

18,194,842  6 


311,652,934  3 
Int.     15,582,646  7 


327,235,581  o 
Int.    î6,36i,77g  o 


3^,597,360 


i8o3 


1804 


i8o5 


1806 


1807 


Excédant  du 
la  dépense  , 
à  5  p.   oyo  ,    à  intérêt 
composé. 


1,296,042    7 

Int.  ô4>8oa   1 


i, 360,844  8 
Int.     68,042  3 


1,428,887  o 
Int.     71)444  3 


i,5oo,33i  3 

[nt.     75,016  7 

2,go3,257  3 


4,478,614  3 

Int.    223,<)3o  7 

5,945,485  9 


io,648,o3t  9 

Int.    532,401  6 

4,272,684  2 


15,453,117  7 

Inl.    772,655  9 

4,463,o3o  9 


i8i3 


1814 


i8i5 


1816 


Excédant  du  revenu  sur 

la  dépense  ,   accum\ilé 

à   5  p.   0^0  ,  à  intérêt 

composé. 


20,688,804  5 

Int.        1,034,44°  ^ 
4,256,346  6 


25,979,5gi  3 
Int.       1,298,979  6 


27,278,470  9 
Int.       1,363,928  5 


28,642,499  4 
Int.       1,432,124  g 


30,074,624  3 
Int.      i,5o3,73i  2 


31,578,355  5 
Int.       1,578,917  8 

4,000,847  4 


37,148,120  7 

Int.       1,857,905  o 
21,107,375  o 


60,123,402 


S  s  .-B 
•S  ^  ° 


-2.  o  ^  2 


Es    ^^ 
=  :ô  "^  Q- 


.-13      eu  3 
g   ^     3  iJ 


Du  système  des  dettes Jondées.  26 1 

pas  augmenter  la  tletlc,  depuis  1790.  La  quatrième  colonne 
fait  connaître  quel  a  été  le  revenu  de  l'Etat ,  pendant  le 
même  espace  de  tems  ,  et  la  cinquième  et  la  sixième  co-^ 
lonnes  indiquent  quand  la  dépense  a  surpassé  la  recette  et 
quand  la  recette  a  surpassé  la  dépense. 

Il  résulte  de  ce  tableau  que  !a  dépense  totale  de  l'Etat , 
pour  la  guerre .  l'intérieur ,  les  colonies  et  la  dette  con- 
tractée antérieurement  à  la  guerre  de  la  révolution  fran- 
çaise ,  n'a  dépassé,  depuis  1793  jusqu'en   181 8,  QUE  DE 

114,086,272  (environ  2, 853,000, 000 fr.)  les  recettes  pro- 
duites par  les  différens  impôts,  pendant  la  même  période. 
Il  en  résulte  également  que  ce  déficit  a  entièrement  eu 
lieu  pendant  les  dix  premières  années  de  la  guerre  ,  et 
que  le  ret^enu  .  postérieurement  à  1802  ,  eût  été  plus  nue 
suffisant  pour  défrayer  la  totalité  de  la  dépense ,  sans  les 
charges  provenant  des  emprunts  contractés  de  \']C>1  à  i8o3. 
Ces  résultats  paraîtront  probablement  fort  extraordi- 
naires aux  admirateurs  des  dettes  fondées  ;  mais  nous 
défions  tous  les  commis  de  la  Trésorerie  de  prouver  qu'ils 
sont  inexacts.  Il  est  impossible  de  contester  ce  fait,  que  si 
on  eût  levé  la  somme  ,  comparativement  peu  considérable , 
de  cent  quatorze  millions  slerlings,  pendant  les  premières 
années  de  la  guerre,  la  dépense  annuelle  de  la  dette  pu- 
blique ne  monterait  pas  aujourd'bui  à  buit  millions  ster- 
lings  (  deux  cents  millions  de  francs  )  ,  au  lieu  de  dépasser 
trente  millions  (  sept  cent  cinquante  millions  de  francs  )  ; 
et  toutes  les  taxes  du  pays  s'élèveraient ,  au  plus  ,  à  vingt- 
quatre  millions  sterlings  (  six  cents  millions  de  francs  )  au 
lieu  de  s'élever  à  la  somme  énorme  de  soixante  millions 
(  quatorze  cents  millions  de  francs.  ) 

Nous  donnerions  cependant  une  idée  fausse  à  nos  lec- 
teurs', si    nous    leur    disions  ,   qu'à    l'exception    de    cent 
quatorze   millions,  la  totalité    des  sommes    empnuilées, 
pendant    la  guerre,    a   été  entièrement  perdue.   Quelque 
I.  i8 


sGi  Du  système 

grands  que  soient  les  inconvéniens  tics  dettes  fondées . 
ils  ne  vont  pas  encore  jusque-là.  Les  cent  quatorze  millions 
laisses  aux  contribuables  ont  pu  être  capitalisés  ,  et  par 
conséquent  augmenter  leur  revenu  3  et  comme  nous  avons 
supposé  qu'il  leur  eût  été  possible  de  vivre  cl  de  s'entre- 
tenir sans  ce  capital ,  si  Timpôt  ne  le  leur  eût  pas  enlevé , 
nous  devons  supposer  aussi  qu'ils  l'ont  placé  à  intérêt  com- 
posé, pendant  la  durée  de  la  guerre,  et  comparer  le  pro- 
duit de  cette  somme  ainsi  accumulée,  avec  le  montant  de 
la  dette  contractée  dans  le  même  tems.  C'est  assurément 
poser  la  question  de  la  manière  la  plus  favorable  aux  dettes 
fondées.  Ces  calculs  sont  établis  dans  le  tableau  précédent, 
n"  Il  ,  pag.  -260.  Le  solde  de  l'excédent  de  la  dépense  et 
celui  de  l'excédent  de  la  recelte,  tels  qu'ils  sont  portés  dans 
le  tableau  n°  I,  pag.  sSg,  sont  accumulés  dans  celui-ci ,  à  in- 
térêt composé,  au  taux  de  cinq  p.  %,  et  en  les  déduisant  l'un 
de  l'autre,  on  obtient  la  somme  réelle  qu'il  faut  comparei" 
avec  le  montant  des  emprunts  faits  pendant  la  guerre , 
pour  connaître  au  juste  les  avantages  ou  les  inconvéniens 
du  système  financier  que  nous  avons  suivi. 

La  différence  entre  ces  deux  sommes,  ou  285,470,958 
liv.  st.  (  7,o86,848,g5o  fr.),  est  le  montant  exact  des  ca- 
pitaux placés  à  intérêt  composé  qui  sont  restés  aux  con- 
tribuables, et  qui  leur  auraient  été  enlevés  ,  si  on  eut  dé- 
frayé par  l'impôt  la  dépense  de  chaque  année.  Si  les  em- 
prunts contractés  pendant  la  guerre  s'élèvent  à  plus  de 
283,4.75,958  liv. ,  l'excédant ,  quel  qu'il  soit,  sera  le  capital 
détruit  ou  perdu  par  notre  système  financier,  tandis  qu'au 
contraire  si  ces  mêmes  emprunts  ne  s'élèvent  pas  à  cette 
somme  ,  la  différence  sera  précisément  ce  que  nous  aurons 
gagné  en  le  suivant.  On  verra  ce  qui  en  est  dans  le  tableau 
n°  III,  ci-après  ,  que  nous  avons  dressé  sur  des  documens 
officiels  produits  au  Parlement  dans  la  session  de  1822. 


des  dettes  fondées. 
^^   111. 


26: 


liant:  1°  des  ejnprunts  contractés  chaque  année ,  depuis  lygS 
isquen  181G  inclusivement  ^  2°  des  intérêts  annuels  de  chacun 
fe  ces  emprunts  ;  5°  de  la  portion  desdits  emprunts  remise  aua: 
ommissaires  de  l'amortissement  ;  [\°  des  intérêts  des  fonds  ru- 
hetés  par  ces  commissaires. 


Sommes  remises ,  sur 

nées . 

Montanl  des  emprunts 

contractes    chaque 

année. 

Intérêts 
de  ces  empru 

nts. 

le   produit    des  em- 
prunt.-. ,  aux  commis- 
sai.es  du  fond,    d'a- 
mortisscment. 

Blontant  des  intérêts 
des  fonds  achetés  par 

Liv. 

.1. 

Liv. 

s. 

d. 

Liv.     s.     d. 

Liv.     s.     d. 

794 
/9j 

4,5oo,ooo 
12,907,451 

0 

2 

<« 

187,500 
2,.?ï,36§ 

0 
18 

0 
■■■74 

i,G3o,Gi5     I     4 
1,872,200    4    2 

65,232    3    0 
84,, 48     n     0 
97,573   li     0 

7()G 

42,oqo,G46 

3 

2 

1 

10 

2,i43,5q5    16      I 

79^ 

42,7SG,.96 

2 

0 

2,2-4,528 

8.?2 

2,639,7^4    9    5 

131,720     2     0 

14,620,000 

0 

0 

:-^5,579 

0 

0 

3,361,752  I,     3 

201,484   11     91/3 

Ifo 

18,000,000 

0 

0 

l,Io5,Go2 

10 

0     . 

3,,j84,252   .3     2 

235,-43    5    4  3/4 

I2,500,000 

0 

0 

G56,25o 

0 

0 

4,288,208  i5    0 

216,640     2     9   1/2 

Soi 

i8,5oo,ooo 

0 

0 

871,350 

0 

0 

4,620,479     I     7 

2,9,450      I      2     ,;4 

802 

34,4'o,45o 

0 

0 

1,775,530 

lO 

4.Z2 

5,.,  7,7^3    2    2 

249,5q3   12     4  3;4 

8o3 

23,000,000 

0 

0 

910,541 

5 

0 

5,6S5,:l42    6    6 

24G,2.S6  12     r 

804 

10,000,000 

0 

0 

?.i2,o83 

G 

8 

6,018,170    8    9 
6,52i,3q4     7     2 

3, .5,8, 7     5    9  ,/■. 

8o5 

1 1 ,526,699 

6 

3 

054,631 

12 

3,p 

344,710    l5      2    ,;4 

80G 

20,000,000 

0 

0 

I,o32,OO0 

0 

0 

7,181,482     3     3 

367,021^  18    4  3  4 

80  r 

18,000,008 

0 

0 

896,400 

0 

0 

7,829,588  iq    3 
8,90^,673   17     3 

384,2  12       2       0 

8oé 

12,200,000 

0 

0 

5-17,060 

0 

0 

425,142    4    2  ,/4 

8o(i 

12,000,000 

0 

0 

587,743 

i3 

G 

9,^55,853    9     1 

435,7.-)7  14    4  3;4 
453,923     2     7 

481,442  iG  4  2,-4 

810 

19,532,100 

0 

0 

fH7i^'î 

.4 

3 

10,170,104  1.5    9 

8.1 

iti,3 11,000 

0 

0 

765,955 

7 

G 

io,Si3,oiG  i5     g 

8,2 

24,000,000 

0 

0 

i,,Q,,735 

1 1 

6  3;4 

1  ,,.543,881     3     7 

.544,417    7    0 
633,253    5    2   ./4 

8,3 

2-,87i,325 
58,-63, 100 

0 

0 

1,4^6,271 

II 

0 

I2,43q,63i    iq     5 

8,4 

0 

0 

3,230,599 

18 

4  3/4 

i4,i8'i,oo5     h     4 

723,626       0       2     1/4 

8,G 

i8,Soo,ooo 

0 

0 

85 1,832 

18 

0 

12,748, 23i    12     3 

574,490  10   4  3/4 

8in 

45,i:'.5,589 

3 

G 

2,577,820 

2 

9172 

ll,902,n5l      2     8 

408,402     18       9      1/2 

3,000,000 

0 

0 

90,000 

0 

^ 

11,491,670    2    G 

555,536  i3    \ 

■Dnint^ 

520,124,556 

■7 

■ 

26,S.''i9,8i4 

12 

9  3;4 

176,648,860     2     S 

8,%%"'97    5    2   3/4 

i 

Qrianl 

,    G',,75o,.)Oo 

0 

" 

3,324,549 

1 1 

S 

11,873,489  16  10 

'•r'fiiS    7     5   ,/4 

aniiic 

58.J  ,^74,556 

17 

1 

3o,, -4,364 

9,.68,232 

■4 

5  3/4 

188,522,349   ,9    G 

9,168,232    12      H 

ntion- 

188,522,349 

"J 

C) 

12 

8 

39(j,352,2o6 

i_ 

^ 

21,006,, 3i 

12 

9  3/4 

Montant  total  du  c 

apital  et   des  i  uévéls 

des  cniiirunls  contra 

■tés  piMlr   dcfiayor  la 



i;>,c,TC.Ic.793a,8,( 

'■ 

264  ^"  sysif-i/ie 

En  effet,  il  résulte  de  ce  tableau  que  de  1795  à  1817  ^^ 
le  gouvcruement  a  emprunte  584;874:!^56  liv.  17  sh.  i  d. 
(  environ  14,621,863,900  fr.  )  ,  dont  rintérêt  annuel  ,  à  la 
charge  du  public  ,  s'élève  à  5o,  174,364  liv.  4  sh.  5  3/4  (en- 
viron 754,359,100  fr.  ).  Mais  sur  cette  somme  on  a  remis 
188.522,349  liv.  19  sh.  0  d.  (environ  4,713, o58,7'.i5  fr.  ), 
aux  commissaires  de  ramortissemeut ,  avec  lesquelles  ils 
ont  acheté  des  fonc^;  produisant ,  par  an  ,  un  dividende  de 
9,168,232  liv.  12  sh.  8d.  (environ  229,205,800  fr.  ).  Si 
nous  retranchons  de  la  première  somme  celle  qui  a  été 
remiseà  l'amortissement,  ilreste596,352,2o61iv.  17  sh.  7  d. 
(environ  9,908,805, i5o  fr.)  ,  auxquelles  il  faut  ajouter  les 
nouvelles  émissions  de  billets  de  l'Échiquier ,  s'élevant  à 
35, 289,300 liv.  (envii'on  852,232,5oofr.  ),  ce  qui  donne,  en 
principal,  vme  somme  totale  de  429,64  i,5o6  liv.  1 7  sh.  7  d. 
(environ  10,741,0^37,650  fr.  ),  montant  de  l'argent  réelle- 
ment emprunté  pour  défrayer  les  dépenses  de  la  dernièrf 
guerre. 

Mais  nous  avons  déjà  vu  que  le  montant  total  des  sommes 
laissées  aux  contribuables  par  l'adoption  de  notre  système 
financier,  et  par  l'accumulation  de  ces  sommes  à  intérêt 
composé  ,  au  taux  de  cinq  p.  °l^,  montait  seulement  à 
283,475,958  liv.  Qu'on  les  retranche  des  429,641 .507  liv. 
que  le  gouvernement  s'est  procuré,  au  moyen  de  ses  divers 
emprunts  ,  et  l'on  se  convaincra  que  la  somme  perdue  par 
la  nation,  par  suite  de  ce  système  fatal,  est,  en  réalité  , 
comme  nous  l'avons  avancé,  de  cent  quarante-six  mil- 
lions CENT  SOIXANTE-SEPT  MILLE  CINQ  CENT  QUARANTE- 
SIX  LIVRES  STERLING  (  5,634, 1  88,725  fr-  )• 

Cependant  quelque  considérable  que  soit  celte  somme 
de  cent  quarante-  six  millions  sterlings  ,  ce  n'est  point  , 
comme  nous  le  savons  déjà  ,  à  elle  seule  que  se  borne  la 
perte  que  nous  avons  éprouvée.  Nous  avons  fait  voir 
qu'il  est  impossible  de  co'.ivrir ,  par  des  taxes  ,  la  totalité  des 


des  dettes J'ondées .  265 

dépenses  de  raniiée  ,  sans  augmenter  Tindustrie  et  l'esprit 
d'économie  des  contribuables  ;  et ,  par  conséquent ,  quand 
on  veut  apprécier  les  effets  des  emprunts  ,  il  faut  jM^endre 
en  considération  la  manière  dont  ils  affaiblissent  le  prin- 
cipe d'accumulation.  Malbeureusement  nous  n'avons  plus 
ici  que  des  conjectures  pour  nous  guider  5  mais  nous  ne 
croyons  pas  exagérer  en  supposant  qu'indépendamment  de 
la  perte  directe  qui  est  résultée  pour  le  pays  de  notre  sys- 
tème de  finances ,  il  a  eu  aussi  l'inconvénient  fort  grave 
d'empêcher  l'accumu'ation  d'une  somme  capitale  de  cent 
millions  sterliugs.  Celle  estimation  peut  être  un  peu  au- 
dessus  ou  un  peu  au-dessous  de  la  vérité  ;  mais  nous 
croyons  qu'elle  en  est  fort  rapprochée.  Quoi  qu'il  en  soit, 
il  est  certain  que  si  les  frais  de  la  guerre  eussent  été  payés 
par  des  taxes  levées  dans  l'armée,  la  nation  aurait  évité  la 
destruction  d'un  capital  de  cent  quarante-six  millions  ster- 
lings  ,  qui  pouvaient  produire  une  r^nte  de  "^,300,000  liv. 
(  i82,5oo,ooo  fr.  ).  Il  l'est  égalemeiit  que  chacun  aurait 
cherché  à  s'aff^ranchir  des  charges  que  le  paiement  de  sa 
part  dans  les  dépenses  publiques  lui  aurait  imposées,  en 
réduisant  ses  dépenses  personnelles  et  en  redoublant  d'ac- 
tivité 5  que  de  cette  manière  toutes  nos  pertes  seraient 
maintenant  réparées  ou  près  de  l'être  ,  et  qu'aujourd'hui 
nous  n'aurions  pas  plus  de  vingt  ou  vingt-quatre  millions 
d'impôts  (Sooou  600,000,000  fr.) 

En  faisant  Texamen  des  inconvéniens  des  dettes  fondées  , 
ce  n'est  pas  un  texte  à  d'inutiles  plaintes  sur  les  fautes 
commises  que  nous  avons  cherché.  Nous  n'avons  d'autre 
but  que  d'achever  de  dessiller  les  yeux  du  public  et  de  dis- 
siper des  illusions  qui  ne  ne  le  sont  pas  encore  entièrement, 
alin  qu'on  ne  recourre  plus  à  ce  dangereux  expédient,  lors- 
qu'il faudra  de  nouveau  satisfaire  à  des  besoins  extraordi- 
naires. Pour  coni])létcr  ce  que  nous  avions  à  dire  à  c«;  sujc(, 


a66  Du  syslènie 

el  mellrc  dans  sou  véritable  jour  la  situation  financière  du 
pays  ,  nous  allons  faire  maintenant  quelques  observations 
sur  le  fonds  tramortissement.  Nous  ne  négligerons  rien  pour 
être  aussi  courts  que  possible. 

Le  plan  pour  l'extinction  graduelle  et  progressive  de  la 
dette  nationale  ,  en  établissant  une  caisse  constaiumeut 
employée  à  racbeter  des  fonds  publics  ,  avec  les  excédans 
de  revenu  provenant  de  la  réduction  des  intérêts  et  autres 
sources  diverses ,  fut  d'abord  proposé  par  le  comte  Slan- 
bope,  et  adopté,  en  1716  ,  par  sir  Robert  Walpole.  Les 
avantages  attribués  .à  ce  plan  furent  expo^s  dans  un  écrit 
rédigé  avec  soin  sur  la  dette  du  royaume,  publié  en  1726, 
et  dont  ou  suppose  que  sir  Natbaniel  Gould  est  l'auteur. 
Une  des  dispositions  de  l'acte  qui  créait  le  fonds  d'amortis- 
sement, portait  que  sa  dotation  serait  entière?) leiit  et  exclu- 
sivement consacrée  à  l'extinction,  du  principal  et  des  in- 
térêts des\dettes  contractées  par  l'Etat  ^  antérhiiremeni  au 
a5  décembre  i']i6j  et  à  aucun  autre  usage  quel  quilpût  être . 
Mais,  en  dépit  d'une  disposition  aussi  précise,  le  fonds 
d'amortissement  fut  bientôt  détourné  de  sa  destination 
originelle.  Plusieurs  infractions  avaient  déjà  eu  lieu  d'une 
manière  déguisée,  pendant  le  tems  qui  s'écoula  entre 
17*27  et  1732  j  mais  ce  fut  en  1735  que  se  fit  la  première 
infraction  manifeste.  En  1752,  la  taxe  territoriale  avait 
éprouvé  une  réduction  considérable  ,  et  afin  de  combler 
le  déficit  que  cette  réduction  aurait  fait  éprouver  au  re- 
venu ,  l'on  emprunta  vin  demi-million ,  et  pour  en  payer 
rinlérèt ,  on  fit  revivre  la  taxe  sur  le  sel ,  supprimée  deux 
ans  auparavant.  li'anuée  suivante  ,  il  fut  nécessaire  de  se 
procurer  une  nouvelle  somme  de  5oo,ooo  liv.  st. ,  et  sir  Ro- 
bert Walpole  proposa  de  recourir  au  fonds  d'amoi'tissement, 
ajoutant  que  si  sa  proposition  n'était  pas  accueillie  ,  il  serait 
obligé    d'élever  la  taxe   territoriale    d'un   sbilling  à   deux 


des  dettes  fondées.  267 

shillings.  En  conséquence  celle  motion  passa  à  une  grande 
majorité,  et  de  i'j'5^  et  lySô,  le  fonds  d'amortissement  était 
détourné  en  totalité  du  but  pour  iequel  on  l'avait  établi. 

Les  auteurs  de  V Histoire  de  la  chambre  des  lords  ,  obser- 
vent, avec  raison  ,  que  lorsqu'une  nouvelle  taxe  est  impo- 
sée, les  contribuables  sentent  le  poids  delà  dépense  qu'elle 
est  destinée  à  couvrir ,  ce  qui  les  détermine  à  examiner  si 
cette  dépense  est  nécessaire,  et  lorsqu'ils  se  sont  convaincus 
du  contraire ,  ils  murmurent ,  et  leurs  plaintes  deviennent 
dangereuses  pour  les  ministres.  Mais  lorsqu'on  a  recours 
au  fonds  d'amorti^ement,  personne  n'examine  plus  l'utilité 
de  la  dépense.  Aussi  les  ministres  ont-ils  toujours  pensé 
qu'ils  pouvaient  impunément  mettre  ce  fonds  au  pillage. 

Le  docteur  Price  gémit ,  de  la  manière  la  plus  lamen- 
table, sur  cet  acte  de  l'administration  de  Roi>ert  Walpole. 
«  Ainsi,  dit-il,  expira,  après  ime  existence  de  quelques 
années,  le  fonds  d'amortissement,  cet  unique  espoir  de  la 
nation,  prématurément  et  cruellement  détruit  par  sou  pro- 
pre auteur.  Si  on  n'eût  pas  spolié  les  valeurs  qui  s'y  trou- 
vaient, il  nous  aurait  rendu  l'envie  et  la  terreur  du  monde; 
car,  aujourd'hui  nos  taxes  seraient  abolies,  et  nous  aurions 
un  trésor  plus  grand  ,  plus  considérable  qu'aucun  peuple 
n'en  a  jamais  possédé.  » 

Mais  quoique  le  docteur  Price  ait  tout-à-fait  raison , 
quand  il  blâme  Robert  Walpole  de  n'avoir  pas  établi  une 
nouvelle  taxe  pour  couvrir  le  déficit  ,  il  se  trom|.e  complè- 
tement sur  les  effets  qu'il  attribue  au  fonds  d'amortisse- 
ment. Jja  vérité  est  qu'aucun  fonds  de  ce  genre  n'a  jamais 
opéré  à  intérêt  composé  ,  même  ceux  dont  la  dotation  est 
le  produit  de  l'excédant  du  revenu.  Supposons,  par  exem- 
ple, qu'il  existe  dans  les  coffres  du  trésor,  un  excédant  d'un 
million  sterling  ,  et  qu'on  en  fasse  un  fonds  d'amortisse- 
ment. En  premier  lieu,  les  commissaires  cljargc's  de  l'ad- 
ministrer  achelcrout  des  rentes  jusf|u  .î  concurrence;  (run 


268  Du  sysltinc 

million,  et,  à  la  tin  de  rauuée  ,  ils  en  toucheront  le  divi- 
dende ou  rintérèt.  Ils  feront  ensuite  de  nouveaux  achats 
avec  ce  dividende,  et  s'il  est  de  80,000  liv.  à  la  fin  de  Tannée 
suivante,   ils  auront  52,5oo  liv.  disponibles;  à  la  fin  de  la 
troisième  année,  ils  en  auront  55,i25,  et  ainsi  de  suite. 
Voilà  ce  cjuesir  Nathaniel  Gould,  le  docteur  Priceet  M.  Pitt, 
appellent  racheter  la  dette  publique  avec  un  fonds  d'amor- 
tissement opérant  à  intérêt  composé.  Il  est  clair  cependant 
que  les  commissaires  de  l'amortissement  ne  disposent  d'au- 
cune somme    qui  produise  réellement  et  par  elle-même 
un  intérêt,  et  que  les  diminutions  qui  s'opèrent  dans  le  mon- 
tant de  la  dette,  résultent  de  ce  qu'on  emploie  à  son  ex- 
tinction une  portion  des  taxes.  Les  dividendes  que  touchent 
ces  commissaires,  et  qui,  seuls,  les  mettent  à  même  de  faire 
leurs  achats,  sont  versés  dans  leurs  mains  par  les  percep- 
teurs de  l'impôt ,  et  par  conséquent  ils  sont  uniquement 
le   produit   de  l'industrie   du   peuple.   Pour  qu'un    fonds 
quelconque  soit  placé  à  Intérêt  composé,  Il  faut  d'abord  lui 
trouver  un  emploi  productif,  et  que  les  produits,  au  lieu 
d'être  consommés  comine  revenu ,   soient  régulièrement 
ajoutés  au  principal,  pour  foi'mer  un  nouveau  capital.  Or, 
nous  n'avons  pas  encore  eu  de  fonds  d'amortissement  con- 
duits d'après  ce  principe.  Ceux  qui  ont  existé  ici  et  dans  les 
autres  pays,  n'ont  jamais  racheté  un  seul  shilling  qu'avec 
une  portion  des  Impôts  ou  des  emprunts.  Mais  II  faut  bien 
se  garder  de  considérer  comme  sans  conséquence  les  Illu- 
sions entretenues  sur  les  merveilleux  effets  qu'autrefois  on 
leur  attribuait  généralement ,   et  qu'aujourd'hui   certains 
économistes  leur  attribuent  epcorej  car  il  n'est  pas  dou- 
teux que  c'est  en  persuadant  au  public  qu'on  pouvait  étein- 
dre les  dettes  les  plus  considérables,  sans  qu'il  en   coûtât 
rien  à  personne,  et  au  moyen  de  certaines  opérations,  pour 
ainsi  dire  magiques,  qu'on  est  parvenu  à  faire  prendre  une 
si  désasti'cuse  extension  au  s}  stème  des  dettes  fondées. 


des  dettes  fondées .  2G9 

Quelque  absurdes  que  fussent  de  pareilles  suppositions, 
les  écrits  du  docteur  Price  leur  donnèrent  le  plus  grand 
crédit,  et  ses  calculs  visionnaires  sur  les  globes  d'or  qu'au- 
rait produit  un  sou  placé  à    intérêt  composé,    depuis   la 
naissance  de  Jésus-Christ  jusqu'en   1772  ,  complétèrent  le 
charme.  On  vit  les  hommes  les  plus  éclairés  du  pays  croire 
«  que  la  dette  publique  pouvait  être  diminuée ,   quoique 
Ton  contraclâtdenouveaux  emprunts,  au  moyen  d'un  fonds 
d'amortissement;  que  la  guerre  augmenterait  la  puissance 
de  ce  fonds  au  lieu  de  raifaiblir,  et  qu'en  suspendre  l'action 
pendant  la   durée  des  hostilités  ,  ce  serait  précisément  lui 
donner  le  coup  mortel,  dans  le  moment  où  il  tendrait  le  plus 
à  se  lapproclier  du  but  de  son  institution.  »  Le  fameux  fonds 
d'amortissement  de  M.  Pitt ,  en  1786,  fut  établi   d'après 
les  principes  et  les  calculs  du  docteur  Price.  Le  Parlement 
dota  cette  caisse  d'une  somme  annuelle  d'un  million  ster- 
ling qui  devait  s'accroître  à  intérêt  composé ,  par  l'addi- 
tion des  dividendes  des  rentes  qu'elle  rachèterait.  En  1792, 
on  augmenta  un  peu  cette  dotation^  et  on  établit  en  même 
tems ,  qu  à  l'avenir   ou  lèverait  des  tax.es  additionnelles  , 
pour  constituer  un  fonds  d'amortissement  d'un  p.   °/°  du 
capital  reconnu  dans  les  nouveaux  empi-unts  que  l'on  con- 
tracterait. Comme  le  revenu  donna  un  excédant  considé- 
rable, dans  le  tems  qui  s'écoula  de  1786  à   1792  ,   la  dette 
fut  réduite  d'environ  dix  millionset  demi  (  262,000,000  fr.), 
cl  cette  réduction  fut  attribuée  à  la  caisse  d'amortissement, 
opérant  à  intérêt  composé ,   quoiqu'il  fût   évident   qu'elle 
était  uniquement  le  résultat  de  la  supériorité  de  la  recette 
sur  la  dépense.  Postérieurement  à  la  guerre  pour  la  restau- 
ration de  la  maison  de  Bourbon,  le  revenu  public  fut  tou- 
jours au-dessous  de  la  dépense,  et  la  dette  s'accrut  rapide- 
ment. Mais  quoique  le  trésor  n'eût  plus  de  millions  à  verser 
tlans  la  caisse  d'amortissement ,  cette  jonglerie  fut  encore 
prolongée.  Les  emprunts  pour  le  service  de  l'année  s'ac- 


270  Z)m  système 

crurent  uniformément  de  tout  le  montant  des  sommes  des- 
tinées à  l'extinction  delà  dette,  de  manière  que,  par  un 
jeu  puéril,  pour  chaque  shilling  de  rente  transférée  aux 
commissaires  de  l'amortissement  ,  l'Etat  contractait  une 
nouvelle  dette  d'une  somme  égale  ,  indépendamment  de  la 
somme  qu'il  fallait^  en  outre,  pour  payer  les  frais  de  cette 
administration  ,  et  qu'on  était  aussi  oblige  d'emprunter. 

Et  cependant  cette  absurde  combinaison  d'erreurs  et  de 
charlatanisme  était  vantée  par  tous  les  partis.  C'était  à  qui, 
de  l'opposition  et  du  ministère  ,  en  ferait  l'cîoge.  Le  fonds 
d'amortissement  était  considéré  comme  le  boulevard  du 
pays,  et  la  déception  était  si  complète  et  si  générale,  qu'a- 
près une  expérience  de  quatorze  années,  pendant  lesquelles 
on  aurait  du  acquérir  la  conviction  de  sa  nullité  absolue, 
lorsque  lord  H.  Petty  ,  aujourd'hui  marquis  de  Lausdowne, 
proposa,  en  1807,  ^^^^  p'an  de  finance,  il  proposa  en  même 
tenis  des  mesures  pour  modérer  l'amortissement ,  «  afin 
que  le  pays  ne  fût  pas  inondé  de  capitaux  surabondaus 
par  le  remboursement  trou  prompt  de  la  dette  publique.  » 
Nous  ne  croyons  pas  que  l'histoire  du  monde  offre  un 
second  exemple  d'une  illusion  aussi  extraordinaire.  Si  le 
système  de  l'amortissement  eût  renfermé  quelque  dognie 
obscur  et  mystérieux 3  qu'il  eût  parlé  aux  sentimens  et  aux 
passions  populaires ,  ou  que  l'idée  de  sa  puissance  fûl  née 
dans  la  multitude ,  ou  pourrait  s'expliquer  cette  espèce  de 
vertige.  Mais ,  dès  le  principe ,  il  fut  considéré  comme 
une  chose  de  calcul  ;  c'étaient  les  hommes  les  plus  éclairés 
du  pays  qui  l'avaient  conçu^  et,  pendant  un  quart  de  siècle  , 
ils  crurent  de  bonne  foi  qu'ils  diminuaient  la  dette  publique, 
tandis  qu'ils  ne  maintenaient  leur  fonds  d'amortissement 
qu  au  moyeu  des  emprunts  qu'ils  contractaient  chaque  an- 
née. C'est  au  docteur  Hamilton  (i  )  qu'appartient  l'honneur 

(i)  Note  du  Tr. L'ouvrage  dudoclciu  Hamillon,  sur  ladctti',  publique 
(le  la  Grande-Bretagne  ,  a  ele  traduit  enfraiii;ais  par  M.  îîcnri  Lasalle. 


des  dettes Jondées.  'l'jx 

d'avoir  dissipé  ces  prestiges.  lia  prouvé  que  la  caisse  tVa- 
iiiortissemeut ,  au  lieu  do  diminuer  la  dette  publique,  avait 
été  au  contraire  une  des  causes  les  plus  actives  de  sou  ac- 
croissement, et  qu'on  ne  peut  réellement  l'éteindre  qu'avec 
l'argent  qu'on  se  procure  par  la  supériorité  du  revenu  sur  la 
dépense.  «  Augmenter  la  recette,  observe-t-il ,  ou  diminuer 
la  dépense ,  tels  sont  les  seuls  moyens,  de  rendre  efficaces 
les  opérations  de  notre  caisse  d'amortissement  ,  et  tous  les 
plans  pour  racheter  notre  delte  nationale  par  des  fonds 
de  cette  nature,  opérant  à  intérêt  composé  ou  autrement, 
s'ils  ne  sont  pas  fondés  sur  ces  principes,  sont  tout-à-fait 
illusoires.  » 

Nous  avons  déjà  vu  que  la  portion  des  emprunts  remise 
aux  commissaires  du  fonds  d'amortissement,  depuis  1795 
jusqu'en  1817  ,  montait  à  i88,522,55o  liv.  Les  frais  d'ad- 
ministration de  cette  caisse ,  pendant  le  même  espace  de 
lems,  s'élevèrent  à  62,968  liv. ,  ce  qui  fait  une  somme  to- 
tale de  i88,Ô85,5i8  liv.  ;  et  comme  cette  somme  a  été  en- 
tièrement empruntée,  il  en  est  résulté,  tous  les  ans,  une 
charge  de  9,771,065  liv.  Mais  les  fonds  que  les  commis- 
saires ont  achetés  avec  les  i88,585,5i8  liv.,  donnent  seule- 
ment un  dividende  de  9, 168, 253  liv.  Ainsi,  d'un  côté,  l'Etat 
a  contracté  une  charge  annuelle  de  9,771,065  liv,  par  les 
rachats  que  les  agens  de  l'amortissement  ont  faits  sur  la 
place  ,  et  de  l'autre  côté  ,  les  rentes ,  qu'ils  ont  acquises  ne 
.produisent  qu'un  intérêt  deg,  i68,255  liv.  11  résulte  de  ce 
calcul  que  les  opérations  qu'ils  ont  faites,  pendant  la  gur^rre, 
font  perdre  chaque  année  au  pays  une  sommede6o2,85oliv. 
(  15,070,750  fr.  ),  qui,  placée  à  5  p.  % ,  représenterait 
un  capital  de  20,894,555  liv.  (environ  525, 000, 000  fr.  ). 
Depuis  la  paix ,  les  opérations  de  l'amortissement  n'ont 
pQS  été  moins  funestes ,  et  un  membre  du  Parlement  , 
M.  Hume,  a  fait  voir  qu'aujourd'hui  la  dépense  annuelle 


2^2  Du  système 

de  la  dette  fondée  serait  moins  considérable  d'une  somme 
de  356, 1 55  liv. ,  si  ce  fonds  eût  été  aboli  en  1817. 

Il  n'y  avait  dans  tout  le  plan  de  M.  Pilt  qu'une  seule 
disposition  réellement  calculée  pour  amener  la  diminution 
de  la  dette  puplique,  c'est  celle  qui  fut  adoptée  sur  la  pro- 
position de  M.  Fox  5  et  qui  portait  que  les  taxes  addition- 
nelles seraient  imposées ,  non-seulement  pour  servir  les 
intérêts  des  emprunts  qui  seraient  contractés  à  l'avenir, 
mais  aussi  pour  établir  un  fonds  d'amortisscanentd'un  p.  °/^ 
destiné  à  éteindre  les  rentes  créées  à  l'occasiou  de  ces  em- 
prunts. Si  cette  clause  eût  été  observée,  et  qu'on  eût  ex- 
clusivement appliqué  le  nouveau  fonds  d'anaortissemeut  à 
Tobjet  pour  lequel  il  avait  été  établi  ,  il  n'est  pas  douteux 
qu'il  aurait  fini  r.ar  éteindre  les  dettes  contractées  pendant 
la  guerre  j  mais  il  faut  bien  se  persuader  que  ce  résultat 
n'aurait  pas  été  produit  par  la  force  de  l'intérêt  composé  5 
mais  seulement  parce  que  les  taxes  auraient  été  supérieui'es 
à  l'intérêt  des  emprunts.  Le  capital  reconnu  de  la  nouvelle 
dette  /ondée ,  créée  depuis  1795  jusqu'en  1817,  s'élève  à 
879,290,042  liv.  Un  p.  "/o  de  ce  capital  aurait  donné  une 
somme  de  8,792,900  liv.,  indépendamment  du  produit  des 
accumulations.  Mais  au  lieu  d'avoir,  à  la  fia  de  la  guerre, 
un  pareil  excédent  de  revenu,  tandis  que  le  fonds  d'amor- 
tissement nominal  était  de  plus  de  quinze  millions  stei'lings 
(  près  de  quatre  cents  millions  de  francs  )  ,  i'excéd;int  de 
la  recette  sur  la  dépense  ne  s'élevait  pas  ,  en  réalité  ,  à  deux 
millions  sterlings  (cinquante  millions  de  francs);  les  taxes 
imposées  pour  raclieter  le  capital  de  la  dette  ,  ayant  toutes 
été  détournées  de  cet  emploi  et  alfectées  au  paiement  de 
l'intérêt  des  emprunts  conti'acîés  en    1807  ,   1809  et  181 5. 

Au  reste,  il  était  assurément  bien  absurde  de  supposer 
qu'un  excédant  de  revenu  existant  sous  la  i'ornie  d'un  fonds 
d'amorlissemenl,  serait  toujours  scrupuleusement  employé 


des  dettes  fondées.  2^5 

d  l'exllnction  de  la  dette.  Dans  le  principe,   les  choses  se 
passent  rcgulicrement  ;  mais  quand  les  gouvernemens  coiu- 
inencent  à  éprouver  des  difficultés  sérieuses  dans  la  levcc 
des  impôts  qui  doivent  couvrir  les  dépenses  extraordinaires, 
les  fonds  d'amortissement,  comme  l'expérience  le  prouve  , 
ne  tafdent  pas  à  être  détournés  de  leur  destination  primitive. 
Si  M.  Pitt  a  cru  sincèrement  que  son   fonds   d'un  p.  "/o 
serait  plus  respecté  que  les  autres,  c'était  une  illusion  non 
moins  étrange  que  sa  confiance  dans  les  opérations  de  ce 
sou  magique  du  docteur  Price ,   qui  devait  produire  des 
globes  d'or.  Mais  les  ministres  sont  aujourd'hui  plus  éclairés 
ou  plus  sincères.  M.  Va usittart  disait ,    en    i8i5,  que  «  le 
fonds  d'amortissement  pourrait  devenir  un  instrument  d'une 
grande  force  dans  les  mains  du  Parlement ,   et  qu'il  était 
susceptible  d'amener  les  résultats  les  plus  imporlans   «  Or, 
il  est  évident  que  !e  Parlement  ne  peut  exercer  de  contrôle 
sur  ce   fonis,    que  lorsqu'on  le  détourne  du   but   spécinl 
pour  lequel  on  i'a  établi.    A    une  époque  raoins  éloignée  , 
lord  Londonderry    alla  encore  plus  loin  ;    car  il  dit      en 
propres  termes,  à  la  cliambre  des  communes,  it  qu'il  n'a- 
vait jamais  considéré  le  fonds  d'amortissement  comme  une 
épargne  sacrée,  mais  seulement  comme  une  réserve  dis- 
ponible que  le  Parlement  pouvait  employer,  selon  qu'il  le 
jugeait  le  plus  convenable ,  soit  aux  exigeances  du  moment, 
soit  à  assurer  la  sécurité  de  l'avenir,  » 

Les  effets  réels  d'un  fonds,  tel  que  celui  que  l'on  veut 
lever  aujourd'hui,  ne  sont  pas  de  diminuer  la  dette,  mais 
d'encourager  la  dépense.  «  Il  n'y  a  pas,  dit  M.  Ricardo  , 
de  plus  forte  garantie  de  la  continuation  de  la  paix  ,  que  de 
mettre  les  ministres  dans  la  nécessité  de  s'adresser  au  peu- 
.  pie,  afin  d'obtenir  de  nouveaux  impôts  quand  ils  veulent 
fairç  la  guerrj.  La  plus  légère  provocation  suffira  pour  les 
déterminer  à  s'engager  dans  une  nouvelle  lutte  ,  si  vous 
consentez  à  ce  que   la   caisse  d'aniortissement  accunml.- 


2'j4  ■^'^  système 

pendaul  la  paix  une  somme  un  peu  considér.ible.  L'un 
d'eux  disait  dernièrement  en  demandant  des  taxes  pour 
constituer  !e  fonds  d'amortissement  destiné  à  remplacer 
celui  qu'ils  ont  dissipe  ,  que  l'étranger  nous  ménagerait  et 
nous  redouterait .  quand  il  nous  saurait  en  possession  d'une 
aussi  formidable  ressource.  Or,  cette  manière  d'argumen- 
ter prouve  qu'à  l'exemple  de  leurs  devanciers,  i's  ne  con- 
si'lèrent  ce  fonds  que  comme  une  réserve  pour  la  guerre. 
Si ,  comme  cela  devrait  toujours  être ,  on  levait  des  taxes 
jiour  couvrir  les  dépenses  extraordinaires ,  une  caisse  d'a- 
mortissement n'en  faciliterait  pas  la  perception.  Aussi  n'est- 
ce  point  parce  que  les  ministres  pensent  que  cette  institution 
aiderait  la  levée  des  impôts  additionnels,  qu'ils  en  font 
l'éloge ,  mais  parce  qu'ils  savent  qu'elle  leur  permettrait 
de  s'en  passer,  et  que,  comme  ils  l'ont  toujours  fait ,  ils  se 
serviraient  du  fonds  d'amortissement,  pour  payer  les  inté- 
rêts des  nouvelles  dettes. 

Si  celte  gi'ossière  jonglerie  ne  coûtait  rien ,  on  ferait 
bien  de  la  prolonger  pour  l'amusement  et  pour  la  conso- 
lation des  vieilles  femmes  ,  des  babitués  de  la  Bourse  ,  et 
des  gentilsbommes  de  campagne.  Malbeureusement  elle  est 
tout  aussi  dispendieuse  qu'elle  est  absurde.  Tl  résulte  des 
comptes  officiels  que  ,  du  5  janvier  17  i6  au  5  janvier  1822  , 
la  recette  a  excédé  la  dépense  d'une  somme  de  7,528,869  l. 
(  environ  189,000,000  fr.  ),  et,  dans  le  même  intervalle, 
rintérétde  la  dette  flottante  a  été  réduit  dans  la  proportion 
de  5  1/2  3  2.  Si  l'excédant  du  revenu  eût  été  purement  et 
simplement  appliqué  à  l'extinction  de  la  dette,  le  principal 
et  l'intérêt  en  seraient  aujourd'hui  sensiblement  diminués. 
Mais  cette  marche  simple  et  droite  ne  pouvait  passe  con- 
cilier avec  les  vues  et  les  habitudes  de  nos  ministres.  Ils 
préférèreul  suivre  leur  propre  goût  et  peut-être  aussi  celui 
du  public,  en  faisant  leurs  tours  de  main  et  de  passe-passe 
ordinaires.  En  conséquence  le  reveiui  de  l'amortissement 


des  dettes  fondées.  2^5 

qui  elalt  de  i,5o5,774  liv.  (  pi'rs  de  Ircnle-huit  raillons  de 
l'rancs),  lut  porté  à  cincj  millions  slerlings  (  cent  vingt-cinq 
millions  de  fraucs  ).  L'argent  nécessaire  pour  faire  celte 
somme  fut  emprunté  à  la  Banque  et  présenté  comme  re- 
venu. On  fit,  en  outre,  beaucoup  d'autres  opérations  ac- 
cessoires :  on  changea ,  par  exemple  ,  un  fonds  contre  un 
autre,  et  les  comptes  du  trésor  devinrent  à  peu  près  inintel- 
ligibles. liC  résultat  de  toutes  ces  belles  opérations  fut  que  , 
malgré  la  réduction  de  près  de  moitié  de  Tintérêt  de  la 
dette Jlottante ,  la  dépense  annuelle  relative  à  noire  dette. 
au  lieu  de  diminuer,  s'est  considérablement  accrue.  Nous 
ne  croyons  pas  cependant  que  ces  faits  ,  irut  prouvé.s,  tout 
concluans  qu'ils  sont,  suffisent  pour  déterminer  les  minis- 
tres à  renoncer  à  leur  système  de  jong'erie  et  de  déception. 
Il  est  fort  à  craindre  que  nous  ne  soyons  destinés  à  être 
encore,  pendant  quelque  tems,  les  dupes  des  charlatans  en 
finances  ,  et  probablement  nous  ne  tarderons  pas  à  acquérir 
de  nouvelles  preuves  de  la  propriété  qu'ont  les  fonds  d'a- 
mortissement d'augmenter  les  dettes  et  les  embarras  de 
tous  les  gouvernemens  qui  ont  eu  le  malheur  d'en  établir. 

(  Revue  d'Edinhouro;.  ) 


DES    DROITS    IMPOSÉS    SUR    LE    CAFÉ  (^l). 


Une  opinion  assez  répandue  aujourd'hui  ,  c'est  que  les 
ministres  ne   sauraient  opérer  un  dégrèvement  plus  utile  , 

(i)  Note  DU  Tr.  Le  numéro  précèdent  de  la  He^uie  lirilaiiiiiinie 
contient  un  article  remarquable  intitulé  :  Des  produits  com/iarcs  tAs 
inares  élevées  et  des  petites  (axes.  Les  théories  qui  y  sont  exposées 
sont  confirmées  dans  celui  qu'on  va  lire  ,  jinr  l'autorité  de  nouveaux 
faits  et  de  nouveaux  exemples. 


i-]0  Des  droits 

ilaus  nos  charges  publiques,  qu'en  supprimant,  ou  da 
moins  en  réduisant  beaucoup  les  Uixes  réparties  (  assessed 
taxes  ).  Tel  serait  aussi  notre  avis  ,  si  cette  mesure  ne 
nous  paraissait  pas  devoir  entraîner  la  conservation  d'au- 
tres droits  bien  plus  incommodes.  Mais,  dans  la  situation 
actuelle  de  nos  finances  ,  le  ministère  a  besoin  de  fortes 
recettes  ,  et  ce  qu'il  importe  de  savoir ,  ce  n'est  pas  si  les 
taxes  réparties  condamnent  le  contribuable  à  quelques 
priA'atious  ,  mais  si  elles  sont  plus  onérevises  que  d'autres 
classes  d'impôts.  Il  est  facile  de  répondre  à  cette  question. 
Les  taxes  réparties  ,  depuis  les  dernières  réductions  f[u'elles 
ont  subies  ,  n'ont  plus  rien  d'oppressif,  et  la  difficulté  de  se 
soustraire  à  leur  perception  ,  le  seul  défaut  qu'on  leur 
trouve,  en  justifie  ,  au  contraire,  le  maintien.  Elles  ne  trou- 
blent pas  la  circulation  naturelle  des  capitaux  ;  elles  ne  dé- 
tournent pas  le  commerce  de  ses  canaux  accoutumés  ;  elles 
ne  provoquent  pas  la  contrebande  ,  et  elles  se  perçoivent 
sans  peine  et  à  peu  de  frais.  H  y  a  beaucoup  de  taxes  qu'on 
pourrait  supprimer  de  préférence.  De  ce  nombre ,  sont  : 
l'impôt  sur  le  cuir  ,  qui  est  d'im  produit  très-faible  et  d'une 
perception  très-diffici  e;  celui  qui  pèse  sur  les  polices  «.Vas  - 
surance,  et  qui,  au  détriment  d'une  branche  d'industrie 
fort  uti'e  ,  ne  permet  pas  de  mettre  à  l'abri  des  chances  de 
destruction,  une  masse  considérable  de  propriétés  ;  l'impôt 
■sur  le  fer  et  le  bois  de  construction  ,  lequel ,  en  haussant 
le  prix  des  maisons  et  des  machines  ,  nuit ,  non  à  une  classe 
d'intérêts  en  particulier  ,  mais  à  notre  commerce  et  à  nos 
fabriques  en  général.  Ces  impôts  et  quelques  autres  de 
même  genre,  sont  ceux  dont  nous  désirerions  d'abord  l'a- 
bolition,  et  lorsque  en  l'opérant  on  aurait  donné  une  nou- 
velle impulsion  aux  branches  capitales  de  notre  industrie, 
et  augmenté  ainsi  le  produit  des  contributions  indirectes  , 
on  pourrait,  sans  inconvénient  pour  le  trésor,  supprimer 
les  taxes  reparties. 


imposés  sur  le  café,  2'j'j 

Nous  nous  bornerons  ,  dans  ce  moment ,  à  demander, 
rà  regard  des  droits  sur  le  café ,  une  réduction  qui ,  si  elle 
«tait  des  deux  tiers  ou  même  des  trois  quarts  ,  contri- 
buerait au  bien-être  d'une  portion  notable  de  la  population, 
empêcherait  la  falsification  de  cette  denrée  ,  pratiquée  au- 
jourd'hui avec  un  succès  scandaleux ,  et  tendrait ,  non  à 
diminuer  ,  mais  ,  en  dernière  analyse  ,  à  augmenter  le  re- 
venu public. 

Une  réclamation  semblable  vient  d'«tre  soumise  au  mi- 
nistère, par  les  principaux  planteurs  des  Antilles  anglaises 
et  par  les  maisons  de  commerce  les  plus  recommandables 
de  Londres  et  de  Liverpool.  Dictée  par  Tintérêt  privé  des 
signataires,  et  nullement  par  l'amour  du  bien  public  ,  elle 
n'en  est  pas  moins  d'une  importance  nationale  ,  et  son  suc- 
cès intéresse  également  les  vendeurs  et  les  consommateurs 
de  café.  Grâce  à  la  concurrence  ,  ressort  puissant  qui  agit 
sans  cesse,  le  producteur  est  obligé  de  vendre  son  café,  son 
sucre  ,  etc. ,  etc. ,  au  plus  bas  prix  possible ,  d'où  il  suit , 
qu'en  diminuant  le  droit  qui  pesait  sur  une  denrée,  on  en 
diminue  proportionnellement  le  prix,  et  qu'on  en  augmente 
le  débit  en  le  mettant  à  la  portée  de  classes  nouvelles  de 
consommateurs,  classes  moins  aisées,  mais  par  cela  même 
plus  nombreuses.  Ainsi,  Tavantage  du  producteur  ne  con- 
sistera pas  à  s'approprier  ,  en  tout  ou  en  partie  ,  le  montant 
de  cette  réduction  ,  mais   à   donner  plu«  d'extension  à  la 
vente  de  ses  produits.  Il   s'agit  donc   spécialement  ici  de 
l'intérêt  des  consommateurs  ou  de  ceux  aspirant  à  le  de- 
venir. Aussi  espérons-nous  que  les  amateurs  de  café  feront 
cause  commxme  avec  les  planteurs  des  Antilles,  afin  d'ob- 
tenir une  réduction  qui  tnultipllera   leurs  jouissances,  en 
favorisant  la  prospérité  publique. 

Le  ministère  n'a  pas  encore  statué  définitivement  sur 
cette, réclamation  ;  mais  les  vues  éclairées  et  philosophi- 
ques qui   distinguent  M.   Robinson  et  M.  Huskisson,  ne 
I.  19 


2  7  H  Des  droits 

nous  permettent  pas  de  douter  qu'ils  ne  raccueillent  favo- 
rablement . 

Nous  avons  déjà  démontré  que  toute  diminution  de  taxes 
sur  des  denrées  d'un  usage  général  a  pour  effet  d'en  aug- 
menter la  consommation  (i).  L'histoire  du  commerce  du 
café  ,  depuis  quarante  ans ,  présente  ,  à  cet  égard  ,  des  l'é- 
sultats  trop  remarquables  ,  pour  que  nous  hésitions  à  les 
soumettre  à  nos  lecteurs. 

Avant  1785,  les  droits  de  tout  genre  qui  pesaient  sur  le 
café  importe-  dans  la  Grande-Bretagne ,  étalent  de  4B0  p.  % 
ad  valorem.  Qu'en  résultait-il  ?  que  presque  tout  le  café 
qui  s'y  consommait  alors  y  arrivait  par  contrebande,  et  que 
le  produit  annuel  des  droits  n'était  que  de  2,869  1'^-  ^^• 
10  sh.  10  d.  (  71,7^8  fr.  20  c.  )•  En  1780,  M.  Pitt  diminua 
les  droits  d'environ  un  tiers  ,  et  cette  mesure  eut  pour  effet 
d'en  tripler  le  produit  et  de  réduire  presqu'à  rien  la  con- 
trebande. Preuve  frappante  et  irrévocalîle ,  comme  l'a  dit 
M.  Bryan  Edwards  ,  dans  son  Histoire  des  Antilles  ,  que 
les  droits  exorbitans  ont  presque  toujours  un  effet  contraire 
au  vœu  du  législateur. 

A  dater  de  cette  époque  ,  la  consommation  du  café  et  le 
produit  des  droits  firent  des  progrès  lents ,  mais  sensibles. 
Depuis  1790  jusqu'en  1794  inclusivement,  les  droits 
étaient  de  11  d.  (  i  fr.  10  c.  )  par  livre.  La  consommation 
anûuelle  ,  en  Angleterre  ,  fut ,  dans  cet  intervalle  ,  de 
8;  1,000  livres  ,  et  le  produit  des  droits  de  09,875  liv.  st. 
(  996,875  fr.  ).  En  1 795 ,  les  droits  furent  portés  à  i  sh.  5  d. 
(  I  fr.  77  c.')  par  lii're ;  mais,  malgré  cette  augmentation  , 
leur  produit  pour  cette  année  et  pour  les  quatre  années  sui- 
vantes, ne  fut  que  de  58,74©  iiv.  st.  (968, 5oo  fr.)  ,  et  la  con- 
somniatlonde  548,000  livres.  Durant  les  années  i8o5,i8o6 
Cl  1807,  les  droits  furent  élevés  à  2  sh.  2  d.  (  2  fr.  71  c.  )  ; 

(i)  Note  nu  Tu.  Voir  le  numéro  i"^""  de  la  Tin-i/e  liritnrinique  , 
pag.  39 


imposés  sur  le  café.  279 

mais  par  l'eftet  de  la  vigilance  qu'on  mit  à  prévenir  la 
contrebande ,  du  goût  toujours  croissant  pour  cet  article  , 
et  de  l'acquisition  que  nous  fîmes  de  quelques  îles  françaises, 
qui  nous  en  fournirent  de  meilleure  qualité  ,  la  consomma - 
lion  fut  de  I ,  I  i5,ooo  livres ,  et  le  produit  annuel  des  droits 
de  121,698  liv.  st.  (  5,042,45©  fr.) 

En  1808  ,  M.  PerceA'al ,  chancelier  de  TEchiquier,   tou- 
ché de  la  position  déplorable  où  se  trouvait  le  commerce 
des  Antilles ,  réduisit  à  7  d.  (  73  c.  )   les  droits  sur  le  café  , 
et  permit  de  le  rôtir  dans  les  maisons  particulières.  Cette 
mesure   eut   tout  le  succès  qu'on  devait  en  attendre.  La 
quantité  de  café,  consommée  à  l'intérieur,  de  1808  à  1812 
inclusivement,  s'éleva  de   i,ii3,ooo  à   7,177,000  livres, 
et  le    produit    des  droits    de    121,698  à    209,554  liv.    st. 
(  55,255,550  fr.  ).  On  ne  trouverait  pas  ,  dans  toute  l'histoire 
de  l'impôt  ,  un  exemple  qui  prouve  mieux  l'utilité  qu'il  y 
a  à  n'établir  que  des  taxes  modérées  sur  les  objets  de  con- 
sommation générale.  Cependant  M.  Vansiltart,  chancelier 
de  l'Echiquier,  porta,  en    181 5,  les  droits  sur  le  café  à 
7   d.  5/4  (76c.),  et,  bien  que  la  consommation  eût  déjà 
diminué  ,  par  suite  de  cette  légère  augmentation,  il  ne  crai- 
gnit pas  de  les  élever  à  i  sh.  (  i  fr.  aS  c.  ) ,  en  1819.  Cette 
mesure  eut  le  résultat  que  tout  homme  sensé  devait  pré- 
voir. De  18  ig  à  1820,  la  quantité  de  café  consommée  an- 
nuellement ne  fut  que  de  6,692,000  liv. ,  et  le  produit  des 
droits  de  554, 000  liv.  st.  (8,35o,ooo  fr.  )  ,  tandis  que  si  la 
consommation  se  fût  accrue  proportionnellement  à  la  popu- 
lation ,  elle  aurait  été  annuellement  de  8,4  19,000  liv. 

Pour  donner  au  lecteur  une  idée  plus  nette  des  divers 
résultats  produits  par  les  changemens  qu'ont  subis  ,  à  di- 
verses époques ,  les  droits  sur  le  café ,  nous  lui  soumettrons 
le  tableau  suivant  ,  dont  les  élémens  ont  été  puisés  à 
des'sources  officielles ,  et  sur  l'exactitude  duquel  il  peut 
compter. 


Des  droits 

Tarif  par 

Consommation, 

Produits  des 

livre. 

année  moyenne. 

droits,  annc'e 
moyenne. 

0  sh.    Il 

1  5 
I             6 

d.          871,000  liv, 
348,000 
8i3,ooo 

"^     39,875  liv.  st 
38,74o 
6o,55o 

2                    2 

1,1 13, 000 

121,702 

O  7 
o            7 

i             o 

7,177,000 

3/4    6,73o,ooo 

6,692,000 

209,334 
225,797 
334,600 

•jftu 


De  1 791   a   1795  excl 

De  1795  à   1800 

De  1800  à   i8o5 

De  i8o5  à  1808 

De  1808  à  i8r3 

De  i8i3  à  1819 

De  1819  à  1823 

Le  produit  tles  droits  s'élève  annuellement  ,  sur  le  café 
consommé  en  Ecosse,  à  i5,ooo  liv,  st.  (  57 5, 000 fr.  )  ,  et 
sur  celui  consommé  en  Irlande ,  à  une  somme  à  peu  près 
égale. 

/  La  colonie  de  Saint  Domingue  ,  qui,  antérieurement  aux 
troubles  qui  la  désolèrent ,  exportait  une  immense  quan- 
tité de  café  (  de  1786  à  1789  ,  elle  en  expédia  7,480,000  li- 
vres ,  année  moyenne),  cessa,  dès  1795,  toute  expor- 
tation de  cette  denrée.  La  hausse  des  prix  ,  que  sa  rareté  dut 
causer  à  l'époque  des  troubles  en  question ,  en  encouragea 
la  culture  à  un  point  extraordinaire  dans  les  autres  îles 
de  r Archipel  américain,  et  surtout  à  ia  Jamaïque,  où 
(luelques  propriétaires  de  Saint-Domingue  sétaient  retirés. 
La  quantité  de  café  exporté  de  cette  île,  en  1790,  fut  de 
1,783,000  livres  pesantj  mais  elle  augmenta  progressive- 
ment depuis  cette  époque,  et ,  en  i8o6,  elle  fut  portée  à 
v>.7,298,ooo  livres  \  accroissement  sans  exemple  dans 
l'histoire  de  l'agriculture  coloniale.  Cependant,  cette  vaste 
extension  donnée  à  la  culture  du  café,  à  la  Jamaïque,  ne 
suffit  pas  pour  combler  le  vidi^  occasioné  par  la  perte 
de  Saint-Domingue,  et,  en  conséquence,  les  prix  se  sou- 
tinrent assez  haut,  jusque  vers  la  fin  de  18:0.  A  cette  épo- 
que ,  les  décrets  de  Napoléon  ayant  opposé  de  fortes  en- 
traves à  notre  commerce  avec   le  reste  de  l'Europe,  nos 


imposés  sur  le  ctijé.  28 1 

în  a  reliés  furent  surchargés  de  café,  et  le  prix  en  baissa  ccu- 
sttlérahlement.  La  paix,  en  rouvrant  nos  relations  com- 
merciales avec  le  continent ,  ramena  la  hausse  dans  les 
ventes  de  cette  denrée,  et  si  une  baisse  de  40  à  5o  p.  °/o  s'y 
est  fait  remarquer  Tannée  dernière ,  elle  n'est  pas  due  à 
une  importation  plus  considérable  du  café  de  nos  colonies  , 
puisque  leurs  exportations  ont  diminué  depuis  quelques 
années;  il  faut  uniquement  l'attribuer  à  l'immense  quantité 
qui,  du  Brésil,  de  Cuba  et  de  Java,  en  a  été  expédiée  dans 
nos  ports.  Quant  au  café  de  nos  colonies,  il  a  été,  en  ma- 
jeure partie,  réexporté  et  dirigé  vers  les  autres  pays  de 
TEurope.  Mais  aujourd'hui  que  nous  avons  à  soutenir  la 
concurrence  du  continent  américain  et  des  deux  Indes  , 
nous  ne  devons  plus  espérer  de  faire ,  avec  un  grand  suc- 
cès, le  commerce  de  cet  article;  nous  devons  même  crain- 
dre que  si  on  ne  le  dégrève  pas  sensiblement  de  ses 
droits  actuels ,  afin  d'en  favoriser  la  consommation  à  l'in- 
térieur ,  la  moitié  ,  peut-être  même  les  deux  tiers  de  nos 
plantations,  seront  abandonnées,  comme  étant  de  nulle 
valeur. 

On  pense  généralement  que  pendant  tout  le  tems  où  les 
droits  exorbitans  que  nous  venons  de  signaler  ont  été  main- 
tenus, à  peu  près  la  moitié  du  café  consommé  dans  les  îles 
Britanniques  était  altère'  ou  de  contrebande.  Ce  dernier 
genre  de  fraude  a  été  rendu,  il  est  vrai,  plus  difficile  de- 
puis cette  époque;  mais,  d'un  autre  colé,  on  a  légitimé  la 
vente  du  café  de  fabrique,  poudre  qui  imite  assez  bien  celui 
des  colonies ,  et  dont  la  composition  est  devenue  mainte- 
nant une  véritable  branche  d'industrie.  D'après  une  loi 
faite  dans  le  cours  du  dernier  règne,  toute  matière  destinée 
à  suppléer  au  café  ,  et  désignée  sous  le  nom  de  café  britan- 
nique ^  est  probibée,  et  les  débitans  de  matières  de  ce 
genre  sont  passibles   d'une    amende  de   5o  livres  sterling 


aSa  Des  droits 

(  i,25o  fr.  ).  C'est  en  vertu  de  cette  loi  que  fut  d'abord 
saisie  la  poudre  inventée  et  débitée  par  le  fameux  Hunt , 
apôtre  si  connu  du  radicalisme.  Cependant  nue  loi  nouvelle 
a  autorisé  la  vente  de  cette  poudre  ,  sous  le  nom  de  graine 
rctie,  pourvu  qu  an  moyen  de  quelque  étiquette  ou  signe 
visible  ,  le  chaland  puisse  la  reconnaître.  On  ne  saurait  dire 
au  juste  jusqu'où  s'en  étend  la  consommation  ,  mais  il  faut 
croire  qu'on  en  débite  beaucoup,  puisque  le  seigle ,  à  l'aide 
duquel  on  la  fabrique  généralement ,  s'est  élevé  ,  il  J  a  quel- 
ques mois ,  à  un   prix   très-haut  ,  et  que ,  vers  la  même 
époque,  l'usage  de  \di  graine  rôtie  a  pénétré  jusque  dans  des 
villages  où  le  goût  du  café  était  jusqu'alors  inconnu.  S'il  faut 
en  croire  l'avocat  de  M.  Hunt,  dans  une  cause  où  ce  der- 
nier était  demandeur,  il  paraîtrait  qu'un  boisseau  de  seigle 
peut  fournir  la  matière  de  35  à  36  livres  de  graine  rôtie  ^  et 
qu'au  pris,  où  elle  se  vendait  alors ,    les  fabricans  en  reti- 
raient un  bénéfice  de  5oo  à  4oo  pour  èent.  Ce  calcul  est 
sans  doute  exagéré  i  mais  toujours  est-il  que  l'entreprise  est 
fort  bonne,  et  fait  honneur  au  génie  industriel  de  M.  Hunt. 
On  avait  espéré  que  la  baisse  assez  forte  qui  a  eu  lieu , 
l'année  dernière,  dans  le  prix  du  café  en  aurait  augmenté  la 
consommation.  En  effet,    les   qualités    ordinaires  se  sont 
généralement   vendues  ,  abstraction   faite   des  droils,   au 
prix  d'environ  6  deniers  la  livre  (  65  centimes  ) ,  tandis  que 
dans  les  années  précédentes ,  à  compter  de   1 8 1 4  ,  elles 
coûtaient  de  lo  à  12  deniers  (  i  fr.  à  1  fr.  aS  cent.  )  Ce- 
pendant il  paraît,  d'après  une  circulaire  d'une  des  premières 
maisons  de  Liverpool  (  en  date  du  8  janvier  dernier  ),  que 
la  consommation  du  café,  loin  de  s'être  augmentée  en  1824? 
a  été,  de  448jOoo  liv.  ,  moindre  qu'en   1822.  Il  faut  en 
chercher  la  cause  dans  l'altération  du  café,  provoquée  par 
le  taux  élevé  des  droits   actuels,   et  par  la  tolérance  du 
gouvernement. 


imposés  sur  le  café.  abS 

Or  ,  nous  le  demandons  ,  y  a-t-il  rien  de  plus  absnrde  et 
de  plus  impolitique  que  de  forcer  le  public ,  par  des  droits 
exorl)itans,  à  faire  usage  d'une  denrée  falsifie'e  ?  N'est-ce 
pas  nuire  à  la  fois  au  producteur  et  au  consommateur,  au 
cominerce ,  au  revenu  de  TEtat  et  aux  mœurs  publiques?  ï! 
est  reconnu  qu'un  tiers  de  la  graine  rôtie ,  qui  circule  dans 
le  commerce,  est  employé  à  l'altération  du  café  des  colonies. 
Un  tel  état  de  choses  ne  peut  durer,  et  il  est  impossible  que 
le  gouvernement  ne  consente  pas  aux  réductions  deman- 
dées. S'il  diminue  les  droits  en  question  à  5  ou  4-  deniers 
(  5o  à  4o  centimes  )  la  livre ,  il  est  très-probable  que  la 
consommation  s'élèvera  au  triple  ou  au  quadruple  de  ce 
qu'elle  est  aujourd'hui  ;  c'est-à-dire  qu'elle  passera  de  7 
millions  321  ou  28  millions  de  livres.  Dans  ce  cas ,  le  débit 
du  café  fabriqué  ou  altéré  diminuera  beaucoup ,  et  le  re- 
venu de  l'État  augmentera  dans  la  même  proportljn. 

On  a  objecté  que  la  réduction  de  l'impôt  sur  le  café  pour- 
rait nuire  à  la  consommation  du  thé  et  entraîner  par  là  un 
déficit  dans  les  recettes  j  mais  n'est-il  pas  évident  que  le 
trésor  a  moins  à  redouter  une  diminution  de  droits  qui 
permet  d'étendre  la  vente  du  café  des  colonies ,  que  le  défaut 
de  consommation  de  cette  denrée,  provenant  de  l'usage 
général  de  la  poudre  qui  l'a  remplacée,  et  qui  n'est  grevée 
d'aucune  taxe?  Au  surplus,  et  ceci  tranche  la  question,  il 
est  constant  que  la  réduction  qu'on  opéra  en  1808  dans 
l'impôt  sur  le  café,  et  qui  en  sextupla  la  consommation, 
n'empêcha  point  que  celle  du  ihé  n'augmentât  aussi  d'année 
en  année.  Il  n'est  pas  probable,  d'ailleurs,  que  l'usage  du 
café  rerap'ace  celui  du  thé  dans  les  classes  inférieures; 
quant  aux  hautes  classes  ,  elles  consomment  l'une  et  l'autre 
de  ces  denrées.  On  n'a  donc  pas  à  craindre  que  l'extension 
dans  le  débit  du  café  nuise  à  celui  du  thé;  mais,  en  fut-il 
ainsi,. c'est  un  mal  auquel  le  gouvernement  pourra  aisément 
emédier,  si,  comme  il  eu  a  le  droit,  il  oblige  la  Coni- 


284  Amérique 

pagnie  des  ludes  à  vendre  ses  thés  à  meilleur  compte,  afin 
d'en  accroître  la  consommation  (i). 

C'est  donc  une  mesure  sage  et  même  indispensable  que  celle 
réclamée  par  les  planteurs  de  nos  îles  et  par  le  commerce 
de  Londres;  et  il  est  hors  de  doute  qu'un  acte  du  Parlement 
qui  réduirait  de  beaucoup  les  droits  actuels  du  café  ,  contri- 
buerait non-seulement  au  bien-être  des  familles,  mais  à 
l'accroissement  du  commerce  et  du  revenu  public. 

(  Rsuue  d'Edinbourg.  ) 


VOYAGES.-STATISTIQUE. 


AMÉRIQUE    MÉRIDIONALE  (2). 


Tous  les  documens  authentiques  qui  concernent  la  partie 
méridionale  du  continent  américain ,   doivent  être  néces- 

(1)  ÎNOTE  DU  Tr.  Voyez  à  cet  égard  le  i<^'"  numéro  de  la  Revue 
Britannique,  pag.  i5g. 

(2)  Note  DU  Tr.  Il  serait  difficile  de  peindre  l'inlérêt  qu'excite, 
dans  la  Grande-Bretagne ,  l'Amérique  du  sud.  Pendant  que  le  gou- 
vernement y  envoie  des  ministres  et  des  consuls  ,  le  commerce  la  fait 
explorer  par  ses  agens  ,  dans  toutes  les  directions.  A  leur  retour,  l.'i 
plupart  publient  la  relation  des  voyages  qu'ils  y  ont  faits ,  et  ces  pu- 
blications ne  soni;  pas  lues  moins  avidement,  dans  les  différentes 
classes  de  la  société  ,  qu'un  roman  de  V\  alter  Scott  ou  un  poème  de 
lord  Byron.  On  dirait  que  l'Amérique  méridionale  a  été  découverte 
une  seconde  fois  ;  et ,  dans  le  fait ,  l'Espagne  et  le  Portugal  en  avaient 
rendu  l'abord  si  difficile,  qu'elle  était  eu  quelque  sorte  perdue  pour 
le  reste  de  l'Europe.  L'instinct  commercial  de  l'Angleterre  l'a  avertie 
que  celte  partie  du  Nouveau-Monde,  exploitée  à  l'aide  dises  capitaux, 
par  des  hommes  industrieux,  deviendrait  pour  elle  une  source  de 
richesses  incalculables.  Déjà  les  spéculateurs  ont  commencé  leurs  Ira- 


méridionale.  285 

sairement  bien  accueillis ,  rlans  uu  moment  où  Ténergie , 
si  lon^-tems  comprimée,  de  tant  de  millions  d'hommes, 
se  ranime,  et  où  la  société  y  prend  une  physionomie  tout- 
à-fait  nouvelle.  Une  crise  semblable  ne  peut  guère  arriver 
sans  des  convulsions  douloureuses 3  et  rien,  dans  l'ancien 
état  de  TAmérique  du  sud,  ne  nous  autorisait  à  croire  qu'elle 
ferait ,  sous  ce  rapport ,  une  exception  dans  l'histoire  de 
l'espèce  humaine.  Aussi,  quelque  triste  qu'ait  été  jadis,  sous 
le  régime  colonial,  le  sort  de  ces  belles  et  malheureuses 
contrées ,  jamais  probablement  leur  condition  n'a  été  plus 
déplorable  que  dans  cet  état  intermédiaire  qui,  depuis 
quinze  ou  vingt  ans,  a  déchaîné  toutes  les  mauvaises  passions 
du  cœur  de  l'homme,  engagé  une  lutte  sanglante  entre  les 
partisans  de  l'ancien  gouvernement  et  ceux  de  l'indépen- 
dance, et  mis  les  Indiens  en  situation  de  venger  ,  sur  les 
uns  et  sur  les  autres,  leurs  anciennes  injures,  eu  profitant 
des  facilités  que  leur  donnaient  les  chances  alternatives  de 
revers  et  de  succès  des  deux  partis  (i).  Heureusement  nous 

vaux  :  les  flancs  des  Cordillères  et  des  montagnes  du  Bre'sil  se  sillon- 
nent de  profondes  tranchées  qu'on  y  creuse  ,  pour  aller  à  la  recherche 
des  tre'sors  qu'elles  renferment.  En  même  tems  les  villes  de  ces  riches 
contre'es  s'e'tendent  et  s'embellissent.  On  dit  qu'à  ce  dernier  égard, 
Buenos-Ayres  pre'sente  surtout  un  aspect  remarquable  :  de  tous  côte's, 
des  entrepreneurs,  venus  de  la  Grande-Bretagne,  y  font  construire 
des  habitations  pour  les  populations  à  naître,  et  pour  celles  qu'on  y 
attend  de  l'Europe.  Nous  serons  probablement  plus  d'une  fois  dans  le 
cas  de  diriger  l'attention  de  nos  lecteurs  vers  l'imposant  spectacle  que 
pre'sente  ce  continent  qui  se  re'vcille  du  long  assoupissement  dans  le- 
quel l'avaient  plongé  les  Portugais  et  les  Espagnols  ,  et  nous  ne  lais- 
seroos  rien  échapper  de  ce  qui  sera  propre,  dans  les  écrits  périodiques 
anglais,  à  constater  les  rapides  progrès  que  la  civilisation  doit  ne'ces- 
sairement  y  faire.  S.  F. 

(i)  Note  DU  Tr.  La   population  cuivrée ,   improprement  désignée 

.sous  le  nom  d'îi  diens,  est  estimée  par  aperçu  à  dix  millions  d'amcs. 

Sur  ce  nombre  ,  près  d'un  nnllion  ,   qut   vit  dans  les   villes  ou  dans 

leur  voisinage  ,  s'est  soumis  aux  habitudes  de  l'Europe,  et  a  adopte  l'u— 


286  Amérique 

sommes  aujourd'hui  en  droit  d'espérer  que  cette  lutle,  dont 
l'issue  n'est  plus  douteuse^  aura  en  définitive,  pour  résultat, 

sage  de  ses  langues.  Le  reste  se  partage  en  deux  grandes  divisions  :  les 
Indiens  du  Mexique  et  du  Pe'rou  ,  (jui  c'talent  civilise's  avant  les  con- 
quêtes de  Cortez  et  de  Pizarre  ,  et  ceux  du  reste  de  l'Ame'rique,  qui 
vivent  encore  dans  l'e'tat  sauvage.  Les  flots  de  la  population  d'origine 
europe'enne  font,  tous  les  jours,  en  s' avançant,  reculer  davantage 
les  Indiens  de  l'Ame'rique  septentrionale.  A  mesure  que  les  forêts 
dans  lesquelles  ils  trouvent  leur  subsistance  ,  tombent  sous  la  cogne'e 
des  pionniers ,  leurs  chasses  deviennent  nécessairement  moins  abon- 
dantes ;  aussi  leur  nombre  décfoît-il  rapidement  d'anne'e  en  anne'e,  et 
il  serait  facile  de  de'terminer,  d'une  manière  à  peu  près  exacte,  l'é- 
poque à  laquelle  cette  malhi  ureuse  race  sera  entièrement  e'teinte  dans 
cette  partie  du  Nouveau-Monde.  Les  Indiens  du  Mexique  et  du  Pérou 
ont  opiniâtrement  conservé  leurs  habitudes  et  leurs  langages  ,  tout 
en  se  soumettant  aux  pratiques  extérieures  du  culte  catholique.  Ils  con- 
servent aussi  le  souvenir  de  leur  indépendance  et  de  leur  ancienne 
religion  ,  quoique  ,  depuis  trois  siècles  ,  on  ait  fait  disparaître  tous  les 
signes  propres  à  l'entretenir.  I^a  vivacité  de  ce  souvenir  se  manisfeste 
quelquefois  par  des  traits  touchans  ,  dont  il  est  difficile  d'entendre  le 
récit  sans  en  être  ému,  et  souvent  aussi  par  des  actes  cruels.  En  iSaS, 
un  voyageur  anglais  s'était  rendu  au  INlexique ,  pour  y  faire  des  col- 
lections de  curiosités  et  d'histoire  naturelle.  Il  avait  appris  qu'une  idole 
avait  été  enfouie,  peu  de  tcms  après  la  conquête,  dans  un  lieu  qui 
forme  aujourd'hui  la  grande  cour  du  collège  de  Mexico.  Il  y  fit  faire 
des  fouilles  ,  et  effectivement  on  découvrit  une  statue  monstrueuse  en 
basalte,  celle  de  la  déesse  de  la  guerre,  dont  l'aspect  terrible  rappelait 
les  sacrifices  humains  qu'on  faisait  jadis  sur  ses  autels.  Les  créoles  de 
Mexico  virent  cette  idole  avec  horreur  et  dégoût  ;  mais  c'était  avec  un 
sentiment  bien  différent  que  la  population  indigène  ,  accourue  de  tous  . 
les  villages  voisins  ,  la  considérait.  Le  lendemain  du  jour  où  on  l'avait 
tlécouverte  ,  on  la  trouva  couronnée  de  fleurs  et  environnée  de  guir- 
landes. C'étaient  de  pauvres  Indiens  qui  les  avaient  apportées  ,  en  esca- 
ladant ,  pendant  la  nuit,  les  murs  du  collège.  Quand  le  gouvernement 
républicain  vit  la  fermentation  qu'excitait  cette  statue  ,  parmi  les  indi- 
gènes ,  il  crut  devoir  la  faire  enfouir  de  nouveau.  Le  même  voyageur  , 
en  s'enfonçant  dans  l'Intérieur  du  pays,  fut  témoin  d'une  autre  scène 
non  moins  remarquable.  Gemme  il  n'était  pas  d'origine  espagnole, 
présence  n'inspirait  point  de  défiaïKiC.  La  veille  de  Noël  ,  il  arriva  dan 


méridionale.  287 

ramélioration  durable  de  la  situation  des  divers  pays  qui  en 
ont  été  le  théâtre. 

M.  Caldcleugh  ,  qui  a  été  secrétaire  particulier  de  notre 
ambassadeur  au  Brésil,  vient  de  publier  la  relation  des 
voyagera  qu'il  a  faits  dans  TAmérique  du  sud  (i);  et  quoiqu'il 
ait  augmenté  la  luasse  des  renseignemens  que  nous  avions 
déjà  sur  plusieurs  de  ses  parties ,  il  n'a  cependant  qu'im- 
narfaitement  rempli  les  espérances  que  nous  étions  en  droit 
de  fonder  sur  son  ouvrage,  surtout  après  les  fonctions  qu'il 
a  exercées  au  Brésil.  Rien  sans  doute  n'est  plus  difficile  que 

un  village  indien.  On  l'engagea  à  assister  à  une  pantomime  qui  devait 
avoir  lieu  dans  l'ëglise.  Il  vit  deux  individus,  l'un  habillé  comme  un 
Espagnol  du  tems  de  Charles-Quint ,  l'autre  qui  repre'sentalt  l'empe- 
reur Montezuma.  Un  combat  s'engagea  entre  ces  deux  personnages  , 
et ,  contrairement  à  la  vérité'  historique ,  ce  fut  à  Montezuma  que 
resta  la  victoire  ;  ce  qui  excita  une  vive  satisfaction  et  de  bruyans 
transports  parmi  les  spectateurs.  11  s'est  passé  au  commencement  de 
cette  année  un  fait  plus  sérieux  qui  prouve  encore  d'avantage  l'inimitié 
des  Mexicains  pour  les  descendans  de  leurs  vainqueurs.  Le  gouver- 
nement avait  envoyé  ,  dans  l'île  des  Sacrifices  ,  un  régiment  Indien  , 
commandé  par  des  officiers  créoles.  Ces  officiers  ont  tous  été  mas- 
sacrés par  leurs  soldats.  Les  mêmes  dispositions  existent  chez  les 
Indiens  du  Pérou.  A  une  époque  déjà  ancienne,  en  1780,  plus  de 
vingt  mille  d'entr'eux  avaient  pris  les  armes,  et,  commandés  par  un 
rejeton  des  Incas ,  ils  avaient  marché  contre  Lima.  Comme  celte 
entreprise  ne  fut  pas  secondée  par  les  créoles  ,  qui  s'en  étaient  alarmés, 
elle  échoua ,  et  son  chef  fut  condamné  à  mort  et  exécuté.  Quelques 
personnes  qui  ont  récemment  visité  l'Amérique  du  sud,  pensent  qu'il 
est  difficile  que  d'ici  à  quelque  tems  il  ne  s'y  engage  pas  une  guerre 
de  couleur.  Mais  les  Indiens  y  succomberont  lafalUiblemenl  ;  car , 
dans  le  Nouveau-Monde  comme  dans  l'ancien  ,  toutes  les  chances  sont 
maintenant  en  faveur  de  la  civlUsallon  ;  c'est  elle  qui  donne  la  ri- 
chesse, et  aujourd'hui  c'est  la  richesse  qui  fait  la  force. 

(i)  Travels  in  South  America  ,  during  t/ic ycars  iSi(>-:io-ii  ,"  co/i~ 
taining  art  account  of  thc  présent  state  of  lîrasil ,  Bucnos-Ayres  and 
OUle.  By  Alexander  Caldcleugb,  csq.  —  5  vol. ,  1824- 


288  Amérique. 

de  peindre  avec  des  paroles,  le  caractère  à  la  fois  imposant 
et  paisible  d'uu  pajs  de  montngnes  ,  paré  de  tout  leluxe  de 
la  végétation  des  tropiques.  Mais  il  est  impossible  d'avoir 
manqué  plus  complètement  que  M.  Caldcleugh,  la  descrip- 
tion qu'il  a  tenté  de  faire  de  la  scène  magnifique  qui  s'offre 
aux  regards ,  quand  on  arrive  dans  le  grand  port  de  la  ca- 
pitale du  Brésil.  Heureusement  cette  belle  scène  est  pariai- 
tement  décrite  dans  la  relation  publiée  par  deux,  voya- 
geurs bavarois,  MM.  de  Spix  et  de  Martius.  Cette  grande 
ouverture  que  la  nature  a  pratiquée  entre  d'énormes  ro- 
ches de  granit ,  à  travers  lesquelles  les  vaisseaux  pénètrent 
dans  un  bras  de  mer  d'un  bleu  sombre,  qui  forme  le  port 
de  Rio-Jaueiro ,  et  dont  les  flots,  presque  toujours  paisi- 
bles, ressemblent  à  ceux  d'un  lac  5  ces  rivages,  dont  la 
verdure  forme  un  charmant  contraste  avec  les  murailles 
blanches  des  maisons,  des  forts,  des  chapelles,  des  églises, 
des  couvens  ,  construits  sur  leur  inclinaison  5  ces  monti- 
cules boisés,  qui  se  succèdent  dans  une  étendue  de  dix-huit 
à  vingt  milles  ,  Jusqu'à  ce  qu'ils  aillent  se  confondre  avec  un 
amas  de  montagnes  gigantesques  qui  s'élèvent  à  l'horizon  : 
tout,  dans  l'ouvrage  de  MM.  Splx  et  Martius,  est  peint  des 
couleurs  les  plus  vives,  et  eu  même  tems  les  plus  fidèles. 

C'est  avec  le  même  succès ,  la  même  chaleur  d'expres- 
sion ,  le  même  art  de  former  des  groupes ,  et  une  exac- 
titude non  moins  minutieuse  dans  les  détails  ,  qu'ils  ont 
parlé  des  vallons  délicieux  qui  se  développent  aux  regards 
lorsqu'on  sort  de  la  ville,  et  que  l'on  aperçoit  cette  végé- 
tation si  riche  et  si  variée  qui  couvre  la  campagne.  La 
même  scène,  vue  au  milieu  de  la  nuit ,  du  penchant  d'une 
colline,  n'est  pas  moins  bien  décrite j  c'est  aussi  avec  un 
talent  égal  qu'ils  ont  peint  cette  multitude  d'être  vivans , 
qui  animent  successivement,  pendant  le  cours  de  la  journée, 
la  profondeur  des  forêts  des  tropiques.  Cette  dernière  des- 


méridionale.  a.8g 

cription  rappelle  même  si  parfaitement  les  meilleures  pages 
<le  M.  de  Humboklt ,  que  nous  croyons  faire  plaisir  à  nos 
lecteurs  en  la  citant. 

«  Le  naturaliste  qui  arrive  ici  pour  la  première  fois,  ne 
sait  pas  ce  qu'il  doit  le  plus  admirer  des  formes ,  des  cou- 
leurs ou  des  cris  si  divers  des  animaux.  Excepté  à~  midi , 
lorsque  toutes  les  créatures  de  la  zone  torride  clierclient 
l'ombre  et  le  repos,  et  qu'un  silence  solennel  se  répand  sur 
toute  ia  nature  qu'illumine  les  rayons  d'un  soleil  éblouis- 
sant ,  chaque  lieure  du  jour  met  en  mouvement  une  race 
dfférente  d'animaux.  Le  matin  est  annoncé  par  lesglapissc- 
meus  des  singes,  les  sons  aigus  que  forment  les  crapauds  et 
les  grenouilles,  et  le  ramage  monotone  des  cigales.  Lors- 
que le  soleil  a  dissipé  les  vapeurs  qui  le  précédaient ,  tous 
les  animaux  se  félicitent  à  la  fois  de  la  renaissance  du  jour. 
Les  guêpes  quittent  leurs  longs  nids  suspendus  aux  brandies 
des  arbres.  Les  fourmis  sortent  des  habitations  singulières 
qu'elles  se  sont  consiruites,  et  s'avancent  sur  les  sentiers 
qu'elles  ont  elles-mêmes  tracés  pour  leur  usage.  De  char- 
mans  papillons  ,  dont  les  couleurs  sont  aussi  éclatantes  que 
celles  de  i'arc-en-ciel,  tantôt  iso'.és  et  tantôt  réunis,  vol- 
tigent de  fleurs  en  fleurs ,  ou  vont  chercher  leur  nourriture 
sur  les  routes  et  sur  les  bords  sablonneux  des  ruisseaux. 
Le  brillant  Ménélas  ,  Nestor ,  Adonis  ,  Laertes  ,  Ida  et  le 
grand  Euryloque ,  recherchent  les  vallées  humides  ,  et 
planent  comme  des  oiseaux  au-dessus  de  leurs  buissons.  La 
Feronie,  toujours  agitée,  vole  rapidement  d'arbre  en  arbre, 
tandis  que  la  chouette ,  avec  ses  aîles  étendues ,  reste  im- 
mobile en  attendant  l'approche  du  soir.  Des  myriades  d'cs- 
carbots  bourdonnent  dans  l'air  ,  ou  étincellent  comme  des 
diamans  parmi  les  fleurs  et  sur  la  verdure.  Dans  le  même 
tems,  d'agiles  lézards  ,  remarquables  par  leur  forme,  leur 
dimension  et  la  vivacité  de  leurs  couleurs  ,  sortent  de  des- 
sous le  gazon  et  des  trous  creusés  dans  le  sol.  Des  serpens 


2f)0  Amérique 

venimeux  (Vune  couleur  sombre,  d'autres  inoffensifs  ,  plus 
brillans  que  Fémail  des  fleurs,  se  glissent  sur  la  tige  des 
arbres  et  guettent ,  en  s'épanouissant  au  soleil,  les  insectes 
et  les  oiseaux.  A.  partir  de  cet  instant  de  la  journée  ,  tout 
est  vie  et  mouvement.  Des  écureuils  et  des  singes  ,  réunis 
en  troupes,  sortent  des  forêts  et  se  dirigent  vers  les  planta- 
tions, en  sifflant ,  en  s'appelant  et  en  bondissant  d'arbre  en 
arbre.  Une  multitude  d'oiseaux ,  de  formes  singulières  et 
du  plus  beau  plumage,  voltigent  ensemble  ou  séparément, 
à  travers  les  buissons.  Des  perroquets  verts  ,  bleus  ,  rouges, 
se  rassemblent  sur  le  sommet  des  arbres  ou  volent  vers  les 
îles,  en  remplissant  l'air  de  leurs  cris  perçans.  Le  toucam  , 
posé  sur  l'extrémité  des  brandies,  appelle  la  pluie  d'un 
ton  plaintif  avec  son  grand  bec  creux.  Les  loriots  sortent  de 
leurs  nids  ,  auxquels  ils  donnent  la  forme  d'un  sac  ,  pour 
aller  visiter  les  orangers,  et  leurs  sentinelles  annoncent 
l'approche  de  l'homme  par  des  cris  aigus.  Les  mouche- 
rolles ,  placés  à  l'écart  eu  embuscade  pour  surprendre 
les  insectes  ,  s'élancent  des  arbres,  et  d'un  vol  rapide  ils 
saisissent  les  mouches  qui  viennent  bourdonner  près  d'eux. 
En  même  tems  la  grive ,  cachée  dans  l'épaisseur  du 
feuillage  ,  témoigne  sa  joie  par  des  cbants  pleins  de  dou- 
ceur et  de  mélodie.  Le  manakin,  dont  la  voix  ressemble  à 
celle  du  rossignol,  s'amuse  ,  en  chantant  dans  les  buissons  , 
tantôt  d'un  côté  et  tantôt  de  l'autre,  à  égarer  les  chas- 
seurs j  tandis  que  le  pivert  fait  au  loin  résonner  la  foret , 
en  arrachant  l'écorce  des  arbres.  Mais  quelque  chose  de 
plus  bizarre  encore  et  qui  remplit  le  voyageur  de  surprise, 
c'est  la  voix  de  l'urapoiiga ,  dont  les  sons ,  pour  ainsi  dire 
métalliques  ,  ressemblent  à  ceux  d'un  marteau  frappant 
sur  une  enclume.  Tandis  que  chaque  créature  vivante  salue 
de  celte  manière  la  splendeur  du  jour  ,  le  charmant  oiseau- 
mouche  ,  dont  la  beauté  et  le  lustre  rivalisent  avec  ceux 
des  diamans,   des  émeraudes  et  des  saphirs,    se  balance 


méridionale.  •       291 

sur  ses  ailes  au-dessus  des  fleurs.  Loi'sque  le  soleil  com- 
meuce  à  baisser,  la  plupart  des  animaux  se  retirent  et 
vont  prendre  du  repos  5  mais  le  daim ,  le  timide  pécari , 
le  tapir ,  le  craintif  agouti ,  continuent  à  brouter  sur  le 
gazon.  Le  uassua  et  Topossum  ,  et  tous  les  animaux  rusés 
de  l'espèce  du  chat ,  se  glissent  à  travers  l'obscurité  de  la 
forêt  pour  surprendre  leur  proie 5  jusqu'à  ce  qu'enfin  les 
glapissemens  du  singe,  les  cris  du  paresseux,  qui  ressem- 
blent à  des  cris  de  détresse  5  ie  coassem.ent  des  grenouilles, 
le  bruit  monotone  des  sauterelles,  terminent  la  journée. 
lia  nuit  tombe  ,  et  la  voix  du  raacuc  et  du  capuera  annonce 
sou  arrivée.  Alors  d'innombrables  essaims  de  mouches  et 
de  vers  luisaus  commencent  à  briller  dans  l'ombre,  et 
d'énormes  chauve-souris  voltigent  comme  des  fantômes 
dans  l'épaisseur  des  ténèbres.  » 

Sous  quelqu'aspect  qu'on  le  considère ,  le  nouvel  empire 
du  Brésil  est,  sans  contredit,  un  sujet  séduisant  pour  les 
pinceaux  du  voyageur ,  soit  que  l'on  examine  ses  monta- 
gnes ombragées  depuis  leur  base  jusqu'à  la  cime,  pr.r 
d'imposantes  forêts,  et  qui  cachent  dans  leur  sein  l'or  ,  les 
diamans,  les  topazes,  en  un  mot  presque  toutes  les  pierres 
et  les  métaux  précieux i  ses  plaines  spacieuses,  couvertes 
des  plus  riches  pâturages  i  ses  vallées  si  riantes,  dont  le 
sol  produit  avec  une  étonnante  profusion  tout  ce  qui  est 
agréable  ou  nécessaire  à  la  vie  5  ses  rivières ,  qui  commu- 
niquent avec  une  côte  remplie  de  ports  sûrs  et  commodes , 
et  si  heureusement  situés  pour  le  commerce  de  toutes  les 
parties  du  monde  ;  ou  bien  enfin  la  salubrité  de  son  climat, 
dans  tous  les  degrés  de  latitude,  depuis  l'équateur  jus- 
qu'au 55°  sud.  Sous  ces  différens  rapports,  comme  sous 
tous  les  autres,  le  Brésil  doit  èlre  regardé  comme  une 
des  contrées  les  plus  favorisées  de  la  nature  :  bien  peu 
l'égalent,  et  aucune  ne  la  surpasse. 

Mais   ces    inappréciables    avantages  étaient   en  grande 


UQa  Amérique 

partie  perdus   pour  les  habitans ,  lorsque  le  Brésil   était 
une  colonie  du  Portugal ,  et  qu'il  se  trouvait  soumis  h  toutes 
les  restrictions  imposées  par  la  métropole.  L'arrivée  de  la 
cour  dut  être  par  conséquent  considérée  comme  un  évé- 
nement fort  heureux,  et  elle  fut  accueillie  par  de  joyeuses 
acclamations.  Les  ports  ,  qui  jusqu'alors  avaient  été  sévè- 
rement fermés,  furent  ouverts  aux  étrangers  et  au  com- 
merce extérieur.   Selon  MM.  Spix  et  Martius  ,    24,000 
Portugais  arrivèrent   avec  la  cour,   indépendamment  des 
Anglais,  des  Français  ,  des  Allemands,  des  Hollandais  et 
des  Italiens.  A  cette  époque  ,  la  population  de  Rio-Janeiro 
n'était   estimée   qu'à   5o,ooo   âmes.    Ces  deux  voyageurs 
assurent  qu'eu  1817  elle  s'était  élevée  à  1 10,000,  et  M.  Cald- 
cleugli  estime  qu'elle  montait,  en  1821  ,  à  1 55, 000,  dont 
io3,ooo  nègres  et  4 >ooo  étrangers.  La  population  totale  du 
Brésil  peut  être  de  5,5oo,ooo  à  4>ooo,ooo  d'ames;  il  n'est  pas 
facile  (ie  détermler  la  proportion  des  esclaves  ;  mais  elle  doit 
être  énorme  ,  s'il  est  vrai  que  20,000  nègres  soient  importés 
annuellement  à  Rio-Janeiro  ,   indépendamment  de  10,000 , 
qui  sont  dirigés  sur  Babia  et  sur  les  autres  ports  ,  ce  qui 
doit   faii'e    perdre    tous    les    ans  ,    à    l'Afrique  ,   plus   de 
40,000  de  ses   malheureux  habitans.  Non  -  seulement  ces 
importations  sont  inutiles  ,  mais  elles  sont  nuisibles  ,  et  ne 
peuvent   être  tolérées  que  dans  un  pays  où  les  hommes 
sont  dépourvus  de  toute  espèce  d'énergie  et  livrés  à  des  habi- 
tudes de  paresse  et  d'oisiveté.  Ici  du  naoins  les  esclaves  ne 
sont  pas  conduits  au  travail  avec  le  fouet  ;   au  contraire , 
M.  Caldcieugh  nous  assure  que  beaucoup  d'entr'eux  pa- 
raissent faire  tout  ce  qui  leur  convient ,  et  même  entière- 
ment gouverner  des  maîtres  indolens.  Sans  doute,  ajoute- 
t-ll ,  il    ne  faut  pas  en  conclure  que  leur  sort  soit  digne 
d'envie  ;  mais  en  les  voyant  chanter  et  danser  dans  les  rues 
de  Rio-Janeiro,  on  ne  peut  pas  supposer  qu'ils  se  trouvent 
malheureux.   Les  voyageurs   bavarois   tiennent  le  même 


méridionale.  295 

langage  à  plusieurs  reprises,  cl  ils  cloniient  une  preuve 
assez  curieuse  de  la  douceur  des  Brésiliens  envers  leurs 
esclaves.  Un  nègre  qu'ils  avaient  loué  pour  conduire  leurs 
mules ,  s'enfuit  et  se  cacha  :  lorsqu'on  l'eut  découvert ,  et 
qu'on  le  leur  ramena,  on  les  engagea  ,  au  lieu  de  le  punir, 
à  lui  parler  avec  douceur  et  à  lui  donner  un  hon  verre 
d'eaunle-vie  ;  ce  qu'il  dut  plutôt  considérer  comme  une 
récompense  de  la  faute  qu'il  avait  commise  que  comme  un 
encouragement  pour  se  corriger.  On  peut  conclure  de  cette 
petite  anecdote  que  si  les  noirs  ne  mènent  pas  une  vie  trop 
pénible  ,  on  ne  fait  malheureusement  aucun  effort  pour 
améliorer  leur  moralité  et  favoriser  leur  développement 
intellectuel. 

Nulle  part  les  esclaves  ne  sont  plus  facilement  affranchis  5 
mais  il  est  bien  rare  qu'ils  aient  lieu  de  se  féliciter  d'être 
devenus  libres  ;  car  on  observe  que  lorsqu'ils  ont  obtenu 
leur  liberté  ,  ils  sont  en  général  paresseux  et  sans  conduite, 
et  leurs  désordres  manquent  rarement  de  plonger  leuis 
familles  et  eux-mêmes  dans  la  misère.  Comme  ils  n'ont  pas 
l'habitude  de  la  réflexion  ,  i's  sont  imprévoyaus,  et  nulle- 
ment propres  à  conduire  leurs  affaires. 

Il  arrive  cependant  quelquefois  qu'ils  réussissent  assez 
pour  avoir  à  leur  tour  des  esclaves  ;  mais  ce  sont  presque 
toujours  les  plus  durs  et  les  plus  cxigeans  des  maîtres. 
«  Jeter  dans  le  monde  un  nègre  dépourvu  du  sens  néces- 
saire pour  s'y  conduire  ,  loin  d'être  ,  dit  M.  Caldclcugh  , 
une  action  méritoire,  en  est  au  contraire  une  fort  mau- 
vaise. »  Nous  partageons  entièrement  son  avis  ;  mais  nous 
sommes  un  peu  surpris  que  ses  réflexions  s'arrêtent  là  ,  et 
qu'il  ne  cherche  pas  à  remonter  à  la  cause  de  ce  manque 
de  raison  et  d" intelligence.  Nous  ne  supposons  pas  ce- 
pendant qu'il  admette  la  théorie  des  classes  inférieures 
des  blancs  du  Lrésil  sur  l'origine  primitive  de  cette  race 
infortunée. 

i  'iO 


294  Amérique 

«  A  l'époque  de  la  création  d'Adam  ,  disent-ils  ,  Satan 
pétrit  aussi  un  homme  j  mais  comme ,  en  le  touchant ,  il 
l'avait  rendu  noir  ,  il  voulut  le  blanchir  dans  les  eaux  du 
Jourdain.  A  son  approche  ,  le  fleuve  se  retira  ,  et  tout  ce 
qu'il  put  faire  fut  de  déposer  son  homme  sur  le  sable  que 
Teau  venait  de  quitter.  La  plante  des  pieds  du  nègre  et  Tin- 
tcrieur  de  ses  mains  furent  humectées  de  cette  manière ,  ce 
qui  explique  la  blancheur  de  ces  parties.  Le  diable  fort 
irrité  donna  nn  coup  sur  le  nez  de  sa  créature  et  le  lui 
applatit.  Alors  le  nègre  réclama  un  peu  d'iudulgence  et  ob- 
serva humblement  qu'il  n'avait  aucun  tort.  Satan  ,  adouci 
par  ces  observations ,  lui  fit  quelques  caresses  à  la  tète ,  et 
par  la  chaleur  de  ses  mains  il  lui  frisa  les  cheveux.  ,  et  leur 
donna  cet  aspect  laineux  ,  un  des  signes  caractéristiques  de 
la  race  africaine.  » 

Si  nous  l'avons  bien  compris,  M.  Caidcleugh  désirerait 
que  les  Brésiliens  conservassent  leurs  esclaves,  et  que ,  par 
leurs  rapports  avec  les  négresses,  ils  produisissent  une  race 
de  mulâtres  qui  unirait  l'intelligence  européenne  avec  la 
force  musculaire  africaine  ,  et  qui,  étant  propres  à  tous  les 
genres  de  travaux  ,  ne  tarderait  pas  à  rendre  inutiles  les 
importations  de  noirs.  Nous  ne  dirons  rien  de  la  parfaite 
moralité  de  ce  plan  5  nous  ferons  seulement  remarquer  à 
M.  Caidcleugh  qu'il  a  oublié  que,  dans  tous  les  pays  où 
existe  l'esclavage  ,  les  enfans  suivent  la  condition  de  leur 
mère  ,  et  lui-même  cite ,  à  cet  égard ,  un  fait  assez  plaisant. 
Un  certain  Padre  Cnnto  avait  eu  quatre  fils  mulâtres  ;  il  en 
vendit  deux ,  et  ceux  qui  lui  restaient  remplissaient  près 
de  lui  le  devoir  agréable  et  iout-à-fait  filial  de  le  conduire 
dans  la  ville  en  chaise  à  porteurs. 

Il  est  fort  à  regretter  que  le  comte  de  Linhares ,  en  in- 
troduisant, comme  11  Va.  fait,  différentes  améliorations  dans 
l'administration  du  Brésil ,  n'ait  pas  profité  de  sa  position 
pour  prendre  des  mesures  contre  la  traite  des  nègres  de 


mêridionaie.  aqS 

manière  dn  moins  h  empêcher  les  nouvelles  importations» 
Mais,  grâce  au  ciel ,  ce  détestable  commerce  cessera  avant 
peu  dans  toute  l'étendue  de  l'Amérique  du  sud.  Environné 
par  les  républiques  de  Colombie,  du  Pérou  ,  de  Buenos- 
Ayres  ,  dans  lesquelles  les  esclaves  ont  été  affranchis  ou 
sont  sur  le  point  de  letre  ,  le  Brésil  se  trouvera  dans  la 
nécessité  de  suivre  leur  exemple.  Il  eût  mieux  valu  sans 
doute  donner  de  bonne  grâce  la  liberté  aux  nègres ,  que 
d'attendre  qu'ils  réclament  eux-mêmes  les  privilèges  ac- 
cordés à  leurs  frères  dans  les  états  voisins.  Le  ministre 
dont  nous  venons  de  parler  ,  a  encouragé  la  littérature  et 
favorisé  la  liberté  de  la  presse  ,  de  manière  qu'on  publie 
maintenant  des  pamphlets  politiques  ;  et  une  gazette  s^im- 
prime  à  Rio-Janeïro ,  deux  fois  par  semaine.  L'empereur 
Don  Pè  Ire  paraît  également  disposé  à  protéger  les  lettres  ; 
mais  comme  c'est  un  Jeune  homme  d'un  caractère  vif  et 
léger,  et  que  son  éducation  a  été  fort  imparfaite,  il  est 
capricieux,  volontaire  et  despote ,  et  dernièrement  il  a  pris 
une  mesure  envers  quelques  Allemands ,  qui ,  si  elle  eût  été 
étendue  aux  sujets  de  la  Grande-Bretagne  ou  des  États  Unisr 
aurait  bien  pu  compromettre  la   stabilité  de  son  nouvel 
empire.  Ces  pauvres  gens  avaient  émigré  dans  l'idée  qu'ils 
trouveraient  utilement  à  s'employer ,  soit  dans  l'exploita- 
tion des  mines  ,  soit  dans  la  culture  des  terres  j  mais  ,  à, 
leur  arrivée ,  on  les  enrôla  de  vive  force  dans  l'armée  bré- 
silienne ,  et ,  pour  les  empêcher  de  fuir ,  on  les  signala 
comme  des  déserteurs  aux  capitaines  des  bâtimens  étran- 
gers qui  se  trouvaient  dans  le  port.  Cependant  des  écoles 
s'organisent  sous  les  auspices  de  l'empereur.  Il  y  a  à  Rio- 
Janeïro  une  bibliothèque  publique  à  laquelle  son  père  a 
donné  70,000  volumes,  apportés  du  Portugal.  On  y  a  éga- 
lement établi  un  muséum  d'histoire  naturelle  et  une  école 
de  chirurgie.  Un  savant  carmélite  ,  le  frère  Léandro  de 
Sacramento  ,  qui  élève  des  plantes  rares  près  de  la  ville , 


296  Amérique 

fait  des  leçons  sur  l'histoire  naturelle  ,  et  principalement 
sur  la  botanique.  Il  y  a ,  en  outre,  une  académie  des  beaux- 
arts  avec  une  galerie  de  tableaux  ,  un  hôpital  et  plusieurs 
autres  établissemeus  de  charité.  Lesliabitans  paraissent  fort 
disposés  à  mettre  à  profit  ces  diverses  institutions  ,  et  à  les 
encourager.  La  musique  est  très-cultivée  par  les  dames  ; 
ily  a  un  opéra  ;  mais  les  acteurs  sont  presque  tous ,  dit-on  , 
des  hommes  de  couleur.  On  prétend  que  l'empereur  est 
si  passionné  pour  la  musique  ,  qu'il  lui  arrive  souvent  de 
diriger  Ini-mcme  rorchestre. 

L'abolition  de  plusieurs  restrictions  qui  gênaient  la  liberté 
du  commerce,  a  fait  naître  chez  les  habitans  de  Rio-Janeïro 
nn  goût  d'entreprises  et  de  spéculation  qui  n'y  existait  pas 
ja'dis  ;  on  remarque  plus  d'activité  chez  les  marchands  en 
boutique  ;  les  marchés  se  sont  fort  améliorés,  et  sont  abon- 
damment pourvus  de  viande  de  boucherie,  de  volailles  ,  de 
poissons  ,  de  fruits  et  de  légumes.  A  Tégard  des  fruits  en 
particulier,  aucun  pays  ne  peut  se  vanter  d'en  offrir  une 
plus  grande  variété.  L'orange,  le  citron,  l'ananas,  la  pro- 
lifi([ue  et  nutritive  banane  et  bien  d'autres  encore  sont , 
par  la  molération  de  leur  prix,  à  la  portée  des  plus  pau- 
vres habitans.  Indépendamment  de  tous  \es  végétaux 
d'Europe,  le  Bi'ésil  en  produit  aussi  qui  lui  sont  particu- 
liers. Le  mandioca  et  le  maïs  sont  les  alimens  ordinaires 
des  esclaves.  Le  cacao ,  l'indigo  et  le  tabac  sont  au  nombre 
des  articles  de  commerce  ;  mais  les  productions  les  plus 
importantes  du  Brésil ,  celles  dont  il  tire  principalement 
sa  richesse  ,  sont  le  café,  le  coton  ,  les  cuirs  ,  le  suif,  les 
drogueries  ,  les  bois  de  teinture  ,  l'or  et  les  pierres  pré- 
cieuses. L'exportation  de  ces  articles  a  représenté  ,  en  1820, 
une  valeur  de  1.860,000  liv.  (46j5oo,ooo  fr.),  et,  en  1821, 
ime  valeur  de  2,23o,ooo  liv.  (55,75o,ooo  fr.  ).  Le  revenu 
public  du  nouvel  empire  est  estimé  à  a,5oo,ooo  livres 
(  6a,5oo,ooo  fr.  ) ,  ce  qui  est  à  peu  près  le  double  de  ce 


méridionale.  ag-] 

qu'il  était  pendant  la  résidence  du  roi.  Il  résulte  principa- 
lement des  droits  imposés  sur  les  exportations  et  les  im- 
portations, et  An  cinquième  du  produit  des  mines  d'or.  La 
quantité  de  métal  extraite  annuellement  de  ces  mines  re- 
présente, terme  moyen,  une  valeur  d'un  million  sterling 
(  25,000,000  fr.  ). 

Cependant  le  gouvernement ,  qui  n'était  pas  encore  sa- 
tisfait de  tant  de  productions  précieuses  ,  avait  calculé  que 
rintroduction  de  la  culture  du  thé  pourrait ,  dans  un  tems 
rapproché,  dispenser  de  l'obligation  de  faire  le  voyage  de 
la  Chine  ,  pour  se  procurer  cet  article  5  et  eu  conséquence 
plusieurs  centaines  de  Chinois  furent  recrutés  dans  les  plan- 
tations de  thé  et  conduits  au  Brésil  avec  un  certain  nombre 
de  plantes.  En  1820,  cette  enti'eprise  avait  si  bien  réussi, 
que  le  nombre  des  plantes  montait  à  environ  six  mille.  Mais 
quoique  l'arbrisseau  eût  été  cultivé  comme  eu  Chine ,  et  que 
les  feuilles  en  eussent  été  arrachées  ,  séchées  et  préparées 
suivant  la  méthode  ordinaire ,  l'infusion  n'avait  pas  cette 
saveur  si  délicate  des  thés  de  la  Chine,  et  avait,  au  con- 
traire ,  un  goûl  désagréable  de  terroir.  Bientôt  le  regret 
d'avoir  quitté  leur  pays  fit  tomber  les  Chinois  malades  ; 
beaucoup  d'entr'eul  moururent  ;  les  autres  quittèrent  le 
jardin ,  et  se  rendirent  à  la  ville ,  où  on  en  voit  encore 
vendant  dans  les  rues  \eur  tou  Jbu  ,  et  quelques  bagatelles 
qu'ils  confectionnent.  Ce  fut  ainsi  que  se  termina  cette  folle 
tentative  d'introduire  au  Brésil  une  culture  dont  il  n'avait 
pas  besoin  ,  et  qui  ne  peut  réussir  que  dans  des  pays 
où  la  main-d'œuvre  ne  dépasse  pas  deux  Ix  trois  pences 
(  4  à  6  sols  ). 

I.e  climat  du  Brésil  est  très-sain  ,  au-delà  comme  en-decà 
du  tropique  ,  et  la  population  est  en  général  bien  por- 
tante. Les  maladies  les  plus  ordinaires,  disent  les  voyageurs 
bavarois,  sont  les  diarrhées  ohi'ouiques,  les  fièvres  iuler- 
miltentes ,  la   syphilis  et    l'hydrocèle.  La  dernière  de  ces. 


298  Amérique 

diverses  affections  peut  seule  être  considérée  comme  en- 
démique. Les  fièvres  ne  sont  pas  aussi  communes  à  Rio 
qu'on  est  tenté  de  le  supposer,  en  voyant  un  marais  in- 
fect qui  s'étend  jusque  dans  les  faubourgs  ,  et  qui  reçoit 
les  immondices  de  la  ville.  Des  milliers  de  vautours ,  atti- 
rés par  les  exhalaisons  qui  en  sortent ,  se  nourrissent  des 
abattis  et  des  ordures  qu'on  jette  hors  des  maisons ,  sans 
être  jamais  troublés  par  les  habitans  ,  qui ,  de  même  que 
les  anciens  Égyptiens  ,  les  considèrent  comme  fort  utiles  à 
la  salubrité.  Sans  doute  ce  marais  sera  un  jour  desséché  , 
et  la  mer  contenue  par  des  digues  ;  mais  les  Brésiliens  ne 
paraissent  pas  encore  avoir  senti  les  avantages  et  l'agré- 
ment de  la  propreté.  Dans  le  bas  des  maisons ,  le  bois  de 
chauffage  et  des  débris  de  tous  les  genres  ,  entassés  en- 
semble, deviennent  des  pépinières  de  puces,  de  mosquites, 
de  scorpions  et  d'autres  insectes  dangereux  ou  dégoùtans. 
Les  rats  sont  innombrables  et  ne  témoignent  pas  de  crainte 
pour  les  chiens  ,  car  il  n'est  pas  rare  de  voir  différens  ani- 
maux manger  très -amicalement  sur  le  même  monceau, 
d'ordures.  Les  rues  sont  infestées  de  chiens  qui  y  cherchent 
leur  nourriture ,  et  qui  sont  en  guerre  continuelle  avec  les 
nègres.  M.  Caldcleugh  assure  que  l'hydrophobie  n'est  pas 
connue  à  Rio  Janeiro,  et  il  paraît  croire  que  l'usage  d'c- 
verrer  ces  animaux ,  en  les  privant  d'un  des  conduits  sali- 
vaires ,  doit  contribuer  à  les  préserver  de  cette  dangereuse 
maladie. 

Le  Brésil  a  aussi  d'autres  inconvéniens  très-graves.  Les 
fourmis  et  les  termites  foisonnent  dans  tout  le  pays  ,  et  ils 
commettent  de  grands  ravages  dans  l'intérieur  des  maisons 
et  dans  les  campagnes.  Les  teignes  et  les  mosquites  font  éga- 
lement beaucoup  de  raalj  les  scolopendres,  les  scorpions,  les 
grenouilles  et  d'énormes  crapauds  abondent  dans  les  bois. 
Les  toiles  d'araignées  sont  si  fortes  que  plusieurs  espèces 
d'oiseauxs'y  laissent  prendre.  On  rencontre  aussi  des  serpens 


méridionale.  999 

irès-varics,  et  dont  la  morsure  a  souvent  des  suites  funestes. 
Le  boa  y  atteint  de  seize  à  dix-huit  pieds  ,  et  sa  peau  y 
lorsqu'elle  est  bien  tannée ,  fait ,  dit-on ,  d'excellentes 
l)ottes.  Les  serpens  à  sonnettes  y  sont  nombreux  et  d'une 
i>rande  dimension  :  on  assura  à  M.  Caldcleugh  que  dans 
plusieurs  fermes  le  venin  de  ces  reptiles  faisait  mourir  tous 
les  ans  deux  ou  trois  esclaves.  A  cette  occasion  ,  il  rapporte 
le  fait  suivant ,  qu'on  dit  s'être  passe  dans  la  province  des 
Mines  :  «  A  San-Ioau  del  Rey ,  un  jeune  homme  qui  était 
allé  au  bois,  fut  mordu  au  pied  par  un  serpenta  sonnettes. 
En  rentrant  chez  lui ,  il  tomba  malade  et  mourut  bientôt 
après.  Comme  le  tems  est  très-précieux  pour  le  beau  sexe 
du  Brésil ,  sa  veuve  ne  tarda  pas  à  se  remarier  ',  celui  qui 
l'épousa  prit  les  habits  du  défunt ,  et  entr'autres  ses  bottes, 
mais  il  ne  tarda  pas  à  tomber  malade  ,  et  il  mourut  pres- 
que immédiatement.  Un  troisième  mari  eut  le  même  sort. 
Un  quatrième  ,  sans  se  laisser  alarmer  par  ce  qui  était 
arrivé  aux  autres  ,  et  probablement  séduit  par  l'augmenta- 
tion d'aisance  de  cette  femme  ,  ne  craignit  pas  de  l'épouser. 
Il  découvrit  par  hasard  qu'une  dent  de  serpent  à  sonnettes 
se  trouvait  fixée  dans  le  cuir  d'une  des  bottes  ,  ce  qui  avait 
sans  aucun  doute  causé  la  mort  de  ses  prédécesseurs.  » 

Une  chaîne  de  montagnes ,  dont  l'élévation  moyenne  est 
d'environ  4j000  pieds  ,  et  qui  divise  à  peu  près  le  Brésil 
par  le  centre  ,  se  dirige  vers  le  nord  et  le  sud  ,  parallèle- 
ment H  la  côte  dont  elle  est  peu  éloignée.  Un  grand  nombre 
de  courans  d'eau  descendent  de  ces  montagnes  :  ceux  du 
versant  de  l'est  se  jettent  dans  l'Atlantique  5  mais  les  plus 
considérables  et  les  plus  nombreux  soni  de  l'autre  côté ,  et 
vont  enfler  le  cours  du  Parana,  avant  sa  jonction  avec  la 
Plata.  Les  rivières  de  l'est  ne  sont  pas  navigables  ,  à  l'ex- 
ception peut-être  de  celle  de  Francisco,  dont  les  branches 
tributaires  sortent  du  centre  même  du  district  des  mines. 

Le  manque  des  routes  est  encore  plus  nuisible  à  la  ri- 


3oo  Amérique 

chesse  et  à  la  prospérité  du  Brésil  que  celui  de  rivières 
navigables.  Le  district  de  Santo -Paulo  communique  avec 
la  baie   de  Santos  ,  par   une  route  sur  les  montagnes  qui 
n'est  praticable  que  pour  les  mules.  Le  district  très-peuplé 
de  Minas-Geraés  n'a  de  communication  avec  la  capitale  que 
par  Estrella ,  oii  commence  une  route  qui  conduit  à  Rio  , 
mais  sur  laquelle  les  voitures  ne  peuvent  pas  passer:  c^est 
cepeiidant  par  cette  route  qu'est  transporté  tout  l'or  des 
mines.   Quoique  la  distance  de  Rio  à  Villa-Rica  n'excède 
pas  24.0  milles,  il  ne  fallut  pas  ynoins  de  quinze  jours   à 
M.  Caldcleugb   pour  la  parcourir.   Il  résulte  du  compte 
qu'il  rend  du  district  des  mines  ,  et  de  celui  de  MM.  Spix 
et  Martius  ,  que  l'or  est  répandu  en  abondance  dans  les 
l'ocs  des  montagnes  ,  la  superficie  du  sol  et  le  lit  des  ri- 
vières 5  dans  une  é  tendue  de  plusieurs  milliers  de  milles 
carrés  ;  mais  généralement  en  si  petites  parcelles  ,  qu'il 
faut  beaucoup  de  tems  et   de  travail  pour  le  recueillir. 
Quelquefois  on  le  trouve  en  cristal,  souvent  aussi  sous  une 
forme  dentelée ,  et  plus  rarement  par  bloc  j  une  fois  cepen- 
dant on  trouva  un  de  ces  blocs  à  Villa-Rica  qui  pesait  seize 
livres.  Il  paraît  qu'il  n'est  pas  rare  non  plus  d'en  découvrir 
des  monceaux,  sous  la  racine  des  plantes  déracinées  par  la 
pluie.  En  voyant  à  quel  point  l'or  est  répandu  dans  la  partie 
centrale  du  Brésil ,  on  est  tenté  de  croire  qu'il  en  est  tombé 
une  pluie  plus  abondante  que  celle  qui  tomba  jadis  dans 
le  sein  de  Danaé.  Même  dans  les  rues  de   Rio ,  après  les 
fortes  averses ,  on  voit  les  enfans  occupés  à  ramasser  des 
parcelles  d'or. 

Le  lit  et  les  bords  de  tous  ces  nombreux  ruisseaux  qui 
descendent  des  montagnes  contiennent  de  l'or  :  on  le  trouve 
eu  plus  grande  quantité  dans  ceux  qui ,  lorsqu'ils  sont 
arrivés  dans  la  plaine  ,  ont  un  cours  lent  et  fangeux.  Mais 
ce  n'est  point  la  seule  richesse  que  possède  le  district  de 
Minas-Geracs  :  MM.  Spix  et  Martius  assurent  que  l'on  y 


méridionale,  5oi 

trouve  toutes  les  espèces  de  métaux ,  à  l'exception  de  l'ar- 
gent. Le  fer  forme  un  des  principaux  élémens  de  ces  mon- 
tagnes ,  et  le  minerai  est  si  abondant  qu'il  contient  90  p.  "/„ 
de  métal. .  Il  j  a  du  plomb  au-delà  de  la  rivière  de  Fran- 
cisco ;  du  cuivre  à  Santo-Domlngos  5  du  manganèse  à 
Paraopeba  ;  du  platine  dans  le  lit  de  plusieurs  cours 
d'eau 3  du  vlf-argeut ,  de  l'arsenic,  du  bismuth,  de  l'anli- 
moine  ,  près  de  Yilla-Rica  j  des  diamaus  ,  à  Abaité  et 
à  Téjuco  ;  des  topazes  blanches,  jaunes  et  bleues,  des 
aiguës  -  marines  ,  des  grenats  ,  des  améthystes  ,  etc.  ,  à 
Minas-Nova.  Il  faut  aussi  comprendre  dans  cette  énumé- 
ration  un  trésor  plus  précieux  que  tous  les  autres  :  c'est 
un  sol  d'une  fécondité  prodigieuse ,  susceptible  de  recevoir 
tous  les  genres  de  culture ,  et  sur  lequel ,  à  cause  de  son 
élévation  ,  on  jouit  constamment  d'une  température  douce 
et  agréable.  Mais  ici ,  comme  ailleurs,  \auri  sacra  famés  a 
exercé  sa  fatale  influence.  Les  habitans  ont  négligé  les 
travaux  agricoles  pour  s'occuper  exclusivement  de  l'ex- 
ploitation des  mines  ,  espèce  de  loterie ,  dans  laquelle  le 
gros  lot  reste  presque  toujours  au  fond  de  la  roue.  C'est 
un  fait  curieux ,  rapporté  par  [es  voyageurs  bavarois  ,  qu'à 
leur  entrée  dans  le  district  des  mines ,  ils  ne  trouvèrent 
dans  la  circulation  qu'un  papier-monnaie  déprécié  ,  dont 
beaucoup  de  billets  étaieut  faux.  Voici  en  queis  termes 
M.  Caldcleugh  décrit  la  capitale  de  ce  district. 

R  Villa- Rica  peut  être  considérée  comme  l'entrepôt  de 
la  province  3  et  comme  il  faut  la  traverser  pour  se  rendre 
au  district  des  raines  de  di amans  et  dans  d'autres  parties 
de  l'intérieur  du  Brésil ,  elle  offre  un  aspect  assez  animé. 
Mais  ses  maisons  abandonnées  ,  et  d'autres  signes  encore, 
annoncent  qu'elle  a  perdu  cette  nombreuse  populalion 
dont  jadis  elle  se  faisait  gloire.  Aucun  lieu  du  monde  n'est 
•  plus  propre  à  provoquer  d'utiles  réflexions.  Une  montagne 
sillonnée  d'un  grand  nombre  de    veines  d'or  attira  une 


5o2  Amérique 

population  de  plus  de  3o,ooo  âmes  ,  qui  ,  dans  soixante  ou 
soixante-dix  ans,  en  épuisa  entièrement  la  richesse.  Comme 
le  sol  de  ce  canton  était  d'ailleurs  peu  productif,  et  que 
les  liabitans  ,  qui  n'avalent  pas  de  goût  pour  les  travaux 
agricoles ,  ne  s'occupèrent  pas  de  l'améliorer ,  dans  moins 
d'un  siècle  la  population  fut  réduite  au  tiers  de  ce  qu'elle 
était  autrefois  ,  et  les  rues ,  les  palais  et  les  établissemens 
publics  sont  les  seuls  vestiges  de  son  ancienne  prospérité. 
La  pauvreté  règne  maintenant  à  Villa- Rica;  les  rues  y 
foisonnent  de  mendians  qui ,  lorsqu'ils  sont  malades ,  vi- 
vent exclusivemefat  de  ce  qu'on  leur  donne,  et  qui,  lors- 
qu'ils sont  bien  portans,  vont  alternativement  réclamer  les 
secours  de  ceux  qui  sont  plus  riches  et  tenter  la  fortune 
dans  les  ruisseaux  aurifères.  » 

Il  y  a  trois  modes  différens  de  recueillir  les  parcelles 
d'or  5  savoir  :  i°  eu  ramassant  ,  avec  une  écuelie  en  bois  , 
le  sédiment  des  rivières  ;  2°  en  faisant  éclater  le  roc 
avec  le  feu  ou  la  poudre,  ou  en  broyant  les  fragmens  dans 
un  moulin  destiné  à  cet  usage  3  3"  en  dirigeant  des  cours 
d'eau  le  long  des  montagnes  aurifères  ,  dans  des  tranchées, 
faites  sur  des  terrains  argileux.  Le  petit  nombre  de  nègres 
qui  sont  employés  aux  hueras,  ou  endroits  de  lavage ,  vivent 
misérablement  en  gagnant ,  d'une  manière  incertaine , 
quelques  vintems  par  jour.  La  montagne  isolée  sur  la- 
quelle s'élève  Villa-Rica  ,  depuis  la  base  jusqu'au  sommet, 
offre  absolument  l'apparence  d'un  rayon  de  miel  à  cause 
des  trous  qn'on  y  a  pratiqués  de  tous  les  côtés  pour  attein- 
dre les  veines  du  métal.  Tout  Tor  que  l'on  découvi'e  est 
porté  d^v\  bureau  d'enregistrement  où  on  le  fond  et  on  1  e- 
pure,  afin  que  l'empereur  puisse  prélever  sou  cinquième  ^ 
et  on  prend  toutes  les  précautions  possibles  pour  empêcher 
la  fraude.  Aux  mines  de  diamans  de  Téjuco ,  les  nègres 
qui  sont  suspectés  d'en  cacher,  sont  conduits  à  une  vieille 
femme  qui  leur  fait  prendre  de  fortes  décoctions  de  cer- 


méridionale,  .  5o5 

laines  plantes.  M.  Caldcleugli  parle  d'une  de  ces  femmes 
qui  administra  une  décoction  de  ce  genre  h  une  dame  qui 
avait  été  arrêtée  au  registre ,  sur  la  route  de  Villa-Rica  à 
Rio ,  et  qui,  était  fortement  soupçonnée  de  cacher  un  dia- 
mant d'une  grande  valeur.  La  vieille  femme  le  lui  fit  ren- 
dre et  obtint  une  récompense. 

Le  procédé  de  l'amalgamation ,  sans  lequel  For  ne 
peut  pas  être  convenablement  séparé  des  corps  étrangers 
auxquels  il  se  trouve  associé ,  est  ici  imparfaitement  connu 
et  peu  en  usage.  En  somme,  la  manière  dont  on  traite  le 
métal  et  le  mode  d'exploitation  des  mines  sont  également 
défectueux.  • 

On  a  établi  sur  les  bords  de  ITpanema  une  fonderie  de 
fer  qui  est  exploitée  par  des  Allemands ,  après  avoir  été 
abandonnée  par  des  mineurs  suédois  que  le  comte  de  Lin- 
bares  avait  fait  venir.  Ces  pauvres  gens  avaient  été  promp- 
tement  dégoûtés  par  la  paresse  et  les  autres  vices  des  mu- 
lâtres et  des  nègres,  et,  comme  les  Chinois,  ils  n'avaient 
pas  tardé  a  regretter  leur  pays  natal;  plusieurs  moururent 
et  les  autres  profitèrent  de  la  première  occasion  favorable 
pour  s'en  aller.  Le  rainerai  est  riche  puisqu'il  donne  90 
p.  "/o  ;  mais  le  fer  est  cassant ,  ce  qui  vient ,  à  ce  qu'on 
suppose,  de  la  qualité  du  charbon.  S'il  y  avait  de  bonnes 
routes  de  communication ,  cette  fonderie  pourrait ,  dit-on  , 
fournir  à  toute  l'Amérique  du  sud  la  totalité  de  fer  dont 
elle  a  besoin. 

Les  voyageurs  bavarois  assurent  que  le  peu  de  profit  ré- 
sultant de  la  recherche  de  l'or  a  cependant  déterminé  un 
assez  grand  nombre  d'habitans  du  district  des  mines  à  s'oc- 
cuper de  l'exploilation  de  leurs  excellentes  terres  ,  comme 
un  moyeu  plus  sûr  de  richesses;  et  qu'au  dehors  l'appa- 
rence de  leurs  maisons  ,  ainsi  que  la  propreté  qui  règne 
dans  l'intérieur ,  forment  un  contraste  frappant  avec  les 
demeures  de  ceux  qui  conlinuenl  à  chercher  de  l'or.  Celte 


3o4  Amérique 

sage  délerminalion  a  sans  doute  contribué  à  raccroissement 
rapide  de  population  qui  se  fait  remarquer  depuis  quelque 
tems.  Ainsi,  en  1808:,  Minas- Géra  es  contenait  437,049 
individus,  dont  180,972  nègres;  et,  en  1820,  621,885, 
dont  seulement  i65,2io  esclaves. 

Ceux  qui  exploitent  les  mines  auraient  pu  s'éclairer  par 
l'exemple  de  leurs  voisins  méridionaux  du  district  de  Santo- 
Paulo ,  qui ,  avec  la  moitié  cîe  la  population  et  moins  d'un 
tiers  des  GscXdiy es  de  Mùias-Geraës ,  obtiennent  plus  de  vé- 
ritaJjles  richesses ,  de  leurs  bestiaux  et  de  leurs  travaus 
agricoles,  que  For  et  les  pierres  précieuses  n'en  procurent 
aux  spéculateurs  qui  les  reclierchent.  Les  cultivateurs, de  ce 
district  jouissent  aussi  d'un  degré  de  ci^iisation  très-supé- 
rieur à  celui  des  habitans  du  canton  des  mines  et  d'un  plus 
grand  nombre  de  commodités  et  d'aisances.  Dans  les  plaines 
qui  s'étendent  derrière  la  montagne,  les  fermes  sont  rem- 
plies d'une  quantité  incroyable  de  chevaux  et  de  bétes  à 
cornes,  dont  le  nombre  s'élève  communément  dans  cha- 
cune ,  de  vingt  à  quarante  mille.  Ces  fermiers  retirent  de 
leurs  bestiaux  du  lait ,  des  fromages  ,  de  la  viande  sèche  , 
du  suif  et  des  cuii^s  qu'ils  expédient  au  port  de  Santôs,  sur 
des  chevaux  ou  sur  des  mules.  I  s  ont  à  pou  près  tous  les 
fruits  qui  viennent  sous  les  tropiques.  L'ananas  y  croît  na- 
turellement ,  et  souvent  des  terrains  considérables  en  sont 
couverts  :  lorsqu'il  est  cultivé,  il  acquiert  une  dimension 
extraordinaire  et  une  saveur  déUcieuse;  on  en  extrait  un 
vin  irès-agréable  et  très-sain.  Ou  fait  aussi  un  vin  léger  et 
d'un  excellent  goût  avec  le  fruit  du  Jabuticaba  (  myrtus 
cauliflora  ) ,  l'un  des  meilleurs  du  pays  :  d'abord  on  ne  re- 
cueillait ce  fruit  que  dans  les  bois;  aujourd'hui  l'arbre  qui 
le  produit  est  généralement  cultivé.  Le  mûrier  prospère 
également  dans  cette  province  ,  et  le  ver  à  soie  y  donne  un 
très-beau  fil;  on  y  trouve  aussi  en  abondance,  sur  un  ar- 
brisseau qui  a  l'apparence  d'uu   palmier,   un  ver   d'une 


mcridionale .  3o5 

espèce  parlicullère  qui  donne  un  fil  plus  délicat  et  plus 
brillant  que  le  ver  à  soie  ordinaire.  La  coclienllle  et  Tin- 
secte  y  sont  très- communs,  mais  ils  sont  entièrement  né- 
gligés ;  l'indigo ,  qui  y  vient  naturellement ,  n'a  pas  encore 
été  mis  en  culture. 

L'esquisse  rapide  que  nous  venons  de  tracer  de  cette  con- 
trée magnififjue  ,  si  favorisée  par  son  climat,  sa  fertilité  et 
la  position  qu'elle  occupe  sur  le  globe  ,  est  suffisante  pour 
faire  voir  à  queldegré  de  prospérité  elle  pourrait  s'élever 
si  elle  était  exploitée  par  une  population  active  et  indus- 
trieuse ,  qui  aurait  un  capital  modéré ,  dont  elle  ferait  un 
usage  judicieux.  Maintenant  qu'il  existe  une  espèce  de  rage 
pour  placer  les  capitaux  anglais  dans  des  spéculations 
étrangères,  nous  croyons  qu'ils  ne  peuvent  l'être  nulle 
part,  dans  l'Amérique  du  sud,  d'une  manière  plus  avan- 
tageuse qu'au  Brésil,  ^oit  en  les  employant  à  exploiter  les 
mines  et  à  améliorer  les  cultures ,  ou  bien  à  établir  des 
communications  entre  l'intérieur  et  ses  ports  ,  et  entre  les 
différens  districts  qui  le  divisent. 

Avant  de  visiter  les  mines  ,  M.  Caldcleugb  s'était  rendu 
par  mer  dans  la  J'ivière  de  la  Plala;  l'aspect  désolé  de 
Monte- Video  contrastait  avec  ce  qu'on  lui  avait  dit  de  sa 
prospérité  prétendue;  et,  dans  le  fait,  sa  population  ,  qui 
était  autrefois  de  quinze  mille  âmes,  n'est  plus  que  de  dix 
mille ,  ce  qu'il  faut  attribuer  à  la  situation  incertaine  et 
agitée  du  pays.  Cependant  la  tristesse  de  cette  ville  est  un 
peu  tempérée  pa'r  un  grand  nombre  de  jolies  femmes  bien 
vêtues  que  l'on  rencontre  dans  les  rues  ,  spectacle  nouveau 
et  fort  agréable,  après  un  séjour  à  Rio  ,  où  le  sexe  ne  peut 
pas  se  vanter  de  sa  beauté  ,  et  où  d'ailleurs  on  ne  le  voit 
guère  que  dans  l'intérieur  des  maisons.  M.  Galdcleugh  se 
procura,  à  Monte-Video,  des  renseignemens  curieux  sur  le 
Paraguay,  jadis  (lorissant  et  très-peuplé  sous  le  gouverne- 
ment des  jésuites.  Cette  contrée,  située  sur  la  frontière 


5o6  Amérique 

occidentale  ilu  Brésil ,  entre  le  Paraguay ,  qui  lui  donne 
son  nom,  et  le  Parana,  a  été  insurgée  de  bonne  heure 
par  un  chef  du  pays  nommé  Francia,  et  qui ,  comme  il  a 
pris  un  grade  à  l'université  de  Cordone ,  est  communé- 
ment désigné  sous  le  titre  du  docteur  Francia.  Le  gouver- 
neur nommé  par  le  roi ,  Vélasco ,  s'était  joint  au  parti  ré- 
volutionnaire 5  mais  Francia  parvint  bientôt  à  s'en  défaire, 
et  il  se  proclama  lui-même  dictateur. 

En  1810,  une  expédition  fut  envoyée  par  Buenos-Ayres 
contre  le  docteur  j  et,  comme  elle  était  entrée  dans  le 
pays  ,  et  qu'elle  avait  fait  un  chemin  considérable  à  travers 
les  forêts,  sans  êtie  attaquée,  le  commandant  eu  conclut 
qu'aucun  obstacle  ne  s'opposerait  à  ce  qu'elle  prît  posses- 
sion de  V Assomption.  Mais,  une  nuit  que  les  troupes  de 
Buenos-Ayres  bivouaquaient,  elles  furent  tout-à-coup  entou- 
rées par  de  grands  feux ,  et  un  trompette ,  envoyé  par 
Francia ,  déclai-a  en  son  nom  qu'il  ne  voulait  pas  répandre 
de  sang,  et  qu'il  consentait  à  ce  qu'elles  se  retirassent 
paisiblement  ;  mais  que  si  elles  faisaient  un  pas  en  avant , 
elles  en  subiraient  la  peine.  Le  commandant,  après  quelques 
hésitations,  jugea  à  propos  de  profiter  de  l'avis,  et  il  ré- 
trograda. Tant  qu'il  se  trouva  sur  le  territoire  de  Francia,  il 
fut  entouré,  toutes  les  nuits,  de  la  même  manière,-  et  il 
se  félicita  beaucoup  d'être  échappé  au  danger  qui  l'avait 
menacé.  Depuis  cette  époque ,  aucune  relation  n'a  existé 
entre  les  deux  états.  Artigas,  après  sa  défaite,  s'était 
retiré  dans  le  Paraguay ,  mais  il  y  fut  arrêté  et  mis  en 
prison.  En  i8'2o,  Francia  invita  M.  Bonpland,  le  com- 
pagnon de  voyage  de  M.  Humboldt,  h  venir  le  voir  et 
à  se  livrer  à  son  étude  favorite,  dans  le  pays  qu'il  gouverne. 
Mais  on  l'engagea  à  nepas  se  fier  aux  promesses  du  docteur, 
et ,  en  conséquence ,  il  alla  se  fixer  dans  l'Entre-Rios,  entre 
rUraguay  et  le  Parana,  au  sud  du  Paraguay.  Là,  il  s'as- 
socia avec  un  Ecossais ,  et  ils  entreprirent  de  cultiver  la 


méridionale.  507 

plante  connue  sous  lo  nom  d'herbe  du  Paraguay  ou  matté. 
A  peine  avaient-ils  commencé  ,  qu'une  petite  troupe ,  en- 
voyée à  rijnproviste  par  le  docteur,  se  présenta  pour  les 
enlever.  L'Ecossais  eut  le  bonheur  d'échapper j  mais  le 
malheureux  Bonpiaud  fut  pris  et  n'a  jamais  pu  revenir  :  il 
paraît  qu'il  n'est  pas  emprisonné  ,  et  qu'il  peut  même , 
dans  les  limites  du  pays ,  faire  toutes  les  recherches  qu'il 
juge  utiles  à  la  science  qu'il  cultive. 

Une  lettre  de  Rio- Janeiro,  du  19  décembre   dernier 
nous  apprend  à  cet  égard  les  particularités  suivantes  : 

u  Bonpland,  mande-t-on,  est  employé  comme  chirur- 
gien par  le  tyran  du  Paraguay,  qui  l'a  aussi  chargé  de 
diriger  la  construction  d'une  grande  route  qui  doit  conduire 
à  un  passage  des  Andes,  par  lequel  on  entre  dans  le  Chili. 
Le  nouveau  gouvernement  du  Paraguay  ne  paraît  pas 
devoir  être  moins  bizarre  que  l'ancien  (  celui  des  jésuites  ). 
Francia  se  montre  rarement;  c'est  une  espèce  de  prophète 
couvert  de  voiles.  Lorsqu'il  sort ,  toutes  les  portes  et  toutes 
les  croisées  se  ferment,  et  personne  ne  doit  le  regarder 
sous  peine  de  mort.  Il  est  à  la  tète  de  l'église  et  de  l'état , 
et  il  se  fait  appeler  simplement  M.  Francia;  il  ne  permet 
aucune  communication  avec  les  antres  peuples.  Il  ne  paraît 
pas  qu'il  maltraite  ses  prisonniers  :  il  les  empêche  seule- 
ment d'entretenir  des  rapports  au-dehors.  M"'"  Bonpland 
est  ici,  où  elle  éprouve,  ainsi  que  sa  fdle ,  qui  est  avec 
elle,  de  grands  embarras  pécuniaires  :  c'est  une  femme 
agréable  et  une  excellente  musicienne.  Il  est  certainement 
fort  affligeant  qu'un  homme  tel  que  M.  Bonpland  soit 
retenu  prisonnier  au  milieu  d'une  population  à  demi-sau- 
vage .  et  qu'il  ne  puisse  pas  pourvoir  aux  besoins  de  sa 
famdle.  Heureusement  la  science  pourra  le  consoler,  et  il 
connaîtra,  nnieux  qu'aucun  Européen  ne  l'a  fait  encore, 
l'intérieur  de  cet  immense  continent.  » 

Jl  n'est  pas  facile  de  deviner  les   vues  du  dictateur.  Le 


5o8  Amérique 

thé  du  Paraguay  était  un  excellent  article  d'exportation  : 
la  consommation  en  était  si  générale  dans  l'Amérique  espa- 
gnole ,  qu'on  en  expédiait  par  an  20,000  balles  ;  valant  un 
million  st.,  rien  qu'à  Buenos-Ayres.  Mais  le  docteur 
Francia  en  a  entièrement  défendu  la  sortie ,  ce  qui  a  déter- 
miné les  Brésiliens  à  cultiver  cette  plante,  qui  vient  natu- 
rellement sur  le  versant  oocidental  de  leurs  montagnes.  Les 
Espagnols  prétendent  que  c'est  un  ancien  jésuite ,  et  qu'il 
conserve  le  Paraguay  pour  le  rendre  au  roi  d'Espagne. 
Quoi  qu'il  en  soit,  nous  croyons  qu'il  fera  bien  de  lâcher  de 
s'entendre  avec  les  gouvernemens  insurgés ,  car  il  ne  peut 
pas  espérer  qu'on  le  laissera  encore  long-teras  fermer  son 
territoire  à  tous  les  étrangers  sans  exception ,  comme 
un  autre  empereur  de  la  Chine.  On  prétend  qu'il  suit  le 
système  d'administration  des  jésuites  j  on  dit  aussi  que  les 
Indiens  et  environ  200,000  blancs  qui  lui  obéissent ,  se 
montrent  également  satisfaits  de  son  gouvernement.  Le  fait 
suivant ,  s'il  est  exact ,  peut  donner  une  idée  de  la  manière 
dont  il  conduit  les  affaires  du  peuple  qu'il  régit. 

«  Il  y  a  quelques  années  ,  le  dictateur  employa  un  ex.- 
pédient  singulier  pour  apaiser  un  peu  d'agitation  qui  s'était 
manifestée  dans  son  tei'ritoire  II  décréta  que  le  pays  serait 
à  l'avenir  régi  d'après  les  principes  les  plus  démocrati- 
ques ;  qu'il  y  aurait  un  congrès  de  mille  députés ,  choisis 
dans  toutes  les  classes  de  citoyens  ,  pour  conduire  les  af- 
faires du  pays  et  lui  donner  ime  nouvelle  forme  de  gouver- 
nement. Les  élections  eurent  lieu ,  et  les  membres  nommés 
furent  obligés  de  se  rendre  à  l'Assomption ,  où  ,  après  une 
adresse  de  Francia  ,  ils  se  mirent  à  l'ouvrage.  Après  trois 
jours,  qui  s'écoulèrent  sans  qu'ils  reçussent  aucun  traite- 
ment ou  indemnité  quelconque,  ils  réfléchirent  au  préjudice 
que  leur  absence  ferait  nécessairement  à  leurs  fermes  et  à 
leurs  familles,  et  ils  se  rendirent  tous  chez  le  docteur  pour 
replacer  le  pouvoir  souverain  dans  ses  mains;  ils  lui  décla- 


mcridionale ,  Sog 

i'èrent  qu'ils  étaient  parfait f mont  satisfaits  de  son  système 
tle  gouvernement,  et  ils  conclurent  en  lui  demandant  la 
permission  de  retourner  ches.  eux.  Francia  ,  déguisant  la 
joie  quil  éprouvait  du  succès  de  son  plan,  répliqua  qu'il 
V  consentait,  mais  qu'ilse  réservait  le  droit  de  les  réunir 
de  nouveau ,  et  qu'il  en  userait  si ,  à  l'avenir ,  il  entendait 
d'autres  plaintes,  et  que  ,  le  cas  échéant ,  ils  devaient  s'at- 
tendre à  une  session  de  six  mois  au  moins. 

»  Des  instrumens  de  mathématiques  et  d'astronomie  ont 
concouru  à  fortifier  son  ascendant  sur  le  peuple.  Toutes  les 
nuits  il  sort  du  palais  dictatorial,  et  il  va  ohserver  les  étoiles. 
I>orsqu'il  a  fait  ses  calculs,  il  se  retire,  et  ce  manège  excite 
l'admiration  de  la  multitude.  » 

Si  Buenos-Ayres  se  trouvait  dans  une  haie  dont  la  navi- 
gation fut  moins  dangereuse  que  celle  du  golfe  de  la  Plata, 
celte  ville  serait  éminemment  propre  à  devenir  un  grand 
centre  de  communication  pour  le  commerce  du  monde.  T.a 
situation  eu  serait  même,  à  quelques  égards,  préférable  à 
celle  de  Rio-Janeiro  ,  qui  n'a  point  de  fleuve ,  tandis 
que  les  deux  grandes  branches  de  la  Plata ,  la  Parana  et 
le  Paraguay  s'étendent  au  nord  ie  long  de  la  frontière  occi- 
dentale du  Brésil,  et  qu'au  moven  des  rivières  qu'ils  re- 
çoivent dans  leurs  cours  ,  ils  permettent  de  communiquer 
par  eau  avec  Cordova ,  San-Tago  ,  Tucumau ,  Mendoza  et 
Saint-Juan  situés  à  la  hase  orientale  des  Cordillères.  Une 
grande  partie  du  territoire  de  Buenos-Ayrcs  est  occupée 
par  les  plaines  connues  sous  le  lïom  de  Pampas ,  qui  s'éten- 
dent à  l'ouest  jusqu'au  pied  des  Cordillères ,  et  au  sud 
jusqu'aux  montagnes  des  Paiagons  :  elles  ne  sont  pas  cul- 
tivées, mais  en  beaucoup  d'endroits  elles  sont  couvertes  de 
riches  pâturages,  et  elles  nourrissent  des  troupeaux  in- 
nombrables de  chevaux  et  de  bestiaux.  On  ne  trouve  aucun 
arlu'i";  ni  même  aucun  arbrisseau  dans  ces  plaines  im- 
menses, il  l'exception  do  quelques  saules  ,  r,u  de  quelques 

1.  21 


5io  Amérique 

mimosas,  qui  croissent  sur  le  bord  d'un  petit  nombre  d'étangs 
d'eau  bourbeuse  ou  sauniâtre.  Aussi  le  combuslilde  était-il 
si  rare  à  Buenos- Ayres  ,  que  les  Espagnols  furent  obligés 
de  planter  une  grande  quantité  de  pêchers  d'Europe,  pour 
se  procurer  cet  article   indispensable.  On  y  cultive  aussi 
d'autres  fruits  v-enus  d'Europe  ,  mais  avec  peu  de  succès. 
Le  seul  bon   fruit  est  le   raisin  ;    les  melons  ont  peu  de 
saveur  ;  les  pommes  sont  tout-à-fait  mauvaises  ;  le  cerisier 
n'y  donne   pas  de  fruits.  Mais  rien  n'est  plus  beau  que  le 
climat  :  la  température  de  l'été  excède  rarement  80  deg. 
de  Farenheit,  et  celle  de  l'hiver  ne  tombe  guère  au-dessous 
de  4o .  Le  froment  est  le  grain  le  plus  généralement  cultivé  ; 
on  recueille  aussi  l'orge  et  le  maïs.  La  citrouille  et  la  courge 
sont  les  végétaux    dont  les  habitans  fout  le  plus  d'usage. 
Nous  saurons  bientôt  si  la  colonie  écossaise  qui  s'y  est  ré- 
cemment rendue ,  pourra  s'y  maintenir  :  en  général ,  nous 
comptons  peu  sur  le  succès  des  entreprises  de  ce  genre  ; 
des  individus  industrieux  peuvent  réussir,  mais  l'associa- 
tiou  a  peu  de  chances  en  sa  faveur.  C'est  une  grandeerreur 
de  supposer  que  des  hommes  quitteront  la  terre  nat^e , 
qu'ils  feront  un  voyage  de  six  à  sept  cents  milles,  qu'ils  con- 
sentiront  à  travailler   paisiblement  depuis   le   matin  jus- 
qu'au soir,  dans  un  pays  auquel  leur  constitution  n'est  point 
faite  ,  et  tout  cela  dans  le  seul  but  de  gagner  un  salaire. 
Les  planteurs  qui  ont  conduit  des  prolétaires   au  cap  de 
Bonne-Espérance,  n'ont  pas  tai'dé  à  reconnaître  leur  faute  , 
et  nous  croyons  qu'il  eu  sera  de  même  de  la  colonie  écos- 
saise, à  moins  qu'on  ne  concède  des  terres  aux  individus  à 
des   conditions  tres-modérées  ,  et  (ju'ils  puissent  en  faire 
ce  qu'ils  jugeront  convenable  ;  mais  alors  il  n'y  aura  plus 
d'association. 

.  On  ne  s'occupe  guère  dans  les  grandes  fermes  ,  et  parti- 
culièrement dans  celle  des  Pampas,  que  d'élever  des  bes- 
tiaux. Il  y  a  ,  tlil-on  ,  des  fermiers  qui  possèdent  six  cents 


mèndionale.  5ii 

chevaux ,  outre  un  nombre  immense  de  bêles  à  cornes. 
C'était  un  usage  sous  le  gouvernement  espagnol ,  et  cet 
usage  a  été  récemment  renouvelé,  de  saisir  a  des  époques 
particulières  tous  les  bestiaux  qui  n'étaient  pas  marqués, 
et,  après  leur  avoir  coupé  les  oreilles,  d'en  prendre  posses- 
sion au  nom  de  l'état.  La  plupart  des  cbevaux  et  toutes  les 
jumens  ne  sont  guère  estimés  au-dessus  de  la  valeur  de  \ç\\\- 
peau.  C'est  à  Buenos-Ayres  une  chose  presqu'ignominicuse 
de  monter  une  jument.  «  Un  Anglais  ,  dit  M.  Caldcleugh, 
qui  voulut  braver  ce  préjugé,  et  qui  se  présenta  dans  les 
rues  sur  une  jument,  Tutsi  mal  accueilli  par  la  populace, 
qui  lui  jeta  de  la  boue,  qu'il  se  trouva  promptement  dans 
la  nécessité  de  rentrer.  » 

Lenombre  des  bêtes  à  cornes  est  vraiment  inconcevable. 
Un  bœuf  tout  entier  avec  sa  peau,  sa  graisse  et  ses  cornes  , 
ne  se  vend  que  cinq  ou  six  dol'ars  (  de  'i']  fr.  5o  c.  à  53  fr. 
environ);  la  peau  seule  eu  vaut  trois  ou  quatre.  Aussi  l;i 
viande  de  bœuf  n'a,  pour  ainsi  dire,  aucune  valeur,  et  on 
en  donne  même  à  la  volaille.  La  quantité  des  bêtes  à  cor- 
nes a  cependant  diminué,  à  cause  d£S  achats  considérables 
que  les  Anglais  ont  faits  en  peaux  et  en  suifs,  dans  le  cours 
de  ces  dernières  années.  Les  relations  commerciales  entre 
la  Grande-Bretagne  et  Bueuos-Ayres  deviennent  tous  les 
jours  plus  importantes  et  plus  étendues.  En  1817  ,  la  valeiu* 
des  marchandises  anglaises  expédiées  dans  cette  ville  s'é- 
levait seulementà  388,487  liv.  st.;  mais  en  1828,  elle  a  été 
de  i,i64-,74-5  (  29,1 18,625  ).  En  1821  ,  le  nombre  des  vais- 
seaux anglais  qui  y  vinrent  n'était  que  de  ii^.  En  1822  , 
il  monta  à  167,  et  ils  y  chargèrent  957,600  cuirs  de  che- 
vaux ou  de  bœufs.  liCS  provinces  enfoncées  dans  rinlérieur, 
produisent  du  coton  ou  du  talxic  ;  les  vallées  abritées  qui 
sont  au  pied  des  Andes ,  sont  très  favorables  à  la  culture 
tl6  la  vigne.  Il  paraît  que  Saint-Juan  et  Mendoza  expédient, 
tous  les  ans  ,    12,000  barils  de  vins  et  d'eau-de-vie  ,  pour 


?Sia  Ajuêriqiip 

lîncnos-Ajres,  où  l's  sont  (-changrs  contre  tles  articles  fabri- 
qués en  Angleterre.  M.  Caldclcugh  trouva  des  articles  de 
cette  espèce,  clans  les  parties  les  plus  reculées  des  Cordillères. 
Buenos-Ayres  et  ses  dépendances  ne  se  sont  jamais  beau- 
coup occupées  des  mines.  Eni8i4..  quelqaes  négocîans  an- 
glais conçurent  le  projet  dafïermcr  et  d'exploiter  la  mine 
de  Fatamina,  près  de  Sain-Juan;  mais  ils  en  furent  en- 
suite détournés  par  l'état  d'agitation  du  pays.  I\f.  Cald- 
cleugh  présente  un  tableau  intéressant  des  améliorations 
progressives  qui  s^  sont  opérées ,  depuis  quelques  années  , 
dans  cette  république,  et  qui  sont  dues  en  grande  partie 
à  rinHuence  du  secrétaire  d'état  Rivadavia. 

«'  Ce  fut,  dit-il,  en  juillet  1821,  que  M.  Rivadavia  fut 
appelé  aux  fonctions  de  secrétaire  d'état.  A  cette  époque, 
des  discordes  intérieures  et  rinhablleté  de  ses  chefs 
avalent  plongé  la  république  dans  une  situation  déplorable, 
mais  sous  son  administration  tout  prit  bientôt  un  nouvel 
aspect.  I/ordre  fut  rétabli  dans  la  police  intérieure  et  dans 
les  finances.  D'anciens  et  dangereux  préjugés  furent  com- 
battus et  déracinés.  M.  Rivadavia  a  été  pendant  quelque 
tems  chargé  des  affaires  de  Buenos-Ayres  à  Londres.  Pen- 
dant la  durée  de  sa  mission ,  il  fit  une  étude  approfondie 
de  nos  admirables  institutions  ,  et  il  jugea  avec  discerne- 
ment celles  qui  pouvaient  être  transportées  avec  avantage 
dans  sa  patrie ,  et  celles  qu'elle  n'était  pas  encore  mure 
pour  recevoir.  Il  imite  autant  que  possible  l'Angleterre , 
et  11  est  parfaitement  secondé  dans  l'exécution  de  ses  pro- 
jets par  tout  ce  qu'il  y  a  d'éclairé  dans  le  pays.  » 

Cet  homme  d'état  a  sagement  commencé  par  diminuer 
l'influence  des  moines  et  par  réduire  le  nombre  des  couvens. 
En  même  tems ,  il  a  transformé  en  églises  de  paroisse  ies 
chapelles  de  ceux  qu"l!  a  supprimés,  et  a  convenablement 
pourvu  au  sort  du  clergé  chargé  de  les  desservir.  Il  a  aussi 
i-ecoiislitné  les  cours  de  justice,  augmenté  le   traitement 


méridionale .  5  1 5 

Jes  juges,  el  slalué  qu'on  dresserall  tous  les  mois  l'état  des 
procès  civils  et  criminels  qui  auraient  été  jugés  el  de  ceux 
<[ui  ne  le  seraient  pas  encore.  Enfin  il  a  soumis  les  militaires 
à  l'autorité  Je  la  loi  civile  (i). 

Dès  les  premiers  tems  de  la  révolution  ,  le  gouvernement 
avait  acheté  plusieurs  milliers  de  nègres  k  ieurs  proprié- 
taires,  pour  les  enrégimenter,  el  cet  usage  fut  suivi  jus- 
qu'en iS'2'i,  où  l'on  fut  obligé  d'v  renoncer  à  cause  de  lé- 
puisement  de  cette  partie  de  la  population.  Une  autre 
cause  qui  a  aussi  diminué  le  nombre  des  esclaves,  c'est 
qu'en  i8i5  ,  le  congrès  a  décidé  que  tous  les  enfans  qu'ils 
auraient  à  Favenir  seraient  libres.  Aussi,  suivant  les  ren- 
seigueniens  que  M.  Caldcleugh  s'est  procurés,  n'y  a-t-il 

(i)  Note  du  Tr.  Don  Bernardino  Rivadavia,  qui  a  rempli  les 
fonctions  de  secre'taire-d'ctat  des  affaires  étrangères  el  de  l'intc'rieur 
de  la  république  de  Euenos-Ayres ,  et  qui  depuis  a  été  sou  mi- 
nistre à  la  cour  d'Angleterre  ,  rappelle  ,  par  ses  qualités  éminentcs  , 
\e  souvenir  de  ces  grands  citoyens  qui  ont  honore  le  berceau  de  quel— 
•jues-unesdes  républiques  de  l'antiquité.  Il  a  autrefois  vécu  en  Europe  , 
pendant  plusieurs  années  ,  alternativement  à  Paris  et  à  Londres. 
Lorsqu'il  partit,  ceux  qui  l'avaient  connu  et  chéri  durent  se  con- 
soler de  son  éloignement ,  en  pensant  à  l'influence  salutaire  que  sa 
])résencc  ne  pouvait  pas  manquer  d'exercer  en  Amérique.  La  liberté 
naissante  de  Buenos-Ayres  avait  été  signalée  par  de  fréqucns  orages  : 
il  y  avait  eu  quaU'e-vingt-trcize  changemens  de  gouvcrnenient  dans  la 
seule  année  qui  précéda  immédiatement  le  retour  de  M.  Rivadavia. 
Mais  sa  voix  puissante  ,  ausslsôt  qu'il  la  fu  entendre  à  ses  concitoyens, 
calma  ces  agitations  ,  d'une  manière  pour  ainsi  dire  magique.  Lin 
esprit  d'ordre  et  de  paix  y  succéda  ,  et ,  depuis,  la  tranquillité  de  la  ré- 
publique n'a  guère  été  troublée  que  par  quelques  mouvemens  d'in- 
diens. M.  Rivadavia  est  revenu  en  Europe  pour  négocier  le  traité  par 
lequel  le  roi  de  la  Grande-Bretagne  a  reconnu  l'indépendance  de  sa 
patrie,  et  certes  la  personne  du  négociateur  aura  eu  beaucoup  d'in- 
fluence sur  les  déterminations  du  ministère  anglais.  Lorsqu'aprcs  la 
signature  de  ce  traité  ,  il  est  retourné  en  Aniériijue,  ses  concilojcni 
Tont  clcvc  à  la  dignité  suprênic  de  président  de  la  ccniédcialion  d<; 
la  Plala.  S.  l'\ 


5 1 4  Aniêriijue 

pins  qu'un  esclave  sur  neuf  hommes  libres.  Il  estime  la 
population  totale  de  toutes  les  provinces  de  la  Plata  à 
45o,ooo  5  mais  il  ne  comprend  pas  les  Indiens  dans  son 
estimation.  La  seule  province  de  Buenos- Ayres  contient 
8o,ooo  habitans  ,  dont  65,ooo  vivent  dans  la  ville. 

La  dilatation  du  corps  humaiiï ,  causée  par  Texcès  de  la 
cbaleur  explique  et  excuse  jusqu'à  un  certain  point  l'ab- 
sence d'énergie  qui  se  fait  généralement  remarquer  chez 
les   peuples  des  tropiques  \   mais   les  habitudes   molles  de 
toutes  les  classes  de  la  société  à  Buenos-Ayres  sont  inexcu- 
sables dans    un  climat  si  tempéré.    C'est   à    qui   tâchera 
d'éviter  de  iTavailler.   Les  chevaux  sont  si  nombreux. ,  et 
oa  peut  s'en  procurer  à  si  bon  marché  ,  que  chaque  habitant 
en  possède  au  moins  un  et  ordinairement  plusieurs.  A^ous 
voyez  un  de  ces  animaux  attaché  près  de  la  porte  de  la 
plupart  des  maisons ,  toujoui's  prêt  à  être  monté  ,  et  son 
maître  s'en  sert  lors  même  qu'il  n'a  que  la  rue  à  traverser. 
Ce  qui  est  encore  plus  bizarre ,  c'est  que  les  mendians  qui 
vivent  de  la  charité  publique  ,  la  demandent  presque  tou- 
jours à  cheval.  M.  Caldcleugh  parle  avec  éloge  du  bon  ca- 
ractère et  de  l'honnêteté  de  la  population  ;  mais  malheu- 
reusement les  classes  inférieures   ont  un  goût  passionné 
pour  le  jeu.  Jouer  dans  un  ynlperia  (espèce  de  cabaret)  . 
à  quelque  jeu  qui  exige   un   peu  de  mouvement  ;   boire 
quand  la  fortune  est  contraire,   et,  dans  un  moment  de 
colère  ,  poignarder  celui  qu'elle  favorise ,  telle  est ,  dans  ce 
pays ,    îa  manière  dont  beaucoup  de  gens  du  peuple  em- 
ploient  leur   journée,    A   la  plus  légère  contestation,  le 
créole  tourne  son  poncho  ou  manteau  autour  de  son  bras 
gaviche ,  et  saisit  son  couteau  de  la  main  droite  y  mais  le 
meurtre  prémédité  est  très-rare. 

La  classe  éievée  a,  en  général ,  de  très-bonne  manières ^ 
et  M.  Caldcleugh  assure  qu'il  n'est  pas  possible  de  parler 
trop  favorablement  des  fcnniies  qui  appartiennent  à  cette 


jnértdhriule .  5i  5  ■ 

classe  5  elles   commeaceiit  à   suivre  les   modes   anglaises. 
Cljaque  famille   aisée   a   ses   tertulias   ou   soirées  .  et  les 
étrangers  y  sont  accueillis  avec  beaucoup  de 'cortlialilé  et 
de  grâce  :  on  y  fait  de  la  musique  ",  on  danse  des  menuets  , 
des  Avalses  et  des  danses  espagnoles.  M.  Caldcleugli  parle 
d'une  manière  fort  animée  de  Télégance  et  de  la  politesse 
exquise  des  dames  j  politesse  qu'il  assure  être  plutôt  le  ré- 
sultat de  la  bouté  de  leur  cœur   que  de  leur  éducalion.  Il 
paraît   cependant    qu'on  n'a   pas   négligé  les   moyens    de 
répandre  l'instruction  :  on  a  même  établi ,  pour  les  classes 
inférieures  ,  plusieurs  grandes  écoles  dont  l'état  paie  la  dé- 
pense .  Il  y  a  une  académie  de  musique  et  de  peinture ,  et 
uue  bibliothèque  publique  qui  avait  déjà  iSjOOO  volumes  , 
il  y  a  quelques  années,  et  qui  en  a  bien  davantage  depuis 
que  les  livres  peuvent  être  introduits  sans  payer  de  droits. 
Il  y  a  deux  ans,  M.  Rivadavia  a  institué  une  société  litté- 
raire ,  et  il  a  fait  imprimer ,  aux  frais  du  public ,  une  col- 
lection de  poésies  nationales.  On  publie  plusieurs  gazettes  , 
qui  sont  convenablement,  rédigées  ;  et  les  représentations 
d'un  nouveau  théâtre  ,  qu'on  vient  de  construire  ,  sont  fort 
suivies. 

L'aspect  uniforme  des  grandes  plaines  nommées  Pampas, 
ne  permet  pas  sans  doute  d'en  faire  une  âescription  étendue 
et  variée  \  mais  M.  Caldcleugh  aurait  pu  nous  donner 
quelques  renseignemens  intéressans  sur  les  productions 
végétales  qu'on  y  rencontre.  Il  mit  seize  jours  pour  les 
traverser  ,  depuis  Buenos-Ayres  jusqu'à  ?»Iendoza  :  cette 
distance  est  de  plus  de  mille  milles  (i).  Les  articles  d'un 
grand  poids  qui  sont  expédiés  aux  provinces  de  l'ouest , 
situées  aux  pieds  des  Andes  ,  ou  ceux  qui  en  viennent,  sont 
(juclquefois   transportés   dans    des   chars   traînés   par  des 

(i)  "Note  uu  Tr.   Nous  avons  dt-jà  dit  que  trois  milles  anghiis  fai— 
sa.l3aient  un  peu  pUu  d'une  lieue  ordinaire  de  France. 


3 1 6  Amérique 

bœufs  j  mais  le  mauvais  état  des  roules  ,  les  ruisseaux  bour- 
beux et  les  étangs  rendent  ce  mode  de  transport  excessi- 
vement long,  et  on  se  sert  de  préférence  des  mules  et  des 
chevaux  de  bât.  Les  maisons  de  poste  que  l'on  trouve  de 
distance  en  distance ,  sont  de  misérables  chaumières  dont 
les  toits  et  les  murs  sont  remplis  de  trous  et  de  crevasses  ; 
la  malpropreté  en  est  excessive ,  et  elles  sont  infestées  de 
punaises  ,  de  puces  et  de  tous  les  insectes  insupportables 
qui  volent ,  sautent  ou  rampent.  Les  habitans  que  l'on 
rencontre  sont  en  général  doux  et  obligeans  ,  mais  d'une 
extrême  pauvreté.  LVau  dont  ils  se  servent  ,  soit  qu'ils  la 
puisent  dans  des  étangs  ou  dans  des  ruisseaux  ,  est  saumâtre 
et  bourbeuse.  Jamais  il  ne  mangent  de  pain ,  et  ils  ne 
vivent  que  de  lait  et  de  bœuf.  Un  pevi  de  yer-ha  ,  ou  thé  de 
Paraguay ,  est  pour  eux  un  grand  luxe  qu'ils  se  permettent 
rarement.  A  l'extrémité  des  Pampas,  précisément  à  l'en- 
droit où  le  sol  s'élève  en  se  rapprochant  des  montagnes ,  on 
commence  à  voir  d'épais  buissons  de  cactus  et  de  mimosa 
épineux.  Les  villages  deviennent  moins  rares,  et  les  mai- 
sons sont  un  peu  mieux  bâties  j  des  sources  d'eau  vives 
ruissellent  des  hauteurs  ;  et,  à,  cinq  ou  six  lieues  de  Meu- 
doza ,  des  enclos  et  des  champs  cultivés,  annoncent  l'ap- 
proche d'une  ville  considérable. 

Mendoza  est  située  au  pied  des  Andes;  vis-à-vis  le  grand 
passage  d'Upsalata.  Il  est  Inen  bâti  ;  ses  maisons  sont  en 
briques;  ses  rues  ,  très-larges,  sont  parcourues  par  des  ruis- 
seaux d'eau  vive.  Une  alameda  ou  promenade  publique , 
dans  laquelle  ou  se  réunit,  pour  manger  des  glaces  et  des^ 
confitures,  jusqu'à  une  heure  trés-avancée,  et  six  ou  sept 
églises  sont  les  principaux  objets  qui  attirent  Pattention  de 
l'étranger.  La  ville  contient ,  à  ce  qu'on  assure,  20,000  ha- 
bitans, qui  sont  presque  tous  blancs,  attendu  que  les 
nègres  sont  en  grande  partie  entrés  dans  les  armées  de  la 
république,  (.lelte  ville  ,  qui  se  trouve  sur  la  route  directe- 


méridionale.  5i^ 

lie  Buenos-Ayres  au  Chili ,  fait ,  par  celle  raison  ,  un  com- 
merce considérable.  Le  principal  produit  de  son  sol  est  un 
vin  qui  a  beaucoup  cFanalogie  avec  le  vin  de  Malaga,  quoi- 
qu'il soit  d'une  qualité  inférieure.  Plusieurs  vignes  n'ont  pas 
moins  de  60,000  plants.  On  y  récolte  en  outres  des  melons 
d'une  saveur  délicieuse,  des  figues,  des  poires  et  des  coings  : 
ces  derniers  fruits  sont  très-supérieurs  à  ceux  d'Europe. 
Les  exportations  deMendoza  consistent  principalement  en 
vins ,  en  eaux-de-vie ,  en  fruits  secs  ;  il  reçoit  en  échange 
Yyerha  et  des  articles  manufacturés ,  qui  viennent  presque 
tous  d'Angleterre.  Ces  articles  s'y  vendent  à  un  bon  marché 
qui  confond  :  par  exemple,  M.  Caldcleugh  y  acheta  un 
canif  de  Birmingham  qui  lui  coula  moins  d'un  shilling 
(  24  sols  )  ,  et  cependant  ce  canif  avait  été  transporté  à  une 
énorme  dislance,  à  travers  les  mers  et  un  continent  im- 
mense ,  et  il  avait  procuré  quelque  profit  à  tous  ceux  par 
les  mains  desquels  il  était  passé.  Les  habitans  se  procurent 
aussi  un  revenu  considérable  en  élevant  des  mules,  qui,  à 
cause  de  la  sûreté  de  leur  marche  ,  sont  les  animaux  qui 
conviennent  le  mieux  pour  traverser  les  Cordillères. 

Le  climat  de  Mendoza  est  excellent;  quoique  cette  ville 
soit  située  à  454oo  pieds  au-dessus  de  la  mer,  et  que  der- 
rière elle  s'élèvent  des  montagnes  couvertes  de  neiges  éter- 
nelles, l'hiver  n'y  est  guère  que  de  trois  mois,  et  pendant 
sa  durée  il  y  neige  et  il  y  gèle  rarement.  La  température 
du  reste  de  l'année  est  douce  et  agréable^  la  société  y  est  plus 
avaiicée  que  dans  les  autres  parties  de  l'Amérique  du  sud 
visitées  par  M.  Caldcleugh  ;  suivant  lui ,  les  dames  y  sont 
parfaitement  bien  élevées ,  et  elles  cultivent  avec  succès  la 
musique  et  la  danse.  Le  seul  inconvénient  de  ce  beau  pays, 
dit  notre  voyageur  ,  c'est  que  les  goitres  y  sont  fort  com- 
muns. Les  habitans  emploient,  avec  beaucoup  de  confiance, 
_  vu  remède  qu'ils  appellent  \cpalo  di goia  :  c'est  la  lige  d'une 


5  !  B  .  Amérique 

plante  qui  vient  de  la  côte  ài\  Pérou,  et  qui  est  vraisem- 
blablement une  espèce  d'algue;  niais  on  est  tenté  de  mettre 
en  doute  l'efficacité  de  ce  remède,  quand  on  voit  le  grand 
nombre  de  personnes  affectées  de  la  maladie  qu'il  est  des- 
tiné à  guérir.  M.  Caldcleugh  vit  une  mère  de  cinq  enfans 
qui,  comme  elle,  avaient  tous  des  goitres  ,  et  qui  de  plus 
étaient  sourds.  Cette  maladie  règne ,  dit-on,  dans  toute  la 
longueur  de  la  chaîne  des  Andes,  sur  le  côté  oriental  ; 
tandis  qu'au  Chili,  sur  le  versant  occidental,  elle  est 
très-rare. 

Il  y  a  quatre  passages  différens  dans  cette  partie  de  la 
Cordillère  méridionale  ;  celui  qui  est  le  plus  au  nord  se 
nomme  Palos^-  il  est  vis-à-vis  de  la  ville  de  St. -Juan  j  le 
second  est  le  grand  passage  d'Upsalata ,  en  face  de  Men- 
doza;  le  troisième,  le  Portilla,  est  à  trente  lieues  an  sud  de 
Mendoza,  dans  un  endroit  où  la  Cordillère  se  divise  en  deux 
branches;  le  quatrième,  l'El  Planchon,  est  situé  vis-à-vis  le 
port  chilien  de  la  Conception  :  il  est  assez  large  pour  que 
les  chars  puissent  y  passer  avec  facilité.  M.  Caldcleugh 
choisit  le  passage  de  la  Portilla  :  l'entrée  offre  ,  à  dislance, 
l'aspect  d'une  sombre  caverne  creusée  dans  la  montagne  : 
une  rivière  ,  qui  s'appelle  également  la  Portilla,  s'y  pré- 
cipite comme  un  torrent ,  et  elle  y  roule  ses  ondes  avec 
un  bruit  horrible.  Lorsqu'on  s'approche  du  point  le  plus 
élevé  du  passage  ,  toute  trace  de  végétation  disparaît  ,  à 
l'exception  d'une  seule  plante  qui  est  une  espèce  dej'rcigosa. 

Lorsque  M.  Caldcleugh  fut  arrivé  à  cette  hauteur ,  il 
commença  à  voir  de  la  neige  qui ,  dans  plusieur.s  endroits, 
avait  une  épaisseur  de  trois  pouces  ,  et  lorsqu'il  fut  encore 
plus  haut,  il  aperçut  de  nombreuses  carcasses  de  mules, 
dont  plusieurs  s'y  trouvaient  au  moins  depuis  un  siècle  ,  et 
<[ui  semblaient  n'y  être  que  de  la  veille,  tant  elles  étaient 
entières  et  bien  conservées.  Notre  voyageur  n'avait  pas  de 


méridionale.  3 19 

baromètre,  mais  il  estime,  d'après  plusieurs  données, 
que  la  partie  la  plus  élevée  de  la  route  était  à  12,800  pieds 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Eu  descendant  vers  une 
vallée,  lui  cl  ses  compagnons  de  voyage  furent  assaillis  par 
une  tourmente  de  neige  pendant  la  nuit,  et  ils  se  mirent  à 
couvert  sous  quelques  rochers.  Le  lendemain  niatin ,  la 
neige  continuant  à  tomber;  ils  ne  firent  que  fort  peu  de 
chemin  pour  arriver  à  àes  grottes  mieux  abritées  ;  le  ton- 
nerre gronda  pendant  la  nuit  qu'ils  y  passèrent.  Lorsqu'ils 
se  mirent  de  nouveau  en  marche,  la  neige  était  si  épaisse, 
que  les  mules  étaient  presque  dans  l'impossibilité  de  s'avan- 
cer ;  ce  qui  obligea  M.  Calcdleugli  de  passer  une  troisième 
nuit  à  couvert  sous  un  rocher,  dans  un  endroit  où  la  fragosa 
était  la  seu'e  plante  qui  commençât  à  reparaître.  Le  jour 
suivant ,  il  arriva  à  un  corps-de-garde  appelé  St. -José,  situé 
sur  la  frontière  du  Chili.  Il  y  a  dans  ce  même  endroit  un 
établissement  pour  extraire  l'argent  du  minerai ,  que  l'on 
lire  d'une  mine  qui  se  trouve  dans  la  montagne  à  six  lieues 
de  distance. 

A  la  sortie  des  montagnes ,  la  chaleur  était  intolérable  ; 
il  n'y  avait  guère  d'autre  végétation  que  quelques  mimosas 
épineux  d'une  apparence  chétive  5  mais  le  nombre  des 
cabanes  isolées  commençait  à  s'accroître  et  l'on  apercevait 
des  clochers  dans  l'éloignemenl.  M.  Caldcleugh  entra  dans 
la  capitale  du  Chili  huit  jours  après  son  départ  de  Mendoza. 
San-Iago  a  un  aspect  très-pittoresque.  L'olivier,  le  figuier, 
les  mimosas,  les  algarobas  ,  confondus  avec  ses  églises  et 
ses  maisons ,  forment  une  masse  de  verdure  qui  contraste 
avec  la  nudité  de  la  plaine  dont  celte  ville  est  environnée. 
Le  Maypocho  la  divise  en  deux  parties  qui  sont  réunies  par 
un  pont.  Les  rues  sont  larges^  et  la  plupart  des  maisons  n'y 
ont  qu'un  étage  à  cause  des  Iremblemeus  de  terre.  Le  palais 
.  du  directeur  suprême  et  la  cathédrale  occupent  les  deux 
côtés  delà  grande  place.  Ou  a  planté  une  promenade  sur  le 


3'20  Amérique 

bord  delà  l'ivicre.  Il  y  a  plusieurs  églises,  un  collège  et  une 
bibliothèque  publique  où  se  trouvent  des  livres  et  des  ma- 
nuscrits qui  appartenaient  aux  jésuites  ,  et  qui  sont,  dit-on  , 
l'orl  curieux.  Il  y  a  aussi  une  imprimerie  j  mais  ou  n'y  a  en- 
core im[;rimé  que  des  gazettes  et  des  pamphlets  politiques. 

Le  Chili  s'étend  depuis  le  26°  jusqu'au  5'^''  degré  de  lati- 
tude, et  sa  largeur  moyenne  entre  les  Cordillères  et  la  mer 
Pacifique  est  seulement  de  deux  degrés.  La  tribu  indienne 
des  Araucaniens  vit  au  sud  du  Chili.  Elle  continue  à  dé- 
fendre son  indépendance  avec  cette  même  intrépidité  que 
don  Alonzo  de  Ercilla  a  jadis  célébrée  dans  son  poème  de 
\ Araticana.  IjC  capitaine  Basil  Hall  a  recueilli  quelques 
renseigneraens  intéressans  sur  cette  nation.  Le  récit  qu'il 
fait  de  la  coalition  de  Bonavitès  avec  les  Araucaniens  contre 
les  patriotes,  difïcre  beaucoup  de  celui  de  M.  Caklcleugh  ; 
mais  le  premier  de  ces  voyageurs  a  un  peu  trop  d'ima- 
gination et  le  second  n'eiva  pas  assez.  On  assure  qu'il  existe 
parmi  les  Araucaniens  une  tribu  de  blancs  :  quelques  per- 
sonnes supposent  qu'ils  sont  les  descendans  de  passagers  et  de 
marins  naufragés^  d'autres  disent  qu'ils  descendent  de  fem- 
mes créoles  enlevées  par  les  Indiens  dans  leurs  excursions. 

La  population  du  Chili  est,  dit-on,  déplus  de6oo,ooo  âmes, 
indépendamment  des  Indiens  et  des  nègres  qui  y  sont  en 
petit  nombre.  Comme  un  décret  du  congrès  a  statué  que 
tous  les  enfaus  naîtraient  libres  ,  avant  qu'il  soit  peu  ,  il  n'y 
aura  pas  un  seul  esclave  dans  toute  l'étendue  du  terriloire 
de  la  république.  On  suppose  qu'environ  les  deux  cin- 
quièmes des  habilans  sont  occupés  de  Texploilation  des 
mines  :  ils  forment  une  population  mobile  qui  élève  des 
villes  et  qui  les  abandonne,  selon  les  résultats  qu'ont  leurs 
travaux. 

Lorsqu'une  veine  est  découverte  ,  on  demande  au  gou- 
vernement l'autorisation  de  l'exploiter,  et  il  est  très-rare 
qu'il  la  refuse.  Aussitôt  qu'elle  est  accordée,   un  certairv 


méridi'on  aie .  j  ■>.  i 

«ombre  de  mineurs  se  dirigent  vers  la  mine  ,  pour  y  com- 
mencer les  travaux.  Un  alcade  y  arrive  pour  maintenir 
l'ordre  ;  on  y  élève  une  petite  église  ,  et  une  nouvelle  ville 
se  trouve  fondée.  Si  la  veine  est  riche,  la  population  s'aug- 
mente et  acquiert  quelque  étendue;  si  la  veine  s'apauvrit, 
la  popxdation  se  retire  ,  abandonne  aux  élémens  ses  fragiles 
habitations ,  et  va  chercher  quelque  district  où  le  mé- 
tal soit  plus  abondant.  L'existence  de  ces  villes  est  par  con- 
séquent très-éphémère. 

Le  sol  n'est  pas  d'mie  très-bonne  qualité  ,  et  une  portion 
considérable  en  est  inégale  et  raboteuse.  Le  froment ,  l'orge 
et  le  mais  sont  les  principaux  produits  qu'on  en  lire.  Le 
raisin  y  est  bon,  et  le  vin  ressemble  à  celui  de  Mendoza. 
Les  figues,  les  olives,  les  pèches,  les  fraises,  les  pastèques 
et  les  melons  y  sont  parfaits.  On  extrait  d'une  espèce  de 
palmier  une  liqueur  qui  a  le  goût  dn  miel.  Ou  fait  du  savon 
avec  rëcorce  du  quellaii ,  et  on  obtient  une  belle  couleur 
écarlate  d'une  plante  qui  ressemble  au  séneçon.  Le  Chili 
abonde  en  mines  d'or  et  d'argent  :  les  deniièrrs  sont  toutes 
dans  les  Cordillères.  Plusieurs  d'cntr'elles  contiennent  du 
pur  sulfure  d'argent  qui  donne  80  [;our  °/o  de  métal.  Ce 
n'est  pas  le  manque  de  combustible  qui  doit  faire  mettre 
en  doute  la  possibilité  d'extraire  l'eau  des  mines  au  moven 
de  la  machine  à  vapeur.  Il  paraît  que  l'on  a  trouvé  du 
charbon  de  terre  d'une  excellente  qualité  près  de  Talca- 
huana  ;  mais  il  y  a  certaines  parties  de  la  machine  ,  les 
cylindres,  par  exemple,  que  nous  ne  croyons  guère  que 
des  mules  ,  quel  qu'en  fût  le  nombre,  puissent  jamais  traus- 
porler  à  une  élévation  de  douze  ou  treize  mille  pieds,  par 
des  routes  telles  que  celles  qui  existent  aujourd'hui. 

()uoif[ue  les  mineurs  soient  la  classe  la  plus  pauvre  des 
habitans ,  leur  déraison  est  telle  ,  qu'ils  aiment  mieux  re- 
chercher les  métaux  précieux  ,  que  de  s'occupei-  des  Ira- 
vaux  moins  |'éuihles  et  plus  producliCs  de  l'agricu^lure.  C'(  st 


522  Amérique 

à  tort  que  M.  Caklcleugh  prétend  que  le  Chili  est  la  seule 
contrée  de  l'Amérique  du  sud  oii  ces  métaux  se  trouvent 
dans  un  sol  susceptible  d'être  cultivé  ,  et  que  ,  partout 
ailleurs  ,  on  ne  le  rencontre  que  dans  des  territoires  sté- 
riles. Il  est  inconcevable  qu'il  ait  avancé  une  pareille  pro- 
position ,  après  avoir  visité  le  Brésil,  où  des  fleuves,  des 
rivières  ,  des  ruisseaux  ,  qui  roulent  Tor  avec  leurs  ondes  , 
arrosent  des  champs  couverts  de  toutes  les  richesses  du 
rèfi^ne  végétal.  Il  y  a  au  Chili  de  grandes  fermes  dans  les- 
quelles on  s'occupe  exclusivement  d'élever  des  chevaux  et 
des  bestiaux.  On  tue  ces  derniers  en  automne  ,  et,  après  en 
avoir  retiré  la  graisse ,  on  en  découpe  la  viande  en  mor- 
ceaux, on  la  sale  et  on  la  fait  sécher.  C'est  un  des  princi- 
paux articles  de  commerce  du  pays  ,  qui  en  expédie  des 
quantités  considérables  au  Pérou  ,  et  qui  reçoit  en  échange 
du  sucre,  du  cacao  ,  du  café.  Mais  ,  depuis  la  révolution, 
des  bâtimens  venus  directement  des  Indes-Orientales  ,  ont 
apporté  ces  mêmes  articles,  et  les  ont  livrés  à  bien  meilleur 
marché  ;  ils  ont  apporté  également  des  nankins  et  d'autres 
étoffes  de  coton  de  l'Inde  et  de  la  Chine,  ce  qui  a  dû  nuire 
à  notre  commerce  direct  avec  le  Chili.  En  1818,  les  expor- 
tations de  l'Angleterre  à  Valparaiso  ne  s'étaient  élevées 
qu'à  52,000  livres  sterl.  (  800,000  francs)  ;  mais  eu  i8?,5, 
elles  s'élevèrent  à  i65,ooo  livres  st.  (  5,075,000  fr.  "). 

M.  Caklcleugh  parle  en  général  avec  éloge  du  caractère 
des  habitans  de  cette  partie  de  l'Amérique  du  sud  j  mais  , 
avec  sa  courtoisie  ordinaire,  il  fait  plus  particulièrement 
l'éloge  des  dames. 

Les  classes  supérieures  vivent  dans  l'aisance  ,  et  elles 
aiment  extrêmement  les  plaisirs  de  la  société  ;  de  manière 
qu'il  ne  se  passe  guère  un  seul  jour,  sans  qu'il  y  ait  un  bal 
ou  un  concert.  lia  musique  est  universellement  cultivée  ,  et 
elle  Test  avec  beaucoup  de  succès.  Les  paysans  habitent  des 
maisons   de  roseaux   et  de   bois  ,   dont  les  portes  sont  en 


méridionale.  5a5 

peaux  :  un  lit ,  deux  chaises  et  une  vieille  table ,  en  com- 
posent tout  le  mobilier.  Le  lit  est  occupé  par  le  plus  âgé  de 
la  maison  ,  et  à  sa  mort ,  celui  qui  vient  après  après  lui  en 
bérile  ;  ainsi  on  peut ,  à  proprement  parler ,  l'appeler  un  lit 
de  mort.  Les  autres  personnes  se  couchent  sur  des  peaux 
étendues  par  terre  ;  et  c'est  de  cette  manière  que  des  fa- 
milles très-nombreuses  vivent  en  communauté.  Ijcurs  ali- 
mens  ordinaires  sont  la  A'iande  de  leurs  bestiaux ,  le  mais 
et  les  courges.  Le  prix  du  thé  du  Paraguay  ,  depuis  que 
l'exportation  en  a  été  défendue  par  le  docteur  Francia ,  est 
beaucoup  trop  élevé  pour  eux ,  car  il  se  vend  au  Chili 
presqu'aussi  cher  que  le  thé  de  la  Chine  en  Angleterre.  Le 
goût  du  tabac  est  général ,  et  celui  du  jeu  ne  Vest  pas  moins  ; 
on  voit  des  jeunes  gens  du  peuple  passer  des  journées  entières 
avec  des  à^s,  et  des  cartes.  Les  fruitières,  au  coin  des  rues, 
sont  ordinairement  entourées  de  joueurs  qui  parient  que 
Tintérieur  d'une  pastèque  est  blanc  ou  rouge. 

Après  avoir  visité  le  Chili,  M.  Caldcieugh  se  rendit  à 
Lima,  capitale  du  Pérou.  La  multiplicité  des  tremblemeus 
de  terre  a  aussi  déterminé  les  habitans  à  ne  donner  à  la 
plupart  de  leurs  maisons  qu'un  étage  de  haut  Quoique  celte 
ville  ait  extrêmement  souffert  par  la  révolution  ,  cependant 
elle  conserve  encore  plusieurs  traces  de  son  ancienne  ma- 
gnificence. La  cathédrale,  qui  occupe  un  des  côtés  d'une 
grande  place  carrée,  a  un  caractère  noble  et  inijjosant  :  les 
richesses  prodiguées  pour  la  décoration  de  son  intérieur 
paraîtraient  inconcevables  partout  ailleurs  que  dans  une 
ville  qui ,  pour  fêter  l'arrivée  d'un  nouveau  vice-roi,  pava 
jadis  une  de  .ses  rues  avec  des  lingots  d'argent.  INl.  Cald- 
cieugh raconte  que  trois  semaines  avant  son  airivée ,  on 
avait  recueilli  dans  les  différentes  églises  un  tonneau  et  demi 
d'argent  (  5,000  livres  pesant  d'Angleterre)  pour  les  em- 
ployer aux  besoins  de  l'état.  Il  y  a  beaucoup  de  monastères 
et  de  couvens  5  on  on  compte  quatorze  ,  rien  que  pour  les 


3^4  Amérique 

femmes.  Il  y  a  en  outre  plusieurs  casas  de  exercicio  ,  dans 
lesquels  les  clames  se  mettent  en  retraite  pendant  quinze  à 
vingt  jours,  et  où  elles  observent  des  pratiques  religieuses 
plus  sévères  que  dans  l'intérieur  de  leurs  familles.  lies 
dames  ont  cependant  tant  de  bonnes  qualités,  au  dire  de 
notre  voyageur,  qu'on  serait  tenté  de  croire  que  ces  austé- 
rités volontaires  sont  parfaitement  inutiles  ,  malgré  les 
jupes  de  soie  qui  dessinent  si  bien  leurs  formes  ,  et  qui  les 
serrent  tellement  à  la  cbeville,  que  c'est  avec  peine  qu'elles 
traversent  les  ruisseaux  qui  circulent  dans  ies  rues  ;  et 
malgré  l'usage  des  tapadas  ou  déguisemens  abolis  ,  dans 
ranclenne  Espagne  ,  par  plusieurs  édits  ,  à  cause  des  scan- 
dales et  des  désordres  dont  cet  usage  était  la  source.  Pro- 
bablement nos  lecteurs  seront  un  peu  cboqués  ,  en  appre- 
nant que  ces  dames,  si  belles,  si  aimables,  et  d'une  propreté 
si  rechercbée  qu'elles  prennent  tous  les  jours  un  bain  froid, 
fument,  même  lorsqu'elles  sont  au  tbéâtre  ,  et  paraissent 
avoir  un  goût  décidé  pour  le  tabac. 

La  population  totale  du  Pérou  est  estimée  à  i,4oo,ooo 
anies,  dont  800,000  Indiens.  Celle  de  Lima  est  d'environ 
70,000  âmes  ;  savoir:  25,000  créolesj  <i,5oû  prêtres  sécu- 
liers, moines  ou  religieuses;  i5,ooo  mulâtres  libres  ,  et 
12,000  métis  ou  Indiens.  fiCS  nègres  sont  principalement 
employés  à  la  culture  du  sucre ,  du  café  et  du  cacao  ;  et  les  . 
Indiens  travaillent  en  général  dans  les  mines.  On  assure, 
et  ce  fait,  s'il  est  exact ,  est  bien  extraordinaire ,  que  depuis 
quatorze  ans  il  n'est  pas  tombé  de  pluie  à  Lima ,  et  cepen- 
dant son  territoire  ,  déjà  si  rapproclié  de  Téqualeur ,  con- 
tinue a  produire  quelques-uns  des  plus  beaux  fruits  et  des 
plus  belles  moissons  de  l'univers.  Cette  fécondité  si  remar- 
(luable  s'explique  par  les  brouillards  humides  dont  le  ciel 
est  ordinairement  chargé  ,  pendant  une  partie  considérable 
de  l'année.  Le  meilleur  fruit  qu'on  récolte  dans  le  voisinage 
de  la  capitale  du  Pérou  ,  est  le  cbirimoya  ,   espèce  d'an- 


méridionale.,  5a5 

viona ,  dont  M.  Caldcleug  fait  la  plus  brillante  description 
et  dont  il  compare  la  saveur  à  celle  de  quelques-mies  des 
meilleures  pâtisseries  anglaises. 

En  retournant  à  Yalparaiso,  il  vit  plusieurs  condors 
d'une  énorme  dimension  ,  et  il  en  a  rapporté  un  en  An- 
gleterre. Ce  dernier  s'était  précipité  sur  un  grand  albatros 
que  ses  compagnons  de  voyage  avaient  pris,  et  après  lui 
avoir  percé  un  œil  avec  son  bec,  il  l'avait  entièrement  dé- 
voré ,  car  il  en  avait  même  avalé  les  plumes  et  les  griffes. 
Ces  oiseaux  redoutables  saisissent  et  enlèvent  des  agneaux, 
des  chevreaux ,  et  jusqu'à  des  enlans. 

M.  Caldcleugb  repassa  les  Cordillères  à  la  fin  de  mai, 
par  le  passage  d'Upsalata,  le  seul  qui  soit  praticable  pen- 
dant l'biver.  O'Higgins  y  a  fait  construire  quelques  buttes 
en  briques,  pour  !a  commodité  des  voyageurs.  IVeuf  jours 
après  son  dépai't  de  San-Iago  ,  il  arriva  à  Mendoza ,  sans 
avoir  éprouvé  d'autre  accident  que  la  perte  d'une  mule  qui 
avait  roulé  dans  un  précipice.  Quand  il  fut  daiîs  cette  der- 
nière ville,  il  apprit  que  les  Indiens  ravageaient, les  Pam- 
pas. Il  prit  en  conséquence  la  direction  du  noi-d  ,  et  il  se 
rendit  à  Cordova,  par  \a  pzmia  de  San-Liiis.  Il  fait  un  ta- 
bleau intéressant  de  la  simplicité  des  populations  qui  vivent 
le  long  de  la  base  orientale  des  Andes.  Le  curé  de  Morrode 
San  José  lui  donna  un  souper  excellent,  servi  par  deux 
jolis  enfans.  Sou  presbytère  était  ime  cbétive  cabane  qui 
ne  contenait  qu'une  seule  chambre.  IjC  gazon  en  formait 
le  toit;  la  terre,  le  plancher-,  et  elle  était  fermée  avec  une 
peau.  Une  autre  peau  pour  se  couclier,  deux  chaises,  une 
table  qui,  ayant  perdu  deux  de  ses  pieds,  était  appuvée 
contre  le  mur,  une  terrine  en  cuivre  ,  \\n  vase  à  boire,  en 
corne,  et  un  missel ,  composaient  tout  le  mobilier  du  pauvre 
curé.  Heureux  et  content  de  l'amour  que  lui  portaient  ses 
paroissiens  ,  il  n'avait  aucun  besoin  qu'ils  ne  fussent  dis- 
posés à  satisfaire  ;  unr*  vieille  femme  faisait  bouillir  l'eau 
I.  •.'■). 


526  Amérique  méridionale. 

de  son  matté  ;  une  autre  préparait  son  dîner  ;  une  troi- 
sième, sou  souper.  IjCs  Rieilleures  pièces  de  viande,  les 
meilleurs  grains  et  les  meilleurs  fruits  lui  étaient  réservés  ; 
et  les  muletiers  des  caravanes  lui  laissaient  toujours  un  peu 
Xyerha^  de  vin  et  d'eau-de-vie. 

Cordoue  est  une  ville  bien  bâtie  5  sa  population  est  d'en- 
viron 14,000  âmes  ;  mais  elle  a  beaucoup  soufFert  depuis 
la  révolution  ;  son  commei'ce  a  été  détruit  et  son  territoire 
pillé  par  les  Indiens.  Son  université  ,  jadis  si  florissante ,  est 
aujourtVbui  dans  une  situation  déplorable  j  son  revenu 
actuel  permet  à  peine  d'en  entretenir  les  bdtimens.  Les 
églises,  qui  ont  été  bâties  sous  la  direction  des  jésuites,  sont 
toutes  d'un  excellent  goût ,  et  celle  de  l'université  est  ma- 
gnifique. M.  Caldcleugli  trouva,  dans  les  appartemens  du 
collège  ,  quelques  instrnmens  de  pbvsique  dans  le  plus  mau- 
vais état.  Une  presse,  qu'on  y  avait  antérieurement  décou- 
verte, avait  été  transportée  à  Buenos-Ayres ,  où  elle  avait 
servi  à  imprimer  les  diatribes  et  les  pampblets  politiques 
des  différens  partis  qui  s'y  sont  successivement  emparés  du 
pouvoir. 

Mais  ,  il  faut  l'espérer  ,  ces  malbeurs  ne  se  renouvelle- 
ront pas  ,  et  un  jour  plus  pur  luira  bientôt  sur  le  nouvel  hé- 
misphère. Déjà  le  tems  et  la  mauvaise  fortune  ont  adouci 
l'âpreté  des  haines  de  parti,  et  toutes  les  classes  commen- 
cent à  apprécier  les  bienfaits  d'un  commerce  libre  et  d'une 
justice  impartialement  rendue.  Sans  doute  on  ne  parvien- 
dra pas  tout  de  suite  à  substituer  un  esprit  actif  et  indus- 
trieux ,  aux  habitudes  molles  et  indolentes  qu'une  population 
esclave  ne  peut  pas  manquer  defaii'e  naître.  Mais  cet  heu- 
reux changement  sera  nécessairement  accéléré  par  des  re- 
lations suivies  avec  !a  Grande-Bretagne,  et  surtout  par  l'é- 
tablissement et  les  exemples  d'un  certain  nombre  de  ses 
habilans  dans  les  diverses  contrées  du  continent  américain, 

(  Quartcrl)    Recicw.  ) 


îfOUVEL    ETABLISSEMENT    ANGLAIS   DANS    L  AUSTRALIE  , 
OU    NOUVELLE -HOLLANDE. 


Le  gouverneur  de  la  prcsidence  de  Bombay  a  publié  , 
le  *2i  janvier  iSaS  ,  une  noie  officielle  portant,  qu'en  exé- 
cution des  ordres  du  gouvernement  de  Sa  Majesté  Britan- 
nique,  le  capitaine  Bremer,  commandant  de  la  frégate 
Je  Tamar ,  a  pris  possession  de  la  portion  de  la  côte  sep- 
tentrionale de  la  Nouvelle  -  Hollande ,  ou  Australie,  qui 
est  comprise  entre  les  12g  et  i.55  degrés  de  longitude  orien- 
tale 3  et  quau  port  de  Cochbnrn ,  situé  dans  le  détroit 
d'Apsley .  entre  les  îles  Bathurst  et  Melville,  il  a  établi  une 
colonie  qu'il  a  laissée  sous  les  ordres  d'un  capitaine  -  com- 
mandant (i). 

Le  Tamar ,  qui  fut  expédié  de  la  métropole  en  fé- 
vrier 1824.,  l'elaclia  au  port  Jackson  (  Nouvelle-Galles 
méridionale  )  ,  d'où  il  repartit  le  i[\  août  suivant,  emme- 
nant à  sa  suite  un  détachement  du  S**  régiment  de  ligne  , 
un  grand  nombre  de  condamnés  et  des  munitions  de  tout 
genre. 

Après  avoir  pris  possession,  au  nom  du  roi ,  de  la  por- 
tion du  nouveau  continent ,  oi!i  il  établit  sa  colonie,  le  ca- 
pitaine Bremer  se  rendit  au  port  de  Bombay,  près  du  gou- 
verneur de  cette  présidence. 

(1)  Note  DU  Tr,.  Observons  ici  avec  quel  soin  les  Anglais  clier- 
chcntj  jiar  le  choix  même  de  leurs  colonies,  à  favoriser  les  proJjfrieux 
(Ic'veloppemens  de  leur  puissance  commerciale.  Au  moyen  des  îles 
Bathurst  et  DIcIville ,  ainsi  que  la  nouvelle  colonie  qu'ils  viennent 
(ie  fonder  au  port  de  Cotliburn  ,  ils  doniinciil  l'tiitre'c  du  dc'troit  de 
'i'orres,  et  se  ménagent  des  relations  faciles  avec  Java,  Sumatra,  les 
îles  iN.'oluques,  el  ,  en  gt'ne'ral  ,  avec  tout  l'Ardiipel  des  Indrs  orien- 
tales. 


5si8  Noiwelle  colonie 

Voici  quelques  détails  sur  TexpcMlilion  ,  fournis  par  nti 
journal  de  Bombay. 

«  Après  avoir  quitté  le  port  Jackson  ,  elle  traversa  le 
détroit  de  Torrès  ,  naviguant  entre  la  grande  barrière  à 
bancs  de  corail  et  la  côte;  cette  navigation  était  très-péril- 
leuse, tant  à  cause  des  bancs  de  corail  qui,  en  certains  en- 
droits, laissaient  à  peine  aux  bâtimens  l'espace  nécessaire 
pour  passer  ,  que  par  la  force  extrême  des  vagues  qui  , 
soulevées  par  le  mouvement  du  grand  Océan  Austral ,  ve- 
naient se  briser  contre  ses  bancs  et  contre  les  bâtimens 
eux-mêmes.  Ayant  franchi  ce  détroit,  dont  l'étendue  est  de 
plus  de  280  lieues,  l'expédition  arriva  le  21  septembre  au 
port  d'Essington ,  dans  une  presqu'île  appelée  Cobourg. 
Ce  port  est  un  des  plus  vastes,  des  plus  beaux  et  des  plus 
sûrs  qu'il  y  ait  au  monde;  mais  il  perd  beaucoup  de  son 
prix  ,  par  l'impossibilité  oii  on  a  été  Jusqu'à  présent  d'y 
trouver  de  l'eau  douce. 

»  Le  26 ,  l'expédition  gagna  le  détroit  d'Apsley  ,  où  elle 
prit  possession  des  îles  Batliurst  et  Melville.  Le  37,  on  en- 
vova  de  tous  côtés  pour  faire  de  l'eau,  et^  après  quelques 
recliercbes  ,  l'on  découvrit  une  petite  rivière  ,  dans  luie 
anse,  située  à  deux  lieues  du  point  où  on  avait  jeté  l'ancre. 
Le  site  environnant  étant  élevé  ,  sans  être  trop  couvert  de 
bois,  on  le  jugea  favorable  à  un  établissement,  et  l'on  se  dé- 
cida à  y  placer  le  siège  de  la  colonie.  Les  bâtimens  vinrent 
donc  mouiller  dans  cette  anse,  qu'on  nomma  Ki'ng's-Çoce. 
On  donna  le  nom  de  Barlow  à  la  place  même  où  s'établit  la 
colonie  ,  et,  au  mouillage  ,  celui  de  Port  Cochburn. 

»  On  s'occupa  sur-le-champ  de  construire  un  fort.  Cha- 
cun se  mit  à  l'ouvrage,  et,  le  21  octobre  ,  le  côté  faisant 
face  à  la  mer  et  un  bastion  étant  achevés  ,  on  y  hissa  le 
pavillon  britannique ,  au  bruit  des  pièces  de  canon  qu'on 
y  avait  montées. 

»  Le  fort,  après  avoir  été  achevé,  reçut  le  nom  de  Fort 


établie  en  AuslnUia.  5.2g 

Dundas.  H  est  conslrull  en  bois  fort  dur ,  sa  tonne  est 
carrée  ;  il  a  soixaute-quiiize  pieds  de  long  sur  soixante 
de  large,  et  il  est  entouré  d'un  fossé  de  quinze  pieds  de 
profondeur  et  quinze  de  largeur.  On  y  a  construit  un  petit 
môle  et  des  magasins  pour  les  munitions.  Près  du  fort,  les 
troupes  et  les  condamnés  oat  établi  des  cabanes.  \ 

»  Ce  ne  fut  que  le  aS  octobre  qu'on  eut  occasion  de  voir 
quelques  naturels  du  pays.  On  les  aperçut  en  remontant 
une  petite  rivière  dans  l'île  Bathurst.  Ils  étaient  armés  de 
javelines  ,  qu'à  notre  vue  ils  posèrent  à  terre  en  signe  de 
jjaix..  On  essaya  d'entrer  en  communication  avec  eux,  mais 
ils  ne  voulurent  s'avancer  qu'autant  qu'il  le  fallait  pour 
prendre  un  mouchoir  et  quelques  bagatelles ,  qu'on  leur 
tendit  au  bout  d'une  rame.  Ils  se  retirèrent  en  paraissant 
satisfaits  de  cette  première  rencontre.  Dans  la  soirée 
du  même  jour ,  quelques-uns  descendirent  vers  la  plage , 
comme  pour  reconnaître  la  petite  colonie.  Ils  surprirent 
nos  travailleurs  qui  abattaient  du  bois  et  leur  enlevèrent 
quelques  haches .  dont  ils  semblaient  connaître  l'usaî^e. 
Après  leur  reii-aite  ,  plusieurs  de  nos  gens  firent  une 
course  dans  l'intérieur,  et  parvinrent  à  les  attirer  près  du 
fort  ;  mais  on  ne  put  les  faire  entrer  dans  la  ligne  des 
cabanes.  On  ne  leur  témoigna  aucun  mécontentement  du 
vol  qu'ils  avaient  commis  :  on  leur  donna  même  trois  au- 
tres haches,  qu'ils  emportèrent  dans  le  bois.  Mais,  deux 
jours  après  ,  ils  surprirent  de  nouveau  nos  travailleurs,  el 
leur  prireiit  encore  une  hache  et  une  iaucille.  Alors  on 
leur  lit  entendre  que  leurs  vols  ne  seraient  plus  tolérés  , 
ce  qui  parut  les  mécontenter  beaucoup  et  leur  inspirer  le 
dessein  de  commettre  quelque  acte  d'hostilité.  Depuis  e«i 
jour,  on  ne  les  vit  plus  jusqu'au  5o.  Ils  se  présentèrent 
alors  en  plus  grand  nond)re  el  tentèrent  de  s'emparer  d'un(^ 
de  nos  barques,  qu'on  avait  détachée  pour  faire  de  IVau. 
\}\\  c.q)oral  lira  au-dessus  de  leurs  tètes  j  à  l'instant  ils  lau- 


.)")0  Noui'cllt'  colonie,  établie  en  Australii;. 

cèreut  conlrc  nous  plusieurs  traits,  dontrim  blessa  un  as- 
piraut  de  marine.  Ce  dernier  ayant  distingué  le  chef  de  la 
tronpe  ,  tira  sur  lui  et  Tétendit  mort.  Ils  prirent  sur-le- 
champ  la  fuite,  emmenant  leur  chef,  et  depuis  ce  moment 
aucun  d'eux  n'a  reparu. 

»  Ces  sauvages  sont  au-dessus  de  la  taille  moyenne ,  h\e\\ 
faits  et  d'une  extrême  agilité.  Leur  teint  est  presque  noir , 
et  ils  ont,  pour  la  plupart,  le  corps  tatoué  à  la  manière 
des  sauvages  qu'on  rencontre  partout  ailleurs  5  leurs  che- 
veux sont  durs  sans  être  laineux.  Les  hommes  marchent 
tout-à-fait  nus  ;  les  femmes  portent  une  petite  ceinture  de 
natte,  tressée  avec  de  l'herbe  ou  du  jonc.  Les  armes  dont 
ils  se  servent  sont,  la  javeline,  sorte  de  perche  durcie  au  feu 
qui  a  environ  dix  pieds  de  long,  et  un  bâton  court  qu'ils 
lancent  avec  une  a  Iresse  telle  ,  qu'ils  atteignent  un  oiseau 
perché  à  la  cime  de  l'arbre  le  plus  élevé. 

»  Les  naturels  de  cette  partie  de  la  Nouvelle-Hollande 
ressemblent  à  ceux  de  la  Nouvelle-Galles  méridionale.  Ils 
occupent ,  toutefois  ,  un  degré  supérieur  dans  l'échelle  de 
l'espèce  humaine.  L'idée  d'un  Etre  Suprême  et  d'une  au- 
tre vie,  paraît  leur  être  moins  étrangère  qu'aux  premiers. 
Ou  rencontre,  dans  Fîle  de  Bathurst,  un  tombeau  qui,  par  la 
simplicité  de  sa  forme  et  l'état  soigné  dans  lequel  il  est  tenu, 
ferait  honneur  même  à  un  peuple  civilisé.  Ce  respect  pour 
les  morts  est  fort  rare  chez  les  naturels  de  l'Australie. 

n  Le  sol  de  cette  nouvelle  colonie  ,  autant  qu'on  a  pu 
en  juger,  est  très-fertile  :  on  pourra  y  cultiver  tous  les 
fruits  et  les  arbustes  qui  viennent  dans  les  îles  orientales. 
Les  plantes  apportées  de  Sidney  y  réussissent  très  -  bien  , 
eL,  en  remontant  la  petite  rivière  dont  nous  venons  de  par - 
er,  on  a  aperçu  plusieurs  marais,  où  il  serait  facile  d'éta- 
blir des  rizières. 

n  Les  bois  de  ce  pays  oflrent  des  arbres  d'espèces  très- 
variées.  On  y  remarque  entr'autres  le  ligiiuin  nia' ,  le  pal- 


De  Vcschwage  dans  les  Antilles  anglaises.        53 1 

mier  à  choux  et  le  palmier  à  sagou.  On  eu  distingue  un 
surtout  qui  produit  un  coton  particulier,  dont  on  a  envoyé 
des  échantillons  en  Angleterre. 

»  Les  animaux  qu'on  trouve  dans  le  pays  sont ,  le  kan- 
garou  ,  le  chien  sauvage  ,  le  houdicourt ,  l'apossum  ,  le  rat- 
kangarou  et  l'écureuil  volant.  Les  oiseaux  sont,  le  fai- 
san ,  la  caille  ,  le  perroquet ,  le  pigeon  et  une  sorte  de 
bécassine  ;  quelques  reptiles  du  genre  venimeux  s'y  font 
remarquer  j  ou  y  voit  des  centipèdes  et  des  scorpions. 

»  Le  climat  est ,  h.  tous  égards ,  aussi  hon  qu'aucun  de 
ceux  situés  entre  les  tropiques.  Le  thermomètre  ne  s'élève 
pas  au-delà  de  88"  (  Fahrenheit  ),  même  à  l'heure  du  jour 
oi\  la  chaleur  est  la  plus  forte.  »  (  Asialic  Journal.  ) 


DE  L  ESCLAVAGE  DANS  LES  COLONIES  BRITANNIQUES  DES 
INDES  OCCIDENTALES  ,CO  M  PARE  AVEC  l'eSCLAVAGE 
CHEZ    LES    AUTRES    NATIONS    ANCIENNES    ET   MODERNES. 

Par  J.  Stcphcn  ,  Esq. — Vol.  icr  (i). 


De  tous  les  ouvrages  qui  ont  paru  depuis  peu  sur  cet 
important  sujet,  celui  de  M.  Stephen  est  le  plus  précis  et 

(i)  The  slavery  of  thc  Jiritish  West  India  colonies  dcllncnted , 
as  it  cxists  hoth  in  law  and  practire,  and contpnred  withthc  slavery 
vf  others  cuuntrics  ancient  and  inudern  ,  ]>y  James  Stephen,  Ksii. 
vol.  i" ,  London  ,  Butterworlh  ,   1H24  {*). 

(*)  Note  dks  KnirtURS.  Pour  rnitellii^ciirc  Je  l'article  qu'on  va  lire  ,  il  est  important  de 
savoir  (jue,  le  i5  mai  iSîS,  Bur  la  motion  de  M.  Buxton ,  amendée  par  M.  Canniug  ,  U 
<  haiiibre  <\ei  eommuiic.  adopta  à  l'unanimité  la  résolution  .suivante  : 

••  Art.  i«r.  U  est  urgent  iju'il  suit  adopté  des  mcuircs  e^/r.'cf(V«  pour  améliorer  l.i  eon- 
(liiiiiii  de  la  population  esclave  dans  les  colonies  Britanniipies. 

'.  <.  est  par  rmllucnie  de  pareilles  mesures  exécutées  avec  pprscTéranoe  ,  mai»  d'iuir 


353  D(;  l'tisclai'u^e 

le  plus  recommandable.  L'auleur  n\i  trouve  aucun  adver- 
saire assez  intrépide  pour  contester  les  bases  de  ses  raison- 
uemens.  Les  défenseurs  pruden  s  et  réservés  de  lesclavai^e 
évitent ,  en  effet ,  toute  allusion  à  un  écrit  auquel  ils  ne 
peuvent  opposer  d'objection  sérieuse ,  tandis  que  les  cbam- 
pions  les  plus  ardens  de  la  servitude  domestique  ,  sans 
prétendre  le  réfuter,  bornent  leurs  réponses  à  de  violentes 
déclamations. , 

Quant  à  nous  ,  pour  faire  ressortir  le  mérite  du  livre  de 
M.  Slephen  ,  il  nous  suiïira  de  l'analyser  sommairement, 
avant  de  soumettre  au  lecteur  les  réflexions  que  sa  lecture 
nous  a  inspirées. 

On  suppose  communément  en  Angleterre ,  qu'une  loi 
spéciale  rendue  hors  des  termes  du  droit  commun  ,  a  intro- 
duit et  défini  Tesclavage  des  noirs.  II  n'existe  point  de  loi 
sem])lable  :  nul  colon  r. 'aurait  osé  la  proposer  à  un  sou- 
verain anglais.  L'état  actuel  des  nègres  est  une  création 
des  conquérans  espagnols  et  des  pirates  des  Antilles,  et  les 
Anglais  qui  y  sont  établis  ne  seregai'dent  que  comme  les 
représentaus  des  spoliateurs  primitifs  de  l'Amérique.  Tous 

manière  judicieuse  et  prudente,  que  cette  chambre  espère  qu'un  jour  le  caractère  de  I3 
population  esclave  s'améliorera  au  point  qu'elle  sera  préparée  à  jouir  des  mêmes  droite  et 
privilèges  civils  dont  jouissent  les  autres  sujets  du  roi. 

*»  3.  La  chambre  désire  que  ces  objets  s'accomplissent  à  l'épo(iue  lu  plus  rapprochée  qui 
sera  reconnue  compatible  avec  le  bien-être  des  esclaves  ,  rinlérêt  des  colonies  ,  et  la  con- 
sidération impartiale  des  intérêts  de  toutes  les  parties.  • 

Cependant,  anx  Antilles  anglaises  ,  les  planteurs  se  sont  presqu'insurgés  contre  la  réso- 
lution du  i5  mai  1823  ;  il  paraît  qu'ils  ont  réclamé,  non  sans  amertume,  la  conservation 
de  leurs  privilèges  actuels  ;  leurs  plaintes  ont  été  l'occasion  de  l'ouvrage  de  M.  Slephen  , 
et  de  l'article  ou  plutôt  du  discours  très-remarquable  auquel  cet  ouvrage  sert  de  texte. 

W  est  inutile  de  faire  observer  ici  que  les  auteurs  de  la  Berne  Britannique  ,  n'acceptent  In 
responsabilité  d'aucun  des  articles  qu'ils  y  insèrent  ;  celui-ci  d'ailleurs  est  spécial  aux  Antilles 
anglaises,  à  l'égard  desquelles  le  gouvernement  britannique  ,  avec  ses  possessions  de  l'Inde  , 
de  la  côte  d'Afrique  ,  de  la  Méditerranée,  et  à  l'aide  des  traités  récens  qui  lui  ouvrent  les 
trésors  inépuisables  du  continent  américain,  se  trouve  dans  une  position  telle  ,  qu'il  serait  de 
son  avantage  que  ces  îles  n'existassent  point.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  qu'il  désire  modi- 
fier le  système  qui  régit  ses  colonies.  D'ailleurs,  11  faut  le  reconnaître,  malgré  quelques  nbus 
récens,  le  système  colonial  des  autres  uation.s  européennes,  et  surtout  de  la  France  ,  est 
beaucoup  mnins  rigoureux. 


dii/is  les  jJ  II  tilles  anglaises.  515 

leurs  droits  sont  définis  par  cette  courte  et  terrible  niaxlnie, 
«  Tesclave  est  la  propriété  absolue  de  son  maître.  »  Il  faut 
qu'on  sache  que  cet  odieux  principe  ,  malgré  les  restrictions 
qu'il  a  reçues  dans  un  petit  nombre  de  statuts  récens  ,  est 
encore  la  base  de  toute  notre  législation  dans  les  Indes  oc- 
cidentales; et  que  tons  ces  statuts  ne  sont  que  l'exception 
de  la  règle  générale  dont  ils  supposent  l'existence.  Le 
nègre  n'a  aucune  part  aux  bénéfices  du  droit  commun 
des  Anglais  j  son  maître  peut  légalement  le  traiter  comme 
il  lui  plaît,  excepte  dans  les  points  expressément  réglés 
par  une  disposition  spéciale. 

Après  une  lumineuse  discussion  sur  cette  matière , 
M.  Stephen  examine  la  nature  légale  des  rapports  existons 
entre  le  planteur  et  l'esclave. 

L'esclavage  du  nègre  est  un  service  forcé  et  sans  salaire. 
Dans  certaines  colonies ,  des  réglemeus  illusoires  déter- 
minent le  leras  du  travail  et  la  quantité  de  subsistance  qui 
sera  fournie  en  retour.  En  d'autres  îles,  ces  réformes  no- 
minales n'ont  pas  même  été  proposées,  et  le  planteur  peut 
donner  à  l'esclave  autant  et  aussi  peu  de  nourriture  qu'il 
lui  plaît. 

Mais  partout,  dans  nos  Antilles  ,  il  a  le  droit  de  l'empri- 
sonner et  de  le  faire  battre  de  verges  ,  et,  dans  quelques- 
unes,  il  peut  lui  infliger  ce  châtiment  à  discrétion.  Le 
meilleur  des  statuts  restrictifs  promet  peu,  et  tient  moins 
encore  qu'il  ne  promet.  Les  uns  disposent  que  l'esclave 
ne  sera  pas  livré  au  fouet,  jusqu'à  ce  que  les  blessures, 
dont  une  flagellation  précédente  a  sillonné  son  corps  , 
soient  cicatrisées;  les  autres  ,  qu'il  ne  recevra  en  un  jour 
qu'un  certain  nombre  de  coujis.  Ces  lois  ne  sont  pas  ob- 
servées; mais  elles  pourraient  l'être,  tandis  qu'il  en  est 
d'autres  qui  ajoutent  la  dérision  à  la  cruauté  ;  tel  est  ce 
'statut  qui  porte  textuellement  que  VescUwc  ne  recei>ra. 
qu'un  CERTAIN  nombre  de  coups  à  la  fois  pour  une  mciiic 


354  De  V esclavage 

Jante.  Où  est  la  fixation  tlii  tems  ?  quels  sont  les  juges  de  la 
faute  ?  S'il  plaît  au  maître  de  faire  un  crime  à  resclavo 
d'avoir  le  poil  laineux  ,  où  sera  son  contradicteur  légal  ? 

Le  meurtre  d'un  esclave  est  aujourd'hui ,  il  est  vrai,  un 
crime  capital  ;  mais  le  mode  d'instruction  criminelle,  suivi 
clans  nos  colonies ,   rend  le  châtiment  presqu'impossihle. 
D'ailleurs   les   plus   horribles  mutilations ,    même   celles 
qu'on  punit  de  mort  en  Angleterre ,  commises  sur  sa  per- 
sonne ,  n'entraînent  qu'un  court  emprisonnement  ou  une 
amende.  A  la  Dominique ,  le  maximum  de  l'amende  est  de 
loo  liv.  st.  ;  celui  de  la  détention  est  de  trois  mois.  A  la 
Jamaïque  ,  l'amende  est  la  même  ,  et  !a  détention  ne  peut 
excéder  un  an.  Dans  les  cas  les  plus  atroces,  le  juge  peut 
affranchir  l'esclave.  Cette  mesure  est  un  bienfait  pour  co 
dernier  :  quant  au  maître ,  elle  ajoute  tout  au  plus  quel- 
ques livres  sterling  à  son  amende  ;  souvent  même  elle  lui 
est  profitable  ,  en  le  débarrassant  d'un  instrument  coûteux 
qu'il  a  mis  bors  de  service. 

Si  le  pouvoir  terrible  du  maître  n'était  exercé  que  par 
lui,  la  condition  de  l'esclave,  toute  déplorable  qu'elle  est  , 
éprouverait  quelque  allégement.  A  défaut  d'  humanit('' ,  l'in-- 
térèt  pécuniaire  porterait  le  planteur  à  adoucir  le  sort  de 
ses  nègres,  à  leur  épargner  ces  tortures  que  la  loi  laisse 
toujours  impunies.  En  son  absence  ,  ils  jouiraient  au  moins 
de  quelques  instant  de  sécorilé.  Mais  les' codes  coloniaux 
permettent  à  tous  ses  agens  l'exercice  de  son  autorité  ! — 
Meuble  ou  immeuble  ,  au  gré  du  colon  ,  l'esclave  lui 
appartient ,  corps  et  biens.  Il  peut  être  vendu  ou  légué  ; 
il  peut  être  hypothéqué ,  exproprié  ,  mis  à  l'encan ,  et 
arraché  pour  jamais  ;\  ses  compagnons  d'infortune  et  à  ses 
enfans ,  au  profit  des  créanciers  de  son  maître.  Toutefois 
l'usage  de  battre  monnaie  sur  cette  espèce  de  propriété  , 
favorisé  par  les  lois  coloniales  ,  est  également  fatal  au 
propriétaire  et  à  l'esclave  ;  au  propriétaire  ,  en  l'invitanl  .'i 


daus  hs  Aiitîlles  i:7ng/tiises.  ^35 

risquer,  le  capiu.l  tVaûtrui  dans  le  commerce  du  sucre  aux 
Indes  occidentales  ,  qui  nVst  qu'une  véritable  loterie  ;  ù 
l'esclave ,  en  le  privant  du  droit  d'être  affranchi ,  et  en 
Tencliaînant  au  travail ,  tandis  que  le  propriétaire,  sachant 
(ju'il  ne  peut  le  garder  longtems ,  cherche  à  utiliser  ses 
sueurs  le  plus  qu'il  peut,  mais  au  moindre  marché  possible. 
Tels  sont  les  rapports  légaux  du  nègre  à  son  maître  ; 
voici  quels  sont  ses  rapports  aA'ec  les  personnes  libres  en 
général. 

Il  ne  peut  ni  ester  en  jugement,  ni  se  porter  dénoncia- 
teur ou  poursuivaut  contre  une  personne  de  condition 
lihre.  Il  est  protégé  comme  l'est  chez  nous  une  béte  de 
somme.  Son  maître  ne  peut  que  poursuivre  eu  dommages- 
intérêts  celui  qui  l'a  privé  du  produit  de  ses  services  ,  et 
seulement  h  raison  de  la  perte  qu'il  en  souffre.  lies  crimes  , 
considérés  comme  les  plus  atroces  s'ils  sont  commis  sur 
un  blanc  ,  restent  impunis  si  c'est  un  nègre  qui  en  est  la 
victime.  Par  exemple,  kii  voler  un  objet ,  n'est  pas  même 
une  chose  blâmable  aux  yeux  de  législateurs  qui  le  consi- 
dèrent comme  la  propriété  du  maître  ,  pour  qu'il  en  soit 
opprimé  ,  et  non  pour  qu'il  en  soit  protégé  ;  cependant  , 
(juelques  statuts  restrictiis  punissent  ce  vol  d'une  amende 
qui  ne  peut  excéder  5  livres  st.  ,  s'il  est  commis  sur  un 
grand  chemin. 

Ce  n'est  pas  tout  :  le  droit  de  la  défense  peisonnelle  est 
dénié  à  l'esclavej  s'il  l'exerce  contre  un  blanc,  qui  n'aurait 
même  aucune  autorité  sur  lui,  il  sera  puni  de  mort. 

Autre  abus  non  moins  révoltant  :  le  témoignage  du 
nègre  contre  un  blanc  est  inadmissible  dans  tous  les  tribu- 
naux civils  ou  criminels  ,  et  cette  règle  n'a  été  légèrcnu'ul 
modifiée  que  dans  quelques  petites  îles.  Aussi  n'est-il  [)oint 
de  crimes  qu'on  ne  puisse  commettre  sans  danger  ,  eu  des 
contrées  dont  un  seul  habitant  sur  dix  peut  être  entendu 
vonune  téuujiu.    Le  gouvernement  a  smunis  !a  répression 


s.") 6  Da  l'eiclaçage 

de  cel  alnis  à  l'examen  des  assemblées  coloniales.  Celle  de 
la  Jamaïque  a  voté  son  maliuien  à  la  majorité  de  trente- 
quatre  contre  un.  Même  décision  a  été  prise  à  la  Barbade. 
Partout  on  a  motivé  le  rejet  des  mesures  proposées  ,  en 
disant  que  les  nègres  ne  sentent  pas  la  force  d'un  serment. 
Mais  comment  les  législateurs  de  la  Jamaïque  ont -ils  pu 
donner  une  pareille  raison  ,  eux  qui  punissent  de  la  même 
peine  que  Tesclave  condamné  et  exécuté  ,  le  nègre  qui  s'est 
rendu  coupable  de  parjure  en  déposant  contre  lui  ?  S'il  ne 
sent  pas  la  force  d'un  serment,  comment  se  fait -il  qu'il 
soit  produit  comme  témoin  contre  une  créature  liumaine, 
et  puni  de  mort ,  en  certain  cas  ,  pour  un  délit  qui  n'ex- 
pose qu'à  la  déportation  ses  maîtres  plus  éclairés  que  lui  ? 
iS'il  possède  la  dose  d'intelligence  exigée  de  tout  témoin  \ 
pourquoi  ne  peul-il  déposer  contre  un  Européen  ? 

Poursuivons  :  l'esclave  privé  de  la  protection  des  lois  est 
soumis  à  toutes  leurs  rigueurs.  Assujéli  aux  dispositions 
pénales  ordinaires  ,  il  gémit  encore  sous  un  code  injuste  et 
cruel  rédigé  contre  lui.  S'il  veut  fuir  de  la  colonie,  Il  est 
mis  à  mort  5  un  cbàtiment  sévère  lui  est  réservé  pour  des 
actions  Innocentes  en  elles-mêmes  j  comme  si ,  sans  la  per- 
mission écrite  du  planteur  ,  il  dépasse  les  bornes  de  l'ba- 
bitation,  s'il  achète  ou  vend  quelqu'objet  en  plein  marché  , 
s'il  cueille  cerlalns  fruits,  s'il  possède  certains  articles  de 
consommation  ;  la  permission  écrite  du  maître  ne  l'excuse 
même  pas  dans  quelques  îles.  Il  est  puni  de  verges  pour 
avoir  battu  du  tambour  ,  donné  du  cor,  danse  ,  joué  à  la 
palette  ,  tiré  des  fusées  ou  quelque  autre  pièce  d'artifice. 

Qu'on  juge,  par  ces  traits,  de  la  pitié  qu'il  a  droit  d'at- 
tendre s'il  se  rend  coupable  de  délits  réels?  Les  lois  pro- 
diguent le  dernier  supplice  pour  des  faits  qu'un  blanc  peut 
commettre  impunément,  ou  du  moins  sans  encourir  d'autre 
peine  que  remprisounemcnt  :  tes^s  sont  le  vol,  ou  la  tenta- 
tive de  vol ,  ne  fùl*ce  que  pour  uno  valeur  de  12  deniers  ,  la 


dciri'i  h'S  Afdîlhs  (tnghn'si-s.  55*7 

mort  (Vuiî  animal  de  la  valeur  de  6  shillings,  des  expres- 
sions peu  mesurées  ,  des  menaces,  etc. ,  etc.  Non-seulement 
le  complot,  mais  la  simple  idée  de  tuer  un  blanc  ,  est  con- 
sidérée coriime  un  crime  capital. 

Tel  est  le  code  pénal  des  esclaves.  La  procédure  suivie 
contre  eux  est  plus  déplorable  encore.  Un  seul  juge  instruit 
et  décide  les  affaires  où  leur  vie  n'est  point  compromise  ; 
dans  les  autres  ,  on  en  convoque  plusieurs.  Quelque- 
fois on  rassemble  un  simulacre  de  jury  j  mais  point  d'in- 
formation préalable  devant  un  grand  jury  (i) ,  point  d'acte 
d'accusation.  Dans  plusieurs  îles  il  n'y  a  pas  même  de 
procès-verbal  de  débats  ;  dans  d'aulies ,  l'exécution  doit 
suivre  immédiatement  le  jugement.  Il  suffit  aujourd'hui 
que  l'esclave  soit  mis  à  mort.  Auparavant  on  lui  infligeait 
quelquefois  ce  que  les  codes  coloniaux  appellent  une  puni- 
tion exemplaire.  Elle  consistait  à  ie  brûler  vif,  à  le  sus- 
pendre à  des  barreaux  de  fer ,  pour  l'y  faire  mourir  de 
soif,  à  le  faire  mourir  de  faim  dans  une  cage.  Ces  sup- 
plices étaient  réservés  communément  pour  ceux  qui  avaient 
cédé  à  la  tentation  diabolique  de  s'insurger  contre  le  juste 
et  paternel  gouvernement  dont  nous  venons  de  tracer  le 
tableau. 

Dans  nos  colonies,  Fesclavage  est  héréditaire  ;  les  lois 
mêmes  tendent  à  le  perpétuer,  malgré  les  désirs  du  maître  : 
dans  quelques  îles  ,  en  imposant  une  taxe  sur  les  afifranchis- 
semens  ;  dans  toutes  ,  eu  encourageant  l'hypothèque  des 
noirs. 

Un  des  maux  les  plus  cruels  attacîiés  à  l'esclavage  dans 
nos  Antilles,  c'est  qu'il  ne  l'rappe  que  sur  les  noirs  et  sur 
les  hommes  de  couleur.  Les  particularités  physiques  qui 
distinguent  la  race  africaine  ,  sont  considérées,  par  les  co- 
lons ,  comme  la  livrée  éternelle  de  la  plus  abjecte  servi- 

(i)lSoT'îDU  Tr.  Le  grand  jury  est  ce  quVtait  en  l'rance,  il  y  a 
quelque»  années,  le  jury  d'accusation. 


538  De  l'esckwagc 

lude.  Il  suit  de  là  que  les  noirs  et  les  mulâtres  ,  libres  , 
iraînaot  partout  avec  eux  le  poids  d'une  incapacité  légale, 
et  la  fatale  expérience  des  mépris  dont  on  les  a  abreuvés  , 
n'attaclient  de  prix  à  leur  sort  actuel  qu  en  le  comparant  à 
riiorrible  condition  qu'il  a  remplacé.  Ainsi ,  par  exemple, 
un  principe  reçu  dans  les  Indes  occidentales  ,  est  que  tout 
nègre  ou  mulâtre  doit  être  considéré  comme  esclave  jus- 
qu'à pi-euve  authentique  du  contraire.  "Vainement  il  prou- 
verait par  la  notoriété  publique  qu  il  est  entré  et  qu'il  a 
toujours  vécu  libre  dans  la  colonie  ,  et  qu'il  a  résidé  vingt 
ans  en  Angleterre ,  qu'il  est  citoyen  d'Haïti  ou  de  Co- 
lombie ,  s'il  ne  produisait  un  acte  matériel  d'affranchisse- 
ment ,  il  serait  veudu  à  l'encan  ! 

Nous  n'avons  pas  suivi  l'auteur  ilaus  ses  digressions  sur 
l'état  déplorable  de  la  législation  ,  relativement  à  l'instruc- 
tion religieuse.  Le  mal  a  été  généralement  reconnu  ,  et  on 
a  cherché  à  y  porter  remède,  en  créant  dans  nos  colonies 
des  établissemens  ecclésiastiques.  Cette  mesure  est  bonne  ; 
mais  elle  sera  inutile  ,  nous  en  sommes  convaincus  ;  si  on 
ne  ia  combine  avec  d'autres  réformes.  L'immoralité  et 
Virréligion  des  esclaves  ,  sont  les  conséquences  nécessaires 
de  leur  dégradation  civile  et  politique.  Les  lois  ne  les  con- 
.sldèrent  pas  comme  des  créatures  humaines  ^  en  effet,  sous 
<:ertains  rapports,  ils  sont  hors  de  Thunianilé  :  il  faut  qu'ils 
deviennent  hommes  avant  de  devenir  chrétiens.  On  a  vu 
parmi  eux  des  conversions  isolées  j  mais  vouloir  les  con- 
vertir en  mosse,  ce  serait  tenter  l'impossible.  Un  prédica- 
teur peut-il  exhorter  ses  auditeurs  à  remplir  strictement 
leui-s  devoirs  de  famille  ,  dans  un  pays  où  l'homme  et  la 
femme  peuvent  être  séparés  pour  toujours  ,  au  gré  du 
maître  ou  des  tribunaux  ?  Peut-il  leur  persuader  de  consa- 
crer le  dimanche  au  repos  et  à  la  prière,  tandis  que  ce  jour- 
là  est  précisémeiit  un  jour  de  marché  ? 

La  masse  des  colons  s'oppose  ,  avec  raison  ,  à  i'iastruc- 


dans  les  Antilles  un  glaises,  SSq 

jîon  religiGuse  du  nègre.  Elle  sait ,  quoi  qu'on  tllsont  ses 
imprudens  amis  iVAnglclerre  ,  que  la  religion  du  Clirisl  et 
Tesclavage  ne  sauraient  long  tems  subsister  ensemble.  Iju 
révolte  des  noirs  serait  sans  doute  un  ïnalbeur  eflroyable. 
Mais  il  sera  éternellement  vrai  ,  et  l'histoire  de  tous  les 
pays  nous  enseigne  que  partout ,  et  dans  tous  les  lènis,  des 
([ue  l'esprit  du  christianisme  a  prévalu  ,  iLa  inspiré  la  iiaine 
de  l'oppression  et  l'amour  de  la  liberté.  Son  effet  serait  le 
même  dans  les  Antilles  anglaises.  Les  colons  l'ont  bien 
senti  ,  et  nous  sommes  convaincus  qu'ils  ne  souffriront  ja- 
mais qu'une  instruction  religieuse  ,  sans  restriction  ,  soit 
donnée  aux  esclaves  (i). 

Depuis  quelques  années,  nos  Antilles  ont  un  clergé  ;  qu'a- 
t-il  fait  pour  les  nègres?  En  quoi  a-l-il  contribué  à  leur 
l)ien-etre  spirituel  ou  temporel?  11  y  a  pourtant  dans  son 
sein  plusieurs  hommes  respectables.  Mais  u'est-il  pas  no- 
toire que  les  bénéfices,  dans  les  colonies,  ont  été  souvent 
donnés  à  des  gens  qui  étaient  le  rebut  de  la  société  an- 
glaise ? 

liCS  nouveaux  établissemens,  nous  dit-on,  sont  meilleurs 


(0  Note  du  Tr.  «Hier,  «lit  le  Courrier  anglais  du  i{\u\n, 
M.  Fawcl  Biixton  a  fail  à  la  chambre  des  communes  une  motion  au 
sujet  de  M.  Shrewsbury ,  missionnaire  de  la  société'  africaine,  dont  l.i 
vie  a  été'  mcnacc'e  et  la  chapelle  détruite,  en  1828 ,  à  la  lîarbadc ,  par 
les  planteurs  auxquels  il  avait  déplu  en  adressant  en  Angleterre  une 
lettre  dans  laquelle  il  faisait  le  tableau  de  la  position  des  esclaves. 
M.  Shrewsbury  ,  après  s'être  échappé  de  l'ile  ,  porta  plainte  et  demanda 
justice;  mais  les  principaux  colons  firent  circuler  un  écrit  dans  lequel 
ils  déclarèrent  qu'ils  se  vengeraient  de  tous  ceux  qui  déposeraient  .'i 
charge  dans  cette  affaire  ,  et  qu'il  serait  impossible  de  faire  condamner 
les  coupables. 

»  M.  Buxion  demandait  que  la  chambre  manifestât  son  élonncment 
d'une  vi(dation  aussi  scandaleuse  des  lois  ,  et  suppliât  S.  M.  d'ordonner 
la  reconstruction  de  la  chappollc,  etc.  M.  Canning  a  fait  substituer 
dans  le  texte  de  la  motion  qui  a  été  adoptée,  le  mol  indiguatUm  au 
mol  t'ionncmcnt.  » 


54©  De  Vcsclaçiage 

que  les  anciens  ;  el  en  quoi?  le  danger  du  séjour  aux  îles 
n'esl-il  pas  pour  les  nns  ce  qu'il  a  été  pour  les  autres"? 
Nos  îles  ont  leurs  évèques  ;  mais  lorsque  nous  vei'rons  que 
de  ce  côté  de  l'Atlantique ,  les  évêques  ont  sur  les  âmes 
une  influence  plus  efficace  que  le  reste  du  clergé  ,  nous 
pourrons  espérer  qu'il  en  sera  de  même  dans  l'autre  hé- 
misphère. 

Nos  réformateurs  ont  commencé  par  où  ils  devaient 
finir,  et  Dieu  ,  dit  M.  Hooker  ,  qui  certes  n'est  point  un 
ennemi  de  l'épiscopal.  Dieu  donna  à  l'homme  la  vie  et  des 
forces  pour  la  conserver,  avant  de  lui  imposer  des  lois.  » 
Notre  gouvernement  aurait  dû  imiter  l'exemple  offert  par 
l'éternelle  sagesse  ,  et  assurer  la  sécurité  de  l'esclave , 
avant  de  lui  envoyer  des  évéques  ,  des  archidiacres  ,  des 
chanceliers  et  des  chapitres. 

Le  livre  de  M.  Stephen  a  fait  justice  des  principaux  argu- 
mens  employés  par  les  défenseurs  de  notre  système  colonial. 
Tl  en  est  d'autres  qui  ne  mériteraient  pas  même  une  réponse. 
Ainsi  quand  on  leur  cite  quelques  exemples  de  l'oppression 
exercée  sur  les  noirs ,  ils  s'écrient  :  «  Ce  sont  là  des  cas 
«  individuels  ;  on  ne  peut  on  tirer  des  conclusions  géné- 
«  raies.  Que  diriez-vous  si  nous  hasions  notre  estime  pour 
»  la  société  anglaise  ,  sur  dfs  rapports  de  police  ou  sur  le 
j)  calendrier  de  Newgate  (  i  )  ^  Ne  confondez  pas  l'exception 
»  avec  la  règle.  »  La  règle  ,  nous  l'avons  montrée  dans 
la  consécration  légale  d'actions  qu'on  punirait  ailleurs 
comn\e  des  crimes ,  dans  rimpunlté  universellement  ac- 
cordée à  des  atrocités  dont  les  greffes  de  nos  assises  n'offrent 
pas  d'exemple,  et  quon  laisse  exercer  en  plein  marché  sur 
des  individus  qui  n  ont  été  ni  jugés,  ni  condamnés.  Qu'on 
nous  montre  l'exception  ! 

On  ajoute  :  «La  métropole  n'a-l-elle  pas  aussi  ses  crimes?» 

(i)  Note  mi  Ti\.  ^^aison  de  dclcnllon  qui  existe  à  LoiiJics  pour 
l<'S  condamnés. 


dans  les  Anîilles  anglaises.  Dji 

Oui,  sans  doute 5  sous  les  systèmes  les  plus  sages,  dans 
les  teins  les  plus  heureux ,  les  passions  de  riiomme  le  por. 
tent  au  mal.  La  police  la  plus  vigilante,  les  tribunaux,  les 
plus  rigides,  le  Codé  le  plus  sévère,  répriment  faiblement 
la  cupidité  et  Fesprit  de  vengeance.  Que  sera-ce  donc  si  ces 
barrières  sont  renversées?  En  Angleterre,  la  loi  assigne' sa 
'  peine  à  chaque  délit.  Si  le  premier  prince  du  sang  traitait 
le  plus  pauvre  habitant  de  la  rue  Saiut-Gilles ,  comme  le 
meilleur  de  nos  codes  coloniaux  permet  au  maître  de 
traiter  sou  esclave,  il  A'audrait  mieux  pour  lui  qu'il  ne  fût 
pas  né.  Ici  cependant  il  existe  des  abus  de  pouvoir  5  ici  les 
magistrats  qui  ne  redoutent  pas  la  censure  de  la  cour  da 
banc  du  roi  (1),  commettent  quelquefois  des  actes  injustes 
et  arbitraires  j  ici  des  pareus  peuvent  torturer,  égorger 
l'être  sans  défense  qui  leur  doit  la  vie  !  ]N'est-il  pas  évident 
que  là  où  il  y  a  moins  de  répression",  il  doit  y  avoir  plus 
de  cruauté? 

ce  Des  mœurs  nationales  et  Topinion  publique,  nous  dit- 
on  encore,  produisent  plus  de  bien  que  les  lois  écrites. 
Celles  des  Antilles  anglaises  sont,  en  théorie,  cruelles  et 
Injustes  sitr  plusieurs  points  j  mais  l'humanité  des  colons 
adoucit  ce  que  leur  système  a  d'acerbe.  )> 

Nous  répondrons  que  l'opinion  publique,  destinée  à  prê- 
ter aux  lois  son  appui ,  a  été  et  sera  toujours  pour  elles  un 
pitoyable  et  mutile  remplaçant.  La  règle  de  ses  jugemens 
est  défectueuse.  Trop  souvent  ses  décisions,  dictées  parle 
caprice  ,  absolvent  le  coupable  et  condamnent  l'innocent  • 
si  les  cœurs  généreux  et  sensibles  les  redoutent ,  elles  sont 
foulées  aux  pieds  par  ceux  dont  la  perversité  obstinée  a 
besoin  d'une  répression  plus  sévère.  Ainsi ,  lorsque  l'opi- 
nion publique  n'est  point  fortifiée  par  des  lois  positives,  on 
commence  par  la  braver  et  ou  finit   par  la  corrompre. 

(i)  Note  du  Tk.  Cctlc  rour  juge,  tous  les  cas  d'abus. 


34'-i  -^e  l'esclat^age 

Faible  tl'abord  ,  sinon  impuissante,  contre  le  crime,  elle 
en  devient  enfin  le  plus  terrible  auxiliaire. 

L'opinion  est  surtout  inefficace  contre  les  maux  qui  ré- 
sultent de  Tesclavage ,  et  voilà  pourquoi  celle  des  es- 
claves n'est  comptée  pour  rien.  Le  désir  que  nous  éprou- 
vons d'obtenir  l'approbation  d'autrui,  la  crainte  de  sa 
censure,  ne  sont  pas  des  sentimens  innés  et  universels  : 
ils  prennent  toujours  leur  source  dans  l'intérêt  personnel. 
Ainsi  la  bienveillance  des  classes  populaires  n'est  recherchée 
que  dans  les  pays  où  elles  possèdent  des  privilèges  politi- 
ques. Ij'importauce  de  leur  opinion  est  proportionnée  à 
l'étendue  de  leurs  droits  légaux.  Mais  un  bouvier  de  Smith 
field  attache- t-il  du  prix  à  l'amour  ou  à  la  haine  de  ses 
bestiaux?  Eh  bien!  depuis  le  bill  de  M.  Martin  (i),  les 
bœufs  sont  protégés  à  peu  près  commCiles  noirs  de  nos  îles. 

L'opinion  qui  défend  les  esclaves  de  l'oppression  de  la 
caste  privilégiée,  est  celle  de  cette  caste  même.  Elle  a  sur 
eux  un  pouvoir  immense,  à  peine  modéré  par  les  lois,  et 
ou  nous  persuaderait  que  les  sentimens  généreux  de  ceux 
qui  participent  à  ce  pouvoir ,  et  qui  sont  livrés  à  son  en- 
traînement,  suppléeront  à  toute  mesure  répressive.'  Cette 
raison  peut  être  bonne  à  Kingston  (  Jamaïque  ");  mais  nous 
doutons  qu'elle  soit  goiitée  à  Westminster. 

Les  blancs  de  nos  Antilles  ne  sont  ni  plus  cruels,  ni  plus 
sensuels  que  nous-mêmes  ;  mais  ils  sont  hommes ,  et  ils 
voudraient  être  considérés  comme  des  anges  !  «  Ne  vivons- 
»  nous  pas  au  milieu  de  vous?  nous  disent-ils  complaisam- 
»  ment.  Ne  participons-nous  pas  à  vos  travaux  et  à  vos 
»  plaisirs,  le  matin  à  la  Bourse,  le  soir  dans  vos  bals? 
«  TS'avons-nous  pas  des  manières  polies,  et  d'excellens 
w  cuisiniers?  Ne  sommes-nous  pas  bons  amis,  négoclans, 

(i)NoTE  bU  iR.  On  sait  (jue  M.  Martin  a  fait  adojiler ,  par  le 
Parlement  anglais,  un  bill  contre  le»  mauvais  trailcmcns  auxquels  les 
animaux  domestiques  sont  eupose's. 


dans  les  Antilles  anglaises.  5^?} 

»  hoiuiôles,  bîenraiteurs  généreux?  Nos  noms  ne  figurent - 
»  ils  pas  dans  vos  souscriplions  de  charité?  Croyez-vous 
»  que  nous  devenions  des  monstres  en  traversant  l'Atlan- 
»  tique?  » 

Nous  répondrons  :  Vous  êtes  hommes  comme  nous  ;  vous 
avez  vos  passions,  mais  avec  moins  de  moyens  de  les 
réprimer  j  vos  délits  peuvent  donc  cire  plus  graves.  liCs 
souverains  despotiques  ont-ils  un  cœur  plus  dur  que  leurs 
sujets?  Sont-ils  inaccessibles  aux  passions  généreuses ,  aux 
charmes  de  l'amitié?  le  supposer  serait  un  blasphème.  Il 
en  est  un  grand  nombre  qui  se  sont  élevés  au  sublime  de 
la  magnanimité  et  de  rhéroïsme  5  plusieurs  dont  le  gou- 
vernement, consacré  au  bonheur  public,  a  été  un  modèle 
de  sagesse;  mais  il  en  est  peu  qui  n'aient  point  terni  leur 
vie  par  quelque  acte  de  cruauté ,  dont  ils  se  seraient 
épargné  le  remords  s'ils  s'étaient  imposé  le  joug  salutaire 
des  lois.  Henri  VIII;  simple  citoyen,  aurait  battu  sa  femme  j 
il  était  roi,  il  l'envoya  à  Téchafaud.  Ses  passions  n'étaient 
pas  plus  brutales  que  celles  de  ses  sujets;  mais  nul  frein  ne 
les  retenait.  On  vante  la  piété  et  la  magnanimité  de  Théo- 
dose,  et  ce  prince,  dans  un  moment  d'humeur,  fît 
massacrer  plus  d  individus  iniiocens  que  tous  les  brigands 
de  l'Europe  n'en  ont  assassiné  en  un  demi-siècle.  Tel  est  lai 
maître  dans  les  colonies.  Il  est  bon,,  mais  sa  passion  l'en- 
traîne. H  donne  un  ordre  qui  n'est  point  ou  qui  est  mal 
exécuté  :  en  Angleterre,  il  s'emporterait  d'abord  et  s'apai- 
serait ensuite:  dans  n,os  Antilles  la  loi  l'autorise  à  fustieer 
sévèrement  le  coupable;  est-ce  une  calomnie  que  de  sup- 
poser qu'il  profilera  quelquefois  de  la  permission.''  Être 
humain  en  Angleterre  ne  prouve  donc  pas  qu'on  le  sera 
aux  Indes. 

Les  colons  veulent-ils  nous  convaincre  que  leur  conduite 
est  inspirée  par  l'humanité?  qu'ils  introduisent  l'iiumanité 
dans  leurs  lois.    En  vérité,    nous  ne  pouvons  comprendre 


544  ^^  l'escltwage 

qu'ils  tienaent  si  opiniâtrement  à  un  pouvoir  qu'ils  n'ont 
pas  les  moyens  d'exercer.  Si  leurs  privilèges  oppressifs  n'ont 
rien  de  réel  dans  la  pratique,  qu'ils  y  renoncent,  et  la 
calonanie  se  taira  pour  toujours.  Qu'ils  cèdent  pour  leur 
honneur  aux  vœux  du  peuple  anglais.  Leur  demauder  l'a- 
brogation de  lois  en  désuétude ,  la  répression  de  crimes 
imaginaires,  est-ce  trop  exiger  d'eux  en  retour  de  la  prime 
annuelle  de  1,200,000 1.  que  le  gouvernement  leur  accorde 
au  détriment  des  fabricans  anglais  et  des  planteurs  de  l'In- 
dostan ,  en  retour  des  charges  qu'il  s'impose  pour  entre- 
tenir, dans  ses  possessions  des  Antilles ,  une  armée  qui  n'a 
d'autre  objet  que  de  sauver  d'une  ruine  inévitable  la  vie  et 
les  possessions  des  colons. 

Chaque  pays,  on  le  répète,  a  ses  vices  et  ses  crimes 
particuliers;  mais  lorsqu'un  peuple  ne  fait  rien  pour  les 
prévenir,  il  en  devient  le  complice.  La  punition  d'un 
forfait  ne  frappe  que  le  coupable,*  sou  impunité  est  une 
tache  pour  la  société  entière;  or,  c'est  uniquement  sur  l'im- 
punité des  crimes  commis  chez  les  colons  que  porte  notre 
accusation.  Faut-il  justifier  nos  observations  par  des  exem- 
ples? nous  en  citerons  deux,  l'un  puisé  dans  le  calendrier 
de  New^gale,  et  l'autre  dans  les  annales  de  nos  Antilles. 

M.  Wall,  étant  gouverneur  à  Corée,  fit  battre  de  ver- 
ges ,  au  point  de  le  tuer  sur  place ,  un  individu  qui  avait 
méconnu  son  autorité.  A  son  retour  en  Angleterre  il  fut 
poursuivi  comme  meurtrier;  il  s'échappa ,  et  il  séjourna 
vingt  ans  sur  le  continent^  mais  pendant  vingt  ans  l'hor- 
reur de  son  crime  resta  gravée  dans  le  cœur  des  Anglais. 
Errant  de  ville  en  ville,  sous  des  noms  supposés  et  sous 
divers  déguisemeus ,  l'œil  de  la  justice  le  suivait  partout; 
il  crut  enfin  qu'il  pouvait  sans  danger  rentrer  dans  son 
paYS;  mais  il  fut  mis  eu  jugement,  condamné  à  mort  et 
exécuté  aux  acclamations  d'une  multitude  innombrable. 

Edouard  Huggins,  de  Nevis,  fit  fustiger,  il  y  a  quatre 


I 

dans  les  Antilles  anglaises.  545 

ans,  sur  la  place  du  marché,  vingt  esclaves  avec  tant  de 
cruauté,  qu'un  d'eux  en  mourut  et  que  les  autres  en  furent 
estropiés  pour  la  vie.  Poursuivi  par  l'officier  delà  couronne 
(  le  ministère  public  )  pour  avoir  enfreint  la  loi  locale,  qui 
assigne  des  box'nes  à  ce  châtiment ,  il  s'était  avoué  cou- 
pable, et  cependant  on  le  renvoya  absous.  Ce  n'est  pas 
tout  :  quelques  membres  de  l'assemblée  coloniale  en  furent 
exclus  lors  de  l'élection  suivante,  pour  avoir  déposé  contre 
lui.  On  punit  un  imprimeur,  comme  llbelliste,  pour  avoir 
publié  le  bulletin  officiel  des  débats  que  l'autorité  lui  avait 
transmis.  Eu  un  mot,  Huggins  fut  considéré  connne  un 
martyr  de  la  cause  commune,  et  il  acquit  dans  sa  caste 
une  influence  et  une  popularité  extrêmes,  tandis  qu'un 
citoyen,  aussi  sage  qu'éclairé,  M.  Tobin.,  qui  avait  appelé 
l'attention  du  gouvernement  sur  un  si  affreux  scandale  ,  fut 
calomnié  et  persécuté. 

Certainement  Wall  et  Huggins  se  sont  montrés  également 
cruels;  mais  le  crime  de  Wall  n'a  influé  en  rien  sur  le 
caractère  du  peuple  anglais,  tandis  que  celui  de  Huggins  a 
fait  le  plus  grand  tort  à  celui  des  habltans  de  Nevis,  qui 
en  ont  assumé  sur  leur  tète  toute  la  responsabilité  morale. 
En  vain  les  avocats  de  l'esclavage  traitent  ces  récits  de 
contes  absurdes.  Le  peuple  en  garde  au  fond  du  cœur  le 
souvenir  impérissable. 

Voici  la  vérité  :  les  mauvaises  lois  et  les  mauvaises 
mœurs  ont  donné  aux  blancs,  dans  nos  colonies,  un  carac- 
tère despotique  en  effaçant  celui  qu'ils  avaient  dans  la  mère 
patrie.  Ce  despotisme  se  distingue  par  l'emportement  et  le 
mépris  avec  lequel  les  colons  reçoivent  les  ordres  ,  et  même 
les  simples  conseils  qui  leur  viennent  de  l.'i  métropole.  La 
Compagnie  des  Indes  orientales  s'esl-elle  conduite  ainsi 
lorsque  le  parlement  a  restreint  son  pouvoir  territorial  et 
son 'monopole  7  Les  puissances  étraugères  nous  trailenl- 
elles  de  cette  manière?  Les  conseils  quo  nous  avons  donnes 


346  De  l*L'Sclaçage 

aux  principaux  souverains  du  coulineut  ont  été  méconnus', 
éludés;  mais  quel  est  celui  d'entr'eux  qui  a  insulté  notre 
gouvernement  et  notre  nation  7  L'outrage  n'est  venu  que 
de  ces  hommes  qui  doivent  leur  fortune  à  nos  bienfaits ,  et 
leur  vie  à  nos  troupes.  Aux  avis  les  plus  doux  ,  les  plus  mo- 
dérés ,  qui  leur. ont  été  donnés,  même  par  des  planteurs 
très-respectables  qui  résident  en  Angleterre,  ils  n'ont  ré- 
pondu que  par  des  calomnies  et  des  injures.  Si  la  Société 
contre  l'esclavage  se  bornait  à  publier  un  recueil  sans  com- 
mentaire des  articles  capitaux  que  renferment  cinq  ou  six 
numéros  de  la  gazette  de  la  Jamaïque,  elle  aurait  trouvé  le 
meilleur  moyen  de  faire  connaître  ses  adversaires.  Celte  col- 
lection révélerait  à  la  nation  le  véritable  caractère  de  ces 
hommes  qui  ont  bauni  Salisbuiy ,  conduit  Smith  au  tom- 
beau,  et  déchiré  ie  cœur  honnête  de  Ramsay. 

Il  est  remarquable  que  les  défenseurs  les  plus  ardens  dé 
,  rcsclavage  sont  pour  la  plupart  sans  intérêt  dans  la  ques- 
tion; si  nos  colonies  étaient  ruinées,  ia  perte  tomberait  non 
sur  les  teneurs  de  livres  et  autres  employés  subalternes  qui 
composent  les  cercles  de  la  Jamaïque,  mais  sur  les  Ellis , 
les  Hibbert,  les  Manning,  les  hommes  les  plus  respectables 
et  les  plus  éclairés  du  pays.  On  pardonnerait  à  ces  der- 
niers un  langage  Tiolcnl,  si  en  effet  il  était  excusable;  mais 
ils  se  sont  conduits,  sinon  comme  nous  l'aurions  désiré, 
du  moins  comrne  des  hommes  sensibles  et  raisonnables  de- 
vaient le  fiiire.  Pourquoi  cela?  parce  qu'ils  vivent  au 
milieu  de  nous ,  et  qu'ils  ont  le  cœur  anglais.  Qu'on  ne  s'y 
trompe  pas;  le  cri  qui  retenlitdans  nos  AntlUes  est  poussé 
par  des  gens  qui  tremblent  moins  pour  leur  propriété  que 
pour  les  privilèges  de  leur  caste.  C'est  pour  lui-même  qu'ils 
aiment  l'esclavage;  aussi  ne  sont- ils  point  touchés  des  dé- 
clarations faites  si  souvent  par  le  parlement ,  par  les  minis- 
tres ,  parles  amis  des  noirs  ,  lesquelles  portent  qu'à  mesure 
que  le   sort  des  esclaves  sera  amélioré  ,  on  balancera  les 


dans  les  Antilles  anglaises.  547 

intérêts  respectifs  de  toutes  les  parties ,   et  que   toutes    les 
fois  qu'il  V  aura  lieu  à  une  juste  compensation,  elle  sera  ac- 
cordée au  maître.  Ils  n'ont  point  de  plantations,  mais  ils  ont 
la  peau  blanche  :  si  Ou  accordait  une  compensation,  peu 
d'eulr'eux  recevraient   six  pences,   mais   ils  perdraient  le 
pouvoir  d'opprimer  impunément  tout  homme  dont  l'épi- 
dermeest  noir.  Et  de  pareils  personnages,  qui  n'ont  d'autre 
intérêt  que  celui  de  leur  tyrannie  ,  somment  le  Parlement 
britannique  d'abandonner  les  droits  incontestables  de  sou- 
veraineté qu'il  possède  sur  chaque  partie  de  l'empire?  S'ils 
le  demandaieutà  titre  de  grâce,  ou  de  convenance,  on  devrait 
sans  doute  en  être  surpris;  mais  ils  le  réclament  comme  un 
droit  constitutionnel  !.. .  Sur  quoi  donc  repose  ce  droit  ?  sur 
quel  statut?   sur  quelle  charte?  sur  quel  précédent?  sur 
quelle  analogie?  ils  ne  nient  point  que  tous  les  anciens  pré- 
cédeus  repoussent  leurs  prétentions.    Diront-ils  qu'ils  ne 
peuvent  reconnaître  pour  leur  législateur  un    parlement 
dans  lequel  ils  ne  sont  pas  représentés?  Nous  laissons  au 
Çuarterly  Rei^iew  et  au  journal  le  John  Bull  le  soin  de  les 
éclairer    sur    l'étendue  d'une   représentation  virtuelle.    Si 
cette  expression  a  quelque  justesse,  c'est  évidemment  dans 
le  cas  actuel,  car  il  n'y  a  pasd'intéi'éLs  plus  complétemeut 
représentés  dans  le  Parlement  que  celui  des  propriétaires 
coloniaux.  Mais  nous  leur  dirons  à  notre  tour:  De  quel  droit 
vous  emparez-vous  de  telles  doctrines':  Si  vous  adoptez  les 
principes  de  la  liberté,  adoptez-les  dans  leur  entier.  Chacun 
des  argumens  dont  vous  chfrchez  à  étayer  vos  prétentions, 
peut  être  victorieusement  rétorqué  contre  vous  et  en  faveur 
de  l'émancipation  de  vos  esclaA'es  j   lorsqu'elle   sera   con- 
sommée, vos  demandes  pourront  être  examinées  ;  ce  que 
vous  réclamez  maintenant  n'est,  sous  le  nom  de  liberté  , 
qu'un  pouvoir  d'oppression  sans  limites. 

«  M*ais  nous  nous  révolt'rons  !  »  A  ces  mots,  qui  ne  croit 
voir  le  capitaine  Gulliver,  au  moment  où,  élevé  à  soixante 


543  De  l'esclavags 

pieds  Je  terre  sur  la  main  du  roi  de  Brobdignag ,  il  lire 
son  épée  en  s'écriant  qu'il  saura  bien  se  défendre  ?  Vous 
TOUS  révolterez!  voilâdelabravourej...  mais  rappelez-vous 
la  sage  remarque  de  lord  Blessington  :  Le  courage  sans 
pouçoïr ,  dit  cet  illustre  exilé  ,  rassemble  à  un  coureur 
poitrinaire.  Quels  sont  vos  moyens  de  résistance  ?  Y  a-t-il 
dans  toutes  nos  Antilles  dix  mille  blancs  en  état  de  porter 
les  armes  ?  Les  forces  que  vous  possédez  ne  sont-elles 
pas  divisées  au  point  de  ne  pouvoir  jamais  agir  de  concert  ? 
Etes- vous  en  ce  moment  capables  de  vous  défendre  contre 
les  esclaves  sans  notre  secours?  Si  vous  pouvez  veiller  et 
dormir  tranquilles ,  assembler  vos  petits  pai'lemens^  y  lire 
vos  petits  discours,  y  développer  vos  petites  motions, 
si  vous  pouvez  impunément  outrager  le  Parlement  et  la 
nation  britannique,  à  qui  le  devez-vous?  à  notre  dédai- 
gneuse pitié.  Suspendons  notre  protection,  rappelons  nos 
troupes  ,  et  dans  buit  jours  le  couteau  est  sur  votre 
gorge!.... 

Prenez  garde  que  nous  ne  vous  prenions  au  mot  !  Et  en 
effet  quel  intérêt  avons-nous  à  vous  défendre  ?  Si  l'Océan 
engloutissait  vos  îles,  et  en  effaçait  la  trace,  que  per- 
drions-nous? ne  trouverions-nous  pas  d'autres  cultivateurs 
qui  accepteraient  de  nous  une  prime  énorme  sur  le  su- 
cre (i)?  d'autres  régions  pestilentielles  où  nous  enverrions 
les  soldats  conquérir  la  fièvre  jaune  5  d'autres  pays  sur 
lesquels  nous  verserions  notre  sang  et  nos  millions ,  sans 
autre  résultat  que  des  calomnies  et  des  outrages?  Quel  bien 
nous  avez-vous  fait?  Si  l'Angleterre  ne  doit  plus  être  la 
souveraine  de  ses  colonies,  mais  seulement  l'esclave  de  ses 

(i)  Note  du  Tr.  L'Angleterre  a  juscju  ici  soumis  les  sucres  du 
BcDgal  et  du  continent  ame'ricain  à  des  droits  d'entre'e  très-clcve's  , 
afin  de  ne  pas  c'craser  le  commerce  de  ses  colonies  sous  une  concur- 
rence d'autant  plus  fâcheuse  que  les  sucres  du  Bengal  sont  d'une  Jrès- 
bonne  qnaliic. 


dans  les  Antilles  anglaises.  349 

plaisirs,  ou  la  complice  de  ses  excès ,  elle  peut  du  moins 
demander,  comme  esclave,  quel  sera  son  salaire;  comme 
complice,  quel  sera  sa  part  du  Lutin?  Si  la  justice  ,  la 
pitié  ,  la  liberté  ,  les  lois  divines ,  le  bonheur  des  hommes 
sont  des  mots  vides  de  sens  ,  raisonnons  par  livres  ,  sols  et 
deniers  • 

Réduisons  à  leur  juste  valeur  les  pompeuses  déclama- 
lions  des  colons.  «  Les  Indes  occidentales  sont,  nous  dit-on, 
»  une  source  féconde  de  richesse  nationale;  elles  allnien- 
»  tent  notre  marine;  elles  consomment  une  grande  quan- 
»  tité  des  produits  de  nos  manufactures  ;  elles  ajoutent  à 
j)  notre  importance  politique.  Ce  sont  pour  nous  des  postes 
»  utiles  en  tems  de  guerre.  «  Ces  absurdités  ont  été  si 
souvent  répétées  que  les  imposteurs  qui  les  ont  imaginées 
ont  fini  par  y  croire.  Examinons-les  brièvement. 

Voici  quels  sont  nos  rapports  commerciaux  avec  les 
Antilles  :  nous  y  achetons  le  sucre  à  plus  haut  prix  qu'en 
aucune  autre  partie  du  monde.  Les  colons  exportent  le 
sucre  qui  leur  reste,  sur  le  continent,  où  le  prix  en  est  moins 
élevé ,  et  nous  soldons  la  différence  de  nos  deniers.  Les 
dépenses  de  notre  commerce  avec  eux  se  composent  de 
tous  les  frais  de  leurs  établissemens  civils  et  militaires  ,  et 
de  plus,  d'une  prime  de  1,200,000  liv.  que  nous  leur 
payons.  Si  nous  défalquons  ces  dépenses  de  la  somme  de 
ces  profits  dont  on  fait  tant  de  bruit,  la  différence  sera  bien 
chétive;  déduisons  encore  de  ce  qui  restera  les  avantages 
commerciaux  auxq\iels  nous  renonçons  pour  l'obtenir  , 
c'est-à-dire  les  profits  du  commerce  libre  du  sucre,  que 
nous  pourrions  faire  sur  tous  les  marchés  du  monde ,  et 
nous  serons  alors  en  état  d'apprécier  l'utilité  si  vantée  d'une 
coimexité  d'iutéréls,  à  laquelle  nous  avons  sacrifié  les 
nègres  dans  un  hémisphère,  et  les  Hindous  dans  lautre. 
<c  Mais  les  colons  consomment  une  grande  quantité  de 
nos  produits  industriels  !  ->  Ces  produits ,  ils  ne  peuvent  les 


35o  De  r esclavage 

prendre  qu'eu  retour  des  denrées  qu'ils  nous  envoient,  et 
il  nous  est  loisible  de  faire  le  même  échange  avec  tout  autre 
pays.  Pourquoi  donc  aujourd'hui  les  demandes  sont-elles  si 
Lornées  dans  nos  possessions  de  l'Inde?  C'est  uniquement 
parce  qu'il  n'y  a  point  de  balance  établie  entre  les  produits 
que  nous  en  retirons  et  ceux  que  nous  pourrions  y  envoyer. 
Grâce  aux  droits  élevés  qu'en  faveur  des  Antilles ,  nous 
avons  imposés  sur  les  sucres  de  Tlnde ,  nos  fabricans  sont 
exclus  en  grande  partie  de  ce  marché  immense  ,  auquel 
cent  millions  de  consommateurs  viendraient  s'approvi- 
sionner. 

«  IMais  nous  tirons  un  grand  revenu  du  commerce  de 
nos  colonies  d'Amérique.  »  C'est  encore  une  erreur.  Tant 
qu'on  importera  en  Angleterre  la  quantité  de  sucre  qu'on  y 
expédie  aujourd'hui,  et  qui  ne  provient  pas  de  cette  source, 
notre  revenu  ne  souffrira  point,  et,  au  contraire,  plus  le  prix 
du  sucre  diminuera  ,  plus  la  consommation  et  par  consé- 
quent le  revenu  devront  augmenter. 

«  Mais  notre  commerce  avec  ces  îles  occupe  un  grand 
nombre  de  vaisseaux  et  de  marins  !  «  Ce  commerce  avec 
toute  autre  partie  du  monde  ne  produira-t-il  pas  le  même 
effet  ?  Plus  son  activité  s'accroîtra ,  plus  on  emploiera  de 
vaisseaux  et  de  marins  ;  mais  aussi  plus  notre  coiiuiierce 
sera  libre ,  plus  il  aura  d'activité  5  c'est  l'alphabet  de  la 
science  économique. 

Enfin  ,  l'on  soutient  que  sous  le  point  de  vue  politique  et 
militaire,  les  Antilles  sont  pour  nous  d'une  haute  impor^ 
lance.  Cette  erreur,  pour  être  commune,  n'en  est  pas  moins 
monstrueuse.  Nous  osons  affirmer  que  les  possessions  colo- 
niales ont  été  un  des  grands  fléaux  de  l'Europe  moderne*. 
(Quelle  nation  ont-elles  rendue  plus  puissante  et  plus  riche? 
Quels  fruits  ont- elles  produits?  des  guerres  fréquentes  et 
ruineuses  5  uu  commerce  sans  liberté,  d'excessives  dé- 
penses,  d'éternels  conflits  de  juridiction  ;    la    corruption 


dans  les  Antilles  anglaises.  55 1 

ilans  le  gouvernement  ,  et  l'indigence  dans  la  masse  du 
peuple.  Qu'ont  fait  le  Mexique  et  le  Pérou  pour  l'Espagne  , 
le  Brésil  jour  le  Portugal,  Batavia  pour  la  Hollande?...  Si 
Texemple  des  autres  nations  est  perdu  pour  nous,  ne  sau- 
rions-nous du  moins  profiler  de  notre  propre  expérience  ? 
Que  n'avons-nous  pas  sacrifié  à  notre  engouement  pour  les 
possessions  transatlantiques?  C'est  lui  qui  nous  a  si  souvent 
fait  risquer  nos  riantes  campagnes  et  nos  pénates  cliéris , 
pour  quelques  déserts  glacés ,  ou  quelques  marais  infects 
d'un  autre  hémisphère  ;  qui  nous  a  inspiré  le  projet  de  con- 
quérir l'Amérique  dans  les  plaines  de  laGermaniej  qui  nous 
u  engagés  à  renoncer  à  tous  les  avantages  de  notre  position 
insulaire,  à  nous  plonger  dans  un  cahos  d'intrigues  ;  à  guer- 
royer sur  la  moitié  du  continent  ,  à  former  des  coalitions 
qui  étaient  à  l'instant  dissoutes ,  à  donner  sans  cesse  de 
nouveaux  subsides  à  des  nations  qui  ne  s'en  rendaient  jamais 
dignes.  C'est  cette  passion  funeste  qui  a  enfanté  notre  guerre 
fratricide  contre  la  liberté  américaine ,  avec  toutes  ses 
défaites  honteuses  ,  toutes  ses  victoires  stériles,  tous  ses 
massacres  exécutés  par  la  hache  du  sauvage  indien,  ou  par 
nos  stipendiés  de  la  Hesse.  C'est  elle  qui ,  durant  la  guei're 
que  nous  avons  déclarée  à  la  république  française ,  nous  a 
fait  envoyer  l'élite  de  nos  troupes  chercher  la  mort  par 
milliers  dans  les  hôpitaux  des  Antilles,  lorsque  les  armées 
de  l'ennemi  traversaient  les  Alpes  et  le  Rhin.  Toutes  les 
fois  que  nous  avons  désiré  l'acquisiliou  d'une  colonie,  nous 
n'avons  trouvé  aucune  dépense  extravagante,  aucune  in- 
tervention périlleuse.  Nous  avons  prisé  notre  or  comme  de 
la  boue,  et  notre  sang  comme  de  l'eau.  N'apprendrons- 
nous  donc  jamais  à  être  sages,  ne  cesserons-nous  point  de 
poursuivre  une  chimère  plus  extravagante  que  toutes  les 
rêveries  des  alchimistes,  avec  toute  la  crédulité  et  la  pro- 
dîgalité  de  sir  Epicure  Mammon? 

Soutenir  que  des  établissemens  si  éloignés  sont  favorables 


Soi  Ce  Vesclcwa^a 

G 

àla  puissance  militaire  ou  maritime  des  nations,  c'est  donner 
un  démenti  à  l'histoire.  Les  colonies  espagnoles  étaient  beau  - 
coup  plus  vastes  et  pins  populeuses  que  les  nôtres  :  TEspa- 
gne,  dans  les  deux  derniers  siècles,  s'est-elle  jamais  montrée 
redoutable  à  l'Angleterre  sur  terre  ou  sur  mer?  Il  y  a 
cinquante  ans  que  nous  possédions  des  coloniesplns  étendues, 
plus  florissantes  que  celles  qui  nous  restent  ;  depuis  cette 
époque,  notre  influence  politique  ,  notre  opulence ,  noti'e 
sécurité  se  sont-elles  affaiblies?  ou  bien  dirons-nous  que  la 
Virginie  et  Massacbusset  sont  des  possessions  moins  pré- 
cieuses que  la  Jamaïqxie  et  les  Barbades  ? 

11  est  incontestable  que  tous  les  maux  de  noire  système 
colonial  sont  immensément  aggravés  dans  les  Indes  occiden- 
tales, parles  caractères  particuliers  que  présente  l'esclavage 
des  noirs.  Nous  n'avons  à  défendre  nos  autres  établisse- 
mens  que  de  l'invasion  étrangère  j  ceux-ci ,  nous  avons  à 
les  protéger  contre  la  haine  acharnée  de  misérables  es- 
claves ,  qui  sans  cesse  épient  le  signal  de  la  liberté  ,  de  la 
•vengeance  peut-être.  Nous  pouvons  établir  dans  les  autres 
possessions  des  rapports  commerciaux  avantageux  aux  deux 
parties  5  mais  nos  Antilles  languissent  dans  im  état  de 
pauvreté  absolue  j  et  en  effet  les  primes  d'importation 
et  les  prix  forcés  ne  sont-ils  pas  une  taxe  des  pauvres  dé- 


guisée 


Tels  sont  les  bienfaits  en  retour  desquels  nous  souffrons 
qu'unepoignée  d'agens  et  de  faiseurs  d'affaires  Insultent  le  roi, 
Icslords,  les  communes  d'Angleterre  dans  l'exercice  de  droits 
aussi  anciens,  aussi  sacrés  que  tous  ceux  que  noti'c  consti- 
tution peut  leur  conférer.  Si  les  plus  fiers  potentats  de  l'Eu- 
rope, si  le  roi  de  France  ou  l'empereur  de  toutes  les  Russies 
avaient  traité  notre  gouvernement  comm^ront  fait  ces  hom- 
mes qui  lui  doivent  tout,  n'aurions-nous  pas  pris  contre  eux 
des  mesures  énergiques,  lancé  des  manifestes,  proposé  aux 
deux  Chambres  une  déclaration  de  guerre  ?  Le  Parlement 


dans  les  Antilles  anglaises.  355 

i/eiil-il  pas  retenti  des  discours  véhémeos  de  tous  les  par- 
tis ?  Des  adresses  unanimes  ,  votées  sur  tous  les  points  de 
l'empire,  n'auralent-elies  point  offert  à  la  patrie  la  fortune  et 
le  sang  de  tous  ses  enfans?  Si  un  rassemblement  tumultueux, 
des  disciples  de  Payne  ou  de  Carlisle  eût ,  en  Angleterre , 
détruit  un  édifice  consacré  à  des  exercices  religieux,  chassé 
le  ministre  de  sa  résidence,  et  menacé  de  mort  quiconque 
chercherait  à  le  remplacer ,  à  l'instant  Xayeomanry  n'eûl- 
elle  pas  été  mise  en  mouvement ,  le  Parlement  convoqué  , 
des  enquêtes  produites,  des  comités  secrets  réunis,  enfin 
Yhaheas  corpus  suspendu?  Eh  bien  !  tous  ces  excès  ont  été 
commis  à  la  Barbadej  ils  l'ont  été  ouvertement,  et  ils  sont 
restés  impunis  !  — 

Il  existe  une  grande  différence  entre  les  propriétaires 
des  Antilles  qui  y  résident  et  ceux  qui  habitent  en  An- 
gleterrej  parmi  ces  derniers  il  en  est  un  grand  nombre  que 
distinguent  des  sentimens  généreux  et  une  ame  élevée  j 
ceux-ci  ont  beaucoup  fait  pour  adoucir  la  condition  de 
leurs  esclaves ,  et  ils  verraient  avec  joie  que  les  mesures  , 
tendantes  au  même  but ,  proposées  par  les  ministres  de 
S.  M.,  fussent  adoptées  par  les  législateurs  des  Indes 
occidentales.  Ils  n'ont  rien  de  commun  avec  les  pamphlé- 
taires qui  sont  aux  gages  des  autres  colons.  S'ils  ont  pris 
part  à  la  controverse,  ils  l'ont  toujours  fait  avec  loyauté  et 
courtoisie.  Toutefois  leur  influence  s'exerce  aujourd'hui  en 
faveur  de  l'esclavage,  non  par  amour  pour  lui ,  mais  parce 
qu'ils  croient  leur  caractère  compromis  jusqu'à  un  certain 
point  par  les  attaques  qui  sont  dirigées  contre  le  système 
colonial  ,  et  parce  qu'ils  craignent  que  leurs  intérêts  , 
comme  propriétaires  ,  ne  soient  lésés  par  suite  de  mesures 
que  réclame  l'opinion  générale  de  notre  nation. 

Sur  ces  deux  points,  ils  sont  dans  l'erreur  j  nous  sommes 
convaincus  que  nulle  part  iln'cxiste  contre  eux  de  sentiment 
lioslilc  ,  que  partout  on  est  disposé  à  donner  une  altenliou 


554  De  Vesclai>age 

sérieuse  à  leurs  intérêts.  Le  zèîe  peu  éclairé  de  quelques 
individus  peut  bien,  à  leur  égard,  s'échapper  en  expressions 
répréhensibles  ;  mais  la  nation  les  estime  et  ne  les  confond 
pas  avec  Técume  de  nos  colonies. 

C'est  eux  que  nous  défendons  en  ce  moment  comme  nos 
alliés  naturels.  En  effit,  ils  sont  insultés  chaque  jour  par 
les  orateurs  de  la  Jamaïque ,  avec  presqu'autant  d'amer- 
tume que  les  ministres  de  la  couronne  et  même  que  les 
partisans  de  l'abolition  de  l'esclavage. 

Nous  adjurons  donc  ces  hommes  respectables  de  réfléchir 
sur  l'état  précaire  de  leurs  propriétés.  Si  la  question  de 
l'esclavage  cessait  de  nous  occuper,  se  croiraient-ils  à 
l'abri  de  toute  catastrophe?  Ne  voient-ils  h  l'horizon 
aucun  nuage  précui'seur  de  la  tempête  ?  Comment  peu- 
vent-ils s'aveugler  sur  les  tems  où  nous  vivons  ?  L'ancien 
édifice  de  notre  empire  colonial  s'écroule;  le  vieil  équilibre 
des  pouvoirs  a  été  détruit  par  l'introduction  d'une  foule  de 
ncfiiveaux  étals  dans  noti'e  système  politique.  Les  Anlilles 
sont  cernées  aujourd'hui  par  des  républiques  guerrières , 
dans  toute  la  vigueur  de  la  jeuuesse.  Nous  avons  défendu 
nos  colonies  contre  l'Espagne  :  s'cnsuil-il  que  nous  puissions 
les  défendre  contre  le  Mexique  ou  Haïti?  En  cas  d'invasion 
de  la  Jamaïque  ,  l'Angleterre  engagerait-elle  la  guerre  à 
une  si  grande  distance,  sous  un  climat  aussi  meurtrier?  ne 
tiendrait-elle  aucun  compte  du  sort  de  la  formidable  expé- 
dition qui  périt  à  Saint-Domingue?  Supposons  néanmoins 
que  le  champ  de  bataille  reste  à  nos  troupes ,  avons-nous 
oublié  avec  quelle  longue  ténacité  quelques  bandes  d'esclaves 
marrons  défendirent  les  montagnes  centrales  de  cette  île 
contre  tous  les  efforts  du  coui'age  et  de  la  discipline  ?  Une 
lutte  semblable,  sur  une  grande  échelle,  pourrait,  pendant 
cinquante  ans  ,  absorber  toutes  nos  forces  j  et,  avant  qu'elle 
fut  terminée,  la  nation  anglaise  y  aurait  dépensé  cinquante 
mille  hommes  et  cinquante  millions  sterlings.  Ce  n'est  pas 


/ 


da?is  les  Antilles  anglaises.  355 

tout  ;  dans  une  guerre  d'esclaves  ,  c'est  toujours  le  maître 
qui  perd  le  plus  ,  car  ses  ennemis  étaient  sa  propriété  i 
vainqueurs  ou  vaincus,  ils  sont  anéantis  pour  lui.  Cepen- 
dant le  sol  reste  sans  culture,  les  machines  sont  brisées,  et 
lorsque  le  planteur  rentre  dans  ses  possessions  il  n'y  trouve 
qu'un  désert. 

Ainsi  ,  si  nous  voulons  conserver  nos  colonies  ,  nous  de- 
vons prendre  des  mesures  promptes  et  efficaces  pour  amé- 
liorer la  condition  des  esclaves  ;  nous  devons  les  soumettre 
à  des  règles  qu'ils  ne  soient  pas  tentés  de  changer.  Nous 
avons  gouverné  les  Canadiens  avec  douceur  ;  aussi  avons- 
nous  pu  leur  remettre  le  soin  de  leur  propre  défense  contre 
la  puissance  la  plus  redoutable  qui  ait  jamais  attaqué  nos 
possessions  coloniales  ;  agissons  de  même,  et  nous  sauverons 
nos  possessions  des  Antilles. 

Quant  à  l'esclavage,  le  peuple  anglais  l'a  toujours  détesté  j 
jusqu'ici  il  s'était  caché  dans  un  coin  de  ses  vastes  domaines; 
mais  il  vient  d'èlre  découvert,  et  forcé  de  paraître  au  grand 
jour.  C'en  est  fait ,  son  arrêt  est  porté ,  et  il  sera  irrévo- 
cable. (  Renie  d'Edinhourg.  ) 


LITTÉRATURE. 


Discours  prono^icé  par  m.  h.  brougham  ,  membre  du 
parlement  ,    lors  de   son  installation   dans  les 

FONCTIONS     DE     LORD    RECTEUR    DE     L'uNIVERSITÉ    DE 
GLASGOW. 


HoBBES  observe,  dans  un  de  ses  ouvrages,  queriiomme 
qui  aspire  sérieusement  à  anéantir  la  liberté  civile ,  devrait 
commencer  par  détruire  tout  ce  qui  reste  des  monumeus 
littéraires  de  l'antiquité.  En  eiftt ,  c'est  là  un  préliminaire 
indispensable  à  l'accomplissement  d'une  telle  entreprise. 
I.e  Ion  d'une  dignité  sentie  ,  luie  liaine  implacable  contre 
la  tyrannie  ,  et  un  attachement  non  moins  vif  pour  la  li- 
berté ,  l'amour  de  la  patrie  et  de  la  gloire ,  le  mépris  de 
la  mort ,  la  conviction  profonde  que  le  prix  de  la  vie  est 
moins  dans  ses  jouissances  matérielles  que  dans  l'indépen- 
dance et  la  dignité  de  notre  condition  ;  de  tels  sentimens 
qui  percent  à  chaque  page  de  ces  écrits  immortels  sont 
le  mobile  le  plus  puissant  des  belles  actions.  Les  palmes 
dont  une  éloquence  touchante  a  si  souvent  chargé  le  front 
des  bienfaiteurs  de  l'humanité  ,  ont  la  vertu  d'exciter  une 
Émulation  salutaire  parmi  les  générations  futures  ,  et 
comme  les  lauriers  de  Miltiade  troublaient  le  sommeil  de 
Thémislocle ,  elles  ne  permettent  pas  aux  âmes  élevées  et 
aux  cœurs  généreux  de  céder  à  un  lâche  repos.  Aussi  , 
tant  que  les  auteurs  ,  les  hisloriens ,  les  poètes  de  Rome  , 
et  surtout  de  la  Grèce,  vivront  au  milieu  de  nous  par  leurs 
chefs-d'œuvre  ;  tant  qu'il  restera  assez  de  goût  pour  en 
apprécier  le  mérite  ,  nous  pouvons  être  assurés  que  l'exé- 
cution   du  projet  auquel  le   pbilosophe   de   Malmesbnry 


Discours  inaugural  de  M.  Broiigham.  867 

(  Hobbes  )  fait  allusion  ,  éprouvera  d'immenses  difiBcultés. 
L'ensemble  de  ces  écrits  forme  une  chaîne  de  forteresses^ 
d'où  l'esprit  humain  fera  des  sorties  continuelles  conlre  la 
tyrannie. 

Telles  sont  les  premières  réflexions  que  nous  a  inspirées 
le  nouveau  discours  de  M.  Brougbam.  Le  lieu  et  la  cir- 
constance dans  lesquels  il  a  été  prononcé  nous  fournissent 
l'occasion  de  le  signaler  à  l'admiration  publique.  Pour  ne 
pas  faire  violence  à  la  modestie  de  M,  Brougham  ,  nous 
gardons  le  silence  sur  ses  droits  à  des  fonctions  auxquelles 
■  sa  haute  réputation,  l'éclat  de  ses  talens,  et  l'extrême  va- 
riété de  ses  connaissances  lui  donnaient  tant  de  titres.  Mais 
nous  observerons  que  la  publication  du  traité  qui  est  sous 
nos  yeux  nous  paraît  un  véritable  pbénomène  physique 
et  intellectuel.  Quand  et  comment  M.  Brougham  a-t-il  pu 
se  livrer  aux  recherches  et  aux  études  qu'il  suppose?  Quelle 
heure  du  jour  ou  de  la  nuit  a-t-il  dérobée,  dans  ce  but, 
au  cours  inévitable  des  travaux  qu'il  s'est  imposés  ?  Si  l'on 
considère  le  travail  quotidien  qu'une  activité  ordinaire  est 
capable  d'accomplir  ,  on  se  refusera  à  croire  que  la  même 
personne  puisse  passer  la  journée  à  la  cour  du  banc  du 
roi,  dans  l'exercice  de  la  profession  la  plus  laborieuse  qu'il 
y  ait  au  monde  ,  d'une  profession  sous  laquelle  les  constitu- 
tions les  plus  robustes  peuvent  succomber  ;  et  de  là ,  passer 
la  nuit  dans  la  chambre  des  communes  à  discuter  sur  toutes 
les  questions  à  l'ordre  du  jour  ;  plaider  souvent  à  la  cour  de 
l'Echiquier;  aussi  souvent  devant  la  juridiction  des  lords  j 
paraître  au  conseil  privé  toutes  les  fols  qu'il  s'assemble  ;  se 
montrer  constamment  dans  les  clubs  ,  et  trouver  encore 
du  tems  à  consacrer  aux  sciences ,  aux  lettres,  aux  lectures 
les  plus  variées  et  à  de  nombreuses  compositions.  Tel  est  ce- 
pendant le  tableau  fidèle  des  occupations  multipliées  de  cet 
homme  extraordinaire;  aussi  remarquons-nous  que  son  dis- 
cours d'inauguration  a  été  composé  au  milieu  des  exigeances 
I.         ^  a4 


558  Discours  inaugural 

dm  voyage  le  plus  occupé  qu'on  ait  jamais  fait  dans  les  trois 
royaumes. 

Les  discours  adresse's  au  corps  savant,  à  la  tête  duquel 
est  aujourd'hui  M.  Brougliam  ,  avaient  été  jusqu'ici  impro- 
visés. Le  sien  était  écrit  j  cette  innovation  a  été  couronnée 
du  plus  grand  succès  j  d'abord  elle  a  été  considérée  comme 
un  compliment  délicat  pour  l'auditoire ,  ensuite  comme  un 
exemple  offert  à  l'appui  du  précepte  donné  par  l'orateur. 

Le  sujet  du  discours  est  très-heureux  ;  c'est  l'utilité  des 
modèles  de  l'antiquité  dans  Tart  oratoire  ;  aucune  matière 
plus  importante  ne  pouvait  être  traitée  devant  l'université 
de  Glasgow  ;  dans  aucune,  M. Brougliam  ne  pouvait  pro- 
duire plus  d'effet. 

L'orateur  débute  par  l'appel  le  plus  touchant  à  ses  jeunes 
auditeurs  ;  il  leur  retrace  la  valeur  inappréciable  de  cette 
portion  de  la  vie  qui  s'écoule  pour  eux  dans  les  travaux  du 
collège ,  et  l'influence  qu'elle  doit  exercer  sur  leur  des- 
tinée et  sur  leur  caractère  futur.  Ce  sujet  n'était  pas  neuf  j 
mais  ou  ne  saurait  trop  répéter  aux  élèves ,  que  chaque 
heure  qu'ils  dérobent  aux  plaisirs  peut ,  sinon  devenir  pour 
eux  une  source  de  gloire,  du  moins  contribuer  à  embellir 
leur  âge  mûr ,  et  leur  offrir  les  plus  nobles  jouissances 
dans  cette  période  de  l'existence  où  ils  doivent  dire  adieu  à 
Tambition.  Écoutons  à  ce  sujet  M.  Brougham  : 

«  On  a  dit  souvent ,  parce  que  c'est  une  vérité  éternelle, 
que  la  jeunesse  est  le  tems  le  plus  propre  au  perfectionne- 
ment des  facultés  intellectuelles  ,  et  que  l'asile  de  nos  col- 
lèges est  le  seul  où  1  on  puisse  se  livrer  à  de  fortes  études. 
A  l'âge  heureux  où  vous  eles  ,  tout  a  l'intérêt  et  la  fraî- 
cheur de  la  nouveauté  ,  mieux  que  dans  les  autres  saisons 
de  la  vie ,  l'attention  est  soutenue  par  la  curiosité  ,  et  la 
mémoire  l'etient  fidèlement  les  diverses  impressions  qu'elle 
reçoit.  Les  fatigantes  distractions  et  les  vains  plaisirs  du 
monde  respectent  le  seuil  de  ces  paisibles   retraites  ;  son 


de  M.  Brougham.  SSg 

brayant  tumnlte  vient  y  mourir  ,•  les  murs  qui  vous  en  sé- 
parent ne  laissent  arriver  à  vos  oreilles  qu'un  faible  mur- 
mure qui  ajoute  au  cbarme  de  votre  solitude,  et  les  com- 
bats que  se  livrent  les  mortels  qui  s'agitent  sur  cette  mer 
orageuse  ,  vous  les  contemplez  du  haut  d'une  émiuence , 
où  votre  sécurité  puise  un  charme  nouveau  dans  le  spec- 
tacle lointain  que  vous  apercevez.  Quelques  Jours  encore ,  et 
vous  serez  en  hutte  aux  mêmes  tempêtes ,   et  vos  yeux , 
comme  les  miens  aujourd'hui ,  s'attacheront  avec  regret 
sur  ces  tranquilles  rivages  que  vous  aurez  quittés  pour 
toujours.  Membres  de  la  société  tel  est  votre  sort.  Mais  si 
sur  ce  nouveau  théâtre  ,  la  honte  ou  le  repentir  vous  sui- 
vent ,  ne  vous  en  prenez  qu  à  vous-mêmes  :  soyez  bien 
convaincus  que  toutes  les  heures  que  vous  aurez  perdues 
dans  l'oisiveté  vous  coûteront  un  siècle  d'amers  et  d'inu- 
tiles regrets.    Enrichissez  donc  votre  esprit ,  je  vous  en 
conjure,  des  trésors  de  l'antiquité ,  et  vous  posséderez  tou- 
jours en  vous-mêmes  une  source  intarissable  de  jouissances 
nobles  et  pures ,    qui  vous  apprendront  à  dédaigner  ces 
plaisirs  grossiers  dont  la  chaîne  honteuse  abrutit  les  hommes. 
Pénétrez-vous  aussi  de  la  saine  philosophie  des  tems  mo- 
dernes j  formez  vos  âmes  aux.  vertus  dont  elle  est  îa  noble 
source;  alors  vous  sortirez  vainqueurs  des  épreuves  qui  vous 
sont  réservées,  et  vous  contemplerez  à  vos  pieds  Tignorance 
et  l'erreur  ,  non  avec  ces  regards  hautains  et  dédaigneux 
des  sages  de  l'antiquité  ,  mais  avec  cette  volonté  vive  et  ar- 
dente d'éclairer  les  hommes  qui  s'égarent  dans  les  ténèbres, 
et  qui  vous  deviendront  d'autant  plus  chers  que  vous  leur 
deviendrez  plus  utiles.  » 

M.  Brougham  s'occupe  ensuite  de  la  nécessité  des  com- 

positiofis  écrites  :  «  C'est ,  dit-il ,  une  règle   générale  et 

»  ,sans  exception  ,  que,  plus  un  orateur  se  sera  exercé  à 

»  écrire,  mieux  il  parlera.  A   égalité  de  talent,  celui-là 

»  improvisera  le  mieux  dans  l'occasion  ,  qui  ,  dans  les  cir- 


36o  Discours  inaugural 

1»  constances  ordinaires,  aura  mis  le  pins  de  soin  à  méditer 
»  ses  discours,  n  Ce  précepte  est  d'une  haute  importance. 
Eu  effet ,  l'on  pense  assez  communément ,  et  c'est  là  une 
opinion  aussi  dangereuse  qu'erronée  ,  que  Tessentiel  est 
d'acqaérir  une  élocntion  facile,  et  que  le  comble  du  talent 
est  de  proférer  dans  un  lems  donné  un  certain  nombre  de 
mots  ,  sans  hésitation ,  à  rexemple  de  ce  poète  dont  parle 
Horace,  qui  se  croyait  un  grand  mérite  ,  parce  qu'il  pou- 
vait écrire  cent  vers  au  pied  levé.  Nous  regardons  cette  ha- 
bitude, ou,  si  l'on  veut,  ce  tour  d'adresse,  comme  un  véri- 
table défaut.  Celui  qui  est  trop  tôt  salisfait  de  lui,  n'arrivera 
jamais  à  la  perfection  )  au  contraire,  se  défier  de  soi-même, 
se  montrer  plus  soucieux  des  progrès  qui  restent  à  faire , 
que  content  de  ceux,  qu'on  a  faits  ,  c'est  annoncer ,  non 
qu'on  occupe  par  ses  talens  un  rang  distingué  ,  mais  du 
moins  qu'on  y  arrivera  un  jour.  Sans  doute  le  type  de  la 
perfection  est  imaginaire  ;  lorsqu'il  peut  être  fixé ,  on  doit 
le  placer  à  une  hauteur  désespérante  pour  la  médiocrité  5 
mais  les  auteurs  qui  travaillent  sans  réflexion ,  et  qui  ne 
châtient  pas  leurs  ouvrages  ,  sont  si  éloignés  de  le  voir  à 
une  distance  raisonnable  ,  qu'ils  ne  savent  pas  même  s'il 
existe.  Une  infirmité  physique  empêcha  Addisson  de  de- 
venir même  un  orateur  médiocre  j  peut-on  raisonnable- 
ment en  conclure  que ,  s'il  eût  vaincu  sa  timidité  ,  l'on 
n'eût  point  trouvé  dans  ses  discours  au  moins  une  portion 
Je  la  grâce ,  de  la  facilité  et  de  l'élégance  qu'on  admire 
dans  chaque  page  de  ses  écrits?  Nous  pensons  que  ,  sur  des 
sujets  convenables  au  genre  tempéré ,  et  qui  n'auraient 
point  comporté  un  ton  élevé  ni  véhément  (tels,  par  exem- 
ple, que  les  motions  que  prépare  M.  Wilberforce  ) ,  il  eût 
ressemblé  à  ce  sénateur  que  Cicéron  ,  dans  son  Traité 
sur  la  Vieillesse  ,  a  si  bien  caractérisé  en  ces  termes  : 
Facit  sibi  audientiam  diserti  senis  compta  et  mitis  oraiio 
(  l'éiocution  aimable  et  châtiée  de  ce  vieillard  suffit  pour 


de  M.  Brougham.  36 1 

lui  former  un  auditoire).  Johnson  s'était  de  bonne  heure 
fortement  appliqué  à  éviter  ce  qu'il  considérait  comme  un 
iStjle  vulgaire, et  commun,  et,  de  cette  manière,  il  s'était 
fait  une  diction  peu  naturelle  et  guindée ,  dont  il  serait  su- 
perflu de  relever  aujourd'hui  les  défauts.  Toutefois  ,  cette 
habitude  d'une  composition  laborieuse,  quel  qu'en  fût  le 
vice,  avait  communiqué  j,  s'il  faut  en  croire  M.  Boswell , 
une  énergie  extraordinaire  à  ses  discours  improvisés  et  à 
sa  conversation.  On  eût  dit  que,  lorsqu'il  parlait,  il  n'avait 
pas  le  tems  de  gâter  ce  qu'il  voulait  exprimer,  et  qu'il 
était  forcé  de  mettre  de  côté  quelques-uns  de  ses  défauts 
habituels.  Aussi,  sans  sa  taille  démesurée,  et  sans  la  gau- 
cherie de  son  maintien,  il  aurait  pu  être  ua  orateur  très- 
remarquable. 

Les  discours  des  anciens  qui  sont  parvenus  jusqu'à  nous 
ont  été,  pour  la  plupart,  composés  par  écrit  j  souvent 
même  les  orateurs  prenaient  soin  de  retoucher  ceux  qu'ils 
avaient  déjà  prononcés  ;  aussi ,  Cicéron  fait-il  dire  à  Ca- 
ton  que  ce  soin  était  l'occupation  principale  et  le  délasse- 
ment le  plus  agréable  de  sa  vieillesse  :  Causarum  illustriurn 
quascumque  defendi  nunc  quani  maxime  CONFICIO  oratio- 
ncs  !  L'extrême  application  d'Isocrate  sur  ce  point  est  pas- 
sée en  proverbe.  En  lisant  son  fameux  panégyrique ,  il 
n'est  pas  très-facile  de  concevoir  comment  la  composition 
de  ce  discoui's  a  pu  lui  coûter  dix  ans  de  travail.  Mais 
quand  on  pense  qu'un  homme  si  versé  dans  toutes  les  res- 
sources de  l'art  de  parler  et  d'écrire ,  élaborait  ses  haran- 
gues avec  tant  de  peine,  combien  l'on  doit  se  défier  de  ces 
discoureurs  qui  se  reposent  sur  leur  facilité  ?  Périclès ,  qui 
exerça  un  si  prodigieux  ascendant  que  l'on  a  dit  de  lui 
qu'il  éclairait ,  qu'il  foudroyait  et  qu'il  ébranlait  toute  la 
Grèce  ;  Périclès ,  qui  n'était  pas  seulement  un  orateur,  mais 
qui  était  aussi  un  homme  d'affaires  fort  habile  ,  comme  l'ob- 


ùG'i  Discours  inaugural 

serve  avec  raison  M.  Home,  se  préparait,  lorsqu'il  devait 
parler  en  public,  par  des  composltious  écrites.  Qu'on  nous 
permette  de  reproduire  ici  une  autre  remarque  fort  ingé- 
nieuse de  M.  Hume.  Il  ue  faut  pas  croire,  dit-il,  qu'un  orateur 
exercé  qui  introduit  dans  le  plan  de  son  discours  des  pas- 
sages entiers,  qu'il  a  médités  et  écrits  d'avance,  doive,  après 
les  avoir  récités ,  être  comparé  à  ce  nageur  qui  tombe  au 
fond  de  l'eau  du  moment  oii  il  perd  le  liégc  qui  le  soute- 
nait  Nahi't  sine  coriicel  L'esprit,  excité  par  le  ton  vi- 
goureux et  le  style  élevé  d'une  composition ,  où  chaque 
pensée,  chaque  impression  a  été  mûrie  d'avance,  se  sou- 
tient à  la  hauteur  où  il  a  été  lancé ,  et  conserve  son  essor, 
même  après  avoir  perdu  sa  force  motrice  j  ainsi  lord  Ers- 
kine,  sans  nuire  à  son  plaidoyer  pour  le  libraire  Stock- 
dale,  a  écrit  mot  pour  mot  sou  épisode  du  Sauvage  (i). 

(i)  Note  du  Tr.  Le  libiaire  Stockdale,  à  l'époque  du  fameux 
procès  de  M.  Hastings,  avait  mis  en  vente,  en  qualité  d'éditeur,  une 
réponse  aus  charges  dirigées  contre  ce  gouverneur  de  l'Inde,  contenant 
des  observations  sévères  sur  ses  accusateurs.  M.  Fox ,  alors  ministre  , 
l'ayant  dénoncée  à  la  chambre  des  communes,  ]M.  Stockdale  fut  rais 
en  jugement,  et  prit  pour  défenseur  ]\I.  Erskine,  l'un  des  amis  les 
plus  distingués  de  M.  Fox,  et  l'aigle  du  barreau  anglais.  Dans  cette 
cause  ,  l'avocat  se  trouvait  placé  entre  les  devoirs-de  sa  profession,  et 
son  attachement  au  parti  de  l'opposition  qui  avait  suscite  l'aLCusation 
de  M.  Hastings  et  la  poursuite  de  INI.  Stockdale.  Il  se  tira  avec  un 
rare  bonheur  de  celle  position  difficile,  et  il  sut  avec  habileté  lier  la 
défense  de  son  client  à  celle  du  gouverneur  de  l'Inde. 

Voici  le  passage  que  lîl.  Erskine  crut  devoir  écrire  ;  nous  le  citons 
d'après  la  traduction  de.  chefs-d'œuvre  du  barreau  anglais,  publiés 
par  M.  Panckoucke. 

«  Les  malheureux  peuples  de  l'Inde,  amollis  par  les  douceurs  du 
climat ,  vaincus  par  les  artifices  et  les  forces  de  la  civilisation ,  sentent 
renaître  quelquefois  dans  leur  ame  un  reste  d'énergie  que  l'oppression 
réveille  :  il  faut  donc  les  gouverner  avec  une  verge  de  fer.  Dès  long- 
tems ,  l'empire  et  les  possessions  de  l'Inde  seraient  perdus  pour  la 
Grande-Bretagne ,   si   cette  autorité  que  le  ciel  désavoue  ,  l'habileté 


de  M.  Brougham.  565 

«  Après  avoir  ëpuré  son  goût  par  une  étude  assidue  des 
modèles  de  l'antiquité,  dit  M.  Brougham,  il  est  nécessaire, 
pour  s'habituer  à  écrire  correctement  dans  notre  langue  , 
de  traduire  en  anglais  les  morceaux  les  plus  remarquables 
de  la  littérature  grecque  ,  et  surtout  d'étudier  nos  meillelirs 
écrivains.  C'est  à  ces  exercices  si  utiles  que  J2  me  suis  livré 
pour  châtier  ma  diction  et  pour  éviter  le  style  lâche  et 
monotone  des  compositions  moderfies.  Les  auteurs  anglais 
qui  nous  ont  ouvert  ces  sources  inépuisables  d'une  élocu- 
tion  élégante  et  pure ,  sont  ceux  qui  ont  brillé  depuis  la 
fin  du  règne  d'Elisabeth ,  jusqu'à  celui  de  la  reine  Anne  • 

civile  et  les  talens  militaires ,  ne  se  fussent  re'unis  pour  la  soutenir  par 
des  agens  qu'il  reprouve. 

»  Messieurs  ,  je  crois  observer  que  cette  manière  de  conside'rer  la 
cause  vous  touche  ,  et  j'en  puis  dire  la  raison  :  je  ne  l'ai  point  envisage'e 
à  travers  les  froids  principes  des  commentateurs  ,  mais  j'ai  parle'  de 
l'homme  ,  de  sa  nature  ,  et  de  la  puissance  humaine  ,  d'après  ce  que 
j'en  ai  vu  moi-même  chez  ces  nations  qui  ne  subissent  qu'en  fre'missant 
le  joug  de  notre  autorité.  Je  sais  quels  sentimens  elles  nourrissent ,  et 
quels  sont  les  senls  moyens  de  les  réprimer.  Jeune  encore,  je  les  ai 
entendues  toutes  s'exprimer  par  la  bouche  d'un  sauvage  nu  ;  c'était  un 
prince  au  milieu  de  ses  sujets ,  qui  ,  tenant  en  sa  main  un  faisceau  de 
baguettes ,  pour  fixer  le  souvenir  de  sa  mâle  et  rude  harangue ,  s'a- 
dressait, plein  d'indignation  ,  au  gouverneur  d'une  colonie  anglaise  : 
<(  Quel  est,  lui  disait  ce  fier  dominateur  des  déserts  envahis  par  nos 
»  infatigables  aventuriers ,  quel  est  celui  qui  fait  sourdre  ces  rivières 
»  sur  les  hautes  montagnes  et  dirige  leurs  flots  vers  l'Oce'an  ?  quel  est 
»  celui  qui  anime  le  souffle  impétueux  des  vents  de  l'hiver  et  l'apaise 
»  pendant  l'été  ?  quel  est  celui  qui  étend  sur  la  terre  l'ombre  de  ces 
»  grandes  forets  ,  ou  la  chasse  à  son  gré  devant  la  lumière  ?  C'est  le 
)>  même  cire  qui  vous  donna  une  patrie  de  l'autre  coté  des  mers  ,  et 
"  qui  nous  a  donné  la  nôtre.  C'est  à  ce  même  titre  que  nous  la  défcn- 
»  dons  ,  »  dit  le  guerrier,  jetant  son  calumet  et  entonnant  le  chant  de 
guerre  de  sa  nation.  Tels  sont  les  sentimens  qui,  sur  tout  le  globe, 
vivent  dans  le  cœur  de  l'homme  soumis  au  joug.  Et  comptez  sur  ce 
«juc  je  vous  dis  :  on  ne  peut  régner  que  par  la  crainte  là  où  l'on  vou- 
drait en  vain  régner  pur  l'amour.  >» 


364  Discours  inaugural 

Ils  se  servaient  du  dialecte  saxon,  mais  ayec  aisance,  cor- 
rection, et  clarté.  Ils  puisaient  dans  les  classiques  anciens  ; 
mais  c'était  pour  enrichir  la  langue  nationale  de  Tatticisme 
qui  pouvait  lui  manquer,  et  non  pour  l'étouffer  sous  une 
profusion   pédantesqne  de  mots  étrangers.  Ils   suivaient 
dans  leurs  compositions  la  méthode  synthétique  ,  qui  per- 
met à  l'auteur  d'unir  le  nombre  et  la  variété  à  l'harmonie, 
de  développer  ses  idées  naturellement  et  avec  simplicité  , 
même  à  travers  tous  les  replis  de  l'inversion ,  ou  de  passer 
du  style  abondant  au  style  ell'ptique ,   sans  être  jamais  ni 
redondant  ni  obscur.  Ces  grands  écrivains  ne  prévoyaient 
pas  qu'au  siècle  illustré  par  leurs  chefs-d'œuvre  en  succé- 
derait un  autre  ,   où  un  nouveau  style  prévaudrait  sur  la 
pureté  et  le  naturel  des  modèles  antiques  ;  tantôt  prodiguant 
les   ornemens ,  surchargé  d'expi'cssions  et  de   tournunes 
françaises,  et  sacrifiant  le  sens  à  un  amas  de  figures  fan- 
tastiques;   tantôt  lourd,    monotone,  compassé,  disposant 
la  phrase  pour  l'œil  plutôt  que  pour  l'oreille,  et  remplaçant 
par  un  luxe  outré  d'expressions  et  de  tours  anciens  -  notice 
idiome  national,  au  lieu  de  se  borner  à  remédier  à  ses  dé- 
fauts. Ces  flambeaux  de  l'éloquence  britannique  n'auraient 
pu  imaginer  qu'il  paraîtrait  parmi  nous  de  prétendus  pro- 
fesseurs de  l'art  d'écrire,  qui  en  ignoreraient  toutes  les  règles 
et  ne  sauraient  pas  en  sentir  les  beautés  j  que  ces  hommes, 
redoutant  le  véritable  génie  de  notre  langue ,  traiteraient 
tous  les  idiotismes  comme  autant  de  négligences,  appren- 
draient à  leurs  élèves  à  corriger  dans  Addisson  des  fautes 
d'anglais,  et  chercheraient  à  réduire  le  nombre  et  Iharmo- 
nie  inimitables  qui  distinguent  Bolingbroke,  au  niveau  du 
rhythme  mécanique  de  Johnson.  » 

D'après  la  citation  que  nous  venons  de  faire ,  on  peut 
croire  que  M.  Brougham  n'a  pas  manqué  de  designer  à  son 
auditoire  les  modèles  qu'il  considère  comme  les  plus  dignes 
d'être  médités  ,  et  nos  lecteurs  ,   qui  savent  que  son  élo- 


de  M.  Broiigham.  565 

quence  se  distingue  surtout  par  Ténergie  ,  ne  seront  pas 
surpris  de  sa  prédilection  pour  les  orateurs  grecs,  et  spé- 
cialement pour  le  plus  énergique  de  tous  ,  pour  celui  qui,  * 
d'après  l'observation  de  Longin,  est  resté  sans  rival  par  la 
vigueur  et  l'ascendant  de  son  génie  :  nous  voulons  parler 
de  Démosthènes.  M.  Brougham  observe  ,  comme  un  trait 
caractéristique  de  la  perfection  de  l'orateur  athénien  ,  que 
cliez  lui  la  passion  et  le  raisonnement  se  confondent  5  qu'il 
ne  semble  pas  dire  comme  Cicéron  :  «  Ici ,  je  vais  parler  à 
votre  raison 5  plus  loin,  je  m'adresserai  à  votre  cœurj 
enfin ,  je  chercherai  à  plaire  à  votre  esprit  ;  »  mais  que  les 
ressources  oratoires  pénètrent ,  en  quelque  sorte  ,  la  subs- 
tance du  discours  ,  forment  avec  lui  un  seul  tout,  et  con- 
courent sans  cesse  à  un  but  unique  ,  celui  de  persuader  et 
de  convaincre  tout  à  la  fois.  Cette  observation  est  d'une 
vérité  si  absolue  qu'elle  s'applique  ,  sans  exception,  à  toutes 
les  harangues  de  Démosthènes  3  aussi  est-il  à  remarquer 
que  les  anciens  critiques  qui  ont  commenté  ses  ouvrages , 
les  ont  toujours  considérés  sous  le  même  point  de  vue 
que  le  nouveau  recteur  de  Glasgow. 

M.  Brougham  arrive  ensuite  à  un  point  fort  délicat, 
indiqué  par  ce  précepte  d'Horace  : 

Sunt  cerli  deniffue  fines  ^ 

Quos  uhra  cilraque  nequit  consistere  rectum. 

Il  considère  l'ignorance  des  limites  posées  par  le  bon 
goût ,  comme  le  défaut  capital  de  notre  époque ,  et  il 
exhorte  avec  chaleur  la  jeunesse  à  s'en  garantir.  Il  cite 
quelques  passages  de  Démosllièncs  ,  pour  prouver  qu'il  sa- 
vait produire  de  grands  effets  en  peu  de  mots,  et  que ,  lors- 
qu'il avait  frappé  un  grand  coup  sur  l'ame  de  ses  auditeurs, 
•il  passait  de  suite  à  la  conclusion  sans  compromettre  -,  par 
de  fastueuses  amplifications ,  le  résultat  qu'il  venait  d'ob- 
tenir et  sans  courir  le  risque  de  distribuer,  eu  petite  mou- 


566  Discours  inaugural 

naie  une  pièce  de  la  plus  haute  valeur.  M.  Brougham 
cite  ensuite,  comme  contraste,  un  passage  justement  cé- 
lèbre du  discours  de  x\L  Burke,  sur  le  paiement  des  dettes 
du  nabah  d'Arcate.  Ce  morceau  est  la  description  de  l'in- 
vasion du  Carnate,  par  Hjder-Ali.  M.  Brougham  pense 
que  le  tableau  est  outré,  sent  trop  le  travail,  et  qu'ainsi 
il  manque  son  effet;  mais  il  ci-oit  aussi  que  si  M.  Burke 
avait  donné  suite  à  sa  aictaphore,  en  respectaut  les  règles 
de  Tunité,  s'il  avait  peint  la  nuée  aux  flancs  orageux, 
roulant  au-dessus  des  montagnes ,  se  déchirant  avec  fracas 
et  vomissant  la  désolation  et  la  mort ,  et  s'il  s'était  borné  à 
cette  description ,  en  choisissant  les  traits  les  plus  vigou- 
reux pour  lui  donner  la  couleur  convenable ,  ce  passage 
eût  été  meilleur  et  eût  produit  plus  d'effet.  Démosthènes 
a  traité  un  sujet  analogue,  et  l'a  fait  avec  un  goût  exquis. 
Pour  s'en  convaincre ,  il  suffit  de  iire  la  description  des 
désastres  qui  fondirent  sur  la  Phocide,  et  de  la  dévastation 
complète  de  ce  pays,  malheurs  que  l'orateur  attrilme  à 
Eschine,  en  l'accusant  de  s'être  laissé  corrompre,  pour 
livrer  les  Phocéens  à  la  cruauté  et  à  la  vengeance  de  leurs 
ennemis  les  plus  acharnés. 

M.  Brougham  s'est  bien  gardé  dépasser  sous  silence  une 
des  plus  hautes  recommandations  que  l'on  puisse  faire  aux 
hommes  qui  étudient  l'art  oratoire.  Cet  art  divin  n'a  pros- 
péré et  ne  prospérera  que  dans  un  pays  de  liberté.  Jamais 
l'esclave ,  docile  aux  moindres  gestes  d'un  maître ,  jamais 
le  favori  du  pouvoir  n'éprouveront ,  ou  du  inoins  ne  pour- 
ront exprimer  ces  nobles  sentimens  qui  émanent  autant  du 
sens  intime  de  l'indépendance  que  des  leçons  de  l'éducation. 
«  La  liberté,  dit  Mllton  dans  son  Aréopagitique y  est  la 
»  mère  nourricière  de  tous  les  grands  génies  ;  c'est  elle  qui, 
»  semblable  à  un  rayon  céleste,  a  porté  la  lumière  dans  nos 
»  esprits;  c'est  elle  qui  les  a  affranchis,  agrandis,  et  qui 
»  a  élevé  notre  intelligence  au-dessus  d'elle-même.  »  Mais 


de  M.  Broitgham.  567 

s'il  est  vrai  que  la  liberté  est  la  mère  Je  réloquence,  il  est 
également  certain  qu'en  fille  respectueuse  et  reconnais- 
sante, l'éloquence  doit  défendre  et  ranimer ,  s'il  le  faut , 
les  jours  de  sa  mère.  C'est  là,  en  efîet,  la  meilleure  et  la 
plus  haute  destination  de  l'art  oratoire  ;  et ,  sous  ce  rapport , 
ses  résultats  sont  aussi  beaux  eux-mêmes  que  son  exercice 
est  glorieux.  On  peut  réduire  la  liberté  au  silence  ;  on 
peut,  suivant  l'expression  de  Crassus ,  lui  couper  la  lan- 
gue ,  sans  mettre  sa  vie  en  péril.  Les  dernières  vibrations 
de  l'organe  expirant ,  rendront  un  son  terrible  à  l'oreille,  et 
funeste  aux  projets  de  la  tyrannie. 

JNous  terminerons  l'analyse  du  discours  de  M.  Brou- 
gham  en  transcrivant  sa  péroraison  : 

«  J'aime  donc  à  espérer,  dit  l'orateur,  que,  parmi  les 
jeunes  illustrations  qu'a  produit  cet  ancien  royaume  (  l'E- 
cosse )  si  renommé  par  les  lumières  et  par  le  caractère 
élevé  de  ses  habitans ,  peut-être  même  parmi  mes  audi- 
teurs ,  il  se  rencontrera  un  homme ,  un  seul  me  suffit ,  qui 
voudra  offrir  un  brillant  exemple  aux  autres  nations  dans 
une  route  jusqu'ici  inconnue,  et  qui  cherchera  à  se  placer 
à  la  tête  de  ses  concitoyens ,  non  par  de  frivoles  occupations 
ni  par  les  menées  honteuses  d'une  ambition  vulgaire,  mais 
en  remplissant  la  noble  tâche  d'éclairer  la  masse  de  ses 
compatriotes.  Je  le  vois  jaloux  de  laisser  un  nom  cou- 
ronné, non  d'une  splendeur  barbare,  ni  des  roses  éphé- 
mères d'une  futile  galanterie,  mais  de  palmes  plus  dignes 
de  la  raison  humaine;  un  nom  inséparable  des  progrès  de 
la  civilisation  et  de  la  diffusion  des  lumières  ;  un  nom  qui 
traverse  les  âges ,  soutenu  par  la  reconnaissance  de  plu- 
sieurs raillions  d'hommes  que  ses  sages  bienfaits  auront  arra- 
chés au  vice  et  à  l'ignorance.  C'est  à  lui  que  je  dirai  avec 
l'orateur  romain  :  Hommes  ad  deos  nulla  re propius  (icce- 
dunt  quam  salulcm  hominihus  dando;  niliil  habet  nec 
fortuna  tua  majus  quam  ut  possis ,    nec  melius  quam  ut 


368  Discours  inaugural  de  M.  Brougham. 

relis  serpare  quani  plurimos.  Ces  expressions  sont  la  de- 
vise de  tous  ceux,  qui  tiennent  à  Jouir  d'une  félicité  pure, 
et  qui  sentent  le  prix  d'une  haute  renommée  et  d'un  nom 
sans  tache.  Mais  si  les.  hienfaiteurs  de  riiumanité ,  après 
l'accomplissement  de  leurs  pieux  travaux ,  ont ,  en  récom- 
pense de  leurs  vertus ,  l'heureux  privilège  de  savourer  les 
bénédictions  que  ,  dans  un  autre  âge  ,  ils  ont  payées  de  tant 
de  fatigues  et  de  souffrances ,  loin  de  vous  la  pensée  que  les 
fondateurs  des  plus  puissantes  dynasties,  les  conquérans 
qui  ont  créé  de  nouveaux  empires  ,  non  pins  que  l'essaim 
vulgaire  de  ces  êtres  pervers  qui  ont  sacrifié  à  leur  agran- 
dissement le  bonheur  de  leurs  semblables,  éprouvent  quel- 
que satisfaction  à  contempler  les  monumens  de  leur  injuste 
renommée!  Ce  triomphe  sera  réservé  à  ceux  qui  pourront 
suivre  les  effets  de  leurs  efforts  éclairés,  pour  l'amélioration 
de  l'espèce  humaine.  Ils  trouverout  leurs  délices  dans  la 
réflexion  que  le  protligieux  changement  qu'ils  aiment  à 
contempler,  que  la  révolution  sublime  qui  a  fait  de  l'ins- 
truction un  pouvoir ,  de  l'autorité  l'apanage  de  la  vertu , 
qui  a  foulé  aux  pieds  la  superstition ,  et  banni  de  l'univers 
la  tyrannie,  sont  les  fruits  précieux,  mais  lents,  mais 
chèrement  achetés,  des  fatigues  qu'ils  ont  souffertes  et  des 
périls  qu'ils  ont  su  braver.  »  \ 

(  Reçue  d'Edinbourg.  ) 


MELANGES. 


DIT  PROJET  d'unir  ,   PAR  UN  CANAL  ,  l'aTLANTIQUE  ET  LA 
MER   PACIFIQUE  5    PAR    M.    BIRKS  PITMAN. 


Il  y  a  quelques  mois  qu'une  compagnie  a  conçu  le  pt-o- 
jet  d'ouvrir  un  caual  de  communication  entre  les  mers 
Atlaiilique  et  Pacifique ,  par  le  grand  isthme  qui  les  sépare  j 
projet  gigantesque  qu'on  devi'ait  ranger  peut-être  parmi 
les  spéculatious  chimcriques  si  communes  de  nos  jours. 
M.  Pllman  a  réuni  dans  l'ccrit  que  nous  annonçons  une 
foule  de  remarques  précieuses  sur  la  topographie  de  Tisthme 
et  sur  les  pariicularités  locales  qui  la  distinguent,  telles 
que  les  vents,  les  marées,  les  climats  et  autres  circons- 
tances physiques,  nécessaires  à  connaître,  avant  de  com- 
mencer des  travaux  qui,  par  leur  nature  même,  offrent  de 
prodigieuses  difficultés.  Toutefois,  après  avoir  examiné  ces 
difficultés  avec  attention  dans  Técrit  de  M.  Pitman,  nous 
ne  sommes  pas  disposés  à  regarder  Texéculion  de  ce  caual 
comme  absolument  impossible. 

Nos  lecteurs  n'ignorent  pas  sans  doute  que  ce  projet 
n'est  pas  nouveau.  Dès  l'année  i528,  on  soumit  à  la  cour 
de  Madrid  un  plan  tendant  à  unir,  dans  l'isthme  de  Darien, 
la  rivière  de  Chagres  avec  le  golfe  de  Panama.  D'autres 
plans  de  ce  genre  ont  été  proposés  à  diverses  époques  ,  tant 
au  gouvernement  espagnol  qu'à  celui  de  la  Grande-Bre- 
tagne; mais  le  premier  de  ces  gouvernemens,  si  jaloux  de 
ses  possessions  d'Amérique,  n'y  a  donné  que  le  degré 
d'attention  nécessaire  pour  les  rejeter  j  le  second,  ne  pou- 
vait disposer  du  territoire  compris  dans  les  plans  qui  lui 
étalent  soumis ,  n'a  pu  s'en  occuper  sérieusement. 


5^0  Canal  entre  r Atlantique         y 

Les  avantages  qui  résulteraient  de  communications  plus 
directes  entre  l'Orient  et  l'Occident,  au  moycm  d'un  déti'oit 
artificiel  pratiqué  entre  l'Atlantique  et  la  nier  Pacifique , 
sont  trop  évidens ,  pour  que  nous  ayons  à  les  développer. 
Ce  qu'il  s'agit  avant  tout  de  déterminer,  c'est  la  possibilité 
d'ouvrir  ce  détroit.  Tel  est  l'objet  spécial  des  recherches 
de  M.  Pitmau  \  pour  en  donner  une  idée,  11  suffira  de  citer 
les  faits  suivans  que  nous  puisons  dans  son  aperçu. 

Parmi  les  divers  points  du  grand  isthme ,  qui  ont  jus- 
qu'ici paru  plus  ou  moins  propres  à  l'établissement  d'un 
canal  de  communication  entre  les  deux  mers,  M.  Pitman 
n'en  distingue  que  deux  qui  méritent  de  fixer  l'attention. 
li'un  est  situé  svir  l'isthme  de  Darien,  et  l'autre  sur  celui  de 
Nicaragua.  Le  premier  de  ces  isthmes  possède  de  ])ons 
ports  sur  chacune  de  ses  côtes,  et  il  oflre ,  sur  une  largeur 
de  60  milles,  une  étendue  de  20  milles  déjà  navigable. 
Il  n'en  resterait  donc  que  4o  ^  creuser  :  toutefois,  cette 
entreprise ,  en  la  supposant  exécutable ,  réclamerait  des 
sacrifices  immenses  à  cause  de  la  nature  du  sol. 

D'excellens  ports  bordent  aussi  l'isthme  de  Nicaragua;  il 
est  borné  au  midi  par  mi  grand  lac  qu'on  dit  navigable, 
et  qui  communique  avec  l'Atlantique  au  moyen  de  la  rivière 
de  San- Juan.  On  pourrait  aisément  rendre  cette  rivière 
propre  à  la  navigation  ,  et  d'ailleurs  la  langue  de  terre 
située  entre  le  lac  et  l'Océan  Pacifique  serait  beaucoup  plus 
susceptible  d'être  creusée  ,  que  l'isthme  de  Darien.  C'est 
tlonc  sur  l'isthme  de  Nicaragua  que  l'entreprise  pourrait, 
dans  l'opinion  de  M.  Pitman  ,  s'exécuter  avec  le  plus  de 
chances  de  succès  ,  si  jamais  on  s'en  occupait  sérieusement. 

Cependant ,  il  ne  suffit  pas  de  s'être  entendu  sur  le  choix 
des  lieux,  pour  commencer  ces  travaux  ,  il  reste  à  savoir 
à  qui  rexccutionen  sera  confiée  5  sera-ce  à  une  seule  com- 
pagnie ou  à  plusieurs?  une  ou  plusieurs  nations  y  concour- 
ront-elles? Antres  questions  non  moins  importantes  :  quel 


et  la  mer  Pacifujue.  3^i 

sera  l'effet  du  choc  des  deux  mers  qui  se  heurteront , 
lorsque  la  digue  qui  les  contient  maintenant  sera  enlevée? 
quels  ravages  incalculables  ne  causeront-elles  pas  avant 
d'avoir  repris  leur  niveau?  Il  résulte  ,  de  l'aveu  même  de 
l'auteur ,  que  ce  projet ,  tout  simplifié  qu'il  est  par  la 
manière  dont  il  l'expose,  est  plus  facile  à  concevoir  qu'à 
exécuter.  En  admettant  en  effet,  que  la  conformation  phy- 
sique de  l'isthme  de  Darien  ou  de  celui  de  Nicaragua  se 
prête  à  son  accomplissement,  il  ne  faudra  rien  moins  que 
les  richesses  entières  d'une  natioa  pour  triompher  des  obs- 
tacles résultans  des  localités ,  et  le  développement  de  toutes 
ses  forces  morales  et  politiques  ,  pour  apaiser  les  jalousies 
des  puissances  que  son  exécution  pourra  intéresser  i  il  sera 
aussi  bien  difficile  d'obtenir  des  immunités  pour  la  naviga* 
lion  du  détroit,  et  des  garanties  pour  en  assurer  le  libre 
accès  à  toutes  les  nations. 

M.  de  Humboldt,  en  traitant  de  ce  projet,  objecte  que, 
«  chaque  nation  serait  dans  la  dépendance  des  maîtres  de 
l'isthme  et  du  canal.  »  Il  remarque  aussi  que,  «  si  le  canal 
vient  à  s'établir,  il  en  résultera  de  grands  changemens  dans 
l'état  politique  de  l'Asie  occidentale  5  et  en  effet  ,  l'isthme 
qui  sert  de  barrière  aux  flots  de  la  mer  Atlantique,  est 
depuis  bien  des  siècles  le  boulevart  de  l'indépendance  de  la 
Chine  et  du  Japon.  » 

Pour  écarter  vme  partie  des  obstacles  que  nous  avons  ra- 
pidement indiqués,  il  faudrait  que  ce  canal  fût  la  propriété 
collective  des  nations  qui  auraient  consenti  à  participer  à 
son  exécution.  Sans  doute  ce  serait  avec  peine  que  l'on  ob- 
tiendrait le  concours  des  divers  gouvernemens  de  l'Europe, 
pour  établir  cette  espèce  de  sanctuaire  ouvert  à  tous  les 
peuples,  et  dont  la  paix,  déclarée  inviolable,  serait  placée 
sous  leur  garantie  commune.  Probablement,  il  serait  aussi 
très-difficile  de  déterminer  les  nouveaux  états  du  Mexi- 
que à  faire  les  concessions  de  territoire  nécessaires  pour 


S^a  Canal  entre  VAtlantiquo 

l'achèvement  de  ce  grand  ouvrage.  Cependant ,  comme  on 
l'a  déjà  observé  ,  les  projets  gigantesques  séduisent  davan- 
tage l'imagination  des  peuples  dont  la  civilisation  est  ré- 
cente ,  que  les  plans  d'une  exécution  plus  simple.  D'ail- 
leurs ,  ces  concessions  s'obtiendraient  moins  difficilement  si 
on  convenait  que  le  territoire  cédé ,  et  le  canal  lui-même  , 
seraient  régis  par  une  commission  mixte,  composée  des  dé- 
légués des  nations  qui  auraient  concouru  à  cette  superbe 
entreprise.  L'institution  de  cette  espèce  de  diète,  investie 
d'un  pouvoir  si  élevé  et  si  utile,  ferait  une  ère  nouvelle 
dans  l'histoire  de  l'espèce  humaine. 

Les  Hindous  ,  les  Egyptiens,  et  d'autres  nations  de  l'an- 
tiquité, ont  élevd  des  constructions  qui  nous  étonnent  en- 
core par  une  exécution  hardie  et  par  des  proportions  co- 
lossales. Il  serait  beau  de  voir  les  peuples  modernes ,  plus 
riches,  plus  éclairés,  et  qui  disposent  de  ressources  bien 
autrement  étendues  ,  s'entendre  pour  laisser  un  monument 
impérissable  de  leurs  efforts  réunis  et  combinés  ,  et  sacri- 
fier les  misérables  rivalités  qui  les  divisent ,  à  l'établisse- 
ment d'une  paix  perpétuelle  qui ,  quoique  locale,  n'en  au- 
rait pas  moins  des  avantages  immenses  et  communs  à  tous. 

Ce  quiaugmenterait  encore  l'utilité  du  canal  projeté,  c'est 
qu'aucune  découverte  future  dans  le  domaine  de  la  géogra- 
phie ,  ne  pourrait  diminuer  l'importance  de  cette  vole  nou- 
velle ouverte  au  commerce  du  mondej  car  elle  offrirait  une 
réunion  d'avantages qu'onn'obtiendrajamais de  ces  passages 
qu'on  a  si  îong-tems  et  si  vainement  essayé  d'ouvrir  par  le 
nord  vers  l'Océan  Pacifique.  Ajoutons  que  l'exécution  de 
celte  entreprise  par  les  Européens  serait  une  sorte  de  ré- 
paration faite  à  l'Amérique,  pour  les  désastres  qui  suivirent 
immédiatement  la  découverte  de  cet  immense  continent. 
Eu  un  mot,  le  projet  de  creuser  l'isthme  de  Panama  ne 
cède  en  grandeur  et  en  utilité  qu'à  la  découverte  même 
du  Nouveau-Monde.  (^Monthly  Reçiew,) 


\ 


Suifvégétaf.  3^5 

Recherches  sur  ux  produit  végétal  particulier  , 
possédant  les  principales  propriétés  du  suif;  par 
M.  Benjamin  Babington, 


Dans  le  cours  de  ma  dernière  excursion,  dit  ce  voyageur, 
tandis  que  j'étais  à  Mangalore,  dans  la  province  du  Carnate, 
j'appris  d'un  habitant  de  cette  ville  que  \e  Satcria-indica, 
arbre  très-commun  de  ces  contrées ,  fournit  une  subs- 
tance qui  n'a  encore  été  indiquée  par  aucun  Européen  , 
quoique  ses  propriétés  puissent  en  faire  un  article  très-im- 
portant de  commerce,  et  semble  mériter,  sous  ce  rapport, 
<le  fixer  l'attention  de  mes  compatriotes.  Le  produit  dont 
je  parle  est  un  composé  inflammable,  qui  tient  de  la  nature 
de  la  cire  et  de  l'huile ,  et  qui  a  l'apparence  du  suif.  On 
ne  s'en  sert  que  dans  la  ville  Je  Mangalore  ;  on  l'y  emploie 
comme  topique  dans  les  contusions  et  les  douleurs  rhuma- 
tismales ;  fondu  avec  une  résine  que  fournit  ce  même  arbre, 
il  tient  lieu  de  goudron  pour  enduire  les  bateaux.  On  ob- 
tient cette  substance,  en  faisant  simplement  bouillir  dans 
l'eau  le  fruit  du  sateria.  On  voit  le  suif  fondu  s'élever  à  la 
surface,  et,  par  le  refroidissement ,  il  prend  la  forme  d'un 
pain  solide. 

Ce  suii  végétal  est  ordinaiï'ement  blanc,  quelquefois 
jaune  ,  onctueux  au  toucher,  presque  sans  goût,  d\me 
odeur  assez  agréable  ,  et  assez  semblable  au  cérat  ordinaire. 
Il  fond  à  la  température  de 97  1/2  degrés,  et  conséquem- 
ment  reste  solide  dans  le  climat  des  Indes.  Sous  ce  rapport, 
ce  suif  diffère  de  l'huile  de  palmier  et  de  cacao.  S'il  est 
enveloppé  dans  des  feuilles  de  papier  brouillard,  et  soumis 
à  une  forte  pression,  !'!uiile  qu'il  fournil  suffit  à  peine  pour 
tacher  la  première  feuille.  Il  est  si  compact  et  si  solide  que, 
quand  il  est  sous  la  forme  de  petits  pains  ronds,  du  poids  de 
neuf  livres,  deux  hommes  très-forts  nepeuvent  pas  le  couper 

I.  25 


374  Suif  répétai. 

avec  un  fil  d'arcbal,  et  môme  ce  nVst  pas  sans  peine  qu'où 
en  vient  à  bout  avec  une  scie.  Sa  cassure  présente  une  struc- 
ture cristalline,  formée  tle  la  réunion  tle  petites  sphères 
composées  elles-mêmes  de  ravons  qui  partent  d'un  centre. 
liC  suif  animal,  lorsqu'il  est  fondu  en  grands  pains  et  re- 
froidi lentement ,  présente,  dit-on,  le  même  caractère. 

I/état  de  concrélion  de  celte  substance  combustible  est 
sans  doute  ce  qui  l'a  empêchée  d'être  connue  plus  générale- 
rnent ,  même  des  habitans  des  contrées  où  l'arbre  est  in- 
digène  :  car  cet  état  s'opposait  à  ce  qu'on  en  fît  usage  pour 
s'éclairer,  puisque  les  habitans  de  l'Inde,  comme  on  le 
sait ,  ne  se  servent  pas  de  chandelles;  mais  de  lampes,  et  que 
la  nature  leur  fournit,  avec  profusion,  plusieurs  espèces 
d'huiles  végétales  fluides. 

Voici  le  résultat  de  quelques  expériences  faites  sur  le  suif 
végétal,  pourGndéterminerl'utilitéainsi  que  la  composition. 
Sa  pesanteur  spécifique  à  97  1/2  Fahrenheit,  est  deSg, 65, 
et  à  60°,  de  99., 60.  Combiné  avec  les  alkalis  tises,  il  forme 
un  composé  savonneux.,  mais  qui  ne  paraît  pas  [  onvoir  faire 
un  savon  propre  à  entrer  dans  le  commerce;  et,  sous  ce  rap- 
port ,  il  semble  plutôt  participer  de  la  nature  de  la  cire 
que  de  celle  du  suif. 

Si  on  en  fait  des  bougies ,  il  se  détache  faci'ement  du 
moule ,  et  diffère  ainsi  de  la  cire  que  l'on  a  tant  de  peine  à 
mouler.  Il  donne  une  lumière  aussi  brillante  que  celle  du 
suif,  et  l'emporte  sur  ce  dernier,  en  ce  qu'il  ne  répand 
point  d'odeur  désagréable,  et  que,  quand  on  l'éteint,  il  ne 
donne  pas  une  vapeur  infecte.  Il  se  mélange,  dans  toutes 
ses  proportions,  à  la  cire,  au  blanc  de  baleine  et  au  suif. 

Voulant  connaître  la  combustibilité  comparative  du  suif 
végétal,  je  fis  des  bougies  de  suif  de  pin,  de  suif  animal  et 
de  cire  :  elles  furent  faites  dans  le  même  moule,  et  les 
mèches  furent  composées  d'un  nombre  égal  de  fils.  Après 
U'S   avoir  pesées  avec  soin  ,  je  les  fis  briilor  pendant   inie 


Suif  végétale  SyG 

heure,  dans  un  appartement  où  Taîr  n'était  point  agité,  et 
à  la  température  tie  55  degrés;  j'obtins  les  résultats  sul- 
vans  : 

Perle. 


Poids  en 

grains 

Poids  au  bout 

avant 

d'être 

allumées. 

d' 

une  heure. 

Cire 

84o 

719 

Suif  animal 

8ii 

7o3 

Suif  végétal 

8ici 

-JOI 

Je  ne  dois  pas  oublier  de  dire  que,  dans  cette  expérience, 
la  mèche  de  la  bougre  de  cire  était  beaucoup  plus  petite  , 
ce  qui  n'empêche  pas  qu'il  n'ait  été  brûlé  une  plus  grande 
quantité  de  cire  que  de  suif,  résultat  contraire  à  l'opinion 
générale.  Dans  une  seconde  expérience ,  je  comparai  de 
nouveau  le  suif  végétal  à  la  cire,  ayant  eu  soin  de  ne  pas 
laisser  subsister  la  différence  que  nous  venons  d'indiquer  , 
et  j'obtins  le  résultat  suivant ,  les  mèches  étant  composées 
de  douze  fils,  comme  dans  les  bougies  de  cire  que  l'on  em- 
ploie habituellement  : 

Poids  en  grains  Poids  au  boul  Perle, 

avant  d'être  allumées.       d'une  heure. 

Cire  7.30  5o4  i38 

Suif  végétal        77^  68^  90 

Cette  expérience  ,  qui  s'accorde  bien  avec  la  première  , 
prouve  que  le  suif  végétal  se  rapproche  plus,  pojpr  la  com- 
hustion,  du  suif  animal  que  de  la  cire.  D'autres  expériences 
ont  encore  produit  les  mêmes  résultats. 

Il  paraît  qu'en  ce  moment  ou  ne  pourrait  pas  trouver 
plus  de  deux  tonnes  de  suif  végétal  dans  la  ville  de  Manga- 
lore ,  que  l'on  aurait  à  2  d.  1/2  (  5  sous  )  la  livre  j  car, 
comme  nous  l'avons  dit,  on  ne  l'y  emploie  que  comme  mé- 
dicament ,  et  ce  n'est  que  dans  la  ville  qu'on  le  prépare. 
Mais  l'arbre  qui  le  produit  est  si  commun  sur  la  côte  occi- 
dentale de  la  péninside  de  l'Inde,  au  moins  jusqu'au  nord 


3n6  Coalitions  d'ouvriers. 

des  confins  de  la  province  du  Carnate ,  que ,  Ijlen  que  le 
fruit  soit  complètement  négligé,  les  habitans  le  recueille- 
raient avec  soin,  si  on  leur  faisait  des  demandes  de  ce  pré- 
cieux produit. 


COALITIONS    D  OUVRIERS. 


Les  lois  spéciales  relatives  aux.  coalitions  d'ouvriers  et  à 
rémigration  des  artisans  ,  ont  été  rapportées  par  le  Par- 
lement,  dans  le  cours  de  sa  dernière  session.  Les  ouvriers 
sont  rentrés  dans  le  droit  commun  :  ils  peuvent  se  réunir^ 
débattre  entr'eux leurs  intérêts  ,  et  prendre,  à  cet  égard, 
teile  résolution  que  bon  leur  semble.  La  loi  ne  s'interpose 
que  lorsqu'une  portion,  qui  a  voiontalrement  interrompu 
ses  travaux,  veut  aussi,  par  des  moyens  violens ,  empêcher 
les  autres  de  travailler.  C'est  a'ors  que,  sur  la  déposition 
d'un  seul  témoin  ,  un  magistrat  quelconque  peut  entamer 
des  poursuites  judiciaires. 

Les  coalitions  des  charpentiers  de  vaisseaux  et  des  ma- 
telots se  trouvent  en  quelque  sorte  paralysées  par  une  ré- 
solution du  Parlement  qui  modifie  singulièrement  le  fameux 
acte  de  navigation.  Par  cette  résolution ,  le  conseil  privé 
peut  permettre  aux  armateurs  de  faire  réparer  leurs  na- 
vires dans  les  ports  étrangers ,  quand  les  ouvriei's  anglais 
refusent  de  travailler  j  et  aux  navires  anglais,  de  prendre  à 
leur  bord  autant  de  marins  étrangers  qu'ils  en  veulent , 
quand  ceux  de  la  Grande-Bretagne  ne  consentent  pas  à 
s'embarquer. 

Malheureusement,  il  ne  sera  pas  aussi  facile  d'empêcher 
les  coalitions  des  autres  classes  d'ouvriers  :  ces  ccalilions  se 
soutiennent ,  et  en  voici  un  exemple  récent.  Il  résulte  d'un 
rapport  lu  dans  un  des  clubs  des  ouvriers  charpentiers  de 


Nouvelles  des  sciences  ,  du  coinruerce  ,  etc.         3'j'j 

ia  marine,  que,  pour  ai'river  au  but  de  leur  coalition,  ils 
ont  employé  ,  pendant  ce  dernier  trimestre,  2,600  liv.  st. 
(  65, 000  francs  ) ,  pris  sur  les  fonds  de  leur  société,  et  qu'il 
reste  en  caisse  54o  liv.  st.  (  8,5oo  francs)  disponibles. 

Les  tisserands  de  la  ville  de  Bradfort,  ayant  demandé  à 
leurs  maîtres  une  augmentation  de  salaire,  et  ne  l'ayant 
pas  obtenue,  leurs  confrères  de  Huddersfield,  ville  voisine, 
sont  venus  à  leur  secours,  et  leur  ont  envoyé  5oo  liv.  st. 
(  7,5oo  francs),  en  leur  en  promettant  5, 000,  s'il  était  néces- 
saire, pour  appuyer  leurs  prétentions. 


NOUVELLES  DES  SCIENCES, 

DE    LA    LITTÉRATURE,    DES    BEAUX- ARTS,    DU    COMMERCE, 
DES    ARTS   INDUSTRIELS,    DE    l'aGRICULTURE  ,    ETC. 


ASTRONOMIE 


Taches  solaires.  —  Le  faisceau  de  taches  solaires  qu'on 
a  observé  depuis  quelque  tems,  a  présenté  des  phénomènes 
très-remarquables  dans  le  cours  de  cette  semaine.  Lors- 
qu'on aperçut  d'abord  des  taches,  le  1 2  de  ce  mois  (  juillet  ), 
elles  n'étaient  qu'au  nombre  de  sept;  la  supérieure  était 
un  peu  plus  grande  que  les  autres,  et  elles  projetaient  une 
ombre  très-forte  autour  d'elles.  Le  1 3  et  le  i4,  on  en 
observa  une  ou  deux,  de  plus.  Le  i5,  devenues  très- nom- 
breuses, elles  occupaient  un  espace  assez  grand  sur  le  dis- 
que solaire,  espace  égal  à  57,128  lieues  (  environ  quatorze 
fois  le  diamètre  de  la  terre  ).  Le  même  jour,  à  cinq  heures 
de  l'après-midi,  et  pendant  les  trois  jours  suivans  ,  ces 
taches  n'en   formaient  plus  qu'une  seule,  slluée  dans  la 


3^8  Nouvelles  des  sciences  , 

partie  du  disque  solaire,  de  fornie«elliptic]ue ,  et  placée 
verticalement  à  droite. 

Herschell  attribue  les  taches  qui  se  forment  sur  le 
disque  du  soleil  à  l'émission  d'un  fluide  aériforme,  non 
encore  en  combustion ,  qui  déplace  le  gi'and  atmosphère 
lumineux,  et  qui  doit  ensuite  servir  lui-même  à  entretenir 
la  combustion  j  il  considère  les  taches  de  ce  genre,  comme 
annonçant  de  fortes  chaleurs  à  la  surface  de  la  terre,  et  il 
appuie  cette  opinion  d'exemples  historiques.  II  est  certain 
que  les  chaleurs  que  nous  éprouvons  cette  année  ,  se  ren- 
contrant avec  le  phénomène  en  question  ,  tendent  beaucoup 
à  confirmer  cette  théorie. 

—  On  lit  dans  les  journaux  allemands ,  que  le  docteur 
Fischer,  de  Konenherg,  eu  Autriche,  a  prédit ,  il  y  a  quel- 
que tems ,  un  été  chaud  et  sec ,  par  la  raison  que  le  soleil 
se  trouvant  sans  taches ,  doit  envoyer  à  notre  planète 
une  dose  plus  forte  de  calorique  et  de  lumière. 

Lequel  de  Herschell  ou  du  docteur  Fischer  a  le  mieux 
observé  le  soleil  ? 

HISTOIRE   NATURELLE. 

Neige  lumineuse.  —  Vers  la  fin  du  mois  de  mars  der- 
nier ,  il  tomba  ,  à  Lochawe ,  dans  l'Argyle-Shire  ,  une 
certaine  quantité  de  neige  qui  étonna  ou  alarma  les  habi- 
tans  ,  suivant  qu'ils  cédèrent  aux  impressions  diverses  de 
la  curiosité  ou  de  la  superstition.  Quelques  personnes  qui, 
le  matin  même ,  avaient  traversé  le  lac ,  furent  mieux  à 
même  d'observer  le  phénomène.  Pendant  le  four,  toute  la 
nature  avait  été  dans  un  calme  parfait ,  et  ils  s'en  retour- 
naient chez  eux,  après  avoir  quitté  Ben-Cruachan,  lors- 
que, voyant  le  ciel  se  couvrir  subitement  de  sombres  nuages, 
ils  ramèrent  avec  plus  de  force  afin  d'atteindre  le  rivage 
avant  de  voir  éclater  la  tempête  qui  les  menaçait^  mais,  au 
bout  de  quelques  minutes,  ils  furent  surpris  par  la  neige, 


du  commerce  ,  de  l'industrie ,  clc.  3'jq 

el  aussitôt  après,  le  lac  qui ,  un  instant  plus  tôt ,  était  calme 
et  unij  ne  présenta  plus,  cle  même  que  leur  bateau,  leurs 
habits  et  tout  ce  qui  les  environnait,  qu'une  surface  lumi- 
neuse, formant  une  immense  nappe  de  feu.  Les  parties  de 
leur  corps,  qui  étaient  exposées  à  Tair ,  ne  furent  point 
exceptées  :  ell<?s  paraissaient  toutes  en  feu ,  quoiqu'elles 
ne  fussent  le  siège  d'aucune  sensation  de  chaleur.  S'ils  pre- 
naient dans  leurs  mains  la  neige  ,  déjà  fondue  à  moitié , 
toutes  les  parties  qui  en  étaient  luiniectées  devenaient  lu- 
mineuses, et  la  neige  conserva  cette  propriété  pendant  au 
moins  douze  ou  quinze  minutes.  Le  soir,  la  température 
s'adoucit,  le  tems  s^  calma  j  mais  il  resta  trcs-sombre.  Les 
habitans,  qui  voyaient  pour  la  première  fois  ce  phénomène, 
le  regardèrent  comme  l'avant-coureur  de  quelque  grande 
catastrophe. 

LITTÉRATURE,  ÉDUCATION,  INSTRUCTION  RELIGIEUSE,  elC. 

Manuscrit  sur  papyrus  de  /'Iliade  d'Homère^  troupe 
depuis  peu  en  Egypte ■,  et  appartenant  à  M.  Bankes.  — Nous 
avons  pu  examiner  ce  manuscrit  et  nous  avons  reconnu , 
en  le  coUatlonnant  avec  les  éditions  imprimées  d'Homère, 
que  ces  dernières  sont  conformes  aux  manuscrits  les  plus 
anciens  de  ses  poèmes. 

Le  manuscrit  en  (piestion  est  écrit  sur  un  papyrus  de  la 
couleur  jaunâtre  accoutumée.  11  est  eu  lettres  majuscules 
bien  faites,  et  semblables,  pour  la  forme  ,  à  celles  usitées 
en  Egypte,  vers  la  fin  de  la  dynastie  des  Ptolémées.  Comme 
on  l'observe  dans  les  plus  anciens  manuscrits ,  les  mots 
ne  sont  séparés  l'un  de  l'autre  par  aucun  intervalle^  mais 
les  vers  sont  rangés  en  colonne,  sur  des  lignes  assez  es- 
pacées. Chaque  colonne  contient  de  (juarante-deux  à  qua- 
rante-quatre vers  qui  occupent  la  largeur  du  rouleau,  à 
l'exception  d'une  petite  marge  en  haut  et  en  bas.  Ce  ma- 


^ 


58o  Noiii'elles  des  sciences  y 

nuscrit  (saus  doute  le  dernier  de  vingt-quatre  rouleaux ,  ou 
volumes  distincts  )  ne  paraît  avoir  contenu  que  le  vingt- 
quatrième  chant  de  \ Iliade.  Les  plis  extérieurs  du  papyrus 
ayant  été  détruits  par  le  frottement  et  par  le  tems,  les 
premiers  cent  vingt-six  vers  du  chant  manquent.  Les  traces 
du  pouce  appliqué  au  volume  pour  le  dérouler,  sont  visi- 
bles sur  les  autres  plis  ou  pages,  où  il  y  a  quelques  mots 
effacés.  Le  reste  est  complet  jusqu'à  la  fin  du  chant.  Ce 
papyrus  donne  lieu  d'espérer  que  l'on  pourra  découvrir , 
en  Egypte,  d'autres  manuscrits  contenant  des  productions 
de  la  littérature  grecque  plus  intacts  et  moins  illisibles  que 
ceux  d'Herculanum.  Il  ne  serait  pas  impossible,  par  exem- 
ple, qu'on  y  retrouvât  un  jour  les  annales  rédigées  par 
Manethon,  qui  jetteraient  un  si  grand  jour  svir  l'histoire 
primitive  du  monde  en  général,  et  en  particulier  sur  celle 
de  l'Egypte. 

—  Il  nous  est  parvenu  de  l'Inde  quelques  exemplaires 
d'un  ouvrage  imprimé  avec  un  grand  luxe  et  intitulé  :  Les 
Sept  Mers,  ou  Dictionnaire  et  Grammaire  de  la  langue  per- 
sane, par  S.  M.  le  roi  d'Aoude.  Cet  ouvrage  qui  forme  sept 
volumes  in-folio,  sort  de  l'Imprimerie  Royale  de  la  ville 
de  lAicknovï^.  Les  six  premiers  volumes  contiennent  le 
dictionnaire,  et  le  septième  la  grammaire  de  cette  langue. 
Depuis  le  tems  du  savant  Abulfeda,  prince  de  Haraah,  de 
la  dynastie  d'Ejub,  qui  mourut  en  i552,  et  qui  est  cé- 
lèbre, moitié  en  Europe,  comme  historien  et  géographe, 
aucun  prince  d'Asie  n'a  rendu  aux  lettres  un  aussi  grand 
service  que  le  rajah  d'Aoude ,  par  la  publication  de  ce  Dic- 
tionnaire de  la  langue  -persane.  Il  en  sera  rendu  compte 
par  un  orientaliste  qui  s'occupe  dans  ce  moment  de  l'exa- 
miner, et  qui  se  propose  défaire  connaître  les  rapports  qui 
existent  entre  cette  langue  et  celles  de  l'Europe,  et  surtout 
la  langue  allemande. 


du  commerce  ,  de  l'industrie ,  etc.  38 1 

Journaux  à  Calcutta ,  en  langue  bengali.  —  Nos  feuilles 
du  Bengal  annoncent  qu'on  vient  de  créer  à  Calcutta  un 
]'ournal  hebdomaxlaire,  écrit  en  bengali,  et  rédigé  par  un 
savant  hindou.  Le  premier  numéro  contient  un  article  sur 
la  liberté  de  la  presse  dans  l'Inde,  et  le  second  en  renferme 
un  autre  sur  le  jugement  par  jury.  Ils  ont  été  lus -avec  une 
telle  avi  lité,  que  l'édition  de  ces  deux  numéros  a  été  épui- 
sée. Ce  journal  est  intitulé  :  Sunghand  Cowt7iuddy ,  ou  la 
Lune  des  Nouvelles. 

Ecole  des  Arméniens  à  Calcutta.  —  On  désire  vivement 
ici  le  succès  de  cette  école  5  ce  qui  vient  en  grande  partie 
de  Tintérêt  qu'on  prend  aux  Arméniens,  à  cause  de  la  reli- 
gion chrétienne  qu'ils  professent.  Rien  ne  peut  se  comparer 
à  l'état  de  servitude  et  d'avilissement  où  les  tiennent  les 
musulmans ,  si  ce  n'est  celui  oii  les  Grecs  gémissent  éga- 
lement sous  les  mêmes  maîtres.  C'est  pour  se  dérober  à 
une  condition  si  déplorable ,  qu'à  l'exemple  des  enfans 
d'Israël,  ils  se  répandent  sur  la  face  de  la  terre,  cherchant 
quelque  protection  chez  les  princes  de  la  chrétienté.  Les 
Arméniens  sont  actifs  01  iutelligens ,  et  leur  aptitude  au 
commerce  est  universellement  reconnue.  Napoléon  avait 
formé  le  projet  d'en  établir  une  colonie  en  France  et  il  avait 
protégé  ceux  qui  s'étaient  fixés  en  Italie.  L'empereur 
Alexandre  s'est  montré  aussi  très-favorable  aux  Arméniens  j 
il  a  permis  à  ceux  d'entr'eux  qui  sont  dans  ses  états  de 
bâtir  une  cathédrale  à  Pétersbourg ,  et  un  collège  à  Mos- 
cou :  il  a  ensuite  décoré  le  patriarche  d'Arménie  de  la  croix 
de  Saiat-André ,  le  premier  ordre  de  Russie.  Dès  les  pre- 
miers tems  de  sa  domination  dans  l'Inde,  la  Compagnie 
anglaise  a  protégé  les  Arméniens,  et  les  a  employés  prin- 
cipalement comme  facteurs  ou  agens  commerciaux.  Ce  qui 
dojinc  une  idée  trcs-avautagcuse  de  leur  caractère,  c'est 
([uc,  tout  voués  qu'ils  sont  ici  au  commerce,  ils  ne  laissent 


582  Noiwe/Us  des  sciences  , 

pas  de  cultiver  leur  esprit  par  l'étude  de  nos  sciences,  e' 
«le  leur  propre  littérature  ,  qui  est  très-riche  et  qui  contient 
des  ouvrages  fort  curieux. 

Le  i4  janvier  dernier,  l'examen  des  élèves  a  été  ter- 
miné par  une  distribution  de  prix.  Les  élèves  arméniens 
ont  récité,  avec  une  énergie  et  une  justesse  remarquables, 
le  discours  des  ambassadeurs  des  Scythes  à  Alexandre-le- 
Grand,  le  plaidoyer  de  l'apôtre  Paul  devant  le  roi  Agrippa , 
et  le  dialogue  entre  le  roi  Canut  et  ses  courtisans  ;  ils  ont 
aussi  prononcé  quelques  discours  en  langue  arménienne  , 
qui  ont  été  très-applaudis. 

Collège  dans  l'Inde  pour  l'étude  du  samskrit.  —  La  dis- 
tribution des  prix  remportés  par  les  étudians  tie  ce  collège, 
a  eu  lieu  ces  jours  derniers.  Les  examens  préliminaires 
avaient  occupé  les  sept  jours  précédens.  Les  élèves  s'y  sont 
fait  généralement  remarquer  par  leurs  progi'ès ,  d'autant 
plus  dignes  d'éloges,  que  l'institution  est  toute  nouvelle. 
Ce  collège ,  le  premier  de  ce  genre  qu'on  ait  encore  établi 
dans  le  Bcngal ,  ne  peut  manquer  d'être  fort  utile  au  peuple 
hindou.  On  y  enseigne  la  grammaire,  la  logique,  les 
belles-lettres,  la  législation  et  la  théologie.  Tous  les  mem- 
bres du  comité  d'iifctruclion  publique  ont  assisté  à  cette 
séance.  L  a  été  adressé  aux  élèves  et  aux.  professeurs  un 
discours  en  langue  samskrite,  tendant  à  développer  le  but 
de  l'institution.  Trente  prix  ont  été  distribués  j  leur  valeur 
s'élève  en  tout  à  la  somme  de  55o  roupies. 

Education  des  femmes  dans  l'Inde.  —  Il  résulte  du 
dernier  rapport  fait  à  la  Société  jjour  l' Encouragement 
de  l'Instruction  à  Calcutta,  que  les  écoles  actuellement 
sous  sa  direction,  tant  dans  cette  ville  que  dans  les  en- 
virons ,  sont  au  nombre  de  deux  cents ,  et  que  les  enfaus 
(les  Hindous  qui  s'y  instruisent  dans  les  connaissances  de 
TEuropo,  sont  au  nombre  de  cinq  cents. 


du  coriuiitfrce ,  de  l'industrie  ,  etc.  383 

Une  circonstance  qui  indique  un  grand  changcmenl  dans 
les  préjugés  des  Hindous,  c'est  que  plusieurs  d'entr'eux 
font  élever  leurs  filles  dans  nos  institutions.  A  la  dernière 
réunion  annuelle  de  la  Société  protectrice  des  écoles  pour 
l'instruction  des  femmes  à  Calcutta,  on  a  lu  un  rapport 
qui  nous  apprend  que  ces  écoles  sont  fréquentées  main- 
tenant par  des  jeunes  filles  hindoues  de  tous  les  rangs  ;  qu'on 
y  remarque,  par  exemple,  deux  Brahmines,  quatre  Hayns- 
thus  et  sept  Vîshniihiennes  (  ce  sont  les  noms  des  premières 
castes  de  l'Inde).  Le  rapport  ajoute  qu'un  savant  du  pays 
a  publié  un  écrit  en  bengali ,  tendant  à  prouver  qu'il  était 
anciennement  d'usage  parmi  les  Hindous  d'instruire  leurs 
femmes ,  et  que  l'éducation  de  ces  dernières ,  loin  d'être 
une  chose  nuisible  ou  déshonorante,  comme  on  le  suppose 
communément,  pourra  devenir  fort  utile,  si  elle  est  con- 
venablement dirigée  (i). 

Sociétés  Bibliques. — Une  de  ces  sociétés,  établie  à  Londres , 
a  tenu  une  réunion ,  ces  jours  derniers  ,  où  l'on  a  recueilli 
les  faits  suivans  : 

Dans  l'Amérique  du  sud ,  des  prêtres  catholiques  con- 
courent avec  les  missionnaires  protestans  à  répandre  la 
connaissance  du  Lit^re  sacré.  Un  dépôt  de  Bibles  a  été  établi 
dans  un  couvent  de  franciscains  ,  situé  au  pied  du  grand 
volcan   de  Cotopaxi ,  et  il  s'est  vendu  cent  exemplaires 

(i)  Note  du  Tr.  Nos  lecteurs  auront  sans  doute  remarqué  l'en- 
semble des  petits  faits  rapporle's  ci-dessus  et  qui  sont  empruntes  aux 
journaux  anglais  qui  paraissent  dans  l'Inde  :  des  rois  de  l'Orient  qui 
composent  des  grammaires  et  des  dictionnaires;  des  Hindous  qui  pu- 
blient des  journaux  ,  et  qui  dissertent  sur  l'institution  du  jury  et  sur  la 
liberté  de  la  presse  ;  de  jeunes  brahmines  que  leurs  ^arcns  font  élever 
.dans  des  écoles  Instituées  par  des  Européens,  etc.;  tout  annonce  que 
de  grands  changemens  se  préparent  ou  s'opèrent  dans  le»  opinions  et 
dan»  les  habitudes  de  l'Asie. 


384  NmiDelles  des  sciences  , 

dans  l'espace  de  deux  heures.  Un  descendant  des  Incas  , 
habitant  de  Cusco  ,  vient  d'en  achever  une  traduction  eu 
langue  péruvienne.  A  Santa-Fé  de  Bogota ,  capitale  de  la 
république  de  Colombie,  il  s'est  formé  une  Société  biblique, 
qui  a  pour  président  un  des  secrétaires  d'état.  Dans  un 
discours  qu'il  a  adressé  à  la  Société,  le  jour  de  son  installa- 
tion ,  on  remarque  le  passage  suivant  :  «  Le  concile  de 
»  Trente  a  interdit  aux  laïques  la  lecture  de  la  Bible  ,  et  le 
»  pape  régnant  réitère  cette  défense  dans  une  bulle  ré- 
»  cente  ;  mais ,  à  mes  yeux  ,  le  jugement  des  anciens  pères 
»  a  plus  d'autorité  que  celui  des  pères  modernes.  »  Deux 
prêtres  seulement  se  sont  prononcés  contre  cette  Société  , 
l'un  parce  que  les  Bibles  qu'on  distribue  n'ont  pas  de  com- 
mentaire, et  l'autre  parce  qu'il  croit  plus  utile  que  le  peuple 
ne  connaisse  pas  la  Bible.  Heureusement  assez  d'autres 
prêtres  favorisent  le  système  contraire. 

Sur  les  côtes  de  la  Méditerranée  ,  la  Bible  a  des  succès 
extraordinaires  j  10,000  exemplaires,  imprimés  en  di- 
verses langues,  ont  été  vendus  dans  l'espace  de  trois  mois. 
Le  dépôt  de  l'île  de  Malte,  qui  les  a  fournis  ,  a  été  épuisé 
par  ce  rapide  écoulement.  Sur  les  10,000  exemplaires  ,  il 
y  en  avait  'joo  en  langue  hébraïque  ,  pour  les  juifs  qui 
sont  l'épandus  dans  les  divers  états  de  la  Méditerranée  ; 
1 ,000  eu  langue  syriaque  ,  pour  les  habitans  de  la  Pales- 
tine ,  et  5oo  en  arabe  ,  pour  les  tribus  diverses  qui  parlent 
cette  langue. 

Il  s'en  est  vendu  en  outre  3,000  à  Constantinople ,  l'an- 
née dernière  5  celles-ci  étaient  presque  toutes  imprimées 
en  langue  turque.  Une  circonstance  singulière ,  c'est  que  le 
sultan  avait  rendu  un  firnian  pour  en  défendre  la  lecture , 
prescfu'eu  même  tems  que  le  pape  rendit  sa  bulle  i  mais  la 
bulle  et  le  firmau  ont  été  également  sans  effet. 

En  France,  vingt -trois  nouvelles  Sociétés  bibliques  ont 
été  créées  dans  le  cours  de  l'année  dernière. 


du  commerce  ,  de  l'industrie  ,  etc.  585 

■ —  La  Société  biblique  de  Calcutta  vient  de  tenir  sa  troi- 
sième séance  annuelle  5  on  y  a  fait  lecture  du  rapport  de  son 
comité.  Il  résulte  de  ce  rapport  que,  dans  le  cours  de  Tan- 
née dernière  ,  il  a  été  distribué  ,  au  nom  de  la  Société  , 
4,147  exemplaires  de  la  Bible,  en  diverses  langues,  et 
que,  depuis  sa  fondation,  la  Société  en  a  distribué  eu  tout 
1 1 ,573  exemplaires. 

Les  Cjpa.yes  qu'on  a  fait  marcber  depuis  peu  contre 
Tempire  des  Birmans  ont  été  pour  la  plupart  pourvus  de 
Bibles.  Il  eu  est  arrivé  fort  à  propos  quelques  caisses  d'Eu- 
rope ,  un  peu  avant  leur  départ.  On  en  a  répandu  égale- 
ment dans  les  casernes  et  les  prisons  isolées  des  divers 
cantonnemens.  Les  exemplaires  vendus  se  composent  prin- 
cipalement d'Evangiles  isolés  et  de  portions  détachées  de 
l'Ecriture,  traduits  en  bengali  ;  ils  ont  été  achetés  par  les 
missionnaires  pour  le  compte  des  écoles  indigènes. 

Bénéfices  attachés  à  l' enseignement  de  la  médecine  à 
Londres.  —  Il  est  dit,  dans  un  journal  anglais  de  médecine  . 
qu'un  professeur  d'analomie  qui  a  une  classe  de  deux  cent 
cinquante  élèves ,  retire  de  son  cours  un  revenu  annuel 
de  2,5oo  ilv.  st.  (62,500  fr.  ).  Ce  cours  ne  l'occupe  que 
pendant  six  mois  de  ranuéè,  et  les  frais  qu'il  entraîne  pour 
les  achats  de  cadavres  et  autres  objets  ne  se  montent  ras 
au-delà  de  5o  liv.  st.  Ce  même  professeur  fera  deux  cours  de 
chirurgie  dans  la  même  année  ,  qui  (  en  lui  supposant  cent 
cinquante  élèves  ,  payant  chacun  5  gulnées)  lui  rapporte- 
ront i,boo  autres  liv.  st.  Sa  part  dc^s  rétributions  payées 
par  les  élèves  qui  suivent  les  hôpitaux  ,  est  aussi  d'environ 
i,5oo  liv.  st.  :  ainsi  11  aura,  pour  l'enseignement  seule- 
ment, un  revenu  d(^  5,45o  liv.  st.  (  i46,?,5o  fr.). 

COMMERCE. 

Commerce  du  port  de  Calcutta. — I,e  eominercc,  îanl  c\ié- 


586  Noiwelles  des  sciences  , 

rieur  qu'intérieur  ,  qui  se  fait  annuellement  clans  la  prési- 
dence tle  Calcutta  ,  s'élève  à  la  somme  de  14,000,000  liv.  st. 
(55o,ooo,ooofr.  ) ,  année  commune.  Une  portion  de  ce 
commerce  appartient ,  sans  doute  ,  aux  entreprises  des 
particuliers 5  cependant ,  la  compagnie  conserve  encore  de 
grands  avantages  sur  ces  derniers.  Elle  fait  des  réglemens 
locaux,  qui  tendent  à  neutraliser  la  liberté  de  commerce 
quelle  a  concédée.  Il  en  résulte  que,  sur  certains  objets,  les 
particuliers  ne  peuvent  soutenir  sa  concurrence  ,  et  que 
bien  des  entreprises  qui  eussent  été  bonnes  pour  elle  ,  ont 
été  ruineuses  pour  eux.  Tous  les  ans,  il  sort  du  port  de  Cal- 
cutta ,  ou  il  y  entre  plus  de  600  navires  et  bàtimens  de  tout 
genre.  Le  fleuve  parcourt  une  étendue  de  trente  lieues  , 
pour  arriver  du  port  à  la  mer.  Qu'on  se  figure  le  coup- 
d'œil  que  présente  un  pareil  mouvement  dans  ce  court 
espace. 

Calcutta,  situé  sur  la  rive  orientale  du  fleuve,  n'était, 
en  1717  j  qu'un  misérable  village  ,  environne  de  forets  et 
de  marais.  Celte  ville  s'étend  maintenant  à  plus  de  deux 
lieues  le  long  du  fleuve.  Ou  y  compte  100,000  maisons  ha- 
bitées par  600,000  âmes,  dont  8.000  Anglais,  Portugais  et 
Arméniens.  La  population  comprise  dans  un  rayon  de  sept 
lieues  de  cette  vdle,  réunie  à  celle  de  la  ville  même ,  est 
estimée  à  2,225,000  âmes  (i). 

Vaisf^eaiLT  à  r(ipein\  —  Une  nouvelle  compagnie  vient 
de  se  former  à  l'effet  d'établir  une  ligne  de  navigation  par 
des  bàtimens  à  vapeur,  entre  la  Grande-Bretagne  et  les  poris 
principaux  des  îles  et  du  continent  d'Amérique.  Aux  termes 
du  prospectus  ,  que  nous  avons  sous  les  yeux  ,  les  ducs 
d'York  et  de  Wellington  sont  à  la  tête  de  cette  entre- 
prise ,  dont  les  résultats  seront  aussi  avantageux  au  com- 

(i)  Voy.  une  description  charmante  de  Calcutta  dans  les  Tlsquisses 
de  rinàe ,  insertîes  daii.s  le  numéro  prcce'dent. 


du  comniei-c»  ,  de  l'industrie,  etc.  387 

raerce  anglais  ,  qu'au  gouvernement.  Les  bâtiniens  par- 
tiront de  Va'.encia ,  petit  port  de  mer ,  au  sud-ouest  de 
l'Irlande,  celui  du  royaume-uni  qui  paraît  le  plus  conve- 
nable pour  celle  navigation. 

INDUSTRIE. 

Un  journal  anglais  qui  nous  arrive  à  l'instant ,  annonce 
que  le  projet  colossal  d'unir  l'Atlantique  et  la  mer  Paci- 
fique, par  un  canal  accessible  aux  vaisseaux  de  mer,  projet 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  va  être  sans  délai  mis  à 
exécution. 

Emploi  du  chromate  de  plomb  dans  les  arts.—  M.  Badams 
décrit ,  dans  un  article  des  Annales  de  philosophie  ,  le  ré- 
sultat de  plusieurs  expériences  sur  la  composition  de  l'é- 
carlate,  ou  sous  -  chromate  de  plomb,  et  du  chromate 
jaune,  et  il  recommande  fortement  l'usage  du  premier  , 
soit  dans  la  peinture  ,  soit  dans  l'impression  sur  calicot. 

M.  Badams  prépare  le  chromate  rouge  en  faisant  bouillir 
du  chromate  jaune  avec  de  la  potasse,  d'après  le  procédé 
de  Grouvelle.  Après  avoir  écrasé  et  fait  tremper,  pendant 
une  demi-beux'e  ,  cent  grains  de  ce  chromate  ccarlate , 
dans  de  l'acide  acétique  étendu,  et  l'avoir  remué  constam- 
ment, on  le  voit  se  teindre  d'un  jaune  pur,  et  quand  on  l'a 
lavé  il  ne  pèse  plus  que  soixante  grains  ,  l'acélate  de  plomb 
restant  on  dissolution.  Au  contraire,  si  l'on  écrase  soixante 
grains  de  chromate  jaune  avec  quarante  grains  d'oxide  do 
plomb  ,  et  que  l'on  verse  de  plus  ,  de  tems  en  tems  ,  une 
petite  quantité  d'eau  chaude  ,  on  obtiendra  de  nouveau  le 
sous-chromate  rouge. 
Selon  M.  Badams  , 

Le  cliroiTiale  jaune  Le  chromate  rouge 

•     ^  l     Aculc  chromiquc    i  atome    iq,02      i  atome    J9,o!» 

Ksi  composé    \     -^    ■  ,       ,        ,       ,  /"      ,1  »  o       ,- 

'  I     Oxide  de    plomb    1  ^o-O"      o  atomes  81. <)<> 

M.  Bndanis  conseille  à  l'imprimeur  sur  calicot  de  faire 


588  Noiwelles  des  sciences, 

pénétrer  clans  les  pores  de  Tétoffe  qu'il  veut  teindre  ,  un 
sel  de  plomb  insoluble  ,  afin  que  la  couleur  soit  plus  solide. 
Mais,  dans  tous  les  cas,  il  est  bon  de  renforcer  les  couleurs 
en  les  faisant  passer  par  l'eau  bouillante. 

Lesous-cliromate  de  plomb  est  très-beau  ,  quand  il  a  été 
brossé  à  l'huile  ;  il  ne  se  décolore  pas  comme  le  vermillon  , 
lorsqu'on  le  mélange  avec  du  blanc  de  plomb  ,  et  sa  cou- 
leur ne  paraît  pas  susceptible  de  s'altérer,  même  après 
avoir  été  long-tems  exposée  à  l'air.  Le  sous-cliromate  n'a 
point  été  suffisamnrent  essayé  avec  l'eau  pour  qu'on  puisse 
assurer  qu'il  ne  noircira  pas.  Mais  déjà  plusieurs  feuilles 
de  carton  et  de  papier  qui  ont  été  peintes  de  cette  manière, 
et  suspendues  dans  des  lieux  où  les  sels  de  plomb  peuvent 
s'altérer,  n'ont  rien  perdu  de  l'éclat  de  leurs  couleurs. 

Procédé  de  M.  Dalton  pour  déterminer  la  bonté  de  Vin- 
dicro. — M.  Dalton  détache  duu  échantillon  d'indieo  un 
grain  qu'il  pèse  avec  soin,- après  Tavoir  pulvérisé;  il  verse 
dessus  deux  ou  trois  grains  d'acide  sulfurique,  concenlré  ; 
ce  mélange  bien  trituré,  il  y  ajoute  de  l'eau  ,  et  transvase 
le  liquide  coloré  dans  un  cylindre  de  verre  dont  l'intérieur 
a  environ  un  pouca  de  diamètre.  Lorsque  le  mélange  est 
assez  étendu  d'eau  pour  qu'on  puisse  apercevoir  au  travers 
la  flamme  d'une  bougie,  il  y  verse  de  la  solution  de  chlo- 
rate de  chaux  ,  en  ayant  soin  de  n'en  ajouter  d'autre  que 
lorsque  l'odeur  de  celle  qu'il  y  a  versée  d'abord  s'est  éva- 
nouie :  il  agite  lentement  le  vase  ,  et  liieutôt  le  liquide  de- 
vient transparent ,  et  prend  une  teinle  d'un  beau  jaune 
verdàtre.  Lorsque  l'écume  a  disparu  ,  on  peut  transvaser 
la  partie  limpide  du  liquide  et  verser  de  nouveau  un  peu 
d'eau  sur  le  sédiment  qui  est  resté  au  fond  du  vase ,  avec 
quelques  gouttes  de  chlorate  de  chaux  et  une  goutte  d'acide 
sulfurique  étendu  ;  si  le  liquide  se  teint  encore  en  jaune  , 
c'est  à  l'aide  de  particules   d'indigo,  qui  avaient  échappé 


du  commerce ,  da  l'industrie  ,  etc.  38g 

d'abord  à  Tactioa  du  cliiorate  ,  et  l'on  doit  ajouter  ce  liquide 
à  celui  qu'on  a  déjà  retiré.  La  pureté  de  l'indigo,  selon 
M.  Dalton,  doit  être  estlmje  en  proportion  de  la  quantité 
de  chlorate  de  chaux  qu'il  faudra  employer  pour  détruire 
sa  couleur.  Il  croit  aussi  que  l'on  peut  faire  la  même  éva- 
luation pour  la  quantité  et  l'intensité  du  liquide  de  couleur 
d'ambre,  donnée  par  l'opération,  sans  s'occuper  de  la 
quantité  de  chlorate  de  chaux  que  l'on  a  employée. 

Machine  pneumatique  de  Brown.  —  Le  principe  qui  fait 
agir  cette  machine  paraît  ne  dépendre  que  de  l'expansion 
subite  et  de  la  condensation ,  non  des  gaz  employés  dans 
l'opération ,  mais  de  la  petite  quantité  d'eau  qui  se  forme 
par  la  combustion  .  de  l'hydrogène  avec  l'oxigcne  de  i'alr 
atmosphe'rique  qui  est  introduit  dans  le  cylindre  à  chaque 
coup  de  piston.  Lorsque  !a  combinaison  de  ces  deux  gaz 
se  fait  à  une  température  très-élevée,  comme  cela  a  lieu 
dans  le  modèle  que  M.  BroAvn  a  exposé  à  Londres  dans  le 
Printing-house  Square ,  l'eau  qui  en  est  le  résultat  se  con- 
vertit aussitôt  en  une  vapeur  douée  d'un  haut  degré  d'élas- 
ticité, et  qui  remplit  la  capacité  du  cylindre  d'un  fluide 
élastique  susceptible  d'être  instantanément  condensé  parle 
froid.  Cette  expansion  subite  de  la  vapeur  cliasse  du 
cylindre  une  grande  portion  des  fluides  gazeux  qui  ne  sont 
pas  susceptibles  de  se  condenser.  Ce  mode  d'action  est  si 
semblable  à  celui  de  la  vapeur  dans  les  machines  ordinaires, 
qu'on  peut  raisonnablement  donner  le  nom  de  machine  à 
vapeur  à  cette  invention  de  M.  Brown,  avec  cette  diffé- 
rence cependant  que  ,  dans  celle-ci ,  le  fluide  élastique  et 
condensable  est  formé  sous  une  haute  température  par  les 
fluides  introduits  dans  le  cylindre  lui-même.  L'étendue  de 
la  force  ou  le  vide  qui  se  fait  doit  dépendre  de  la  tempé- 
rature à  laquelle  la  combustion  a  lieu  ;  une  combustion 
lente  produit  une  vapeur  qui  n'a  qu'un  faible  degré  d'élasti- 
I.  2G 


3g0  Nouvelles  des  sciences  , 

cité ,  tandis  qu'une  combinaison  rapide  des  gaz  raréfiera 
prodigieusement  la  vapeur  ,  et  reproduira ,  par  la  conden- 
sation de  cette  même  vapeur,  un  vide  dout  retendue  dé- 
pendra de  Texpausion  qu'elle  avait  auparavant. 

Sur  l'im>ention  ,  les  progrès  et  les  avantages  de  la  gravure 
en  demi-teinte  sur  acier.  Par  Ch.  Turner. — On  peut,  à 
juste  titre,  regarder  comme  l'une  des  plus  heureuses 
époques  de  Thistoire  des  beaux-arîs  celle  où  l'on  a  dé- 
couvert l'art  de  gr;iver  en  demi-teinte  (  niezzo  tinto  )  sur 
acier.  L'auteur  de  ce  procédé,  et  ceux  qui  depuis  ont 
cherché  à  l'améliorer,  ont  heureusement  surmonte  les 
difficultés  qu'ils  avaient  eues  d'abord  à  combattre  ;  aussi 
l'art  dont  je  vais  tracer  la  marche  en  peu  de  mois  ,  est-il 
arrivé  à  un  point  de  perfection  très-satisfaisant. 

a  En  1812,  dit  M.  Turner,  feu  M.  James  Watt,  cet 
homme  qui  a  fait  la  gloire  et  le  bonheur  de  sa  patrie,  m'ins- 
pira l'idée  qu'il  serait  possible  de  graver  en  demi-teinte  sur 
acier.  Mes  premiers  essais  furent  infructueux  5  la  dureté  de 
l'acier  me  fit  complètement  abandonner  ce  métal.  Je  ne 
réussis  pas  mieux  dans  les  expériences  que  je  fis  ensuite  sur 
des  planches  de  cuivre  jaune  j  ces  dernières  étaient  d'une 
trempe  trop  inégale  pour  se  prêter  à  l'usage  que  j'en 
voulais  faire. 

5)  L'art  de  la  gravure  en  demi-teinte,  sur  acier,  ne  date 
réellement  que  de  l'époque  toute  récente  où  M.  Perkins, 
dont  tout  le  monde  connaît  les  longs  travaux  et  le  génie 
inventeur  ,  produisit  des  blocs  d'acier  assez  mous  pour  être 
entamés  par  nos  burins  ,  et  pour  recevoir  l'empreinte  de 
quelque  dessin  que  ce  fût. 

»  M.  Say  fit,  en  janvier  1820,  une  gravure  sur  acier,  qui 
est  certainement  son  meilleur  ouvrage.  En  février  1821 . 
je  gravai  un  portrait  sur  la  première  planche  d'acier  que 
j'eusse  encore  vue  5  elle  m'avait  été  donnée  par  M.  liOwrj, 


du  commerce  ,  de  l' industrie  ,  etc.  5g r 

et  cet  essai  fut  si  heureux ,   qu'il  obtint  l'approbation   de 
sir  Thomas  LaAvrence. 

»  Le  3o  mai  1822  ,  la  Société  des  Arts  décerna  la  médaille 
d'or  à  M.  Lupton  ,  pour  son  admirable  gravure  de  TEnfance 
de  Samuel.  D'après  les  heureux  succès  qu'ont  obtenus  les 
derniers  essais  ,  on  voit  que  les  planches  d'acier  méritent 
une  préférence  marquée  sur  les  planches  de  cuivre  ;  il  suf- 
fit, pour  s'en  convaincre,  de  voir  les  belles  gravures  exé- 
cutées par  MM.  Ward,  Reynolds  ,  Lupton  et  autres  ar- 
tistes. Dans  la  gravure  en  demi-teinte  sur  acier,  les  tons 
sont  beaucoup  plus  tranchés  que  ceux  que  l'on  pourrait  ob- 
tenir sur  le  cuivre.  L'extrême  densité  cîu  premier  métal 
permet  de  porter  à  une  perfection  beaucoup  plus  grande  la 
clarté  des  teintes  les  moins  foncées  5  et  la  même  cause 
permet  de  donner  aux  ombres  ime  richesse  étonnante,  qui 
leur  mérite  une  préférence  décidée.  Sous  ces  différens  rap- 
ports ,  les  avantages  sont  si  nombreux ,  qu'aujourd'hui  on 
peut  éviter  tous  les  défauts  qui  autrefois  étaient  insépa- 
rables de  la  gravure  en  demi-teinte  ;  et  les  nombreuses  dif- 
ficultés contre  lesquelles  l'artiste  était  sans  cesse  obhgé  de 
lutter,  ont  entièrement  disparu.  Quoique  le  travail  soit  plus 
long  et  plus  pénible  sur  l'acier  que  sur  le  cuivre  ,  cependant 
lorsqu'il  est  achevé  ,  la  satisfaction  qu'il  procure  compense 
le  surcroît  de  peines  qu'on  a  éprouvé.  Les  instrumens  qu'on 
emploie  sont  les  mêmes  que  ceux  adoptés  dans  la  gra- 
vure sur  cuivre.  On  prépare  si  bien  les  planches  d'acier, 
et  elles  sont  devenues  si  communes ,  que  tous  ceux  qui  en 
désirent  peuvent  eu  obtenir.  Ijes  meilleures  sont  celles  que 
fabriquent  M.  Rhodes  et  AL  Hoob  de  Sheflield.  Ou  peut 
aussi  en  trouver  chez  M.  Harrls,  Shoe-Lane,  à  Londres. 

»  Je  ne  crois  pas  me  tromper  en  assurant  que  c'est  à 
rintroducllon  de  la  gravure  sur  acier,  dans  ce  pajs,  par 
M.  Pcrkius,  que  nous  devons  les  progrès  que  fait  de  jour 
en  jour  la  gravure  en  demi-leinte.  Je  crois  devoir  terminer 


5g2  Nouvelles  des  sciences , 

pai'  un  avertissement  que  !a  nouveauté  du  procédé  exige 
absolument  :  c'est  de  préserver  l'acier  de  la  rouille ,  en 
chauffant  la  planche;  en  la  frottant  avec  du  suif  de  mouton, 
et  en  la  tenant  dans  un  appartement  sec.  Si  l'on  ne  prend  pas 
cette  précaution ,  la  rouille  peut  lui  faire  le  plus  grand 
tort.  » 

Gravure  sur  zmc.  —  Leske ,  libraire ,  à  Darmstadt ,  a 
publié  depuis  peu  le  premier  grand  ouvrage  dont  les  plan- 
ches soient  de  zinc.  C'est  une  collection  de  monumens  d'ar- 
chitecture qui  sera  composée  de  vingt  livraisons.  On 
exécute  le  travail  sur  le  zinc  comme  sur  la  pierre ,  et  l'on 
évite  ainsi  la  dépense  delà  gravure i  aussi  l'éditeur  a-t-il  pu 
donner  la  livraison ,  composée  de  douze  planches  in-folio  , 
sur  papier  ordinaire,  pour  cinq  francs.  Sous  le  rapport 
de  l'économie,  cette  méthode  mérite  donc  d'être  recom- 
mandée. Les  journaux  allemands  nous  apprennent  que 
M.  Eberhard,  auteur  de  cette  collection,  a  publié  depuis 
peu  un  petit  ouvrage  sur  Tusage  du  zinc  ,  afin  de  remplacer 
les  planches  de  cuivre  et  les  pierres  lithographiques  ,  pour 
la  gravure  et  le  dessin.  (  In-8°  avec  dix  planches ,  Darm- 
stad,  1824-  ) 

Relief  sur  bois. — M.  J.  Straker  a  découvert  une  mé- 
thode ingénieuse  de  travailler  en  relief  sur  bois  ,  qu'en 
peut  employer  isolément  ou  faire  concourir  avec  le  pro- 
cédé ordinaire.  Elle  est  fondée  sur  ce  fait  :  c'est  que  si 
l'on  creuse  la  surface  du  bois  avec  un  outil  sans  tranchant , 
la  partie  ainsi  déprimés  reprendra  sou  premier  niveau , 
lorsqu'on  la  plongera  dans  l'eau. 

On  travaille  d'abord  le  bois  dont  on  doit  se  servir,  on 
lui  donne  la  forme  convenable  ,  et  on  le  prépare  à  recevoir 
le  dessin  du  modèle  :  quand  le  dessin  est  appliqué ,  on 
appuie  successivement  lui  instrument  sans  trancbant ,  ou 
bien  un    brunissoir  sur  toutes   les  parties  que  l'on   veut 


du  commerce ,  de  l'industrie ,  etc.  5g5 

sculpter  en  relief.  On  retire  l'instrument  avec  beaucoup  de 
précaution ,  en  ayant  soin  de  ne  pas  briser  les  libres  du 
bois  avant  que  la  profondeur  de  la  dépression  soit  égale  à 
la  hauteur  que  l'on  veut  donner  au  relief  des  figures.  On 
réduit ,  à  l'aide  du  rabot  ou  de  la  lime  ,  le  fond  de  la  sur- 
fiice  du  bois,  au  niveau  des  parties  déprimées  ;  on  plonge 
ensuite  la  pièce  de  bois  dans  de  l'eau  froide  ou  chaude,  les 
parties  qui  avaient  été  déprimées  reprennent  leur  premier 
niveau  et  forment  ainsi  un  relevé  en  bosse  que  l'on  pourra 
achever  parles  procédés  ordinaires. 

AGRICULTURE. 

Récolte dujroment en  Angleterre. — La  récolte  du  froment 
se  fait  depuis  quinze  jours  dans  nos  provinces  méridionales 
et  commence  maintenant  dans  toutes  les  parties  duroyaume. 

Les  nouvelles  qui  nous  parviennent  sur  cette  récolte  impor- 
tante sont  partout  favorables.  La  Providence  a  départi  à 
la  plus  précieuse  de  nos  céréales  la  faculté  de  supporter  les 
plus  grandes  sécheresses.  Cette  graine  tire  sa  nourriture  de 
sources  que  le  soleil  ni  le  veut  ne  peuvent  tarir  j  ses  racines 
fibreuses  pénètrent  souvent  dans  la  terre  à  une  profondeur 
de  six  pieds.  Pour  ne  laisser  aucun  doute  sur  ce  phéno- 
mène, le  feu  président  de  la  Société  Royale,  sir  Joseph 
Banks,  conservait  dans  son  cabinet  un  échantillon  complet 
de  froment ,  avec  les  racines ,  le  chaume  et  l'épi ,  dans  un 
tube  de  verre  hermétiquement  fermé.  On  ne  doit  donc 
pas  s'étonner  que  la  chaieur  et  la  sécheresse  du  mois  de 
juillet  n'aient  fait  qu'achever  ce  que  !a  belle  saison  de  juin 
avait  commencé,  et  qu'elles  nous  aient  donné  une  récolte 
abondante  et  substantielle,  récolle  exempte  de  bonissure  et 
de  nielle  et  qui  n'est  pas  dépourvue  de  chaume.  S'il  y  a  des 
exceptions,  elles  ont  été  causées  par  quelques  gelées  sur- 
venues pendant  les  nuits  de  juin.  La  <leur,  dans  ces  cas,  ne 
s'est  pas  développée,  et  la  capsule  de  l'épi  se  trouve  vide. 


594       Nouvelles  des  sciences ,  du  commerce  ,  etc. 
Mais  la  conviction  générale  paraît  être  que  la  réculte  de 
froment  de  cette  année  est   très -supérieure   à  celle  d'une 
année  commune. 

BOURSE    DE    LONDRES. 

Cours  des  fonds  publics  anglais  et  étrangers,  depuis  le  'xl^ 
août  jusqu'au  5o  septembre  i8a5. 

Banck  Stock,  8  p.  "/q iZ\   ....   228  3/4-    aai 

3  p   0/0  consol g  I  ....      89  3/4 .     89  7/8 

3  p.  0/0  réduits 91   3/4 .     90   1/2 .      go  5/8 

3  1/2  p.  %  réduits 99   ••••     981/8.      983/8 

Nouveau  4  p- °/o ï^i     •••    'o^   ••••    Jo3  1/4 

Longues  annuités  expirant  en  1860  ..      22  7/16      22  3/i6      22  5/i6 

Fonds  de  l'Inde  10  1/2  p.  0/0 2^3  3/4-    270    1/2.    271    .... 

Obligations  de  l'Inde ,  3  p.  "/o 53s....    44  * 44  *  •  •  • 

Billets  de  rÉchiquier  ,  2  1/4  p.  °/o. . . .  3os.....  i6s....      17  s.... 

FONDS   ÉTRANGERS. 

Plus  liaut.       Plus  bas.       dein. cours. 

Obligations  autrichiennes,  5  n.  0/0. .  •  99  ..  .  .    98   1/8..       98   i/4 

Id.  du  Brésil Id 82   i/4 .     791/2.        79   1/2 

Id.  de  Buenos-Ayres  ,  6  p.  °Jo.  . .  90  3/4  .    90    ... .  90    ... . 

/rf.  du  Chili  Id 81    1/2.    793/4..  80   1/4 

//f.  de  Colombie,  1822. /rf. 861/4.843/4.  85..., 

Id.  /J.  ,1824. /J 85  1/8.    83  5/8.  85  5/8 

Id.  de  Dancmarck  ,  5  p.  °/o....  100  3/4.   100    1/4.  100  3/4 

Rentes  françaises,  5  p.  0/0 io3  1/4.    102    ....  102    1/2 

Obligations  grecques,  /</. ^2    . . . .   35    . , . .  ^i    . .  , . 

Id.  du  Mexique  ,  Id 76   1/2 .    73  5/8.       74  5/8 

/</.  de  jSaples  ,     Id. yS   7/8.    yS    73    .... 

/J.  du  Pérou.     6  p.  0/0 88  3/4.    88....  87.... 

/(/.  du  Portugal,  5  p.  0/0 102    ...    loi    1/2..  102.... 

Id.  de  Prusse,  1818,  Id 100    ...    101    1/2  .  100  3/4 

Id.  7J.  1822,  Id 100  3/4.     96   1/4.  100    3/4 

/rf.  de  Russie,  Id 97  'A  •     967/8.  97     •/« 

A/.  d'Espagne ,  Id. 22  3/4-    '-»i   ^'A-  '^'^   «A 

FIN  DU  pni:niiER  volume. 


TABLE 

DES  MATIÈRES  DU  PREMIER  VOLUME. 


Pag. 

Préface 5 

Economie  politique.' — 'Produit  comparé  des  taxes 

élevées  et  des  petites  taxes.  (i?ew/e  d'Edinbourg.)     49 
Essai  sur  l'administration  intérieure  de  la  Prusse. 

(  Quarterly  Rsmew.  ) i  ig 

Des  dettes  fondées.  (  Rei>ue  d'Edinbourg.  ) S'y 5 

Du  produit  des  droits  imposés  sur  le  café  (  Reoue 

d'Edinhoiirg.  ) aijS 

CoBiMERCE  —  Observations   sur    le   commerce   avec 

la  Chine  et  sur  le  monopole  du  thé.  (  Rev.  d'Édiii.)   1 4o 
Indust  ie. —  Du  transport  par  les  canaux  ,  les  l'oules 
à  rainures  de  fer  et  les  voitures  à  vapeur.  (  Quar- 
terly Reciew.  ) ii 

Des  ouvriers   et  des  machines  en  France.  (  Quar- 
terly Repi'elP.  ) I  qg 

Littérature.  —  De  la  poésie  en  France.  (  Revue 

d'Edinbourg.  ) i6 1 

Discours  de  M.  Brougham  ,  à  l'Université  de  Glas- 
gow. (  Remie  d'Edinbourg.  ) 179 

Souvenirs  de  Sir  Egerton  Brydges.  (  Blackwood's 

Magazine .  ) 1  ^q 

Voyages.  — Statistique. —  i.  Esquisses  de  l'Inde, 

par  un  officier  anglais.  (  Revue  d' Rdinbourg.  ). .      ^5 
•1.  Voyage  au  Pérou  par  la  Cordillère  des  Andes  , 
en   1823  et    1824,    par   Robert    Proclor.  (  Z^V. 

Gaz.  ) y9 

5.  Aperçu  de  la  situation  commerciale  et  agricole  de 
la  république  d'Haïti.  (  Revue  d'Édinhnur'r.  ). .  .    lofi 


ÔgÔ  TABLE    DES    MATIERES. 

Pag. 

4.  Amérique  méridionale.  (  Quarterly  Remew.  ).  .    284 

5.  De  Tesclavage  clans  les  Antilles  anglaises.  (  Revue 

cT Edùihoiirg .  ) 55 1 

6.  Nouvelle  colonie  anglaise  établie  dans  l'Austra- 
lie. (  Asiatic- Journal.  ) 527 

MÉLANGES. —  I.  Observations  sur  réducation  du  peu- 
ple ,  par  M.  Brougham.  (  Revue  d'Édinbourg.  )  .   556 

2.  Extrait  de  l'enquête  sur  l'état  de  l'Irlande 182 

5.  Propositions  de  M.  Huskissou,  sur  la  réduction 

des  droits  de  douanes 187 

4.  Du  projet  d'unir,  par  un  canal,  l'Atlantique  et 
la  mer  Pacifique.  (  Lit.  Gaz.  ) SGg 


5.  Suif  végétai 5 


6.  Coalitions  d'ouvriers 5^6 

Nouvelles  des  Sciences,  delà  Littérature,  des 
Beaux-Arts,  du  Cojoierce,  des  Arts  indus- 
triels, DE  l'Agriculture ,  etc.,  etc.      191  et  077 


FIN    DE    la    table. 


^ÎMKn-  •  ^^^:^ 


.  fs^.cf